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Scènes de la vie du clergé/La Conversion de Jeanne/19

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CHAPITRE XIX

Le dimanche matin, la pluie avait cessé, et Jeanne, regardant en dehors de la fenêtre de sa chambre à coucher, vit par-dessus les toits des maisons une masse de nuages blancs roulant au loin sous un ciel bleu. Ce serait une délicieuse journée d’avril. Le ciel, devenu calme et pur, après avoir été longtemps tourmenté par le vent, mêlait sa douce influence aux nouvelles pensées de Jeanne. Elle se sentit un courage actif qui la surprit elle-même, après ce poids du découragement qui l’oppressait la veille ; elle put même penser à la colère de son mari sans son ancien effroi. Car une délicieuse espérance — l’espoir de la purification et de la paix intérieure — était entrée dans son âme et y faisait le printemps, comme dans le monde extérieur.

Tandis que sa mère lissait les beaux cheveux de Jeanne, — tâche favorite qui lui rappelait les jours où sa fille était toute à elle, — celle-ci raconta comment elle en était venue à envoyer chercher M. Tryan, comment elle s’était rappelé leur rencontre chez Sally Martin en automne, et avait ressenti un désir irrésistible de le voir et de lui raconter ses fautes et ses chagrins.

« Je vois maintenant, ma mère, la bonté de Dieu, qui a voulu que nous nous rencontrassions ainsi pour vaincre mes préjugés contre le pasteur et me faire souvenir de lui au milieu de mes malheurs. Vous savez les choses ridicules que je disais de lui, dont je ne savais pourtant rien. Et cependant c’était l’homme qui devait me consoler et me secourir quand tout le reste me manquerait. C’est étonnant, mais je me suis sentie capable de lui parler comme je ne l’avais fait à personne auparavant, et chaque mot qu’il m’a dit entre dans mon cœur et a pour moi une nouvelle signification. Je crois que cela vient de ce qu’il a senti la vie plus profondément que d’autres, et qu’il a une foi plus grande. Ses paroles me viennent comme la pluie à la terre desséchée. Il m’avait toujours semblé, auparavant, que je pouvais voir derrière les paroles des gens comme derrière un écran ; mais chez M. Tryan, c’est l’âme même qui parle.

— Bien, ma chère enfant, je l’aime et je le bénis de ce qu’il vous a soulagée. Je n’ai jamais cru le mal qu’on disait de lui, quoique je ne me souciasse point d’aller l’entendre, car je me contente des anciennes coutumes. Je trouve plus de bons enseignements que je n’en puis pratiquer, en lisant ma Bible à la maison et en entendant M. Crewe à l’église. Mais vos besoins sont différents, ma chère, et nous ne sommes pas tous conduits par la même route. C’est certainement un bon conseil que vous a donné M. Tryan, de consulter quelqu’un qui puisse s’employer pour vous auprès de votre mari ; j’ai retourné cela dans mon esprit cette nuit, tandis que je ne dormais pas. Je sais que personne ne nous conviendrait mieux que M. Benjamin Landor, car il nous faut quelqu’un qui connaisse la loi et que Robert craigne un peu. Peut-être pourrait-il l’amener à un arrangement pour que vous viviez séparés. Votre mari est tenu à vous entretenir, vous savez, et, si vous le vouliez, nous pourrions quitter Milby et aller vivre ailleurs.

— Oh ! ma mère, il ne nous faut rien faire encore ; j’y penserai plus longuement. Je sens différemment ce matin qu’hier. Quelque chose me dit que je dois retourner avec Robert. Je l’aimais une fois plus que tout au monde ; je n’ai pas eu d’enfants à aimer. J’ai eu des torts, et je voudrais les racheter.

— Bien, ma chère, je ne veux pas vous influencer. Pensez-y un peu plus longuement. Mais il faudra bientôt faire quelque chose.

— Que je voudrais avoir ma robe noire, mon chapeau et mon châle ! dit Jeanne au bout d’un instant. J’aimerais à aller à l’église de Paddiford entendre M. Tryan. Je n’y rencontrerais pas Robert, car il ne sort jamais le dimanche matin.

— Je crains qu’il ne me soit guère possible d’aller chercher vos vêtements, dit Mme Raynor.

— Eh bien, non ! Je resterai tranquillement ici pendant que vous irez à l’église. Je remplacerai Mme Pettifer et je préparerai le dîner pour son retour. Bonne chère femme ! Elle a été si tendre pour moi, ma mère, pendant cette triste nuit et tout le jour suivant, tandis que je ne pouvais pas même lui dire un mot de remerciement. »