Scènes de la pacification marocaine/02

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Scènes de la pacification marocaine
Revue des Deux Mondes6e période, tome 18 (p. 109-146).
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SCÈNES DE LA PACIFICATION MAROCAINE

II[1]
UNE COLONNE DE PACIFICATION


Présentations. — Le départ ; incidens de route. — Combat de nuit. — Dialogues tactiques. — Dans l’attente des événemens. — Les amis de la première heure. — Problèmes politiques et guerriers. — A la recherche des silos. — Les effets de la pression morale. — Les premiers soumissionnaires. — Les mercantis et le problème économique. — Une grave décision. — Au cimetière. — Promesses d’avenir.


« Mon colonel, permettez-moi de vous présenter M. Pointis, un vieil ami, qui désire suivre en touriste les opérations de la colonne des Zaër, et qui n’ose vous le demander ? » Une appréhension se devinait dans le ton déférent d’Imbert, qui n’ignorait pas la répugnance instinctive de nombreux guerriers pour les civils dont ils redoutent, en campagne, la curiosité brouillonne et les jugemens prétentieux. Justement, son chef était de ceux-là. Il ne ressemblait pas aux habiles metteurs en scène qui ne se lancent jamais sur les pistes du « bled » sans vérifier avant leur départ l’accord et la puissance des trompettes de la Renommée. Son état-major, copieux, laborieux et modeste, n’était pas composé selon les règles de l’art local. Aucun météore militaire n’y présidait aux relations avec la Presse ; nul photographe adroit n’y réservait pour les grands Illustrés les clichés dénonciateurs des gestes triomphans et des actes glorieux ; nul publiciste ne s’y préparait à faire connaître au Monde, en les magnifiant, les pensées d’un « patron » qui, même en pyjama, ne cherchait pas à poser devant l’Histoire.

Le colonel se détourna. Il cessa de contempler le plateau où grouillaient déjà les troupes qui, dans leur impatience du départ, oubliaient les indications précises de l’ordre de mouvement. Une contrariété fugitive crispa son visage tanné en des pays lointains, où la vivacité du regard faisait oublier la neige précoce d’une barbe sans apprêt. Pointis devina le refus poli, mais imminent. Il se hâta de réfuter les objections qu’il eût faites lui-même. « Certes, mon colonel, dit-il, je comprends que mon désir vous paraisse indiscret. Mais je ne suis ni journaliste, ni spéculateur. C’est un voyage d’études autant que d’agrément que je compte faire, à mes risques et périls, en pays zaër. Si vous voulez bien me laisser profiter de la protection de vos troupes, je ne serai pas plus gênant que le dernier des « bouchaïb » de votre convoi. » Le colonel sourit : « Puisque vous acceptez d’avance les risques de l’aventure, j’aurais mauvaise grâce à vous refuser une faveur que j’accorde à des mercantis. Votre ami Imbert s’occupera de vous et vous rendra supportable la vie des camps. » En phrases brèves, Pointis remercia, car il comprenait que l’heure n’était pas propice aux prolixes effusions. Il s’éclipsa prestement pour confier sa petite caravane à la surveillance intéressée d’un marsouin débrouillard, que son emploi de « muletier du train régimentaire » vouait aux étapes sans gloire, mais sans danger des convois. Et, libre de soucis, tandis qu’Imbert s’éloignait vers sa troupe figée dans l’attente, il chercha un bon poste d’observation pour contempler le défilé.

Aux abords du point initial, une foule tourbillonnait. C’étaient les partisans. Ralliés de la première ou de la onzième heure, ils étaient accourus comme des mouches vers l’appât des pillages prochains. La masse de leurs burnous sombres dominait les selles hautes, dont les innombrables tapis rouges ou bariolés chatoyaient au soleil. Juchés sur leurs chevaux dodus au poil luisant, sur leurs biques sans âge aux côtes saillantes, ils dressaient en des attitudes fières leurs fusils plus redoutables pour nos troupes que pour les dissidens. Embellies avec amour par des ornemens de cuivre ou d’argent grossièrement ciselés, le parfait entretien des armes dont les types allaient du Lee-Metford à 16 coups jusqu’au modeste Gras, les révélait comme les outils préférés de ces travailleurs du désert. Groupés par des sympathies de familles les piétons faisaient contraste, dans leurs souquenilles grisâtres, avec les cavaliers solennels. Leur misère s’affirmait dans les turbans étriqués, dans les faces hâves, dans les fusils branlans. La plupart, trop pauvres pour posséder même d’antiques moukhalas, brandissaient les bâtons avec lesquels ils conduiraient les troupeaux razziés. Tous avaient le poignard en sautoir, pendu à des passementeries crasseuses. Et leur cohue indisciplinée, avide et bavarde, évoquait dans l’imagination toujours en éveil de Pointis la ribaudaille et les chevaliers des combats moyenâgeux.

Soudain, cette troupe hétéroclite se précipita. Le chef du service des Renseignemens de la colonne apparaissait derrière son escorte de goumiers que signalait un fanion verdâtre, orné d’une queue de cheval délavée. Grand maître des partisans, dispensateur souverain des futures dépouilles, des brevets de caïd et de cheikh, son arrivée était saluée par les marques exubérantes d’un servile respect. Il distingua par une étreinte protectrice quelques mains de courtisans particulièrement connus, dispersa des complimens et des bénédictions, et proféra d’une voix martiale des ordres méticuleux. Aussitôt les cavaliers s’élancèrent vers les crêtes dans un galop de fantasia ; les fantassins les suivirent en trottinant, pour tendre autour de la zone de marche un immense réseau protecteur : « L’étape ne sera pas troublée, » murmura Pointis qui admira ce déploiement correct et rapide. Il savait en effet depuis longtemps que l’audace des partisans dans le rôle d’éclaireurs croit en raison inverse de la proximité de l’ennemi.

Cependant, la cavalerie régulière, qui suivait en bon ordre sur le chemin, s’éloignait déjà dans un nuage de poussière où se brouillaient les complets kaki des chasseurs d’Afrique, les vestes rouges des spahis, les manteaux bleus des goumiers. L’avant-garde apparaissait au point initial, annoncée par une rumeur joyeuse. Goumiers à pied de la Chaouïa, tirailleurs sénégalais, jacassaient en marchant d’un pas élastique, ravis d’aller enfin régler avec « les Marocains » un compte séculaire de rancunes. Leurs turbans blancs, leurs chéchias rouges papillotaient dans les taillis rabougris de lentisques et de chênes verts qui, vus de l’éminence où Pointis était assis, faisaient songer à quelque prairie émaillée de marguerites et de coquelicots. Puis, à des distances variables selon les difficultés de la piste, venaient les unités d’infanterie européenne dont les hommes, écrasés par le sac, montraient déjà sous les casques en bataille des figures congestionnées. L’artillerie de montagne intercalait ses mulets énormes, ses canonniers vigoureux portant comme un joujou d’enfant le mousqueton en bandoulière, entre des théories de fantassins essoufflés, qui enviaient les omoplates libres et conscientes des mitrailleurs. Ceux-ci, fiers de leur rôle spécial, fraternisaient avec les canonniers qu’ils daignaient traiter en égaux.

Soudain, Pointis aperçut Imbert dont l’air maussade l’étonna : « Que signifie, cher ami, en ce jour solennel cette triste figure ? lui demanda-t-il avec intérêt. Quelque contrariété ?… » Imbert poussa son cheval hors de la piste pour laisser la voie libre au détachement de « joyeux » qui le suivait, et s’arrêta : « Devinez ce qui m’arrive ! » cria-t-il furieux. Pointis, résolument, jura qu’il en était incapable. « Eh bien ! voici, reprit Imbert. Au moment de partir, on me communique ce que nous appelons l’ordre de bataille. Savez-vous ce qu’y deviennent mes tirailleurs ? Partagés en trois, mon cher, pour être dilués dans les trois élémens de la colonne. L’unité nouvelle, qui s’appelle « groupe » et qui fleurit au Maroc, doit comprendre, à doses presque égales, des zouaves, des marsouins, des Sénégalais, des Algériens et des Marocains. Il paraît que les seules qualités de ces guerriers disparates résident dans un mélange où s’annihilent leurs défauts. Rusticité, solidité, agilité, habileté, chaque chef de groupe, — j’en suis un, hélas ! — aura tout à son service. Les « Teurs » n’ont qu’à se bien tenir. » Et, rageur, dans ses récriminations prolixes, il prophétisa les pires catastrophes. « Voyez ! conclut-il en ricanant. Jusque dans le convoi, ils ont exercé leur manie de tout brouiller ! »

Pointis avait écouté sans broncher les doléances d’Imbert. Il le savait enclin, dans la colère, aux exagérations pessimistes, et il se préparait à le calmer sous une pluie de commentaires lénifians ; mais l’aspect du convoi qui s’approchait l’effara. Les phrases consolatrices s’évanouirent de son esprit où se pressaient déjà de fâcheuses comparaisons. Au lieu des pelotons serrés de chameaux innombrables, dirigés par les équipes habiles et zélées d’officiers, de sous-officiers et de béchamars qu’il avait admirées entre Rabat et Fez. au lieu des charges bien arrimées de caisses et de ballots uniformes, portées par les animaux dociles et vigoureux s’écoulant doucement comme un fleuve au cours régulier, il voyait une cohue bruyante, rétive et bigarrée : « Mais c’est la sortie de l’Arche après le Déluge ! s’écria-t-il. Et s’il n’a pu mieux organiser ses moyens de transport, votre chef est vraiment traité en parent pauvre ! — Oui, c’est du joli ! grommela Imbert. Vous pensez à l’arche de Noé ; moi, je songe à Barnum. Avec ça, nous irons vite et loin !... »

Le spectacle était, en effet, cocasse et peu banal. Anes petits comme des moutons, mulets vacillant de vieillesse, poulains dont le poil broussailleux dénonçait le jeune âge, chameaux écorchés et galeux défilaient pêle-mêle, sans hâte, mais non sans bruit. Quelques sous-officiers français, déjà sans souffle et sans voix, quelques goumiers plus placides, s’évertuaient en vain à mettre un peu d’ordre dans cette ménagerie. Les femmes sordides sous leurs haillons crasseux, les enfans à l’allure traînante, les vieillards contemporains des temps bibliques suivaient le flot qu’ils auraient dû conduire, et leur inertie méprisante répondait aux Roumis trop pressés qu’on arriverait sûrement tôt ou tard, inch Allah ! Les prétextes ne leur manquaient pas, d’ailleurs, pour flâner sur le chemin. Les charges hâtivement faites, bâties sans soin, dégringolaient les unes après les autres, et les animaux retrouvaient un reste de vigueur pour s’éloigner, en quelques bonds, du cauchemar de leur fardeau. Les conducteurs s’empressaient comme des Augustes de cirque, avec une maladresse roublarde ; ils obstruaient le passage, et ces arrêts prolongés, se répercutant jusqu’à l’arrière-garde, augmentaient le désarroi.

« Je n’ai jamais vu confusion pareille, dit Imbert. Nous ne serons pas au bivouac avant la nuit ! Mauvais début pour une entrée en campagne !... » Et, talonnant avec rage son cheval qui n’y comprit rien, il s’éloigna au galop pour rattraper sa troupe. Pointis, interloqué, le suivit un moment des yeux ; puis, quand son ami eut disparu derrière les fourrés, il détourna son attention vers ses bagages dont l’arrivée à l’étape lui paraissait incertaine. Il aperçut enfin le marsouin qu’il avait préposé à leur garde et qui l’interpella sans façon pour lui faire constater son dévouement. Rassuré par l’accord qui régnait entre les serviteurs, les animaux et le soldat bénévole, Pointis à son tour se hâta de fuir les nuages de poussière et la cohue du convoi. Il courut d’une traite jusqu’à l’avant-garde, et la trouva immobilisée dans l’attente, sur un col que la colonne devait traverser. Des officiers, en groupes affairés, inspectaient à la lorgnette le paysage qui s’étendait à leurs pieds. Le colonel, maîtrisant son impatience, supputait la durée d’écoulement de la petite armée qui se tordait avec lenteur et s’allongeait dans les méandres caillouteux du chemin. Les derniers élémens quittaient à peine le poste, et le soleil s’abaissait déjà sur l’horizon.

« Voici le théâtre de la guerre... Le grand chef n’a pas l’air content, et pourtant il ne peut désirer plus beau champ de manœuvre contre un ennemi figuré,... » chuchota dans l’oreille de Pointis une voix connue. Pointis acquiesça. Le capitaine Merton du Train des Equipages, stagiaire aux Affaires Indigènes et dont il avait été le commensal à la popote d’Imbert, lui montrait d’un geste large la plaine immense, doucement ondulée, que fermaient dans le lointain, vers le Sud, des montagnes tourmentées, à la silhouette bleuâtre. Rendus presque invisibles par la distance et les vibrations de l’air surchauffé, des cavaliers se coulaient dans les vallons, s’égrenaient sur les lignes de faîte indécises et enchevêtrées. Ils sortaient on ne savait d’où, car nulle fumée révélatrice de douars ne se dressait vers le ciel pâle ; et nulle pensée hostile ne paraissait coordonner leurs mystérieuses évolutions.

« Ce sont nos partisans ?... » questionna le colonel, intrigué lui aussi, comme ses officiers, par cette paix sereine d’un paysage où grouillaient peut-être des foules cachées dans les replis du sol. — « Oui, mon colonel, » affirma sans hésiter le chef des Renseignemens, qui expliqua son verdict dans un murmure de suppositions contradictoires. « Oh ! oh ! dit tout bas Merton à Pointis, vous verrez que, cette fois encore, le service des renseignemens va être celui des « faux tuyaux. » — Que supposez-vous donc ? — Rien qui ne soit vraisemblable. Nous sommes arrivés sur le col avant les ennemis qui espéraient nous en disputer le passage. Ils ont manqué leur coup. Ils vont donc rester dans la plaine pour surveiller nos mouvemens et... il y aura de la musique cette nuit. »

Merton avait, quoique peu bavard-, une réputation bien établie de sagacité, dans les popotes du Camp-Marchand et des postes voisins. Il s’était spécialisé, en amateur, dans les problèmes de la politique locale, et il passait pour connaître à fond les individus et les coutumes du pays zaër. Mais, d’un naturel conciliant, il ne lançait jamais ses idées à l’assaut contre les opinions de ses chefs. Et, tandis que les officiers de l’état-major discouraient avec gravité sur la nature et les intentions des cavaliers mystérieux, il expliquait doucement à Pointis le plan probable des ennemis : « Voyez-vous, disait-il, cet interminable convoi qui alourdit notre marche ? Nous ne pourrons arriver au point d’eau choisi pour l’étape ; nous sommes obligés de nous arrêter avant la nuit, et la source la plus proche est située dans un bas-fond que je connais. Au Maroc, les avant-postes ne s’éloignent pas de la troupe qu’ils doivent protéger. Pendant la nuit, les dissidens seront donc libres de s’installer sur les hauteurs voisines du bivouac, et de tirer dans le tas aussi longtemps qu’ils auront des munitions. Nous riposterons tant bien que mal. Dès le jour, nous compterons la « casse, » tandis que les ennemis, disparus avec l’aube, triompheront dans leurs douars. »

Cependant, la théorie du convoi se rapprochait. Les fractions de l’arrière-garde apparaissaient à leur tour dans les éclaircies encore lointaines des fourrés. Vers le Sud, nulle silhouette ne se montrait plus sur les ondulations qui s’estompaient déjà dans la brume légère du soir. Mais les prévisions de Merton se réalisaient. Un contre-ordre modifiait les projets annoncés au départ et que l’heure tardive rendait inexécutables. L’étape était diminuée de plusieurs kilomètres, pour permettre à tous, bêtes et gens, de s’installer avant la nuit autour d’un chapelet de flaques profondes qui miroitaient non loin du col. Et, malgré cette variante inattendue, les étoiles brillaient depuis longtemps dans un ciel d’encre quand les derniers arrivés eurent dressé leurs petites tentes au bord des tranchées qui protégeaient le bivouac.

Dans la cohue des animaux qui s’entassaient au fond du vallon herbeux d’où montait un tumulte de cris dissonans et rageurs, Pointis errait avec une infatigable patience, à la recherche de ses bagages et de renseignemens. Il savait que, en campagne, les conducteurs de mulets sont, avec les cuisiniers, la corporation la mieux avertie des nouvelles du théâtre de la guerre et des intentions des grands chefs. Mais, cette fois, s’il trouva aisément sa petite caravane, il ne réussit pas à satisfaire sa curiosité. Du chef de convoi, comme du dernier des tringlots, il ne put tirer que des suppositions vagues : « On ne sait pas ce qu’on fera demain... tout dépend de ce qui se passera cette nuit... » Pointis, impressionné par ces pronostics peu rassurans, se hâta de faire disparaître sa tente dans un repli du sol, pour s’abriter contre la pluie prochaine de balles, amies ou ennemies, que l’instinct de la conservation lui faisait pressentir. Et, découragé par les difficultés d’une marche de nuit à travers les ballots épars, les cordes d’attache, les animaux échappés, il renonça dès les premiers pas à rejoindre ses commensaux habituels pour le repas du soir. Seul sous ses toiles, il grignota sans appétit quelques vivres de circonstance, avant de se coucher tout habillé sur le petit lit de campagne où il s’annihila péniblement dans un sommeil angoissé de cauchemars.

Un fracas de détonations sèches et graves, un bruissement d’orage traversé par des sifflemens plaintifs, des imprécations toutes proches, des commandemens impérieux, le frôlement ponctué de cliquetis d’armes d’une foule qui semblait ramper, l’éveillèrent en sursaut : « La voilà bien, l’attaque de nuit. Pourvu qu’ils ne soient pas dans le camp... » grommela-t-il. Et, le browning à la main, il se précipita hors de la tente, prêt à vendre chèrement sa vie. Mais il s’arrêta aussitôt, émerveillé.

La pleine lune à son zénith jetait sur la campagne une clarté vive. Des points brillans, aux éclipses rapides, dessinaient sur les hauteurs qui entouraient le camp des illuminations pareilles aux girandoles de gaz d’une fête foraine. D’autres, moins nombreux, apparaissaient dans les fonds d’où s’élevaient des clameurs. Une harpe gigantesque, caressée avec fougue par des mains agiles, semblait frissonner sur le camp ; mais ses cordes invisibles étaient tracées par les balles des fusils de tous les types connus. Des chocs mats dans les charges déposées à terre, des plaintes de blessés, des soubresauts de bêtes atteintes par les projectiles, faisaient au concert de la fusillade et des cris un lugubre accompagnement. Sur les crêtes couvertes d’un glacis de lumière blonde, dans l’ombre des vallons tout proches, des voix coléreuses injuriaient les Roumis, invectivaient les partisans et les goumiers. Vers le douteux abri des tranchées, les troupiers se coulaient en rampant, tandis que les Sénégalais, confians dans leurs gris-gris, se décidaient avec peine à prendre des attitudes passives si nouvelles pour eux. Officiers et sous-officiers s’employaient à faire taire des ripostes qui permettaient à l’ennemi de repérer son tir sur la lueur des coups de feu. « Ça y est ! nous sommes entourés et dominés ! Et il n’est pas trois heures... » murmura Pointis qui avait consulté sa montre à la clarté de la lune. « Je ne pourrai plus dormir. Que faire jusqu’au jour ?... » Après de courtes réflexions, il conclut qu’il ne devait pas rester à l’abri, tandis que les autres se battaient. Il s’orienta et, s’efforçant d’esquiver les ricochets qui ronflaient sur le sol, il se dirigea rapidement vers la face du bivouac occupée par le groupe d’Imbert.

Des muletiers du train de combat étaient déjà étendus sans vie ; des infirmiers tiraient des cadavres par les pieds, ou portaient avec précaution, en rasant la terre, des brancards où râlaient des blessés. Il lui parut que l’ennemi, favorisé de ce côté par la disposition du terrain, dirigeait sur les tranchées appuyées à des blocs de roches visibles de très loin un feu particulièrement intense. A droite, les Sénégalais roulés en boule attendaient l’ordre de foncer en avant ; seuls, leurs meilleurs tireurs guettaient comme à l’affût, et lâchaient à longs intervalles des coups de fusil sur les lueurs qui révélaient à trois ou quatre cents mètres la présence des assaillans. Au centre, les marsouins, convaincus de l’inutilité de ces ripostes, s’arrangeaient pour reprendre, à l’abri de leurs petits talus, le sommeil interrompu. A gauche, les goumiers moins placides rendaient coup pour coup, injure pour injure. Imbert, que l’alerte avait surpris dans un pyjama blanc, glissait comme un fantôme au long de sa ligne ; il commentait avec insouciance la situation tactique et il expliquait à ses officiers les derniers ordres du colonel.

« Rien à faire jusqu’au jour, dit-il à Pointis qui l’interrogea. La colonne est composée d’élémens trop disparates pour qu’il soit possible de tenter une contre-attaque sérieuse sans risquer des méprises funestes. Songez que nos détachemens se sont vus hier pour la première fois 1 Donc, nous laissons les ennemis brûler en paix leurs cartouches. Dès que nous y verrons assez clair, toutes les faces du bivouac feront une offensive générale pour « donner de l’air » au convoi et faciliter le départ. » Avec la gravité que lui conférait son incompétence, Pointis approuva ce plan. D’ailleurs, à en juger d’après la violence de leur feu, on pouvait espérer que les assaillans épuiseraient vite leurs munitions. Leur imprévoyance garantissait le succès des projets du colonel. Ils semblaient avoir hâte de vider leurs poches à cartouches avant le jour, soit pour faire à temps une retraite sans danger, soit pour terroriser la colonne figée dans une attente passive, et tenter ensuite un assaut fructueux. Comme dans les incendies de brousse qu’il avait vus au Tonkin, la ligne de feu gagnait en effet les crêtes encore obscures ; elle fermait le cercle autour du bivouac et, sur des cimes abruptes, qu’on aurait crues inaccessibles, des grappes lumineuses apparaissaient enfin dans un tumulte de cris et de sifflemens.

« Ce serait un petit Sedan, s’ils avaient de l’artillerie, conclut Imbert. Mais, malgré le clair de lune, ils font plus de bruit que de mal. » Pointis protesta : « Cependant, les infirmiers et les médecins ne sont pas inactifs. — Sans doute. Mais, en réalité, nos pertes sont légères. » A ce moment, un agent de liaison apporta de nouveaux ordres, et Pointis s’éclipsa pour aller observer le bivouac.

Sur une pente douce, assis au milieu de son état-major déférent, le colonel fumait paisiblement sa pipe en épiant les progrès de l’ennemi. Pointis entendit au passage un » ça finira très bien, » qui le réconforta d’une confiance joyeuse. L’appréhension qu’il avait éprouvée dès les premiers coups de feu était depuis longtemps évanouie. Sur le sol que labouraient les balles il marchait allègrement, et son âme s’exaltait du danger impunément bravé. Il se jugeait ridicule en songeant qu’il s’était d’abord courbé peureusement pour franchir à toute vitesse les espaces découverts, et il ressentait une vanité puérile en parcourant sans précautions, d’un pas nonchalant, un terrain où régnait la mort. Ses facultés intellectuelles avaient acquis une extraordinaire acuité. Ses yeux et son cerveau enregistraient avec précision les moindres détails du spectacle auquel il assistait. Il se louangeait sans réserves d’avoir la bravoure solitaire dans la nuit, et il se prit à murmurer : « C’est beau, la guerre, puisqu’elle procure dételles sensations !»

Devant lui, maintenant, les zouaves aplatis au bord de leur talus exécutaient, comme à la manœuvre, sur des objectifs incertains, des feux de salve impeccables. Pointis s’attarda un instant à calculer en vain le résultat de leur tir, puis il se dirigea vers l’Ambulance où convergeaient des brancardiers qui se coulaient comme des crabes dans les plis du terrain. Mais soudain il s’arrêta, ébahi. Simultanément, des mitrailleuses « déchiraient la toile » et des obus coiffaient les rochers où les lueurs plus denses de la fusillade venaient de révéler des groupes compacts d’ennemis. « Ils vont sans doute devenir plus prudens et moins gênans, » murmura-t-il. Les points lumineux qui, par endroits, dessinaient des grappes s’espacèrent en effet aussitôt et dansèrent comme des lucioles. L’intensité du feu diminua, mais non la furie des invectives. Les assaillans, invoquant la solidarité zaër, invitaient à la désertion partisans et goumiers, et les échos se renvoyaient les chapelets d’injures d’une richesse insoupçonnée par les cochers parisiens.

Cependant, le ciel blanchissait à l’Orient. Avec une agilité discrète, le chef du convoi faisait déjà bâter ses animaux ; le personnel de l’ambulance abattait les tentes et fermait les paniers. L’escadron se massait sans bruit dans un vallon défilé. Mais, grâce à la clarté naissante qui décelait ces préparatifs, l’ennemi comprit que l’instant était propice pour fixer la colonne sur sa position, semer le désarroi, augmenter les pertes et tenter une attaque brusquée. Ses fusils firent rage pendant que des groupes de guerriers se faufilaient à travers les palmiers nains pour se rapprocher des tranchées qu’ils supposaient mal gardées. Il fut promptement déçu. Tout à coup la sonnerie : « En avant » retentit. L’offensive prévue se déclancha. Comme un éclair, baïonnettes hautes, l’infanterie jaillit hors du bivouac, et la cavalerie, dans un galop furieux, balaya la zone de marche de la colonne vers le Sud. Pointis béa d’admiration. Les fantassins gravissaient allègrement les pentes, et les Marocains affolés ne tentaient pas de les arrêter. Le cercle de feu était rompu de toutes parts. Sur les hauteurs abandonnées par les assaillans, nos troupes s’arrêtaient pour tenir par leur tir l’ennemi à distance et protéger l’écoulement du convoi.

Or, l’adversaire semblait se ressaisir. Du tertre où il s’était placé, Pointis le voyait esquisser une manœuvre désespérée. Des burnous s’agitaient en signe d’appel sur un piton voisin où les guerriers couraient se rassembler à l’abri des roches. Il voulut assister au dernier acte du drame et, comme Imbert devait ce jour-là commander l’arrière-garde, il alla vers lui.

Dans son ignorance de la tactique marocaine, il espérait voir une charge folle des dissidens, lancés en ruée foudroyante à travers le rideau d’infanterie jusqu’au convoi qu’ils disperseraient pour le piller. Mais Imbert souffla sans pitié sur ces illusions : « C’est bon pour les « nègres du Soudan, » comme on dit en Algérie, de se faire sottement tuer en plein jour dans une attaque sans merci. Le Marocain n’oublie jamais qu’il est père de famille et que son cheval lui appartient. Vous ne verrez donc pas, ici, des corps a corps enragés comme ceux qui ont causé la perte des Bonnier, des Fiegenschuh et des Moll, — pour ne citer que les plus connus. Toutefois, si une manœuvre en retraite, réglée comme une figure de ballet, peut vous intéresser, profitez de l’occasion. » Pointis accepta et suivit son ami qui dirigeait prestement sa troupe, par un vallon encaissé, vers la nouvelle position qu’elle devait occuper. Mais son esprit était obsédé par les récits impressionnans qu’il avait naguère entendus. Avec une inquiétude mal dissimulée il questionna : « Vous croyez donc pouvoir vous « décrocher » aisément ? » Imbert sourit : « Comment ! vous aussi, vous croyez aux histoires que les mots « accrocher, » « décrocher » résument dans ce pays de Tartarins ? Sachez donc que tout chef, quel qu’il soit, est « accroché, » s’il se laisse faire, et doit pouvoir « se décrocher » quand il veut. — Pourtant, quand on est chaudement engagé... — Vous m’amusez, mon cher, car vous récitez une leçon bien apprise. Une troupe n’est « chaudement engagée, » comme vous le dites, que si elle reste longtemps immobile, ou si elle se déplace avec lenteur, par petits bonds exécutés homme par homme, ainsi que je l’ai vu faire à nombre de théoriciens. L’immobilité ou la lenteur attirent les Marocains qui concentrent alors leur tir sur des adversaires inertes. Eux ne risquent pas grand’chose, car ils manœuvrent en vitesse, sur de grands fronts, en ordre mince ; mais nos sections, nos compagnies, nos groupes, quand ils sont empêtrés dans les procédés de tactique européenne, forment des cibles très vulnérables, et se trouvent presque toujours « chaudement engagés. »

La troupe, maintenant, quittait le thalweg où elle masquait son mouvement, pour s’installer avec précautions sur une ligne de faîte où elle semblait se tenir à l’affût. Les Marocains, occupés à se garer des obus que l’artillerie faisait de loin pleuvoir sur leurs rochers, n’avaient pu éventer cette manœuvre qui plaçait le groupe d’Imbert comme une muraille à l’arrière du convoi. Ils s’en aperçurent trop tard, et leur déception se traduisit par une fusillade intense, mais à peu près inoffensive.

« Ça y est ! les figurans sont en place ! » dit Imbert qui venait d’expédier ordres et comptes rendus. Nous resterons ici le temps nécessaire pour que l’ambulance et le convoi puissent gagner assez de champ. » Du mamelon où il s’était assis avec Pointis et son adjoint, il pouvait surveiller sa troupe et les tentatives de l’ennemi. Celui-ci esquissait des pointes bientôt arrêtées par une « bande » ou l’adresse de quelques bons tireurs. La nature du terrain, le dispositif adopté pour l’attente rendaient en outre impossible tout mouvement enveloppant vers le convoi, suivant la formule qu’affectionnent les Marocains. L’ensemble donnait une telle impression de sécurité que Pointis ne put s’empêcher de conclure : « Il avait raison, cette nuit, le colonel : ça finira très bien ! » Imbert approuva : « Vous voyez, cher ami, que la guerre au Maroc n’est pas bien difficile. Avec du sang-froid chez les chefs, de l’initiative et du bon sens chez les subordonnés, on doit sortir avec honneur des situations les plus embarrassées. Je ne pense pas qu’une troupe nombreuse, encombrée d’un lourd convoi, puisse jamais être placée par les circonstances dans des conditions plus mauvaises que celles de notre bivouac. Les « farouches Zaër » ont fort bien manœuvré. Ils ont fait une copieuse consommation de cartouches : à 20 sous chacune, beaucoup de leur argent est parti en fumée. Cependant, malgré le clair de lune, malgré les belles cibles que nous leur offrions, nos pertes ne sont pas fortes. J’ai entendu parler d’une dizaine de tués, d’une trentaine de blessés, et nous ne laissons pas plus d’une douzaine de bourricots et de mulets sur le terrain. Vraiment, ce n’est pas cher ! » L’officier adjoint protesta : « Le combat n’est pas fini ! Nous allons sûrement être accompagnés quand nous partirons à notre tour. » Et il montrait deux blessés que les brancardiers emportaient : « Bah ! reprit Imbert, notre immobilité momentanée en est la cause. D’ailleurs, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. On oublie trop souvent cet axiome au Maroc. Des rencontres qui passeraient inaperçues comme d’insignifiantes escarmouches dans une guerre d’Europe sont toujours, ici, qualifiées de « sanglans combats. »

La causerie continua ainsi, parsemée de silences. Les cavaliers marocains avaient renoncé à faire admirer leur audace. Ils ne venaient plus, dans un galop de fantasia, faire volter leurs chevaux à 200 mètres des tireurs, et leurs groupes de fantassins n’affrontaient plus les rafales des mitrailleuses. tapis derrière les rochers, ils sentaient la partie perdue, mais, dans leur vanité, ils guettaient le départ de la troupe, afin de pouvoir s’attribuer le succès par la possession du champ de bataille.

Ils ne devaient pas attendre longtemps. Un chasseur d’Afrique arrivait à toute vitesse et faisait connaître que l’éloignement du convoi permettait enfin l’abandon de la position. Le colonel, ajoutait-il, disposait un groupe en arrière pour faciliter « le décrochage » d’Imbert : « Allons, l’instant est solennel ! » goguenarda celui-ci. Pointis, mon ami, suivez la moitié de mon groupe qui va détaler. Je vous rattraperai tout à l’heure. » Cachés par la déclivité du sol, les Sénégalais élargissaient en effet leur front à l’insu de l’ennemi, prenaient la place des marsouins et des mitrailleurs qui filaient vivement vers une ride éloignée de 500 mètres où ils s’installaient prêts à tirer. Les Sénagalais se replièrent alors à leur tour, et quand les Marocains, s’apercevant enfin de la supercherie, se montrèrent sur la crête évacuée, ils furent accueillis par une fusillade nourrie qui arrêta net leur élan. Quoique ralentie par les piétinemens du convoi, dont le millier de botes s’écoulait avec difficulté sur la piste étroite, la marche en échelons, par bonds de grande amplitude, continua dès lors sans incidens. Le « groupe de manœuvre, » avec ses canons, y prenait part avec élégance sur l’autre versant de la vallée. Les Marocains, submergés par une pluie d’obus et de balles qui les maintenait à distance et rendait invulnérables les troupes en mouvement, cessèrent bientôt une poursuite sans espoir.

Pointis, la lorgnette sans cesse aux yeux, avait supputé le nombre de leurs morts et de leurs blessés qu’il voyait emporter couchés en travers sur les selles. Quand le dernier Marocain eut disparu, il donna fièrement à Imbert le résultat de ses observations. Imbert, sans hésiter, le jugea exagéré : « Je ne crois pas, dit-il, aux chiffres imposans qui évaluent, d’habitude, les pertes de nos adversaires. A les totaliser depuis 1908, on trouverait que le Maroc n’a plus d’habitans. Mais, aujourd’hui, je ne m’oppose pas à ce que vous pensiez avec les soldats « qu’ils en ont pris pour leur rhume, » et la légende du « décrochage » doit vous paraître exagérée. » Pointis en convint. « Après tout, continua son ami, nous n’avons pas à nous enorgueillir. Aux colonies, nous combattons un contre quatre ; au Maroc, le rapport est renversé. De plus, nous y avons force canons et mitrailleuses. Je ne pense pas que ce système soit meilleur. Il n’accoutume pas les chefs et la troupe aux vraies difficultés de la guerre. Il rend le succès assuré, mais il n’exerce pas à le mériter. Et cependant, jusqu’aux derniers des soldats, nous plastronnons tous, comme si nous avions accompli de grandes choses. Tenez, écoutez-les ! Ils ne seraient pas plus fiers si l’engagement d’aujourd’hui était la revanche de Sedan ! »

Sur la piste qui serpentait entre des ondulations légères, la troupe maintenant marchait en colonne de route. Malgré la poussière, la chaleur, la tension nerveuse de la nuit et de la matinée. Sénégalais, marsouins et « joyeux » commentaient avec entrain les incidens du combat. On les sentait si alertes, si riches de bravoure joyeuse, que Pointis se cabra : « Oh ! oh ! vous cultivez toujours le paradoxe, comme au Tonkin. De quoi vous plaignez-vous ? De ce que les Marocains n’ont pas de canons et ne chargent pas à l’arme blanche ? Laissez donc aux politiciens que vous savez la joie de diminuer vos mérites de guerriers. D’ailleurs, ces Marocains dont vous dédaignez la faiblesse possèdent bien des moyens d’action qui vous manquent et qui remplacent en partie ceux qu’ils n’ont pas. Avec la connaissance parfaite du pays où vous marchez en aveugles, ils sont presque tous cavaliers, tandis que vos colonnes se traînent comme des tortues. Ils peuvent vous attaquer où et quand ils veulent, échapper à votre poursuite, harceler vos convois, vous ruiner en détail ! — Oui, dit Imbert, c’est un essaim de moustiques qu’on chasserait avec une massue... » Mais Pointis confessa qu’il avait trop soif pour continuer la discussion.

La chaleur, en effet, augmentait la fatigue sur la piste à laquelle les ondulations du plateau donnaient un profil de montagnes russes. Les arrêts imposés par les à-coups du convoi rendaient l’étape interminable. Soudain l’ascension d’une côte fit découvrir un spectacle réconfortant. Une plaine immense apparaissait, bordée vers le Sud par des montagnes violettes aux contours déchiquetés ; vers l’Ouest, une large trouée entre deux collines la prolongeait jusqu’aux limites de l’horizon ; à l’Est, elle dominait un chaos de pitons chauves, dont les sommets seuls émergeaient, et qui jalonnaient la vallée mystérieuse de l’Oued Grou. Isolé comme une île au milieu d’un lac, un tertre élevé, aux pentes abruptes, dressait auprès d’une source abondante sa silhouette de château fort. Une foule agitée grouillait sur ses lianes, et les petites tentes de la colonne, prestement déployées, commençaient à l’entourer d’un chapelet jaunâtre. Des traces de cultures anciennes, les vestiges de moissons récentes, des pistes enchevêtrées dont la netteté dénonçait une circulation intense, attestaient que des douars nombreux avaient dû, naguère, animer ce désert.

« C’est Hadjerat-ben-Naceur, expliquait Merton à Pointis pendant leur déjeuner sommaire, — après qu’Imbert eut enfin installé l’arrière-garde sur l’emplacement qui lui était réservé dans le bivouac. — L’endroit est fameux dans les légendes locales, et vous y pourrez chercher les ruines d’une enceinte et d’un village berbères. Depuis cinquante ans, peut-être, les Zaër ont expulsé les anciens habitans, et les tentes ont remplacé les maisons. — Mais les Zaër eux-mêmes, que sont-ils devenus ? Je n’en vois pas un dans ce pays qui me paraît abandonné. — Rassurez-vous ; ils ne sont pas loin. Nous les trouverions au bord du Grou, dans les replis des montagnes où ils supposent que nous n’irons pas les chercher. — Alors ? — Alors, ils viendront à nous tout de même. Ils se sont battus, leur honneur est sauf. Ils ne tarderont pas, sans doute, à demander « l’aman. » Au Maroc, le plus sûr moyen de pacifier une tribu est de la combattre à grand orchestre. Ses guerriers sont ravis de montrer leur bravoure dans un beau « baroud, » et l’on s’explique après. La soumission qu’ils offrent est, le plus souvent, sans arrière-pensée. Ceux qui, chez nous, croient conquérir le Maroc par la seule persuasion sont des utopistes dangereux. N’est-ce pas votre avis, mon commandant ? dit-il en se tournant vers Imbert. — Vous en savez plus que moi, et je ne vous contredirai pas, répondit celui-ci. Je préfère aller aux nouvelles. Peut-être apprendrons-nous quelque chose. » Merton et Pointis acquiescèrent. Ils partirent tous trois d’un pas nonchalant.

Sous les tentes aux parois relevées pour combattre avec les caresses du vent la chaleur concentrée par les toiles, les officiers commentaient avec bruit le début des opérations. Ils critiquaient les manœuvres, décernaient les blâmes, mesuraient les éloges en termes vifs. Imbert, au passage, était choisi pour arbitre : on savait que les deux officiers tués dans l’affaire appartenaient à son groupe et qu’il avait fait tirer les derniers coups de fusil. Il s’y refusait poliment, car les dissertations tactiques après boire lui répugnaient : « A quoi bon ratiociner ? disait-il. Les Marocains nous ont-ils empêchés de partir à notre heure, d’arriver où nous voulions, à notre heure ? Que vous faut-il de plus ? » Mais, comme un officier, important et gras, s’obstinait à dogmatiser en affirmant que l’importance des pertes prouvait « la pile » reçue par la colonne, il éclata : « Seriez-vous, mon cher, de ceux qui cataloguent ainsi les rencontres : ni mort ni blessé pour la « brillante victoire, » un blessé pour l’ « engagement, » un tué pour l’ « affaire, » trois pour le « sanglant combat, » dix pour la « défaite ? » Si la « casse » vous donne de tels soucis, vous feriez peut-être mieux de ne pas vous y exposer ! » L’autre appartenait à la catégorie de ceux que leurs camarades dénomment sans pitié « les vautours, » parce qu’ils apparaissent avec la formation des colonnes et disparaissent après les propositions de récompenses. Il comprit et se tint coi.

De causerie en causerie, les trois amis se trouvaient mainte- nant dans le quartier de l’état-major. Une cohue de chevaux et de Marocains y était rassemblée. Les chevaux sommeillaient sous leurs housses écarlates ; les hommes, disséminés en petits groupes, causaient à voix basse et se décochaient à la dérobée de mauvais regards. La somptuosité relative des burnous, l’éclat des tuniques vertes et roses, la beauté des armes accrochées aux arçons des selles révélaient des personnages importans. Les vêtemens étaient frais comme au sortir des coffres, et les chevaux au poil luisant attestaient un voyage exempt de fatigues : « Qui sont ces nobles étrangers ? « demanda Pointis en les comparant, du geste, au lot de partisans déguenillés ou poussiéreux affalés plus loin sur le sol, et dont les montures fourbues avéraient les agitations de la nuit et les galopades folles du matin. « Ça ? dit Merton, c’est le passé qui attend sa revanche ! » Et, sur une interrogation d’Imbert, il précisa : « Ce sont les amis de la première heure, ceux qui assiégeaient déjà les bureaux des environs. Il y a les pacifiques de la dernière siba, qui ont perdu des troupeaux razziés ou des parens tués ; il y a des caïds expulsés de leurs tribus qu’ils ne voulaient pas suivre dans leur dissidence ; il y a ceux qui nous ont servis comme guides ou comme espions, comme négociateurs ou comme chefs de bande ; il y a ceux qui n’étaient rien et qui voudraient être quelque chose ; il y a ceux à qui nous avons promis des récompenses et qui nous firent crédit jusqu’à des temps meilleurs. Il y a des braves gens et des coquins, des malins et des traîtres, des intrigans et des victimes. Pour tous, maintenant, c’est l’heure de la curée, car ils espèrent que les Zaër du Sud vont en faire les frais. Ils viennent réclamer leur dû, sur la foi de vagues promesses consolatrices ou de quelques lettres banales. Paroles ou écrits, même insignifians, sont pour eux des titres qui consacrent leur influence et qu’ils entendent monnayer. Malgré leur aspect opulent, ils ont les dents longues et le ventre creux. »

A ce moment, le chef du service de Renseignemens sortit de sa tente pour donner audience à ses administrés. Par son rôle il était l’Eminence grise de la colonne, et il en était fier. Cependant, il s’arracha des mains qui l’agrippaient en gestes d’une exubérante cordialité, pour échanger avec Imbert et ses amis des congratulations courtoises. Pointis, que les commentaires de Merton avaient intrigué, profita de la rencontre pour s’étonner du hasard qui faisait converger en même temps sur le rocher d’Hadjerat la colonne et les solliciteurs : « Tout se sait au Maroc, lui fut-il répondu, et les nouvelles vont vite. Ces gens-là ont compris que nous voulions en finir avec les Zaër, et que nous laisserions des postes dans leurs districts les plus reculés. Ils sont venus pour le règlement des comptes, en devinant que nous resterions quelque temps ici. Chacun a cru arriver le premier. » Et, tandis qu’ils s’éloignaient, Imbert et ses amis entendirent un bourdonnement de voix insinuantes : « N’oublie pas que le cheikh Mohammed, des Ouled Moussa, m’a volé trente moutons l’an dernier... Tu m’as promis, t’en souviens-tu, de me nommer caïd des Ouled Daho, à la place de cette canaille d’Hammani !... » Les cliens parlaient tous à la fois, et Merton conclut : « On aura fort à faire pour se débrouiller dans ce chaos de rancunes, de convoitises, de doléances légitimes et de sermens fallacieux. »

Pendant les jours suivans, les troupes aménagèrent leur bivouac pour un long séjour. Les événemens qui s’accomplissaient autour de Marrakech imposaient à la colonne un arrêt indéterminé. Ils avaient fixé au Sud le théâtre principal des opérations, et toutes les forces disponibles du Maroc étaient employées dans la lutte contre El Hibba. Des soucis plus pressans faisaient oublier la prompte soumission des Zaër qui, naguère, était ardemment désirée. A cette évolution imprévue, la colonne avait perdu, avant son départ, un bataillon, un escadron, et surtout son beau convoi de chameaux, remplacé par de lamentables animaux réquisitionnés en toute hâte, qui la condamnaient à l’immobilité. Même l’occupation d’un plateau rocheux à quelques kilomètres ! d’Hadjerat-ben-Naceur, pour y fonder un poste sur les confins des grandes confédérations Zaïan, Tadla, Zaër, dont les territoires se soudaient non loin de là. était jugée par l’autorité supérieure comme une aventure téméraire. On craignait en effet que le puissant Moha-Ou-Ammou, chef des Zaïan, n’offrît alors son appui aux tribus rebelles. Au cours d’une reconnaissance du pays environnant, une rencontre fortuite qui coûta 11 tués et 29 blessés semblait justifier cette prudence. On voulait éviter l’engrenage, tant que l’horizon politique ne serait pas éclairci dans le Sud.

Une telle sagesse déconcertait Imbert. Malgré les amputations, la colonne comptait 1 500 fusils, 4 canons, 4 mitrailleuses et une centaine de sabres. C’était, assurait-il, une force bien supérieure à toutes celles qui firent, par étapes épiques, la conquête africaine de Dakar au Ouadaï. Il savait que, même en se gênant beaucoup, les dissidens ne pouvaient rassembler plus de 500 fusils. En quelques jours, croyait-il, une campagne brillante établirait l’autorité française jusqu’aux limites extrêmes du pays Zaër. Les cavaliers ennemis qui venaient narguer de loin le bivouac excitaient sa fureur et son dépit, partagés d’ailleurs par de nombreux officiers. Un fougueux « soudanais » avait même déclaré dans un jugement définitif : « C’est une colonne commémorative, celle des Zaër, et le rocher d’Hadjerat-ben-Naceur lui sert de piédestal ! » Pointis, lui, vaguait désemparé à travers le camp, dans l’attente d’un dénouement. Il déplorait l’étourderie qui l’avait lancé en pleine aventure dans un « voyage d’études » qui lui apparaissait sans but et sans fin. Mais il ne pouvait se résoudre au retour immédiat vers la côte, derrière un convoi. Le service des Renseignemens estimait à plusieurs dizaines de milliers le nombre des moutons possédés par les seuls tribus dissidentes ; les sommaires explorations de surface donnaient des indications prometteuses sur la richesse minière du sous-sol. Laines et métaux, lui disait-on, valaient bien que le premier » civil, » qui n’était pas un marchand de goutte, égaré en pays Zaër attendit avec patience le rétablissement de la tranquillité.

Les notables de la colonne l’y invitaient en termes pressans. Et comme Pointis, un soir, faisait de sceptiques réserves, le commandant du cercle, homme aimable et pondéré, lui expliqua : « L’expérience prouve que le stationnement prolongé d’une forte troupe, en un lieu convenablement choisi, a pour effet la soumission presque sans coup férir des tribus révoltées. Or, nous sommes ici les maîtres des terrains de pâturages ; autour de nous se trouvent de nombreux silos, dont nous ignorons encore les emplacemens exacts, mais dont nous interdisons l’approche. Nous pouvons ainsi réduire les dissidens par la famine. Ils le savent, et ils ne tarderont pas à capituler. » Et, sur un geste d’Imbert, il reprit : « Je sais bien que notre attitude n’a rien de positivement héroïque. Mais nous ne cherchons que le résultat. Le Maroc est trop près de la France pour que nous agissions comme au Soudan : l’opinion publique ne veut pas, ici, de combats meurtriers. Les deux dernières affaires nous ont coûté 20 tués et 50 blessés, dont la moitié environ sont des Français ; il ne faudrait pas beaucoup de rencontres semblables pour rendre le Maroc aussi impopulaire que le Tonkin ou Madagascar. — Vous avez tout à fait raison, mon commandant, dit Merton. D’ailleurs, les soumissions seraient déjà faites, si les dissidens croyaient que nous voulons occuper définitivement leur pays. Mais, l’an dernier, une colonne a déjà traversé ce district. Ils espèrent que nous ferons de même, et ils attendent notre départ. Pour rester indépendans, ils supporteront bien quelques semaines de privations. La création immédiate d’un poste leur démontrerait la vanité de leurs espérances. — Hél sans doute ! Mais c’est impossible tant que El Hibba rôdera autour de Marrakech. » Imbert allait protester, quand le chef des Renseignemens apparut, l’air joyeux : « Mon commandant, bonne nouvelle ! Un indicateur a promis de nous montrer des silos de dissidens. Le colonel a décidé de les faire vider par les partisans qui pourront nous vendre l’orge dont il leur fait cadeau. Cette générosité doublera leur zèle, et les Subsistances qui sont à court en profiteront. — Bonne affaire ! dit Imbert. Cette fois, les dissidens vont enfin être frappés à l’endroit sensible. — Et ils se hâteront de nous demander l’aman, » conclut le commandant du cercle, qui avait l’esprit déductif.

Dès le lendemain, au point du jour, le groupe d’Imbert allait protéger l’opération que les arabisans de la colonne, par un néologisme hardi, dénommaient « rittelage » des silos. Pointis avait obtenu sans peine l’autorisation d’y assister, et les soldats s’égayaient du bon tour qu’on allait jouer aux dissidens. Une foule miteuse d’individus et d’animaux suivait en désordre la troupe, et Pointis constata, non sans surprise, qu’elle augmentait rapidement : « D’où viennent donc tous ces gens-là ? » demanda-t-il à Merton qui chevauchait à côté de lui. Il montrait des taches noires qui dévalaient à toute vitesse, par monts et par vaux, et venaient se perdre dans la cohue. C’étaient des vieilles femmes, des hommes sans âge, des enfans ; ils poussaient des bourricots, des mulets antiques, des chameaux perclus, et louaient Allah qui leur avait permis d’arriver à temps, ils partageaient avec les partisans les bissacs vides dont ils étaient pourvus et qui devaient servir au transport du butin. Plusieurs avaient de longues tarières pour sonder les emplacemens de silos.

Merton avait déjà questionné l’un des caïds qui menaient ce peuple à la curée. Il sut donc expliquera Pointis le motif d’une telle affluence. Le projet de « rittelage » et la générosité du colonel avaient couru comme une tramée de poudre dans le camp des partisans. Pendant la nuit, des envoyés courageux et rapides avaient porté l’heureuse nouvelle dans les douars soumis. Aussitôt, des travailleurs bénévoles s’étaient mis en route par des sentiers sûrs, pour aider aux recherches et augmenter le profit. Pointis comprit alors que la constance de nos ralliés avait surtout pour mobile l’espoir de « manger le voisin. »

Sur une ondulation largement étalée le guide s’arrêta : « C’est ici, » dit-il à Imbert qui disposa sans retard sa troupe comme un vaste réseau protecteur autour du mers. Les soldats gouaillaient en allant sur les positions assignées au détachement, et « cherchez la grange ! » était le rébus affolant que les anciens proposaient avec astuce aux nouveaux débarqués. Pointis, rebuté par l’énigme du sol couvert de palmiers nains et de chaumes, renonçait à la résoudre et, trop prompt à conclure, il soupçonnait quelque mystification.

Cependant, la théorie des « ritteleurs » était arrivée près du champ qui abritait les silos convoités. Merton, que le chef des Renseignemens avait délégué comme arbitre des querelles probables et surveillant général des opérateurs, arrêta la caravane pour lui adresser une harangue éloquente et concise : « Tout ce que vous trouverez est à vous, et vous pourrez le vendre au Lieutenant de l’Administration. : Vous serez payé sans délai. » Et, se tournant vers Pointis ! « Je crois qu’ils ont compris, dit-il. Regardons-les travailler. »

Comme une volée de moineaux, tous s’étaient éparpillés sur le champ mystérieux, tandis que les bêtes, entravées suivant l’usage, s’évertuaient à paître une herbe maigre. Avec une hâte fébrile, les mains fouillaient le sol, cherchaient les places où la terre ameublie était un indice souvent trompeur. Les uns avaient des poignards qui facilitaient la besogne. D’autres maniaient de longues tiges de fer pointues. Plusieurs utilisaient les sondes qu’ils devaient à la prévoyance de leurs parens accourus des douars. Quelques-uns, avec des physionomies graves, étudiaient des alignemens, mesuraient des distances, comme si leurs calculs étaient inspirés par de secrets documens. Pendant une heure environ, une activité cupide les secoua tous sans résultat, et Pointis s’ébahissait de leur ardeur. Mais Imbert qui contemplait lui aussi la scène s’étonnait de la lenteur des recherches et doutait déjà de leur efficacité.

Soudain, un cri de joie retentit. Une sonde avait pénétré sans effort de toute sa longueur dans le sol, dénonçant ainsi la cheminée d’un silo. Poignard en main, l’homme creusait, aidé par quelques amis complaisans. Les mottes volaient, chassées du trou par des doigts agiles. L’excavation, bientôt profonde d’un mètre, laissait enfin à découvert un épais matelas de paille pourrie. Et l’heureux chercheur se reposa un instant, la figure ruisselante, une flamme d’anxiété dans les yeux : « Orge, ou blé ? » lui demanda Merton. L’autre leva l’index vers le ciel pour attester l’omniscience d’Allah. Puis, avec une énergie farouche, il écarta les chaumes d’où montait une odeur nauséabonde, et regarda : « Orgel orge ! » cria-t-il, et il bénit le Seigneur : « Pourquoi donc cette joie ? questionna Pointis qui avait observé le manège. — Hé ! lui répondit Merton, ignorez-vous que l’Administration n’a pas besoin de blé, et que l’orge seule l’intéresse pour la nourriture des animaux ? L’homme est sûr, maintenant, de toucher ce soir beaucoup d’argent, tandis qu’il aurait dû transporter jusque chez lui les 20 ou 30 quintaux de blé que peut contenir un silo. »

Le charme était rompu. Comme si la première cachette découverte donnait un repère indispensable, les trouvailles se succédaient avec rapidité. Mais des protestations coléreuses dominèrent bientôt les cris de joie, et des groupes animés s’agitèrent autour des silos entr’ouverts. Des bras se tendirent avec des gestes de menaces et des mains furieuses secouèrent les sondes comme des épieux. Merton se précipita.

La figure convulsée, des hommes s’invectivaient avec fureur. C’étaient des chercheurs à qui des concurrens disputaient la possession de leurs découvertes. Les parens, les amis des deux parties les soutenaient de la voix, et les plus fougueux bondissaient déjà vers les fusils suspendus aux selles des chevaux : « Ça va se gâter, souffla Imbert à Pointis, et nous allons voir une mêlée générale. » Mais Merton, par des actes dénués de douceur, s’était frayé un passage et, d’un ton impérieux, exigeait des explications. Comme tous hurlaient à la fois, il eut quelque peine à comprendre. Il y parvint cependant. Il sut alors que le mers n’était pas la propriété exclusive des dissidens. Plusieurs silos appartenaient à des indigènes qui n’avaient pas suivi leur douar dans la rébellion ; eux-mêmes ou leurs amis faisaient valoir des droits dont les heureux chercheurs, jugeant ces réserves trop tardives, contestaient la légitimité : « Ce sont chicaneries arabes, dit Merton à ses amis. Le caïd ou la djemma vont décider. » Il ne doutait pas, d’ailleurs, de la vénalité des jugemens, car il savait que les autorités et les notables, pour s’assurer un avenir exempt de querelles, s’efforçaient parfois de pallier contre salaire la sévérité des représailles. Mais c’était le seul moyen de calmer l’effervescence, et chacun accepta, non sans murmures, les décisions du caïd.

Cependant les bissacs finissaient par se gonfler de grains extraits en toute hâte. Quelques « ritteleurs, » plus avides ou plus braves que les autres, étaient déjà partis avec leurs animaux lourdement chargés. Les recherches continuaient maintenant dans un calme relatif, et le butin s’annonçait copieux. Assis à l’ombre d’un rocher, Imbert et Pointis, lestés du traditionnel repas froid, écoutaient en sommeillant Merton qui leur expliquait l’âme indigène. Soudain, quelques détonations assourdies par la distance les firent se dresser en sursaut. Imbert fouilla de sa lorgnette la ligne de ses postes et constata leur tranquillité. Mais, au loin, des cavaliers rôdaient sur les crêtes où flottaient encore les nuages légers des coups de fusil inoffensifs : « Ce sont les propriétaires qui protestent, dit Merton. Ils attendront notre départ pour venir contempler les dégâts. » Et, vraiment, ils ne paraissaient pas décidés à combattre pour protéger leurs biens. Ils esquissèrent quelques pointes timides afin de tâter la ligne de défense et, la jugeant sans doute trop bien gardée, ils s’évanouirent derrière un coteau.

Cet incident avait glacé le zèle des « ritteleurs. » Dès le premier coup de feu ils cessaient les recherches, et leur hâte maladroite à bourrer leurs bissacs les rendait semblables à des Augustes affolés. En quelques minutes, les silos déjà ouverts étaient vidés, et les bêtes de charge rangées en bon ordre au fond d’un vallon. Puis, les caïds et quelques notables prièrent Merton de donner le signal du départ : « Mais vous n’avez pas fini ? s’écria celui-ci. Vous avez le temps de trouver encore beaucoup de silos. — Oui ! oui ! c’est fini ! clamaient en chœur les autres. Il n’y a plus rien, tu peux en être sûr ! » Et leurs regards se coulaient, furtifs, vers la direction où avaient paru les dissidens. « Ce sont des fièvres, dit Merton qui lisait dans leurs âmes. Aucun d’eux ne souhaite qu’une balle perdue ravisse un père à sa famille et livre son butin à d’ingrats héritiers. Partons, puisqu’ils le veulent. Après tout, la journée a été bonne, et le colonel sera content de ce coup d’essai. — Quelle est donc la valeur du butin d’aujourd’hui ? demanda Pointis. — Environ 100 quintaux d’orge et une vingtaine de blé. »

Tandis qu’ils causaient, à un signal d’Imbert le détachement se repliait pour le retour. Les rôdeurs le suivaient de loin, par petits groupes, et l’on put les voir qui s’arrêtaient sur le mers pour y mesurer l’étendue de leur ruine. Surpris sans doute de ne pas la trouver complète, ils ne voulurent pas tenter le sort et se décidèrent à continuer pour leur compte le « rittelage » inachevé. Pendant la durée du trajet jusqu’au camp, les partisans enfin rassurés se félicitaient de leur bonne fortune, et se concertaient pour vendre le plus cher possible aux Subsistances l’orge gratuite des dissidens.

Les jours qui suivirent, l’opération fut tentée avec un égal succès sur tous les mers des environs. Pointis, que le spectacle divertissait, ne manquait pas d’y assister. Il observait ainsi les indigènes dans les conflits de ruse et de rapacité que faisait naitre la découverte des silos. Il savait ainsi, maintenant, que des réserves immenses de grains dorment, au Maroc, sous la terre qui les protège mieux que des murailles. Il avait vu des hommes asphyxiés par l’odeur méphitique de silos oubliés que le hasard faisait mettre à jour, et que les anciens des tribus attribuaient à des familles depuis longtemps éteintes. Il s’expliquait l’invulnérabilité des rebelles jusqu’à la trahison qui livrait le secret de leurs cachettes ou la retraite de leurs troupeaux. Il comprenait enfin que, même en possession de ces richesses, les troupes d’une colonne considérable ne peuvent « vivre sur le pays » et que leur existence dépend toujours de la régularité des convois.

Ces convois étaient le cauchemar d’Imbert, car ils s’exécutaient avec un grand appareil militaire, sur la paisible route de Camp-Marchand où l’escorte allait camper. En même temps qu’aux malades évacués par l’Ambulance, aux tonnelets vides des Subsistances, elle assurait la sécurité à nos amis indigènes qui cherchaient pour leur orge, dans le poste voisin, un acheteur officiel plus généreux que l’officier d’approvisionnement de la colonne. Officiers et soldats ne se privaient pas de faire des réflexions narquoises en contemplant les théories de mules ou de bourricots chargés du grain des dissidens, qui partaient d’Hadjerat-ben-Naceur pour y revenir le lendemain avec le même fardeau. Convoi libre à l’aller, convoi administratif au retour, la rubrique seule changeait. Et l’invraisemblable cupidité des Marocains était démontrée par le maigre bénéfice de deux ou trois pesetas acquis au prix de deux journées de marche fatigante sous un soleil ardent.

Le pillage méthodique des grains, exécuté sous la protection de la colonne, donnait donc aux partisans les moyens de spéculer gratuitement contre elle. A ces opérations exemptes de risques s’usait toute leur ardeur guerrière. Ils n’étaient plus assez belliqueux pour aller en nombre, dans les forêts à peu près sûres de l’Ouest, y chercher des provisions de bois que le service des Subsistances leur aurait pourtant payé cher. On devait donc mobiliser fréquemment un groupe tout entier qui rapportait à la fin de la journée, sur les animaux disponibles, le bois indispensable au chauffage du four et à la cuisson des alimens. Convois, corvées de bois et « rittelage » sans l’attrait des coups de fusil étaient ainsi les seuls passe-temps de la colonne qui semblait fixée pour toujours sur son rocher. Les partisans, eux, trouvaient l’existence belle ; mais leur couardise et leur paresse étaient sévèrement jugées dans le camp : « Pourquoi garde-t-on de si coûteuses inutilités ? demanda un jour Imbert qui aimait s’instruire. — Eh ! tant qu’ils sont avec nous, ils ne sont pas contre nous, lui répondit-on. De plus, quoique les dissidens ne connaissent pas la fable du Loup et du Chien, ils comparent avec envie leur sort misérable à celui des partisans. En politique, nous ne devons rien négliger. »

Tant de patience et de machiavélisme devaient enfin être récompensés. Un matin, Pointis qui était allé aux nouvelles accourut tout affairé : « Imbert ! venez vite ! Les bourgeois de Calais sont dans le camp ! — Que voulez-vous dire ? demanda sans s’émouvoir son ami qui rédigeait un rapport sur une vague escarmouche de la veille où, selon la formule, l’ennemi avait été repoussé « avec des pertes sérieuses. » — Vous ne comprenez pas ? Une tribu sollicite l’aman : tout l’état-major est en révolution ! » Intrigué, Imbert abandonna ses papiers et se mêla au flot de curieux que l’événement attirait vers la tente du colonel.

Une demi-douzaine de Marocains, à pied et sans armes, entourés par des partisans amènes, conféraient avec le chef des Renseignemens, qui leur révélait les conditions éventuelles du pardon. Avec une énergie verbeuse, les parlementaires signifiaient qu’ils étaient prêts à tout accepter. Ils juraient que le gouvernement n’aurait pas désormais de fils plus soumis et plus dévoués, et ils montraient, en signe de leur humilité repentante, le taureau traditionnel qu’un « meskine » conduisait. L’accord préparatoire ainsi conclu, on les présenta sans retard au colonel, qui les félicita de leur décision et leur vanta les douceurs de la paix dont les bienfaits inonderaient prochainement le pays Zaër : « Nous sommes les enfans du gouvernement, et le colonel est pour nous un père ! » clamaient à l’envi les délégués de la tribu. Et, selon le rite, ils se préparaient à couper les jarrets du taureau pour faire agenouiller la pauvre bête en symbole de leur soumission, mais on leur déclara que les mœurs françaises répugnaient à la tuerie en détail. Ils crurent alors que cette sensibilité masquait un refus poli de l’aman, et ils en témoignèrent une vive contrariété. L’interprète se hâta de les rassurer et les congédia, non sans appeler sur eux les bénédictions d’Allah. Mais le plus âgé des parlementaires jugea le moment favorable pour exposer la requête qui résumait les désirs des dissidens et que, fidèle aux usages de la civilité marocaine, il avait réservée pour la fin. « Puisque le colonel est juste et miséricordieux, dit-il, qu’il nous délivre du caïd qui se prétend notre chef ! Il a « un gros ventre » et c’est à cause de lui que nous étions dissidens. »

Or, le caïd affectait depuis le début de la scène la joie exubérante du père biblique au retour de l’enfant prodigue. A cette accusation inattendue, il répondit par des protestations indignées : « Ils disent maintenant que j’ai un gros ventre, pour faire croire à mon avidité ! Ce sont des menteurs ! Ils m’ont renié, chassé de la tribu parce que je ne cachais pas ma sympathie pour les Français. J’ai dû me réfugier auprès de Camp-Marchand pour fuir les vengeances de mes ennemis. J’ai suivi la colonne avec quelques serviteurs, pour intercéder en faveur de ceux qui m’ont persécuté parce qu’ils sont ignorans. J’ai le cœur pur, je suis pauvre, et qu’Allah me change en pourceau si je ne dis pas la vérité ! » Le colonel savait, à n’en pas douter, que le caïd s’était depuis longtemps compromis pour notre cause, mais aussi qu’il était maître dans l’art de « faire suer le burnous. » Il déclara qu’il ne sacrifiait jamais ses amis, et que sa vigilance réprimerait les abus. L’orateur des dissidens, satisfait d’avoir soulagé sa conscience, n’insista pas : « Que la bénédiction de Dieu soit sur toi ; tout est bien ! » conclut-il en serrant avec effusion les mains des assistans. Et suivi de ses acolytes, il alla sans rancune chez le caïd qui le conviait au cousscouss de la réconciliation.

En chemin, partisans et rebelles assagis se complimentaient sur les brillans combats où ils s’étaient mesurés, sur les prouesses qu’ils avaient accomplies. Quoique placés, par le hasard ou le calcul, aux deux côtés opposés de la barricade, on devinait que, hors des vues de nos troupes, la haine ou le fanatisme n’avaient jamais animé leurs simulacres de guerriers. Ils se retrouvaient à la fin de la comédie, comme des acteurs heureux d’avoir bien joué leur rôle, pleins d’une ironie méprisante pour les spectateurs de la colonne qui en avaient fait les frais : « Drôle de pays, dit Pointis à Merton qui observait leur manège ; drôle de pays que celui où les divergences politiques se commentent à coups de fusil et ne laissent pas de rancunes. — Oui, sans doute ; mais, à voir fraterniser ainsi nos amis et nos ennemis d’hier, je ne m’étonne plus d’avoir maintes fois entendu passer sur nos troupes des balles qui semblaient venir du côté des partisans ! »

Le soir même, les soumissionnaires installaient leurs douars à proximité du camp. Ils ne venaient pas de loin, car les montagnes voisines leur avaient assuré jusqu’alors une inviolable retraite. Mais ils étaient heureux d’en finir avec une existence d’inquiétude et d’alertes. L’inertie prolongée de la colonne leur avait paru cacher un piège, et la crainte d’un réveil tragique, plus encore que le pillage de leurs silos, les détachait de la rébellion. En quelques minutes, ils dressaient leur cinquantaine de tentes noires sur deux vastes circonférences dont une nuée de chiens hargneux et vigilans gardaient les abords. Et quand vint le soir, dans les enceintes que renforçaient des fagots d’épines, le sol disparut sous un tapis mouvant de troupeaux entassés. Puis, les bougies de traite allumées sous les tentes dessinèrent dans la nuit deux cercles de feu ; des chants, des mélodies sauvages célébrèrent la paix reconquise et la sécurité du lendemain. Dans le camp, officiers et soldats écoutaient les aboiemens rageurs des chiens, les voix nasillardes. Ce retour inespéré de la vie dans le désert mettait un vague attendrissement dans l’âme des plus endurcis.

« Le problème de l’existence va être simplifié, » s’écria tout à coup l’officier d’approvisionnement qui, dans un groupe animé, épiloguait avec Pointis sur les conséquences politiques de l’événement. — Que vous êtes prosaïque ! riposta Pointis. Ne songez donc pas sans cesse à vos victuailles, et laissez-vous bercer par le charme de cette nuit étoilée, de cette symphonie wagnérienne, de ces lumières tremblotantes qui évoquent une ronde de lutins. — Oh ! oh ! dit l’autre ; seriez-vous poète, monsieur Pointis ? Au lieu de ces balivernes, je vois des œufs et des poulets pour les popotes, des bœufs et du bois pour les Subsistances, car je suppose que ces ex-dissidens vont être heureux de nous ravitailler pour gagner les douros de leur contribution de guerre ! » Mais prosateurs et poètes songeaient surtout aux femmes qu’ils avaient aperçues au crépuscule, tandis qu’elles revenaient de la fontaine, la cruche inclinée sur l’épaule, enveloppées avec grâce dans leurs haillons poudreux. Leurs imaginations surchauffées précisaient des intrigues furtivement ébauchées près des sources discrètes, dénouées dans le mystère des fourrés de lauriers-roses ; et, compliquant de rivalités pressenties leurs rêves incohérens, ils se lançaient dans l’ombre des regards férocement jaloux.

Tous furent déconcertés par la brièveté de leurs illusions. Le retour du premier lot de rebelles ne transformait pas le désert en pays de Cocagne. Les femmes jeunes étaient dérobées aux tentations. Soit hasard, soit calcul, seules d’horribles vieilles ou des enfans faisaient la navette, à l’heure du berger, entre la fontaine et les douars. Avec une indifférence narquoise, les maîtres des innombrables troupeaux qui erraient autour du camp semblaient se plaire, par leurs prétentions exagérées, à rendre les transactions impossibles. Tandis que, autour des tentes, cuisiniers ou chefs de popote étaient chaque jour effarés par les prix de famine exigés pour les volailles et les œufs, l’officier d’approvisionnement se débattait pendant des heures contre les offres ondoyantes de quelques vendeurs avides et têtus. Comme s’ils étaient délégués par leurs frères pour explorer jusqu’à leurs dernières limites l’inexpérience et la générosité des Roumis, ils cotaient à des sommes extravagantes les bêles faméliques et minables qu’ils venaient offrir à regret. Et, dans leurs finasseries sans vergogne, ils se montraient aussi redoutables que les plus rusés des maquignons.

Ces duels économiques avaient en Pointis un spectateur assidu. Il espérait acquérir ainsi l’expérience qui lui manquait encore pour fixer sa décision et préciser ses projets. Il pesait les moutons et les bœufs, évaluant le rendement de leur laine et la valeur de leurs peaux, supputait les prix d’achat et de transport, échafaudait parfois de vertigineux profits. Mais l’officier d’approvisionnement le rappelait à la réalité : « Nous sommes trop bons, monsieur, et ces gens-là nous grugent. Comprenez-vous cela ? 200 francs, des bœufs qui en vaudraient 60 à Madagascar et 15 au Laos ! On nous a recommandé de ne pas trop chicaner sur les prix afin d’attirer les indigènes et de créer un courant commercial ; ils en profitent sans pudeur ! — Avouez qu’ils auraient tort de se gêner. — Sans doute ; mais ils nous trouveraient plus malins et plus respectables si, après avoir razzié les animaux dont nous avons besoin, on leur en donnait un juste prix. — Ils mettraient alors leurs troupeaux hors d’atteinte, et leurs douars aussi. — Bah ! on les attraperait tôt ou tard. En attendant, ces générosités, politiques sans doute, sont de fâcheux précédens qui gêneront beaucoup les colons. — Les conséquences en seront passagères. Vos fournisseurs vous tiennent la dragée haute parce qu’ils spéculent sur votre disette, qu’ils peuvent facilement s’entendre et qu’ils trouvent plaisant de vous faire payer en réalité leur contribution de guerre. Mais quand une paix définitive aura fixé les tribus, le nombre des vendeurs fera diminuer les prétentions, une concurrence acharnée dressera les uns contre les autres ces Marocains avides, et il y aura de beaux jours pour les Européens. — Ou pour les Juifs, » résuma l’autre qui professait pour la conquête marocaine un enthousiasme modéré.

Pointis convint que cette conclusion était vraisemblable. Il avait déjà observé l’infiltration des fils d’Israël dans le camp. Depuis deux semaines environ, ils arrivaient avec les convois, car ils n’osaient pas s’exposer seuls aux mauvaises rencontres de la route. Ils obtenaient sans peine l’autorisation d’installer dans l’enceinte leur maigre bagage et leurs doucereuses personnalités. Les nouveaux arrivans étaient accueillis avec grâce par leurs frères qui les aidaient à dresser les tentes blanches où s’empilaient des coupons d’étoffes claires, des bijoux et des parfums de pacotille enviés par les Sénégalais, où brillaient les plateaux de cuivre, sans cesse entourés par les Marocains amateurs de thé. En face des marabouts misérables de mercantis, où des Grecs affables et des Français parfois douteux débitaient des conserves avariées et des liquides inquiétans, un mellah grandissait, où s’ébauchaient des négoces avouables et se perpétraient de louches trafics. Là des partisans sans scrupules venaient offrir en cachette les cartouches que les tirailleries d’une escarmouche récente leur permettaient d’escamoter ; là disparaissaient, malgré les perquisitions les plus minutieuses, les fusils des goumiers déserteurs. Sur les marchés des dissidens, à 80 douros le fusil, une peseta la cartouche, le bénéfice était assez grand pour faire braver quelques risques. Mais, aussi, là s’amoncelaient les toisons des moutons, les poils des chèvres et des chameaux, que les Youddhis fureteurs achetaient déjà dans les douars ; là s’entassaient les peaux de bœufs achetées une à une aux Subsistances par un Hébreu malin qui guettait la fourniture générale de la viande aux troupes et l’adjudication de l’abattoir.

« Hé ! hé ! Pointis, lui dit un soir Imbert qui le surprenait dans ses investigations, vous arriverez trop tard, mon ami ! Vous trouverez la place prise ! — Je le craindrais, si je n’avais d’autres espoirs et d’autres projets. Mais combien les mercantis français d’en face sont maladroits ! Ils ne voient pas plus loin que leur comptoir de marchand de goutte, et leur ambition se borne à verser à vos troupiers une ivresse épileptique avec leurs liquides frelatés. — Ne les plaignez pas ! le vin en poudre qu’ils reçoivent par colis postaux leur assure des bénéfices coquets. Ils gagnent environ 100 francs par jour, chacun, sans sortir de leur tente. Soyez sûr qu’ils se moquent de leurs voisins, de leurs étalages minables et de leurs essais d’accapareurs. — Sans doute, mais, quand les troupes seront dispersées, ils se plaindront de la dureté des temps. Et quand les véritables colons viendront dans ce pays pour y tenter de véritables affaires, les indigènes leur préféreront les juifs qui parlent leur langue, qu’ils connaissent, et dont ils sont connus. — Absolument comme en pays annamite, où les Français ne peuvent rien sans l’intermédiaire du compradore chinois. Pourtant, nos progrès de militaires ne sont pas tellement rapides que vous autres civils, pour qui nous travaillons, ne puissiez faire en même temps la conquête économique du Maroc. »

Imbert faisait allusion à l’inertie apparente de la colonne, qui inspirait les critiques acerbes des officiers et les gouailleries des soldats. Cependant cette inertie apparaissait peu à peu aux dissidens comme une menace énigmatique et redoutable. Les plus prudens et les moins résolus, lassés de leur sort incertain, songeaient à celui de leurs frères qui avaient déjà obtenu l’aman. Ils connaissaient les bénignes conditions de la paix ; ils savaient les fabuleux profits que laissaient les fournitures de bois, les ventes de bœufs et de moutons. Ils n’espéraient même plus conserver intacts leurs silos, car le chef des Renseignemens faisait servir les rivalités de tribus à la découverte des mers. Et soudain le mouvement des soumissions se déclancha. Pendant une semaine, le va-et-vient des parlementaires égaya le camp. Pendant une semaine, chaque jour les curieux assistaient au retour de nouveaux douars. En vain les irréductibles encore nombreux essayaient-ils de s’y opposer. Quelques coups de fusil, un obus bien dirigé, une fantasia de spahis et de chasseurs d’Afrique suffisaient pour faire disparaître leurs guerriers dans les gorges sauvages où les téméraires de la colonne, seuls, proposaient de les poursuivre. Car ils étaient jaloux des exploits accomplis au delà de l’Oum-er-Rbia par les troupes que le colonel Mangin menait à la conquête de Marrakech. Ils comparaient les courses folles derrière les cavaliers d’El Hibba aux besognes sans gloire où s’émoussait leur ardeur, et ils rêvaient d’inscrire sur les bords de l’Oued Grou un nom aussi prestigieux que celui de Bou-Othman.

Mais, un soir, Merton remarqua dans le quartier de l’état-major l’agitation bourdonnante qui précède les grands événemens. Il avait des intelligences dans la place et il courut s’enquérir du mystère qui planait sur le bivouac. Ce qu’il apprit le bouleversa. Il s’était accoutumé à l’engourdissante inaction de l’expectative, et il n’espérait plus en sortir que pour le retour dans sa petite garnison. Or, l’autorité supérieure, désormais sans inquiétude vers le Sud, rendait la liberté de manœuvre à la colonne des Zaër. On allait fonder un poste sur les confins des Zaïan et des Tadla, et Ton se tournerait ensuite contre les Zemmour qui menaçaient la route de Rabat à Fez : « Quand partons-nous ? avait demandé Merton. — Demain. — Qui doit commander le poste ? — Je l’ignore, le colonel n’en a pas encore parlé. — Sait-on au moins s’il y aura bataille ? — Les Beraber, appelés par les Bou Acheria, rôdent aux environs. Si notre mouvement est éventé, leur harka pourrait bien aider les dissidens à nous barrer la route. — Dieu vous entende ! Voilà longtemps qu’on ne s’est cognés. » Merton alors s’éclipsa prestement pour annoncer à Imbert la joyeuse nouvelle, et son interlocuteur reprit en maugréant ses passe-temps stériles de gratte-papier.

Déjà les projets de départ étaient connus dans le bivouac. Officiers et soldats semblaient s’éveiller d’une longue léthargie. Des quolibets et des chants fusaient sous les tentes et les abris de feuillages, tandis qu’une activité prudente inspirait le nettoyage des armes et l’inspection des fournimens. Imbert ne manifesta donc aucune surprise quand Merton lui révéla les plans qu’il croyait être encore le seul à connaître : « Ah ! vous saviez ?... M. Pointis lui-même est au courant sans doute ?... dit Merton vexé. Vous savez aussi, peut-être, qui sera le commandant du poste qu’on doit fonder à Sidi Kaddour ? — Justement, ne vous en déplaise. C’est moi-même, pour vous servir. » Imbert à son tour raconta les péripéties de la conférence où s’était décidé son sort. Il s’en déclarait satisfait : « Songez donc ! j’aurai ce qu’on appelle un beau commandement : trois compagnies, un goum mixte, une section d’artillerie, une de mitrailleuses ; c’est-à-dire plus de 800 hommes. Un poste à construire, un secteur de sept tribus à organiser, des voisins turbulens, et pas de télégraphe ! Tous les bonheurs à la fois. » Puis, coupant les effusions de Merton qui le complimentait, il ajouta d’un air narquois : « Ah ! j’oubliais... J’ai demandé au colonel, qui l’accorde, votre nomination d’officier de renseignemens du poste. J’aurais dû vous consulter. Cela vous ennuie, peut-être ? — Ma foi non. Je le souhaitais sans oser le dire. » Et il se confondit en remerciemens.

Le lendemain, au point du jour, l’exode commençait. Il n’avait pas été possible d’emporter avec le convoi le stock énorme de vivres et de matériel qui s’était amoncelé dans le parc des Subsistances. L’ambulance elle-même s’était dédoublée pour laisser en repos, jusqu’à la prochaine évacuation, les malades nombreux qui geignaient sous ses marabouts. Un détachement gardait ces inévitables impedimenta, et la colonne réduite à ses élémens mobiles s’ébranlait pour aller occuper le plateau de Sidi-Kaddour. Un poste devait s’y dresser sur les confins du pays zaër jusqu’alors ruiné par l’anarchie dans l’indépendance, comme un témoignage de l’avènement des temps nouveaux.

Après deux heures de marche, la colonne s’arrêta. L’avant-garde était arrivée sur une ligne de faite où elle se dissimulait derrière des rochers. L’état-major semblait observer avec précaution, et des chasseurs d’Afrique galopaient en estafettes de tous côtés. Les troupes abandonnaient la piste, se glissaient à travers les crêtes et les vallons pour occuper une ligne immense. L’artillerie se faufilait vers les positions dominantes, où ses canons de 65, écrasés par la masse des blocs énormes qui les abritaient apparaissaient à distance comme des joujoux d’enfant. L’arrière-garde se massait avec le convoi dans un bas-fond. Nul cri, nulle détonation ne s’étaient encore fait entendre, mais Pointis, qui s’attardait dans un examen de cailloux, comprit que la colonne prenait un dispositif de combat. Il ne voulut rien perdre du spectacle et, dédaigneux de la géologie, il courut vers l’avant.

Du poste où il s’était placé, le paysage s’étalait devant lui, lugubre, malgré la couleur éclatante dont le parait un soleil prestigieux. Dominant comme une falaise le confluent de deux vallées qui l’entouraient, un plateau bas, pierreux, était semblable au piédestal cyclopéen d’une ville écroulée. Des blocs gigantesques couvraient le sol dont la chaleur de l’été avait depuis longtemps flétri la fugitive parure de gazon et de fleurs. Des massifs isolés se dressaient çà et là comme des vestiges de tours ; des aiguilles perçaient les amoncellemens informes, évoquant les piliers intacts de temples foudroyés. Seule la tache blanche d’une koubba neuve scintillait au loin dans la grisaille des grès. Ce chaos de roches figé dans un silence de mort et sur qui semblait peser une malédiction biblique faisait songer à la fin des âges dans les mondes éteints.

Mais la vie n’avait pas complètement disparu de ce coin de terre désolé. Au creux d’un ravin étroit, des flaques d’eau miroitaient entre des taches vertes où convergeaient des pistes nettement tracées, qui dénonçaient des humanités toutes proches. Les lorgnettes révélaient en effet à l’arrière-plan quelques fumées légères de douars invisibles, et, s’infiltrant sur le plateau, se coulant derrière les blocs, un grouillement de cavaliers qui accouraient par groupes rapides. On distinguait les burnous verts et rouges des Beraber, et la présence de ces guerriers redoutés faisait prévoir un combat sérieux : « Où sommes-nous donc, Imbert ? demanda Pointis qui cherchait à se reconnaître sur une carte simplifiée par les « blancs » des régions inconnues. — Mais c’est Sidi-Kaddour. Ne l’avez-vous pas deviné ? — Brr ! on croirait voir un paysage lunaire. Et c’est là que vous devez désormais vivre ? — Oui, mon cher ; vivre, mais non aimer et mourir, comme dit la chanson. En attendant, il faut combattre, paraît-il, pour conquérir ces rochers. »

Un canon venait en effet de tonner. Le nuage noir et gris échappé du projectile coiffait un éboulis de roches où des Marocains s’étaient embusqués. Le tumulte de l’explosion, amplifié par les échos, terrifia les guerriers qui s’éparpillèrent. Les obus, maintenant, pleuvaient sur tous les abris d’où l’ennemi tirait, en riposte, des coups de fusil inoffensifs. Mais les gaz de la mélinite étaient plus redoutables que les balles des shrapnells dont il avait appris à se garer. Les effets inattendus de ces obus qu’il ne connaissait pas brisèrent promptement sa résistance, et ses tireurs les moins aguerris commencèrent une retraite précipitée. A ce moment, goumiers, sénégalais, marsouins et zouaves dévalaient les pentes. Rivalisant de vitesse, ils abordaient le plateau, décrivaient une conversion à gauche pour chasser de rocher en rocher les Marocains qui s’attardaient et les refouler vers l’extrémité du plateau, sous le feu des canons. Beraber et dissidens comprirent aussitôt le danger qui les menaçait ; ils s’enfuirent en désordre. Chasseurs d’Afrique et spahis, aussitôt lancés à leur poursuite, les forcèrent à disparaître sans espoir de retour derrière les montagnes qui fermaient l’horizon.

Cet engagement brillant avait à peine duré une demi-heure. Le commandant du Cercle, qui l’avait dirigé, rayonnait d’un légitime orgueil. Grâce au colonel dont il était l’adjoint estimé, il tenait « son affaire » dont il pouvait espérer une légitime récompense. Et comme il était bienveillant et sympathique, chaque officier s’empressa de le complimenter. Pointis n’y manqua pas. Il n’oubliait pas, quoique « civil, » qu’il était officier de réserve, et l’allure de l’affaire lui plaisait. Il lui trouvait un petit air d’offensive résolue qui contrastait avec la timidité méthodique dont les gens de guerre au Maroc inspiraient trop souvent, croyait-il, leurs périodiques opérations. Tout joyeux encore du spectacle auquel il venait d’assister, il héla Imbert qui se dirigeait à pas rapides vers son groupe immobilisé sur le plateau : « Hein ! vous les avez vus, les fameux Beraber ? Pensiez-vous qu’ils détaleraient si prestement ? — Les praticiens de la guerre marocaine en sont tout désorientés, lui répondit Imbert. Il paraît d’ailleurs que c’étaient des « semble-Beraber, « comme on dirait à Toulon. Les « vrais » nous auraient, dit-on, attaqués au couteau, tellement ils sont braves. Vrais ou faux, c’est encore une légende qui s’en va ! Mais l’affaire a été bien menée. Avec de l’hésitation, le combat d’infanterie dans ces roches aurait pu nous coûter cher. »

Les pertes, en effet, n’étaient pas graves. Quelques blessés et trois tués seulement occupaient les brancards de l’ambulance dont les marabouts se dressaient déjà sur le plateau. Mais, par un hasard extraordinaire, chacune des trois races représentées dans la colonne payait de l’un des siens cette nouvelle étape de la domination française dans le sauvage pays zaër : un marsouin, un sénégalais, un goumier avaient donné leur vie pour la fondation du poste de Sidi-Kaddour.

Selon l’usage, les victimes du combat devaient être évacuées sans délai sur Camp-Marchand. Mais, cette fois, on pouvait faire exception pour les morts. Ils dormiraient en paix près de la garnison qui devait achever dans ce district lointain l’œuvre de la pacification. Tel était l’avis du médecin-chef, malgré les hésitations du colonel qui décida de consulter Imbert : « Etes-vous superstitieux ? lui demanda-t-il. — Non. Pourquoi ? — Parce que vous pourriez considérer comme un mauvais présage l’inauguration d’un cimetière au jour, où je crée le poste que vous devez commander. — Bah ! mon colonel, les anciens conquérans noyaient dans les fondations des villes nouvelles les cadavres des victimes sacrifiées aux dieux protecteurs de la cité. Nous adapterons leurs coutumes au devoir du temps présent. » Rassuré, le colonel ordonna pour le soir même les détails de la cérémonie.

Tandis que ses officiers piquetaient avec soin l’enceinte du nouveau poste et que les soldats édifiaient en toute hâte le mur de pierres sèches qui devait les abriter, Imbert cherchait aux environs le futur champ du repos éternel. Il le trouva sans peine. Un terrain doucement incliné s’étendait au pied d’une falaise imposante dont l’ombre couvrait le sol d’une douce fraîcheur. Des cascatelles de plantes vertes jaillissaient entre les crevasses de roches qu’elles paraient d’une grâce austère, et les blocs qui semblaient entassés par des titans faisaient un cadre grandiose au lopin de terre où devaient dormir les morts. Ecrasé par cette majesté sereine, Imbert se recula pour mieux voir. Très haut, minuscules et agités, ses hommes se détachaient sur le ciel où se découpaient en ombres chinoises leurs gestes menus. Devant lui, tissé par l’humidité des nuits, un épais tapis d’herbe où frissonnaient des palmiers nains cachait la terre noire et le pied des rochers : « Ils seront bien, là, » murmura-t-il, après une longue rêverie et, le cœur gros d’une tristesse lourde, il alla donner ses ordres aux fossoyeurs.

Au coucher du soleil, une foule immense et recueillie entourait les trois tombes creusées dans le sol vierge. Les morts, enveloppés dans des couvertures brunes qui plaquaient sur leurs formes rigides, étaient étendus au bord des trous béans. Quelques goumiers et quelques tirailleurs, sorciers ou marabouts, plaçaient au fond, avec des gestes compassés, les pierres rituelles qui devaient servir de couche funèbre à leurs camarades musulmans. Des soldats serraient avec émotion la croix et les couronnes rustiques dont ils allaient parer le tumulus de celui qui était de leur race. En termes d’une sobre éloquence, les capitaines des défunts avaient rendu hommage à leur bravoure et donné leur fin glorieuse comme exemple aux vivans.) Les Marocains et les Sénégalais tournaient déjà vers l’Orient, avant de les descendre sur leur lit souterrain, les corps du goumier et du tirailleur, et les Européens s’apprêtaient à jeter sur la tombe du marsouin la pincée de terre du dernier adieu, quand le colonel s’avança au milieu du cercle en faisant de la main un signe qui fut aussitôt compris. Chacun se figea, et la voix du chef s’éleva dans un silence religieux :

« Ce n’est pas, dit-il, un hasard aveugle qui a choisi les victimes d’aujourd’hui. Le Français, le Sénégalais, le Marocain qui vont dormir ensemble dans le cimetière de Sidi-Kaddour appartenaient à trois races longtemps ennemies, qu’une intelligente et mystérieuse volonté fait maintenant travailler en commun au triomphe de la civilisation. Sur cette terre marocaine où tant des nôtres périrent dans l’esclavage, où tant de noirs furent vendus comme du bétail, la France, fidèle à sa mission séculaire, prend une éclatante revanche. Elle réunit sous son drapeau les fils des oppresseurs et des opprimés, les fond dans le même amour de l’ordre et de la justice, dans le même respect de sa force et de sa grandeur, et les lance à l’assaut de la barbarie. Ces trois morts pour la cause commune doivent donc être, pour nous autres soldats, un emblème de fraternité. Je vous demande instamment de leur garder une place dans vos réflexions comme dans votre souvenir. »

Et, se tournant successivement vers les pauvres dépouilles couchées sur le sol, le colonel leur adressa le salut militaire, si noble dans sa simplicité.

Sénégalais et goumiers se précipitèrent aussitôt vers leurs morts pour accomplir les derniers rites, tandis qu’une houle secouait les rangs des officiers et des soldats français. Une hésitation alors passa sur le visage tanné du colonel qui, d’un geste, les immobilisa : « Messieurs, reprit-il d’une voix claire, ces Africains, qui sont nos inférieurs par l’éducation et la mentalité, nous donnent en ce moment un bel exemple. Ils ont une religion et ils n’en rougissent pas. Quelqu’un sait-il à quelle confession appartenait le soldat mort ? » Dans le silence, un souffle timide s’éleva : « Il était catholique, mon colonel. — Sait-on s’il était pratiquant ? » A cette question nul ne répondit : « Sans doute, reprit alors le colonel, la famille serait heureuse d’apprendre qu’une prière a été dite sur la tombe de son fils. L’un de vous veut-il rendre à son camarade ce dernier devoir ? » Nul ne bougea. « Personne, parmi vous, ne se souvient de ses prières d’enfant ?... » Des regards s’échangèrent, interrogateurs et furtifs ; des pieds s’avancèrent, vite retirés. Ces hommes qui méprisaient les balles, qui recherchaient les corps-à-corps sanglans avec de féroces ennemis, étaient glacés par le respect humain. Malgré la majesté de la scène, ils craignaient de paraître ridicules par un acte conforme cependant à leurs secrets désirs. « Eh bien ! reprit le colonel avec simplicité, puisque aucun de vous n’a la mémoire assez fidèle, je vais dire une prière qui ne froissera les sentimens de personne, quels que soient son culte ou ses opinions. » Et, découvrant d’un geste large sa tête grise, il commença : « Notre Père qui êtes aux cieux... » Près des tombes voisines, les Sénégalais et les goumiers psalmodiaient à demi-voix leurs oraisons. Sur les Français une émotion contenue passait, évoquée par les mots séculaires et les intimes souvenirs qu’ils ravivaient. Serrés autour du chef dans une ardente communion d’âmes, ils abdiquaient pour un instant leur orgueil ou leurs préjugés dans le touchant aveu de faiblesse et d’amour qu’ils balbutiaient après lui. Des mâchoires se contractaient, des boules semblaient rouler nerveusement dans les gosiers, des éclats humides illuminaient des regards qui voulaient être indifférens. Et quand le colonel prononça : «...mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il, » de nombreuses mains maladroites esquissèrent le signe de la croix par l’habitude soudainement instinctive des anciens gestes oubliés.

« Très chic, l’épisode ! » murmura Pointis à l’oreille d’Imbert qui s’en allait avec le flot des assistans. « Et la cérémonie avait vraiment grande allure ! — Oui, répondit Imbert. Ils feraient bien de venir voir ça, au lieu de se chamailler à propos de leurs opinions politiques, les officiers que tourmente, en France, le mal d’avancement. Ils apprendraient à vivre... et peut-être aussi à mourir. » Sur la foule silencieuse qui maintenant gravissait en petits groupes le versant du plateau, sur le camp dont les tentes disparaissaient entre les roches, sur la campagne déserte, le soleil couchant lançait un poudroiement d’or. « Voyez, reprit Imbert en s’arrêtant pour montrer à son ami les vallées, les montagnes qui, jusqu’à l’horizon lointain, semblaient couvertes de jaunes moissons. Voyez ! le voilà, le présage ! La mort engendrera la vie, le cimetière ouvert aujourd’hui précédera la cité. La graine de force et de justice que la colonne sème avec le poste nouveau sur le plateau de Sidi-Kaddour germera bientôt. D’elle sortiront des moissons de paix et de richesses plus belles que celles dont ce soir radieux nous donne en ce moment l’illusion ! »


PIERRE KHORAT.

  1. Voyez la Revue du 1er octobre.