Scènes de voyage dans l’Hedjaz et l’Abyssinie

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Scènes de voyage dans l’Hedjaz et l’Abyssinie
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 8 (p. 146-178).

SCENES DE VOYAGE


DANS


L'HEDJAZ ET L'ABYSSINIE.




UNE TEMPÊTE. - UNE CHASSE AUX GAZELLES ET AUX SINGES. - UNE RAZZIA DE CHRETIENS COSTANIS.




I

Le littoral abyssin de la mer Rouge est peut-être une des plus curieuses parties de l’Afrique, et pourtant le nombre est bien petit des voyageurs que la curiosité ou l’amour de la science entraîne vers ces régions mystérieuses, si dignes d’attirer l’attention de l’Europe. C’est des Français surtout qu’on doit les plus récentes et les plus complètes notions sur les terres inexplorées qui touchent d’un côté au golfe Arabique, de l’autre à l’Abyssinie centrale. Ainsi, tandis que M. Rochet d’Héricourt visitait à plusieurs reprises le royaume du Choa, un autre voyageur, ancien officier de l’armée égyptienne, M. Arnaud, pénétrait, de 1843 à 1844 dans le pays des Sabéens, séjournait dans la ville arabe de Mareb, et y recueillait de nombreux documens sur l’ancienne peuplade des Hamyarites, dont la civilisation a laissé des traces si profondes dans cette partie de l’Yémen. Au Caire, où, grace à la bienveillante protection du docteur Clot-Bey, je séjournais depuis trois ans comme attaché à l’administration militaire du pacha, le hasard m’avait fait connaître M. Arnaud, revenu du pays des Sabéens à travers mille dangers, et néanmoins fort impatient d’y retourner. J’avais écouté les récits de l’intrépide voyageur, j’avais lu le commentaire publié sur ses travaux par un savant orientaliste, M. Fulgence Fresnel[1], et j’avoue que je comprenais, que je partageais même l’élan qui le poussait vers les solitudes de l’Arabie. Un beau jour s’offrit l’occasion tant attendue de réaliser les projets de voyage en commun que nous ne cessions pas de faire depuis notre rencontre au Caire. Une mission scientifique du gouvernement français faisait au courageux explorateur du pays de Saba un devoir de retourner sur les bords de la mer Rouge et d’étudier en détail les monumens hamyarites. Nous convînmes de partir ensemble, et nos préparatifs furent bientôt faits ; mais, après un court séjour dans l’Yémen, des circonstances imprévues nous forcèrent de chercher un refuge sur le littoral africain, et c’est ainsi que nous fîmes un séjour assez long dans un pays fort peu connu.

Le 18 janvier 1848, au coucher du soleil et en dépit de la mousson de l’hémisphère austral qui régnait alors dans toute sa violence, nous quittâmes Hodeïdah pour Masswah, le littoral arabe de la mer Rouge pour le littoral africain, montés sur une barque non pontée et chargée à couler. Malgré les efforts de nos matelots, ce ne fut qu’à l’aube que notre barque put s’éloigner de la côte. Dès-lors, nous entrions décidément dans toutes les émotions de la vie de voyage, telle qu’on ne peut la connaître qu’au milieu des solitudes les plus inhospitalières de l’Afrique orientale.

Nous avions appareillé aux premières lueurs de l’aube. La brise avait un peu molli, et, bien que la houle fût toujours très grosse, tout alla assez bien jusque vers dix heures du matin. Notre nakoudah[2], d’ailleurs habile marin pour un Arabe, persistait à suivre la route directe, c’est-à-dire à aller reconnaître la terre d’Afrique un peu au sud de l’archipel de Dahlâk, et à remonter ensuite par le détroit qui sépare cet amas d’îles de la terre ferme. Nous eûmes beau lui faire observer que la ligne droite n’est pas toujours le plus court chemin d’un point à un autre, même en mer ; il ne céda que lorsqu’un terrible auxiliaire vint à notre aide : la tempête.

Deux heures avant midi, la brise déjà si âpre fraîchit encore. La mer devint épouvantable. Fouettées par l’orage, les vagues bouillonnaient et se couvraient d’une écume blanche qui, balayée par le vent, flottait en tourbillons grisâtres à la surface des eaux. Quand une lame venait à frôler un peu notre malheureuse barque, le choc suffisait pour arrêter un moment sa course, et l’homme qui tenait la barre du gouvernail avait besoin de toute son adresse, de toute sa vigilance pour éviter que le flot ne nous heurtât en plein. Malgré tous ses efforts, de larges éclaboussures venaient à chaque minute nous inonder d’une eau glaciale. Ces petits accidens ne pouvaient tarder à être suivis d’autres plus graves. Un moment d’inattention de la part du timonier suffisait pour jeter à bord des barriques d’eau qui, en imbibant le coton dont la barque était chargée, devaient en doubler le poids. Ce cas échéant, il ne restait qu’à sacrifier la cargaison, et il était douteux que nos efforts réunis parvinssent à déplacer une seule de ces énormes balles pesant près de deux milliers : nous n’étions que sept ou huit hommes à bord, plus cinq ou six enfans.

Les marins réunis à l’arrière de la saïa[3] redoublaient de ferveur ; l’on chanta de pieux cantiques qui n’avaient pas moins de cinquante strophes ; vinrent ensuite les oraisons, dont quelques-unes n’étaient pas autre chose qu’une malédiction sur les infidèles, ce qui nous touchait bien un peu ; puis ce fut le tour des maximes tirées des livres saints, des invocations aux scheikhs plus particulièrement révérés. Tout cela se croisait dans un pêle-mêle étrange que nous ne pouvons comparer qu’aux cris confus que, par un coup de vent, poussent les oiseaux de mer réfugiés sur la crête des récifs. « O Tout-Puissant ! qui d’un souffle éteindras le soleil à la fin des âges ! » s’écriait l’un. « O scheikh Abd-el-Kadr-el-Djeilani[4], protecteur des mariniers, intercède pour nous ! » reprenait un autre. « Je cherche un abri auprès de Dieu depuis l’aube ! » murmurait un troisième. « Délivre-moi de l’abîme, bienheureux scheikh Saïd, » disait un homme de Masswah, « et dès que mon pied touchera la terre, je te sacrifierai le plus beau mouton du pays ! » - « Et moi, je ferai blanchir à neuf la coupole sous laquelle reposent tes ossemens ! » ajoutait un dernier suppliant. Tous ces voeux, toutes ces prières n’apaisaient ni la brise qui augmentait encore, ni la mer qui grossissait toujours : le nakoudah interrogeait l’espace avec anxiété.

Quant à nous, il ne nous vint pas même à l’esprit de songer à nous rappeler quelques bribes de nos patenôtres ; mais nous n’étions pas beaucoup plus calmes que l’équipage. Deux ou trois barques venant de la côte d’Afrique passèrent à côté de notre saïa, en nous envoyant le salut d’usage, qui se perdit dans le bruit de la tempête ; au-dessus de nos têtes, des milliers d’oiseaux de mer fuyaient devant la rafale et regagnaient la terre : nous nous surprîmes à suivre tristement de l’œil ces voiles et ces goëlands au vol rapide qui disparurent bientôt dans la brume. Un de nous pourtant ayant laissé échapper je ne sais quelle mauvaise plaisanterie sur les diseurs de litanies qui nous entouraient, nous ne pûmes nous empêcher de sourire ; mais presque aussitôt nous remarquâmes que les musulmans fixaient sur nous des regards farouches, et l’épithète de koufar (païens) dont nous gratifiait un marchand d’esclaves (djellab) vint même jusqu’à nos oreilles. — Si c’est de nous que tu parles sur ce ton-là, lui dit mon compagnon, tu cours le risque de faire le plongeon avant les autres, et d’avoir ainsi la première place au bain. — Le djellab baissa hypocritement les yeux, et prétendit que l’épithète dont il s’était servi n’était pas le moins du monde à notre adresse. Cet incident n’eut pas d’autres suites, nous étions assez bien armés pour imposer au besoin à tout l’équipage.

Jusqu’à ce moment, le nakoudah s’était obstiné à lutter contre le temps ; bientôt un nouveau péril vint ajouter à la gravité de notre position. Tout à coup un matelot s’élança vers une immense chaudière de cuivre, qu’il se mit à battre comme un tam-tam avec le manche de son couteau, et autour de nous chacun prononça la formule par laquelle tout musulman invoque le secours de Dieu à l’approche d’un danger imminent : — Allah akbar (Dieu est grand) ! — Ne comprenant rien ni à cette musique, ni à cette subite recrudescence de peur, nous nous décidâmes à quitter un moment l’abri que nous nous étions fait entre deux balles de coton. Quatre baleines, deux fois plus grosses que toute notre barque, jouaient à vingt ou trente brasses de nous ; par momens, elles flottaient dans une immobilité parfaite, et je comprenais qu’à la rigueur Sindbad le marin eût pu prendre leur énorme croupe pour une île ; puis d’un bond elles s’élançaient sur les vagues qui les emportaient sur leur dos. D’autres fois, elles disparaissaient pour revenir encore à la surface, ainsi qu’un écueil que la mer rejetterait de son sein, lançant par leur évent un jet d’eau qui se courbait sous l’effort de la brise et se perdait en une rosée imperceptible. Quelquefois leur masse gigantesque s’élevait au-dessus des ondes, s’en détachait complètement par un puissant coup de queue, parcourait dans l’air un espace de plus de soixante pieds, et retombait sur la lame, qui s’écrasait sous cet énorme poids avec un bruit pareil à un coup de canon. Alors le point par lequel les monstrueux animaux quittaient l’élément liquide demeurait un moment ouvert comme le cratère d’un volcan, et au-dessus de celui par lequel ils regagnaient l’abîme s’établissait un tourbillon où la houle venait s’engouffrer avec fracas. Chacun s’empressa d’imiter l’homme au chaudron, et ce fut bientôt un vacarme assourdissant auquel s’ajouta le bruit de quelques coups de fusil que nous crûmes devoir tirer en l’air nous n’osions viser les majestueux léviathans de peur qu’ils ne gardassent rancune de quelques grains de plomb qui auraient pu pénétrer jusqu’à leur cuirasse de lard.

Quand elles eurent assez du concert dont on les régalait, les baleines s’éloignèrent, et nous virâmes de bord, le nakoudah prétendant que l’apparition de ces animaux pronostiquait quelque malheur. Long-temps encore nous pûmes les voir bondir sur la lame. — Dieu soit loué ! s’écrièrent les marins ; nous venons de l’échapper belle ! – Est-ce donc si dangereux ? demandâmes-nous. — Si c’est dangereux ! répondit le patron ; je le crois bien ! mais rien qu’en se frottant contre la saïa, le bouthan[5] nous eût chavirés !

Vers les trois heures de l’après-midi, nous vîmes enfin la cime d’une montagne apparaître au-dessus des flots. Pour nous, si éloignée que fût la terre, sa vue nous rassurait : c’était un ami qui avait l’air de venir à nous. Peu à peu, la montagne grandit ; en une demi-heure, elle devint distincte, et bientôt se montrèrent les dunes jaunes qui entouraient sa base. Nous faisions route sur la pointe sud de l’île de Camaran, et deux heures plus tard nous passions à côté d’îlots placés un peu en avant du canal étroit et toujours calme qui sépare la grande île de la côte. À cette heure, les bancs de sable étaient littéralement couverts d’oiseaux, et de tous les points du ciel arrivaient encore des nuées de mouettes. Des milliers d’ailes battaient l’air, ou s’ouvraient sans se refermer, comme pour accaparer une place plus large sur la grève. Nous pouvions entendre les bruyantes clameurs qui partaient de chacune de ces Babels aériennes : les goélands se lamentaient, ou aboyaient comme des chiens enroués ; les hérons, les butors, les aigrettes, jetaient leur cri étrange ; les pélicans faisaient entendre une voix plus grave ; les courlis sifflaient une longue plainte, et le bruit du vent et des vagues servait de base harmonique à cette tempête de notes aigres et tristes.

Le dernier rayon du soleil vint dorer les falaises blanches de la côte, et joua sur les élégantes cimes de quelques dattiers et d’un bouquet de doums[6], qui avaient poussé dans le sable ; puis, cette lumière pourpre, tombant sur les mille facettes des flots, sema d’étincelles rouges leur azur sombre, ou se décomposa à travers les molécules aqueuses arrachées par le vent à la crête de chaque lame : alors on put voir des myriades d’arcs-en-ciel éphémères dansant à la surface de la mer. Une heure plus tard, les dernières bouffées de la tempête qui allait s’assoupir nous poussaient dans le port de Camaran, où nous mouillâmes. La petite rade était tranquille ; quelques sambouks dormaient près de nous sur leurs ancres ; une ou deux lumières brillaient au fond du village ou aux meurtrières de la vieille forteresse qui garde l’île. Sur la rive, un groupe d’hommes assis en cercle chantaient à l’unisson des paroles en une langue inconnue qu’accompagnait une flûte de roseau, tandis que le tambourin et de grandes crotales en fer marquaient la mesure de cette musique sauvage, mais non sans grace et sans caractère. Un autre groupe dansait : c’étaient de malheureux esclaves noirs que les danses nationales et les chansons de leur pays consolaient de leurs rudes labeurs.

Comme, pendant toute cette terrible journée, nous n’avions eu que du pain pour toute pitance, et que nous n’avions promis à aucun saint de nous résigner à la même chère, nous prîmes nos fusils, et nous nous fîmes conduire à terre. À cinquante pas de notre mouillage, une langue de sable empiétait sur les eaux de la rade. Dans un précédent séjour de près d’un mois à Camaran, nous avions eu l’occasion de remarquer que cette presqu’île en miniature est, tant que le flot monte, la retraite d’innombrables volées de tourne-pierre, de court-vite, de bécasseaux, etc. Deux coups de fusil, tirés à raser la terre, firent s’envoler tous ces pauvres oiseaux, dont l’effroi se traduisit par de longs cris, et nous courûmes ramasser nos victimes. Nous eûmes à rejeter quelques mouettes coupables de s’être trouvées en trop bonne compagnie, elle reste, plumé, frotté d’un peu de beurre, et disposé le long d’une baguette, fut cuit à point en quelques minutes. Il avait été convenu que nous ne ferions qu’un seul et même repas du déjeuner et du dîner, et l’air de la mer ayant singulièrement aiguisé notre appétit, toute notre chasse y passa Il y a plus : afin de n’avoir pas à partager avec les matelots, nous nous étions bien gardés de vider un seul de nos oiseaux. Aussi ceux des marins de l’équipage qui venaient épier nos apprêts culinaires, nous voyant recueillir soigneusement le sang et les intestins de notre gibier sur une tranche de pain couverte de beurre, s’en allaient en murmurant : Inhal Dinkom (que Dieu damne votre religion) ! Ces viandes étaient pour eux quelque chose d’horriblement impur. Pour les consoler, nous promîmes de leur tuer, à la première occasion, un pélican à chair huileuse et dure.


II

L’équipage dut consacrer la journée du lendemain à boucher une voie d’eau qui eût suffi à nous faire couler en vingt-quatre heures. Il en existait bien une foule d’autres ; mais le patron nous assura que ces avaries étaient d’une moindre gravité, et qu’en ayant le soin d’assécher la barque à peu près continuellement, nous pourrions arriver à Masswah sans encombre.

Pour nous, nous passâmes cette journée à terre. Quand nous entrâmes en chasse, une clarté douteuse commençait à peine à poindre à travers la brume, dernière trace de la tempête de la veille. À cette pâle lueur succéda une lumière rouge, et l’orbe solaire, masqué un instant par les hautes montagnes de l’Arabie, apparut enfin par une des dentelures de la crête ; puis ses rayons plus obliques effleurèrent chaque sommet, et y allumèrent comme une flamme, la masse de chaque piton demeurant encore plongée dans un milieu d’azur. Bientôt un torrent de lumière ruissela sur la déclivité de la chaîne et s’épandit sur la côte, sur la mer, sur l’île, dont chaque rocher participa à l’éblouissant éclat que le fluide céleste semait sur toutes choses. Alors les oiseaux endormis sur les grèves s’éveillèrent pour prendre leur vol et saluer de leurs cris de joie le lever de l’astre radieux. Les sambouks s’apprêtèrent à gagner le large ; de chacune des huttes du village s’échappa une fumée bleue qui montait vers le ciel avec les chansons des matelots et des centaines d’alouettes babillardes. Un peu plus tard, une bouffée de vent ridait les eaux de la rade, au fond desquelles un autre monde allait à son tour donner signe de vie. Deux requins, dont la nageoire dorsale déchirait la surface de la mer, chassaient devant eux un immense banc de poissons. À ce signal, des nuées d’oiseaux-pêcheurs accoururent avec de longs cris, fouettant de leurs ailes les petites ondes dont les courbes mouvantes parcouraient toute la crique. Traqué par les requins et par les oiseaux, le banc de poissons courait toujours, suivi de la légion vorace, et un long sillon d’écume fouillé par des milliers de becs, coupé à chaque instant par le vigoureux élan des squales, marqua au loin son passage.

Un peu au nord de la petite baie qui est le port actuel, entre deux promontoires couverts d’anciens tombeaux, à dix pas des ruines d’une bourgade détruite, s’ouvre une autre rade récemment abandonnée par la mer, dont le sol se prolonge sous les eaux par une pente si douce, que, presque sur tous les points, l’on peut s’avancer à plus d’un quart de lieue, sans avoir jamais de l’eau plus haut que le genou. Cette plage est habitée par de nombreuses tribus d’oiseaux, infatigables glaneurs qui se disputent les débris des corps marins abandonnés par le flot qui se retire. Des grèbes blancs et bleus courent, plongent, jouent et s’envolent pour revenir encore s’abattre sur la mer si calme ; des spatules barbottent dans la vase ; des pélicans naviguent en flottille et pêchent un fretin que des poissons plus grands chassent hors des eaux plus profondes. Plus loin, des flamans, debout sur leurs longues échasses, ont l’air, avec leurs ailes couleur de feu, d’un jet de flamme se mouvant à la surface de la mer. Nous allâmes choisir notre déjeuner dans cette volière du bon Dieu, et, ce qui était plus difficile, essayer de tirer quelques flamans. Il fallait s’approcher à une distance convenable de ces longues rangées de phénicoptères, qui épiaient avec méfiance tous nos mouvemens. Le hasard nous ayant fait rencontrer une planche provenant de quelque naufrage, sur laquelle nous attachâmes un gros fagot de broussailles, nous lançâmes à la mer ce radeau derrière lequel nous devions nous cacher, et qu’il n’y avait qu’à pousser tout doucement devant nous. Nous fîmes de notre mieux, mais un malencontreux balancement du radeau vint déjouer notre plan de campagne au moment où nous allions surprendre le groupe éclatant sur lequel nous avions jeté notre dévolu. Nous ne pûmes tuer qu’un seul individu, qui s’affaissa sous notre plomb, après avoir étendu de grandes ailes, qui retombèrent impuissantes et s’étalèrent sur l’eau ainsi qu’une pièce de soie cramoisie. Il fallut renoncer à continuer notre chasse ; tout le reste de la bande avait subitement disparu, et la chaleur commençait d’ailleurs à devenir intolérable. Aussi, après avoir tiré deux ou trois coups de fusil qui remplirent nos larges poches de menu gibier, nous reprîmes le chemin de la rade, où notre barque était à l’ancre.

Le lendemain, un peu avant le jour, on se remit en mer. Il ventait une brise faible qui tomba tout-à-fait quand nous fûmes par le travers d’un îlot que les Arabes appellent Oukeban. Nous comptions profiter du premier souffle d’air pour traverser le canal, peu large en cet endroit ; mais la barque était immobile, comme si nous eussions été à l’ancre ; notre voile fasiait ; la mer n’avait pas un pli et étincelait sous les rayons du soleil comme un lac de plomb fondu. Ceux auxquels il est arrivé de faire un assez long voyage sur un navire napolitain auront à coup sûr remarqué comme nous que, tant que la mer est belle, les matelots italiens semblent ne se souvenir du ciel que pour le blasphémer ; mais vienne l’ouragan avec son cortège de terreurs, et chacun se livre aux transports d’une piété fort peu édifiante. Alors on allume dix cierges pour un sous le nez de la madone qui a sa niche à l’arrière, et les vœux de neuvaines, les promesses d’ex-voto faites à tous les saints succèdent brusquement aux chansons obscènes, aux jurons audacieux. Ce contraste, nous le retrouvions ici plus tranché encore. On se le rappelle, il y avait à notre bord un djellab, de la côte des Danakil[7], qui ramenait dans son pays trois ou quatre jeunes filles gallas et un petit nègre.à peu près idiot : c’était le rebut de son troupeau d’esclaves dont il n’avait pu se débarrasser dans l’Yémen. Cet homme si dévot l’avant-veille, quand la tempête soulevait la mer, contait alors aux matelots sa vie passée. Il entrait dans ce récit d’atroces histoires d’enfans soumis à une horrible mutilation qui devait doubler ou tripler leur valeur, de hideuses scènes de débauche, d’effrayantes peintures des tourmens auxquels sont soumises les caravanes d’esclaves dans leur long trajet de l’intérieur à la mer, qui ne dure pas moins de cinq ou six mois. Cet immense voyage, les malheureux doivent le faire à pied ; celui qui ne peut marcher est d’abord cruellement battu ; on le bat encore quand s’épuise l’effort désespéré que la douleur lui a fait faire, et ainsi bien long-temps. Enfin, lorsque l’inanition, la maladie, la soif, ont brisé ses forces et raidi ses pieds meurtris, avant de l’abandonner sur la route, le maître lui écrase la tête entre deux pierres, et tout est dit. — La peur d’un sort pareil relève le courage des autres, ajoutait le djellab. D’autres fois, le misérable qui, pendant la tourmente, faisait vœu de continence tant que durerait la traversée, cherchait à spéculer sur les malheureuses qu’il n’avait pu vendre, et proposait à chacun de les louer pour les quelques nuits qu’on avait encore à passer en mer. Cet homme nous inspirait un tel sentiment de dégoût, que nous nous réfugiâmes à l’autre extrémité de la barque, à côté d’un matelot des îles de Dahlâk, qui, assis les jambes pendantes au-dessus de l’eau, chantait un air abyssin merveilleux de grace et d’originalité. Nous avions déjà oublié le djellab, quand des cris de douleur se firent entendre : c’était encore le marchand de chair humaine qui déchirait le dos nu du petit nègre à l’aide d’une cravache en peau d’hippopotame. En deux bonds, nous nous trouvâmes entre la victime et le bourreau, dont l’instrument de supplice fut par nous jeté à la mer.

— N’est-ce pas mon esclave, hurla le maître furieux de notre intervention, et ne puis-je donc en faire ce que je voudrai ?

Mais les hommes du bord ne se pressaient point de prendre parti pour lui, et, comme une de nos mains caressait ses épaules un peu rudement, il se résigna à se taire. Il tremblait comme la feuille, et, n’osa pas même souffler quand je dis au patron : — Fais comprendre à ce chien que, tant que nous serons sur cette barque, il n’y a point d’esclaves ici.

— Et dis-lui qu’au premier cri de l’un de ces enfans, je le fais passer par-dessus les planches, ajouta mon compagnon.

De ce jour, le djellab devint on ne peut plus respectueux à notre endroit, et ses esclaves nous payèrent notre protection par une foule de petits services, pour lesquels ils allaient toujours au-devant de nos désirs.

Au coucher du soleil, notre barque n’avait pas gagné cent brasses. Nous étions toujours en vue d’Oukeban et d’une multitude d’îlots de sable sur lesquels tombait comme une pluie d’oiseaux. Le ciel et la mer se confondaient dans une même teinte écarlate, sauf vers l’orient, où une ligne violette marquait l’extrême limite de l’horizon. Peu à peu, tous ces tons ardens s’affaiblirent ; une barre lumineuse[8], montant obliquement dans le ciel, comme si l’astre du jour y eût laissé sa trace, fut bientôt tout ce qui resta de ces splendeurs. À mesure qu’une étoile s’allumait dans le firmament, une lueur pareille s’éveillait sur la mer endormie ; puis la lune se leva, sa douce clarté remplit le ciel, et tomba à la surface des ondes comme un long sillon d’argent. Alors les constellations s’éteignirent dans les cieux et sur l’azur des flots. Après une journée brûlante, l’air tiédissait enfin ; il y avait un charme indéfinissable répandu dans l’atmosphère, et, dans cette nuit des tropiques, si sereine, si transparente, l’on sentait passer comme des voix mystérieuses qui parlaient de Dieu.

Depuis quelques heures, l’une des esclaves du djellab se plaignait d’un violent mal de tête : c’était une enfant de dix ans au plus, frêle, chétive. Sa chevelure noire se séparait en deux larges nattes maintenues par un brin de soie jaune qui courait d’une tresse à l’autre comme un fil d’or ; ces deux nattes retombaient sur ses deux joues haves, creusées par une longue maladie. Elle portait au cou un collier de verroteries bleu de ciel, pauvre hochet dont le maître l’avait parée avant de la mettre en vente, à peu près comme les prêtres de l’antiquité païenne, avant de conduire la victime à l’autel, enveloppaient ses cornes d’une feuille d’or et ornaient sa tête de riches bandelettes et de guirlandes de fleurs. Son vêtement consistait en un morceau de toile grossière, déchiré en bien des endroits, à peine suffisant pour envelopper des membres que parcourait le frisson de la fièvre. Le djellab l’appelaif Dangouléh, nom abyssin de la fleur d’un magnifique chicus dont la corolle est protégée par de longues épines. Il y avait comme une cruelle ironie dans ce nom. De la brillante fleur de l’arbuste des montagnes à l’enfant flétrie par la faim, les mauvais traitemens et la maladie, il existait la différence du plaisir à la douleur, de l’espérance au morne désespoir. Les jeux des autres ne parvenaient jamais à la faire sourire ; souvent elle pleurait en silence, et il y avait dans le timbre de sa voix quelque chose d’indéfinissable qui faisait mal : on devinait la mort cachée derrière tant de jeunesse.

Ce soir-là, la petite esclave se plaignait donc plus que de coutume. La peur de l’inconnu, dont nous devenons la proie quand nous nous en allons de cette terre, la tint long-temps éveillée ; quelquefois elle sanglotait en appelant sa mère, et à ses compagnes, qui essayaient de la calmer, elle répondait : — Est-ce parce que je suis si jeune, que vous me dites que je ne dois pas mourir encore ? Les fruits du daro[9] ne tombent-ils donc jamais avant d’être mûrs ? ou le vent n’arrache-t-il aux rameaux des arbres que les feuilles qui ont vieilli ?

Pendant la nuit se leva une de ces folles brises, qui soufflent par bouffées si faibles, qu’elles rident à peine la surface de la mer. Au jour, nous étions en vue du Djebel-ther, îlot plutonique dont les flots battent sans cesse les flancs de lave, et dont la crête laisse échapper de loin en loin de noires colonnes de fumée, qui prouvent que le volcan qui lui donna naissance ne s’est point encore refroidi sous le linceul de la mer. De longues files de goëlands quittaient la montagne et s’éparpillaient dans toutes les directions, rasant l’onde de si près, que le dessous de leurs ailes, d’un blanc pur, se colorait d’un magnifique reflet d’aigue-marine. Des pailles-en-cul traversaient le ciel à une telle hauteur, qu’ils eussent été invisibles sans le rayon du soleil qui dorait leur plumage de neige.

Dangouléh était plus mal. Elle eut le délire, et deux fois les matelots l’empêchèrent de se jeter à la mer : sans notre présence, son maître l’eût cruellement punie de cet accès de fièvre. L’enfant s’était assise ensuite au milieu de ses soeurs, chargées de la surveiller. Ses grands yeux noirs prirent un éclat étrange, et elle se mit à fredonner à mi-voix voix une longue chanson de son pays sur un air si triste, et dans les paroles de laquelle il y avait tant de regrets déchirans, que les autres esclaves ne purent retenir leurs larmes, et que nous fûmes obligés de nous éloigner de ce groupe : notre cœur se serrait. Cette chanson évoquait, dans l’imagination de la malade, la patrie avec tous ses fantômes aimés. Sa mère inconsolable, la hutte sous les rameaux fleuris du ouanzéh, l’arbre révéré des Gallas ; la source voilée par de doux ombrages, aux eaux de laquelle de grandes antilopes et de beaux oiseaux viennent boire vers le milieu du jour ; les champs de maïs auprès desquels les jeunes filles veillent en chantant pour en éloigner les colombes ; la forêt où vaguent le lion et la panthère noire, et que parcourent d’immenses bandes d’éléphans ; la nuit ramenant autour du campement de la horde les troupeaux de bœufs et de cavales rapides ; tous ces souvenirs si chers que l’agonie éveillait palpitans au fond de son cœur, l’enfant les saluait avec ivresse ; puis, brisée par toutes ces émotions, elle s’affaissa sur elle-même. Ses prunelles redevinrent ternes ; elle ne se leva plus, se plaignit plus rarement, et, bien que la vie n’eût pas encore quitté ses membres amaigris, son ame s’était envolée vers les solitudes natales à la suite de la radieuse vision.

Un peu avant midi, la brise fraîchit ; la mer se couvrit de moutons blancs, comme parlent les marins ; les pailles-en-cul quittèrent les hautes régions de l’air pour des couches plus basses, et le nakoudah secoua la tête d’un air mécontent : ces oiseaux sont aux yeux des matelots arabes un présage de gros temps. Quelques heures plus tard, nous nous engagions au milieu d’un dédale d’îlots, de bancs de sable, d’écueils où il eût été impossible de naviguer la nuit, et, avant le coucher du soleil, nous jetions l’ancre à un demi-mille d’un rocher dont le nom est Metbouah.

Toute la journée du lendemain se passa à côtoyer un immense banc de madrépores sur lequel le vent a semé des gommiers stériles et un peu de gramen dur et rigide comme des touffes de fils de fer. Quelques familles de pêcheurs se sont établies sur cette île de pierre brûlée du soleil, qui n’a d’eau que celle que les pluies d’orage laissent dans le creux des rochers. Elle est peuplée de légions de gazelles qui se mêlent aux troupeaux de chèvres élevés par les habitans, et souvent les suivent jusque dans l’intérieur des villages, où elles finissent par se faire à une demi-domesticité. Telle est Dahlâk, célèbre par l’habileté de ses plongeurs et par la richesse des bancs d’huîtres à perles qui en sont peu éloignés[10]. Dans la matinée, le vent avait sauté brusquement au nord, puis au nord-ouest, c’est-à-dire qu’il était devenu contraire : nous ne fîmes que peu de route, et mouillâmes de bonne heure près d’un banc de sable.

L’esclave malade était morte dans l’après-midi. Depuis deux ou trois jours, elle semblait ne plus souffrir ; un instant, un éclair de vie se ralluma dans ses prunelles, mais ce ne fut qu’une lueur passagère, et l’enfant s’éteignit sans secousse, sans convulsions, au milieu de ses compagnes, qui contemplaient avec terreur cette agonie si calme. Ce fut à peine si l’on put saisir la plainte qui s’échappa de sa poitrine, où le cœur venait de cesser de battre. On l’enterra sous le sable de cet îlot sans nom. À la nuit, les autres esclaves vinrent nous demander un peu de beurre qu’elles versèrent dans un débris de poterie, y jetèrent quelques brins de coton, et s’en allèrent poser cette lampe funèbre sur la tombe de Dangouléh. La lampe brûla presque jusqu’au jour ; avec sa dernière flamme s’éteignit jusqu’au souvenir de la morte. Nous nous trompons : ses sœurs par l’infortune se réunirent à l’avant de la barque, loin de tous, et improvisèrent un long myriologue dont les paroles devaient consoler au fond de sa fosse celle que la mort venait de faire libre. Chacune, à son tour, récitait une strophe à la fin de laquelle toutes répétaient en sanglotant un refrain qui se terminait invariablement par le funèbre ouoyé ! ouoyé !

Le lendemain, vers minuit, nous jetâmes l’ancre dans un petit bassin circulaire, sur le pourtour duquel le mouvement des vagues qui allaient et venaient était marqué par un ruban phosphorescent. À travers une nuit pluvieuse, nous distinguions quelques huttes au bord de la crique. Des insulaires se mirent à la nage, vinrent à bord, et se secouèrent pour se sécher, comme des caniches après un bain. Ils étaient en quête de nouvelles, pâture de première nécessité pour ces populations oisives dont l’existence est dévorée par l’ennui. Cette anse en miniature, qui nous abritait d’un violent vent du nord, est l’unique port de Déssét, la perle des îles de la mer Rouge ; nous y passâmes la journée suivante. Nous étions mouillés précisément dans le cratère d’un volcan éteint, dont les parois, en s’affaissant sur un point, ont donné accès aux eaux de la mer, qui sont venues occuper le fond de l’entonnoir. Quelques cabanes et deux ou trois pirogues à sec sur la grève, des enfans nus qui gardent des chèvres, des hommes couleur de bistre, des femmes dont les bras sont chargés de bracelets de verre ou d’ivoire, et, dont tout le vêtement consiste en une peau de bœuf grossièrement tannée qu’elles roulent autour du corps ; quelques chiens, des grues noires, des hérons bleus, des aigrettes blanches, des ibis chevelus, ces oiseaux mystérieux de l’ancienne Égypte ; enfin de grandes cigognes immobiles sur les rochers qui protégent l’entrée du port ; autour du bassin, des montagnes de granit semées de mimosas seyâl (gommiers nains) ; au fond, une gorge qui traverse toute l’île et laisse voir une forêt d’avicennia[11] venue dans la mer, tel est l’ensemble du coup d’œil que présente cette jolie crique. Nous la quittâmes le surlendemain pour gagner Masswah, où nous touchâmes dans la nuit.


III

Quelques jours plus tard, l’agent consulaire de France dans ce port, M. D., nous proposait une partie de chasse dans les environs de Masswah, où abondent les troupeaux de gazelles. Nos compagnons devaient être deux Grecs établis dans le pays, un maître canonnier turc, un négociant indou, etc. ; nous devions emmener en outre sept ou huit domestiques abyssins et trois ou quatre chameliers. Le rendez-vous était à Mokollo, village en terre ferme, à une heure nord-ouest de l’îlot sur lequel est bâti Masswah. Le départ eut lieu le 8 janvier dans la soirée.

Ce jour-là, nous ne fîmes guère que deux heures de route, au fond d’une vallée assez large, entre deux montagnes dont le maigre feuillage des gommiers déguisait mal les flancs de pierre. Pourtant quelques jours de pluie avaient rafraîchi cette pauvre végétation : les rameaux des mimosas seyâl étaient d’un vert magnifique, ainsi que les rares touffes d’herbe qui poussent sur ce sol rocailleux. Des euphorbes étalaient au soleil leurs grandes fleurs livides ; des convolvulus paraient de leurs cloches blanches et jaunes les branches des nébèks (rhamnus lotus) ; les buissons de raks étaient plus feuillés. Le désert avait pris sa livrée de fête ; c’était la saison des amours pour les tribus de gazelles qui parcourent ces solitudes.

À la tombée de la nuit, nous atteignîmes le lit d’un torrent appelé Tadali, alors à sec, et qui n’avait d’eau que sur un point où les pâtres ont creusé un puits assez profond. La tente fut dressée sur le sable, et bientôt les domestiques, qui nous avaient devancés de plus d’une heure, vinrent nous rejoindre ; ils pliaient sous le poids du gibier. Quant à nous, nous n’avions pas tiré un seul coup de fusil, par la raison que nous n’avions pas même vu un oiseau. Une heure plus tard, l’on nous servait à dîner. Les viandes étaient d’un goût parfait, que devait nous faire mieux apprécier un séjour de huit mois sur la côte arabe, pendant lesquels le régime de tous les jours se composait de pilaw, de mauvais poisson, quelquefois de chair de chameau, plus souvent de, chèvre ou de mouton qui pue le suif.

Au petit jour, nous étions déjà en marche. Ne connaissant pas le pays, nous fûmes quelque temps sans oser nous écarter. L’agent consulaire nous recommandait de ne pas trop nous aventurer au milieu des fourrés : à cette heure, nous disait-il, les panthères s’y mettent à l’affût près des sentiers que suivent les gazelles. D’ailleurs il n’était pas nécessaire de quitter le chemin pour trouver du gibier : les francolins avaient déjà quitté leur perchoir et couraient sur le sable des torrens ; les cimes des grands arbres étaient chargées de pintades qui s’envolaient par troupes en poussant des cris discordans. De loin en loin, nous pouvions voir de grandes gazelles immobiles sur la crête des collines. Derrière chaque buisson, un couple de béni-israïl (antilopes de Salt), charmans petits animaux dont les jambes ne sont pas beaucoup plus grosses que le tuyau d’une plume, et dont la tête est parée d’une touffe de longs poils fauves, qui se redressent sous l’impression de la peur, nous regardaient passer un instant avec une coquette curiosité, puis s’enfuyaient en poussant un ou deux petits cris. aigus comme un coup de sifflet. Cette vallée est peu riche en oiseaux, probablement à cause de la rareté des sources. Pourtant deux ou trois variétés de tourterelles et une grosse espèce de ramier roucoulaient dans les bois. Des pics à tête écarlate exploraient les troncs d’arbres morts en répétant leur triste refrain. Des coucals (coucous) aux yeux rouges comme le corail couraient d’un fourré à un autre fourré, à la recherche des serpens et des lézards dont ils se nourrissent ; enfin, des souïs-mangas splendides (cynniris splendidus) visitaient l’une après l’autre les touffes d’une sorte d’asclépias qui pousse dans le sable, dont le vent carde les graines ailées qui s’échappent de ses gros fruits mûrs, et dont les fleurs roses prit toujours une gouttelette de miel pour ces colibris africains.

Vers les neuf heures du matin, notre petite caravane atteignait une autre vallée nommée Saati, et que nous avions choisie pour rendez-vous de chasse. Une heure après la halte sous les ombrages de Saati, tout le monde nous avait rejoints, excepté deux hommes : le Grec Stéphen, notre hôte de Masswah, et M. Arnaud. — Que diable font-ils en arrière ? se demandait-on. — Ce qu’ils font ? dit l’un ; ils chassent, parbleu ! — Stéphen marche comme les oies de mon pays, observa le canonnier turc ; je suis sûr qu’il s’arrête à chaque pas pour s’assurer que ses pieds ne sont point restés en route. — Tant pis pour eux, ajouta l’agent consulaire ; le déjeuner est prêt, et nous les attendrons en mangeant.

Une heure se passa ainsi. — Ils se seront égarés ! dit quelqu’un. Il était alors onze heures, et cette crainte commençait à prendre l’apparence de la réalité ; l’on envoya les chameliers à la recherche des absens. Au bout d’une autre heure, ces hommes revinrent sans avoir rencontré nos compagnons. Je me mis alors en route avec un Abyssin que j’avais pris à mon service, et qui portait une zenzamiéh (vase) pleine d’eau, ainsi qu’un flacon d’eau-de-vie. Nous marchâmes près de deux heures, et enfin un faible cri répondit aux détonations répétées de nos fusils. Bientôt des cris plus rapprochés se firent entendre ; c’étaient nos compagnons qui accouraient.

L’incident qui les avait séparés de nous mérite d’être raconté. Presque dès notre entrée en chasse, mon compagnon M. Arnaud et le Grec Stéphen s’étaient mis à la poursuite d’une volée de pintades à travers des halliers inextricables. M. Arnaud en avait tiré deux ; mais, quand il fut question de nous rejoindre, les chasseurs ne virent plus personne : il fallut alors se mettre à la recherche du chemin, au milieu de vallées qui ont des centaines de sentiers frayés par les pâtres et leurs troupeaux : c’est dans un de ces chemins qu’ils s’engagèrent au bout de cinq minutes. Pour comble de malheur, ils y trouvèrent l’empreinte toute fraîche des sabots d’une mule, et, ne doutant pas qu’ils fussent sur la bonne voie, ils marchèrent dans la même direction durant plus de deux heures. Alors le voyageur français crut voir passer quelque chose de fauve à travers les buissons de gommiers.

— Est-ce une gazelle que je viens de voir là-bas ? demanda-t-il au Grec.

— Votre fusil est-il chargé ? dit celui-ci sans répondre à la question qui lui était faite.

— Non.

— Alors chargez-le bien vite, continua Stéphen, et que Dieu nous garde de ces gazelles-là !

Qu’est-ce donc alors ?

— Un lion, ni plus ni moins, et des beaux encore ! Tenez ! il s’est arrêté : le voyez-vous maintenant ?

Mon compagnon m’avoua qu’il avait senti en ce moment son cœur battre l’alarme d’une façon peu agréable. Le lion, alors arrêté au milieu d’un espace nu, la tête tournée vers les chasseurs, les regardait avec une dédaigneuse indifférence. Son œil n’avait pas un éclair ; ses mouvemens étaient lents et graves ; les énormes muscles qui labouraient ses membres étaient au repos. Quelquefois un frisson qui courait sur ses reins secouait, comme des vipères, les longues mèches de poil qui recouvraient son cou et le haut de ses épaules. Pourtant, sous ce calme, on sentait tant de souplesse, tant de puissance, qu’il semblait que, d’un bond, le terrible animal pouvait être sur les chasseurs. Quand il eut versé une charge de poudre et coulé une balle dans chacun des canons de son fusil, M. Arnaud chercha ses amorces : il ne les avait plus. — Sorte maladetta ! exclama Stéphen dans son jargon italien. — Il n’y a qu’un parti à prendre, répondit le tireur désappointé : c’est de faire un détour pour éviter de marcher sur la queue du lion, et nous reviendrons ensuite vers la route.

Cela fut fait ainsi ; mais un peu plus loin le sentier s’arrêtait brusquement au pied d’une ligne de rochers à pic, et les traces de.mulet retournaient en arrière. — Que le diable emporte la bête et celui qui la montait ! murmura le Grec, obligé d’avouer qu’ils s’étaient égarés. Les deux chasseurs durent revenir sur leurs pas. Arrivés près de l’endroit où ils avaient vu le lion, ni l’un ni l’autre n’étaient tranquilles ; pourtant, comme de ce côté le terrain était nu et que l’on pouvait voir de loin, ils avancèrent toujours : le formidable rôdeur n’y était plus, et ils purent se croire débarrassés de son voisinage. Le sable portait des empreintes bien reconnaissables autour de deux creux au fond desquels il y avait encore un peu d’eau. Dévorés par la soif qui commençait à brûler leur gosier, Stéphen s’agenouilla au bord du premier, M. Arnaud près de l’autre. — Cette eau est chaude à soulever le cœur, dit l’un. — Et le lion a sali celle-ci ! ajouta l’autre en rejetant la première gorgée avec une grimace arrachée par le goût révoltant et l’odeur ammoniacale de ce breuvage.

Plus loin, un arbre immense couvre de son ombre un îlot que le torrent entoure de ses bras de sable : ils n’en étaient guère qu’à cinquante pas, lorsque, sans même se communiquer leur pensée, tous deux s’arrêtèrent en même temps ; le lion était couché au pied de l’arbre. Au bruit de leurs pas sur les galets charriés par les pluies d’orage, le roi du désert venait de soulever son énorme tête et les regardait passer.

Arrivés enfin au point de départ, c’est-à-dire au puits de Tadali qu’entouraient quelques Bédouins, et la soif étanchée, le Grec Stéphen voulut se reposer : il n’en pouvait plus, disait-il. Un des Bédouins pétrissait une poignée d’argile : quand cette terre eut le degré de souplesse et de ductilité voulu, il se mit à en faire une sorte de pipe informe, qu’il remplit de tabac grossièrement coupé ; cela fait, il alluma avec son briquet un morceau de moelle d'ochar (portulacca tomentosa), et deux secondes après ses lèvres, appliquées sur l’ouverture pratiquée au bas du godet, aspirèrent d’épaisses bouffées de fumée. Une fois l’estomac plein d’eau et de fumée, les deux chasseurs cherchèrent à faire comprendre aux Bédouins qu’ils avaient besoin d’un guide ; mais tous leurs efforts furent inutiles, et ils ne purent en tirer d’autre réponse que celle-ci : Mitou (qu’est-ce) ? Heureusement, M. Arnaud se souvint que nous allions à Eylat, et le mot rial ou thaler[12], prononcé à la suite du nom du lieu, ouvrit toutes ces intelligences comme par miracle : la langue de feu tombée sur chacun des apôtres du Christ ne dut pas opérer d’une manière plus complète ni plus rapide. Les Bédouins tinrent conseil un moment, puis l’un d’eux se leva, prit sa lance, jeta son bouclier en peau d’éléphant derrière le dos, et leur fit signe de le suivre. Les chasseurs et leur guide étaient en marche depuis plus d’une heure lorsque la détonation d’un coup de fusil parvint à leurs oreilles et fut bientôt suivie d’une autre c’étaient les deux derniers coups de fusil tirés par moi, dont l’écho leur renvoyait le bruit. — Du moment où nous nous trouvions réunis, le guide devenait inutile ; mais, nul de nous n’ayant de l’argent sur lui pour le payer, et le Bédouin comptant trop sur une part du déjeuner des blancs qu’il venait de tirer d’un cruel embarras pour être tenté de rebrousser chemin, il ne fit aucune difficulté pour nous suivre.

Le but de notre exploration était atteint, nous avions retrouvé nos compagnons égarés, et nous pûmes nous remettre en route. Nous arrivâmes bientôt à Saati, où nous passâmes la nuit. Une tempête et une chasse, la mer et le désert, les dangers d’une navigation sur le golfe Arabique et les fatigues d’une course périlleuse, telles étaient les premières émotions de notre pèlerinage ; tels sont aussi les incidens trop ordinaires d’un voyage dans une partie de l’Afrique qui ne sera long-temps encore pour les Européens qu’une terre primitive.


III

La vallée de Saati, que nous avions choisie pour lieu de halte, est entourée de rochers calcaires. Le fond de ce gouffre désolé est occupé d’un côté par une mare qu’entretiennent des sources invisibles, de l’autre par un filet d’eau saumâtre qui sort de terre pour aller se perdre à quelques pas de là dans le sable, et au milieu, par un espace de terrain sur lequel des gommiers rabougris se tordent au soleil. La mare, peuplée de tortues qui viennent de temps à autre dormir à la surface de l’eau, est le rendez-vous de tribus de saksak, de vanneaux porte-lambeaux, de raies, de glaréoles à collier noir, de petites bécassines à bec rose. Un peu avant le coucher du soleil, il tomba sur les bords de la flaque d’eau des nuées de gangas-cathas accourus de tous les points du ciel ; c’était une fourmilière d’oiseaux qui se disputaient une place, buvaient et repartaient par volées pour regagner les lieux arides où ils se plaisent. Après les cathas vinrent les francolins, et après ceux-ci les pintades descendirent par troupeaux des montagnes voisines. Nous avions assez de gibier pour n’être point tentés d’en tirer encore, et gangas, francolins et pintades purent se désaltérer impunément à portée de nos fusils. Il en fut de même de quelques gracieuses gazelles qui se glissèrent timidement jusqu’au bout le plus reculé du petit lac, courbèrent coquettement leur jolie tête vers l’eau, puis, après nous avoir regardés un instant, s’enfuirent par petits bonds. Cependant, lorsqu’avec les premières ombres de la nuit arrivèrent des légions de chacals, brigands effrontés qui parcourent ces déserts ; quand parurent les hyènes impures par groupes de dix à douze ensemble, ce fut une décharge générale de toutes nos armes, et hyènes et chacals s’enfuirent en hurlant sous le plomb meurtrier. Plus tard encore, le lac fut visité par d’autres animaux plus redoutables. Un des nôtres qui s’était un peu écarté du bivouac put voir deux panthères passer comme des ombres dans les touffes de seyâl, et vers le milieu de la nuit nous fûmes réveillés par le rauque rugissement du lion, dont les éclats remplirent toute la gorge. Nos bêtes de somme, inquiètes et tremblantes de frayeur, se levèrent pour se rapprocher des hommes et des feux de veille. Les Abyssins jetèrent aussitôt quelques brassées de bois sec sur nos feux, dont un moment les rouges réverbérations ressuscitèrent en quelque sorte, au milieu des ténèbres, ce lugubre paysage de rochers. Le rugissement du lion s’était à peine éteint dans l’éloignement, que les autres voix des solitudes recommencèrent un étrange concert de bruits vagues, de sons indistincts, couvert de temps à autre par le cri sinistre des hyènes. En dépit de ces sauvages harmonies nocturnes, nous nous allongeâmes sur nos tapis, et chacun se mit à dormir de son mieux en attendant le jour, qui était encore loin.

En quittant Saati au lever du soleil, avertis par l’exemple de nos deux compagnons, nous nous promettions bien de suivre de fort près les chameliers ; mais il en est du chasseur comme du joueur : nous marchions tout au plus depuis une heure, et déjà toute notre petite troupe avait quitté le sentier pour s’enfoncer dans le bois à la poursuite des gazelles et des beni-israïl. Il va sans dire que j’avais fait comme les autres, et, à l’entrée d’une gorge par laquelle la route qui monte vers l’Abyssinie franchit une chaîne de collines, dernier soubresaut de la pente du Bahr-Nagach[13] vers la mer Rouge, je me fusse trouvé dans une incertitude peu agréable, si le hasard n’eût amené presque en même temps que moi dans cette gorge trois de nos hommes. C’étaient le petit Gabrio, Gazaïn, le chasseur de M. D…, et Mohammed-Cotten, le chef de nos chameliers.

Gabrio, esclave galla de douze à treize ans, appartenait au consul britannique en Abyssinie[14]. Son maître, alors en Angleterre, sans doute pour ne point attirer sur lui l’attention des saints membres de l’Anti-Slavery-Society, n’avait point jugé à propos de l’emmener à Londres, et avait préféré le laisser en dépôt à M. D… Je n’ai pas autre chose à dire de Gabrio, si ce n’est que, grace aux leçons du chasseur Gazaïn, il se servait déjà d’une manière très passable d’un fusil qu’un voyageur blanc lui avait donné en échange de quelques petits services, fusil qu’à ses heures inoccupées l’enfant caressait avec tendresse, et dont la possession le consolait et de sa liberté perdue et des siens qu’il ne reverrait jamais.

Gazaïn était un Abyssin de vingt-sept à vingt-huit ans, de moyenne stature. Malgré la couleur brun-foncé de sa peau, son nez aquilin, ses lèvres fines et les pommettes de ses joues peu saillantes accusaient évidemment l’origine sémitique de la race à laquelle appartiennent presque toutes les populations de l’Amhara[15]. Son costume se composait d’un caleçon s’arrêtant bien au-dessus du genou, selon la mode de son pays, et collant de façon à dessiner la moindre saillie des muscles ; d’un couari[16] à large bordure rouge, sorte de couverture dans laquelle chacun se roule, et dont les longs plis rappellent souvent les draperies antiques ; enfin d’un cordon de soie bleue passé à son cou, signe par lequel les chrétiens de l’Abyssinie se distinguent des musulmans. À la chasse, il nouait autour de sa tête le fourreau en drap écarlate dans lequel il serrait soigneusement chaque soir son fusil à deux coups. Une courroie de cuir soutenait sa poire à poudre, faite d’une corne d’antilope curieusement ouvrée, ainsi qu’un robuste couteau et quelques sacs à mettre son plomb et ses balles. Il y avait sur sa figure un air de franchise et de gaieté qui était le fond de son caractère ; mais quand la crosse de son fusil venait s’appuyer brusquement à son épaule droite, et que le bout du canon suivait les mouvemens saccadés d’une panthère ou les bonds d’une gazelle, ses narines se dilataient, et sa prunelle s’allumait d’un éclair de passion sauvage, d’audace et de ruse qui échappe à toute description.

Sauf le caleçon et la manière de porter les cheveux, le costume de Mohammed-Cotten différait peu de celui de Gazaïn. Le cordon de soie bleue était remplacé par le chapelet aux grains de verre jaune des musulmans, et le fusil par la daraga (bouclier) en peau d’éléphant, accompagné d’un long sabre droit à double tranchant, à poignée en fer figurant une croix, et d’une zagaie de six pieds de long. Des sachets en maroquin rouge, renfermant de précieuses amulettes, ornaient son bras gauche ; et comme le chef de nos chameliers était aussi le musicien de la bande, il ne se mettait jamais en voyage sans jeter derrière ses épaules une sorte de lyre à cinq cordes, dont la caisse sonore consistait en une moitié de calebasse recouverte d’une peau grossièrement tendue. Quant à la chevelure, que l’on imagine une tête bistre, perdue dans une forêt de cheveux taillés comme les perruques à la mode sous la fin du règne de Louis XIV, beurrés journellement, et inondés les jours de fête de gouttelettes de suif qui, en se caillant, avaient l’air d’une couche de neige. Une aiguille en bois d’un pied de long, toujours fichée dans les boucles, tenait lieu de peigne[17].

Or, Mohammed-Cotten était à dix lieues à la ronde un modèle d’élégance, de même qu’il n’avait point d’égal pour la bonne mine, pour la vivacité de la repartie, pour ses chansons et aussi pour son habileté de voleur. Il ne faudrait pas croire que ce dernier genre de supériorité projetât la moindre tache sur une aussi brillante réputation ; ces gens-ci ne font pas une grande différence entre le tien et le mien, et, en parlant de notre chamelier en chef, c’était tout au plus si les plus sévères ajoutaient : Iddou chouïé khafif ! (sa main est un peu légère.)

— Sais-tu où est le khawadgè[18] Arnaud ? demandai-je à Mohammed-Cotten, qui me répondit l’avoir vu passer avec M. D… Tranquillisé sur le compte de mon compagnon de voyage, je m’enfonçai avec les trois Abyssins dans le défilé étroit, difficile, qui s’ouvrait devant nous. Ici, la nature alpestre se mariait déjà à la triste végétation des basses terres. Des basilics géans, des menthes qui étaient des arbustes, mille plantes des montagnes aux magnifiques fleurs peuplées d’insectes richement colorés, poussaient par touffes vigoureuses entre les blocs de rochers qui avaient roulé au fond de la gorge. La montagne, coupée à pic, se dressait çà et là des deux côtés du chemin comme un mur de rocher, et les saillies de ce mur étaient occupées par l’aire des vautours ou des aigles. Nous étions déjà parvenus au milieu du défilé, lorsque nous entendîmes comme une meute de chiens aboyer devant nous.

El gourouth (les singes) ! dit Mohammed-Cotten, et, au tournant du chemin qui fuyait alors devant nous en ligne droite, nous pûmes voir arriver, longue et compacte, une colonne de l’espèce de singes dite cynocéphale. Il ne devait pas y avoir moins de deux mille de ces animaux, qui, selon toute apparence, gagnaient les sources de Saati, près desquelles nous avions campé la veille. Ceux qui marchaient en tête, entendant crier sous nos pas les cailloux du chemin, venaient de pousser le cri d’alarme que toute la horde répétait. Les vieux et les adultes marchaient dispersés dans la foule, surveillant les mouvemens de chacun, aidant complaisamment les femelles chargées de leur nourrisson, stimulant les paresseux à grands coups de pattes ; on apaisait les querelles qui survenaient entre les jeunes au moyen de bourrades distribuées aux agresseurs comme correction, aux victimes comme avertissement. Quand le cri d’alarme retentit, les vieux se portèrent en avant pour faire face au péril ; les petits, qui avaient quitté le dos de leur mère pour jouer sur le sable, se suspendirent aux reins de leur nourrice, se laissant emporter ainsi sur les flancs de la montagne. En un clin d’œil, le chemin, trop étroit pour la foule un instant auparavant, se trouva complètement libre ; les deux revers de la gorge se couvrirent pour ainsi dire d’une houle mouvante de dos et de têtes hideuses, et la crête des rochers se couronna en quelques secondes de plusieurs sentinelles qui ne cessaient de japper ou de grimacer ; tout cela grouillait, criait : c’était quelque chose d’étrange à voir et un tumulte assourdissant.

Alors seulement les mâles, auxquels donnaient un aspect féroce leur longue crinière, leur forme ramassée et pleine de vigueur, et surtout les longues canines qui débordent leur museau, les mâles, dis-je, commencèrent à battre en retraite lentement, presque à reculons, et toujours prêts pour un retour offensif. Gazaïn leur lâcha un coup de fusil, et l’un des plus gros tomba, la tête fracassée par une balle. L’explosion fit taire un instant tous les cris, et tous ces corps suspendus à la cime des rochers ou sur la pente rapide des mamelons voisins bondirent sur eux-mêmes, comme si une nappe électrique eût effleuré le sol et les eût touchés tous. Le groupe nombreux auquel appartenait le mort menaçait de se ruer sur nous, quand le malicieux Gabrio leur envoya un coup de gros plomb qui tomba au plus épais de la bande, et quelques cynocéphales piqués se roulèrent furieux sur le sable. Ce furent alors des hurlemens de douleur, des cris de rage, des gémissemens, des sanglots qui remplirent la vallée. En se décidant à la fuite, l’arrière-garde entraîna les blessés dans son mouvement de retraite, et emporta le cadavre de celui qu’avait abattu l’Abyssin : chacun le traîna un peu ; dans les endroits difficiles, deux, trois, quatre individus valides réunissaient leurs efforts pour faire franchir l’obstacle au corps du mort, tandis que les jeunes et les femelles s’attroupaient autour en poussant de longues plaintes.

— La tribu pleure celui qui vient d’être tué, dit Mohammed-Cotten. En effet, il y avait dans cette scène quelque chose de la douleur de l’homme quand un des siens a succombé, et à coup sûr je n’aurais pas voulu ajouter un second meurtre à celui commis par Gazaïn. Toutefois cela ne faisait pas le compte de Gabrio, qui, après avoir rechargé son fusil, l’avait appuyé sur une grosse pierre, et ajustait longuement avec de minutieuses précautions. Le coup partit, et un singe, tranquillement assis sur la plus haute crête de la montagne, roula de rocher en rocher jusqu’à un arbre qui avait poussé dans une crevasse entre deux blocs à pic. De cet arbre au fond de la gorge, il y avait encore une cinquantaine de pieds au moins. Le malheureux animal avait eu les flancs traversés par la balle un peu au-dessus des cuisses ; aussi, le train de derrière ayant perdu tout mouvement, il ne put se retenir à l’arbre que par ses mains antérieures. De sa blessure, l’on voyait le sang s’échapper goutte à goutte. C’était une femelle, et sur son dos un petit s’agitait avec des signes d’une terreur indicible, tandis que la mère poussait des cris de détresse, en regardant le haut du rocher où des milliers de têtes penchées au-dessus de l’abîme contemplaient son agonie.

L’épouvante avait rendu toute la horde mnette : seulement quelques mâles se démenaient, allaient, venaient en tout sens, comme s’ils eussent cherché du secours pour leur sœur blessée, dont les forces diminuaient à vue d’œil, et dont les gémissemens avaient un accent lamentable qui me fit pitié. Je la couchai en joue, et, deux secondes plus tard, le pauvre animal tombait à terre, au milieu d’une touffe de grandes herbes. Le petit, sain et sauf, se détachait du cadavre, et le secouait avec des grimaces et des cris déchirans. Gabrio s’élança pour le ramasser, et, pour garantir l’esclave des pierres[19] que du haut de la montagne lui lançaient les cynocéphales, nous déchargeâmes, l’Abyssin et moi, nos fusils en l’air : la détonation éloigna un moment les singes, et le petit Galla vint nous rejoindre avec son prisonnier. Alors seulement toute la horde se remit en route en poussant de longues clameurs, et, de notre côté, nous continuâmes notre marche.

D’abord sauvage et maussade, le petit cynocéphale avait déjà oublié la terrible scène qui venait de se passer, et fut bientôt familier avec son protecteur. Gabrio était ravi, et, tout en berçant son prisonnier, il lui promettait mille douceurs inconnues ; puis il ajoutait à mi-voix, avec un éclair dans les yeux : — Orphelins et esclaves tous deux, nous grandirons pour être un jour libres tous deux ! Nous nous en irons ensemble dans les forêts de caféiers des Borem-Gallas[20], où les tiens abondent, et qui sait ? — Il fut ensuite question de donner un nom au singe. Gazaïn proposait de lui donner celui d’Abba-bo-Guibo ; c’était le nom du roi qui avait fait tuer à coups de lance le père du petit Galla, et qui l’avait vendu lui-même aux marchands d’esclaves. Gabrio s’y opposa, sous prétexte qu’il y avait une voix maudite qui répétait ce nom abhorré à ses oreilles assez souvent pour qu’il fût inutile de le donner encore à une malheureuse bête qu’il étranglerait un beau jour en souvenir de son patron. Enfin la dénomination de grain de poivre (felfel), très communément appliquée dans le pays aux chiens, aux chameaux, etc., fut adoptée par l’Abyssin et son élève.

Vers midi, nous traversions la vallée et le village d’Eylat sans remarquer qu’il était vide d’habitans. Arrivés à un autre massif de hautes collines qui pourtant n’ont l’air que de taupinières au pied de la grande chaîne qu’elles longent, nous nous engageâmes dans une vallée rocheuse que parcourt un filet d’eau d’une température très élevée à sa source, et qu’à cause de cela les Arabes appellent Moïet-el-Har (la vallée de l’eau chaude), et les gens du pays El-Mlothad. Une fois parvenus aux sources qui fument à la surface du roc mis à nu par le passage des eaux torrentielles qu’amènent les pluies d’orage, nous nous mimes en quête d’un endroit convenable pour y dresser notre tente ; mais ce ne fut guère que vers l’heure de la prière de l’asser (trois heures et demie de l’après-midi) que le reste de la caravane et les bagages nous y rejoignirent.

Les chameliers avaient l’air tout effarés, et nous dirent que le chef d’un canton de l’Amacen[21], Oueld-Gaber, avait fait irruption dans le pays musulman avec trois mille de ses costanis ou chrétiens abyssins. Le matin, ajoutaient-ils, Oueld-Gaber avait opéré une razzia sur les troupeaux des camps bédouins établis à Mansa, à Gat-Gat, à M’gattal ; en ce moment, il était au village d’Assouz, et marchait sur celui d’Elylat, que nous avions à une heure seulement derrière nous. On parlait d’une centaine d’hommes tués et de près de dix mille têtes de bétail enlevées. Quant au prétexte de cette attaque, il n’était que trop légitime ; l’un des enfans d’Oueld-Gaber avait été volé quelques mois auparavant par les Bédouins des tribus musulmanes, et vendu comme esclave sur l’autre côté de la mer Rouge.

Alors il fut tenu quelque chose comme un conseil. Les chameliers opinèrent pour une retraite immédiate. Sélim l’Ousta, le maître canonnier, haussa les épaules et se remit à fumer impassiblement son chibouk, après avoir appliqué indistinctement aux deux parties belligérantes l’expression de mépris puzévenkler, si familière aux Turcs et que l’on me dispensera de traduire. Quant à M. D., il affirmait que non-seulement les Abyssins ne pouvaient nous considérer comme leurs ennemis, mais qu’en outre il était lié avec leur chef, et qu’en tout cas, vingt hommes armés jusqu’aux dents comme nous l’étions, parmi lesquels on pouvait compter six ou sept tireurs d’élite, pourraient, en gagnant le sommet presque inabordable de l’une des collines qui nous entouraient, tenir tête au Raz-Ali[22] en personne avec ses cinquante mille cavaliers. La délibération en était là, quand, au bout de la vallée, nous vîmes paraître un tourbillon de sable derrière lequel s’avançait comme un ouragan dont le passage ébranlait le sol. Des cris d’hommes, des mugissemens de boeufs, des bêlemens de chèvres ou de moutons, accompagnaient le nuage de poussière, qui arrivait sur nous avec une effrayante rapidité. Familiers avec les scènes de la vie nomade, les chameliers prétendirent que ce n’étaient que les troupeaux de la vallée et du village d’Eylat que les pâtres chassaient dans les montagnes pour les soustraire à l’ennemi, et Mohammed-Cotten nous assura que, si les Costanis étaient à leur poursuite, nous entendrions déjà le cri de guerre dominer tout le tumulte. C’était la vérité. Un quart d’heure après, d’immenses troupeaux défilaient devant nous, escortés par des hommes armés de boucliers, de lances, de massues d’ébène, et excitant la marche de leurs bestiaux par des cris étranges, auxquels le bouclier qu’ils appuyaient sur leurs lèvres donnait une intonation plus étrange encore. Des femmes vêtues de peaux de boeuf, des enfans entièrement nus, de grandes jeunes filles dont tout le costume se composait d’une ceinture bordée de lanières mobiles, tout cela formait autour du troupeau un cordon chargé de ramener les animaux qui auraient pu s’écarter. Malgré les difficultés du chemin, le troupeau et son escorte fuyaient avec une rapidité qui ajoutait quelque chose de fantastique à cette scène bizarre ; bientôt il disparut dans des ravines profondément encaissées, au milieu d’un chaos de pitons qui grandissent à mesure que l’on s’avance vers l’ouest, et se revêtent de forêts au-dessus desquelles émergent çà et là des sommets chauves.

Derrière le troupeau venaient des Bédouins un peu mieux armés, et dont quelques-uns avaient des fusils à mèche : c’étaient les hommes l’élite de la tribu, qui, sous le commandement du scheikh, se disposaient à défendre certains passages difficiles, afin de retarder la marche de l’ennemi. Leur chef vint à nous, prit la main de M. D., et, après l’avoir serrée, porta la sienne à ses lèvres comme pour baiser la place qu’avait touchée celle de l’agent consulaire, en prononçant la formule arabe ahlan ou sahlan (sois le ’bienvenu) ! Puis il passa de l’un à l’autre, répétant pour tous indistinctement le même cérémonial. Mohammed-Nouraï (c’était son nom) ne se distinguait des siens que par son taub[23] un peu plus blanc, par sa tête rasée, preuve qu’il avait accompli le pèlerinage aux lieux saints imposé à tout musulman, enfin par une calotte recouverte extérieurement de petits losanges de soie de toutes les couleurs. Un esclave noir portait son fusil et son sabre. Le scheikh avoua franchement qu’il se considérait comme sauvé par notre présence, à cause de l’effet que nos armes à feu devaient produire sur les Costanis, en supposant qu’il leur prît fantaisie de fouiller les ravins au fond desquels ses hommes venaient de conduire le troupeau ; mais, s’il était tranquille de ce côté, il tremblait pour son frère Fokad, l’un des plus intrépides chasseurs de Samhar. — Il y a trois jours, nous dit le chef d’Eylat, on est venu le prévenir qu’une nombreuse troupe d’éléphans était descendue des montagnes vers la vallée des citronniers à une journée d’ici, et depuis avant-hier il est dehors avec son esclave et son dromadaire. Il est vrai que le dromadaire est un admirable coureur, et que le nègre est un homme dévoué ; ils ont d’ailleurs fait provision de poudre et de balles. Cependant je ne suis pas tranquille. Je lui ai expédié aujourd’hui deux hommes qui sont déjà de retour sans l’avoir vu. Je crains qu’il n’ait suivi les éléphans de la vallée des citronniers dans celle de Massenaï, où ces animaux se seront probablement réfugiés, et qu’en remontant vers leur pays ces chiens de Costanis ne prennent par le chemin d’Akhouar ; alors ils trouveraient Fokad sur leur route, et, si cela arrive, mon frère, qui leur a déjà tué tant d’hommes, est perdu.

En ce moment, un Bédouin arrivait en courant : c’était une des vedettes que le scheikh avait échelonnées sur les hauteurs pour épier les mouvemens de l’ennemi. Les Abyssins venaient de dépasser le grand torrent peu éloigné de l’ouverture de la vallée de l’Eau-Chaude ; mais ils n’étaient guère que deux cents hommes, le gros de la troupe s’était dirigé sur Akhouar. C’était précisément ce que Mohammed-Nouraï craignait. « Que Dieu ait pitié de mon frère ! » s’écria le scheikh, qui n’écoutait plus, et dont la figure trahissait une terrible émotion. C’est en vain qu’on essaya de l’arracher à ses lugubres pressentimens. Un quart d’heure s’écoula, au bout duquel survint une seconde vedette. Les Abyssins étaient tout près, et devant leurs éclaireurs les Bédouins chargés de donner l’alarme se repliaient de cime en cime.

« Qu’Allah et son prophète nous soient en aide ! » s’écrièrent les musulmans en se disposant au combat, c’est-à-dire en roulant leur taub autour du corps, de manière à ne laisser à nu que les jambes et les bras, enveloppant tout le reste de plis assez épais pour amortir un coup de lance. Chacun assura son bouclier au poing gauche, brandit sa zagaie de la main droite, et alors commença une pyrrhique dont chaque mouvement est un saut sur place ou un bond de côté, comme pour éviter les coups ou le choc d’un adversaire. Tout en dansant, chacun criait son nom et le nom de son père, avec accompagnement d’épithètes passablement élogieuses ; puis vint l’énumération des hauts faits de la tribu, de la famille et des prouesses de l’individu. De temps à autre, ce récit emphatique était interrompu par le cri de guerre, hurlement sauvage où il y avait du rugissement du lion mêlé à la voix sinistre de l’hyène. De notre côté, nous nous étions portés un peu en avant des Bédouins, et, accroupis au milieu de la vallée, chacun étala sur le sable, à portée de sa main, des balles et des amorces, pour n’avoir point à perdre de temps à les chercher au moment de faire feu si cela devenait nécessaire.

Enfin les Abyssins parurent. Ils s’avançaient, déployés sur plusieurs rangs qui occupaient toute la largeur de la gorge. Eux aussi dansaient en hurlant le chant de guerre. Leur costume ne différait de celui des Bédouins qu’en ce qu’ils portaient au cou, en manière de pelisse, les uns une peau de lynx ou de panthère, les autres une peau de mouton avec toute sa toison ; fourrures déchiquetées en bandes assez larges, qui retombaient sur le bras gauche, et qui, dans les bonds de la danse par laquelle l’on prélude en Abyssinie à tout combat, s’agitaient comme des serpens autour de chaque guerrier. De part et d’autre, les invectives commençaient à s’échanger, et il était évident que nous allions assister, prendre part même à un de ces combats homériques où chaque coup de lance, chaque coup de sabre est accompagné de bravades insultantes ; mais, afin de demeurer maîtres de nos mouvemens, il ne nous convenait pas de laisser s’approcher davantage des agresseurs peu redoutables, bien que supérieurs en nombre, attendu qu’un seul d’entre eux était armé d’un fusil qui semblait en mauvais état. M. D… leur fit signifier par un de nos serviteurs abyssins d’avoir à se retirer immédiatement, si mieux ils n’aimaient laisser bon nombre des leurs sur le terrain pour le souper des hyènes. Il fut répondu à cette sommation que les blancs étaient des chrétiens, et qu’à ce titre nous ne devions point prendre parti contre eux et pour les musulmans. — Oui ; mais, ajouta le serviteur de M. D…, les blancs aiment peu les voleurs, même chrétiens, surtout lorsqu’ils ne sont qu’à quelques pas de leur tente. Allez-vous-en, je vous le conseille, moi qui suis Costani comme vous.

Il fallait en finir. Des deux côtés, les têtes s’exaltaient. Quelques gouttes de sang répandues, et toute l’ardente haine que ces deux races ennemies nourrissent l’une contre l’autre depuis douze siècles allait éclater furieuse, implacable. D’ailleurs, pendant que les Abyssins parlementaient avec notre domestique, seulement pour obtenir notre neutralité, quelques-uns d’entre eux cherchaient à se glisser de rocher en rocher, et celui qui avait un fusil escaladait une butte voisine, du sommet de laquelle il nous dominait. Dès que nous vîmes la mèche fumer dans ses mains, deux ou trois fusils s’abaissèrent dans sa direction, et, sur ce seul signe, le Costani s’enfuit en se laissant couler sur le dos jusqu’au bas de la colline. C’était d’un bon augure. — Aman ! aman ! (la paix ! la paix !) s’écrièrent ces hommes si braves tant qu’ils avaient espéré n’avoir à faire qu’aux musulmans, mais dont un dixième au moins devait tomber sous notre première décharge. Personne ne fit feu ; mais les terribles fusils ne se relevant pas, ce fut un sauve qui peut général. Tout en se tenant derrière nous, les Bédouins poursuivirent les fuyards de leurs huées. De ce moment, nous pouvions dormir sur nos deux oreilles. Oueld-Gaber, sachant que les tribus qu’il venait de piller ne tarderaient point à se réunir pour lui courir sus, devait forcément regagner les montagnes avant la nuit, et profiter des ténèbres pour mettre son butin en sûreté. Néanmoins les hommes que nous venions de sauver d’une razzia se tenaient toujours sur le qui vive, et leurs vedettes reprirent leur poste sur les hauteurs ; mais ce fut une précaution inutile : le détachement qui avait osé nous attaquer disparut pour ne plus revenir.


IV

Mohammed-Nouraï, qui nous avait quittés un moment, revint peu après poussant devant lui deux moutons qu’il nous destinait, tandis que ses gens apportaient du lait dans des couffes goudronnées en dedans. Ce devoir de l’hospitalité rempli, le scheikh alla s’asseoir à l’écart, sombre et muet ; évidemment il songeait au péril que courait son frère ; puis la nuit se fit noire et pluvieuse. Nos feux de bivouac s’allumèrent, et Aïlou avec tous ses aides se mit à l’œuvre pour le repas du soir. Le chef du village fut invité. Ce fut à peine s’il toucha à quoi que ce fût. Tout à coup il fit signe à chacun de se taire, et le cou tendu, respirant à peine, la tête penchée du côté des montagnes du sud-ouest, il écouta quelques instans, et son doigt, se levant lentement, désigna un point de l’horizon. Nous écoutions aussi, et, au bout de quelques secondes, nous pûmes saisir un son lointain, pareil à l’explosion d’un coup de fusil. Ce son si faible fit bondir Mohammed-Nouraï, qui s’élança hors de la tente en criant : — A moi, les enfans du Naïb ! Les Bédouins se pressèrent autour de leur chef. — J’ai entendu le fusil de Fokad parler dans cette direction ; il doit être aux prises avec l’ennemi ; qui vient avec moi à son aide ? — Il n’y eut qu’une seule voix : — Tous ! et Mohammed-Nouraï s’éloigna rapidement au milieu des ténèbres.

Pour éviter toute surprise de la part des hommes aussi bien que des bêtes fauves, qui profitent de l’obscurité pour venir à l’eau, il fut décidé que nous aurions deux factionnaires chargés d’entretenir nos feux, dont la clarté inondait le terrain à plus de cent pas autour de notre petit camp. Ces factionnaires devaient se relever d’heure en heure, et, comme il ne faut point compter sur les indigènes pour cette garde nocturne, ce soin nous revenait exclusivement. Toutefois les sentinelles ne furent posées que bien avant dans la nuit. Jusque-là personne ne songeait à dormir, et les Bédouins, accroupis autour de notre chamelier en chef, l’écoutèrent tourmenter pendant de longues heures les cordes de sa lyre. Le barde du désert chantait de molles chansons d’amour, des hymnes consacrées aux héros du clan, ou de malicieux sirventes à l’adresse de quelque mari jaloux et trompé ; puis, comme la pluie tombait, chacun chercha un abri, et le bruissement monotone des gouttes d’eau sur les feuilles des arbres ou sur la toile de la tente assoupit toutes les voix de la solitude, même celle des petites cascades par lesquelles la source coule de marche en marche sur son lit de rochers.

Quand le jour parut, la pluie avait cessé. Le soleil se leva dans un ciel radieux, au milieu duquel nageaient encore quelques légers nuages que les premières clartés de l’orient coloraient déjà. Le vent du matin berçait de ses caresses les rameaux de la forêt tout humide, et charriait cette senteur de végétation douce et saine que les poumons aspirent avec délices. Des chacals attardés regagnaient leur demeure souterraine, les pintades s’éveillaient dans les bois, les merles moqueurs, perdus sous l’épaisse feuillée, chantaient des gammes douces et claires comme celles de l’harmonica, et des tisserins jaunes gazouillaient de joyeux refrains au bord de leur nid en poire, suspendu par un fil à l’extrémité de chaque branche de gommier.

Deux heures de soleil ayant séché la terre, nous nous mîmes en route. La veille, tout en fumant le chibouk après le repas du soir, nous avions comploté une chasse aux gazelles. Il s’agissait de remonter la vallée de l’Eau-Chaude, qui, à deux lieues de là, n’est plus séparée de la plaine d’Assouz que par un chaînon de peu d’épaisseur ; ce chaînon franchi, nous nous trouvions au milieu de l’espace qui sépare le village de Gomoth de celui d’Eylat. Toute cette vallée très longue, et qui, sur quelques points, n’a pas moins de trois ou quatre lieues de large, est remplie par une mer de seyâl hauts de cinq ou six pieds seulement, au maigre feuillage, sur lequel tranche le vert sombre de quelques garças égarés loin des collines. Deux torrens courent comme de grands serpens au milieu de la forêt naine, et de loin en loin des acacias niloticas, des athels géans au feuillage glauque, et quelques autres arbres qui atteignent des proportions colossales, marquent les sinuosités de ces fleuves éphémères, dont le lit, presque toujours à sec, est semé de portulacca aux larges feuilles cotonneuses.

Il pouvait être dix heures du matin lorsque nous atteignîmes le premier de ces torrens. Sur le sable encore humide, de nombreuses traces toutes fraîches prouvaient qu’une troupe d’arabat[24] avait passé là le matin, les gazelles préférant ces larges voies presque nues aux sentiers pleins d’embûches qui s’enchevêtrent dans les halliers où les lions, les panthères, les léopards et deux ou trois variétés de lynx guettent leur passage. Nous chassions devant nous des pintades, des beni-israïl, qui sifflaient en passant avec la rapidité d’une flèche, et des familles de phacochères qui, dans leur fuite, courbaient comme des touffes de gramen les tiges des portulacca ; mais nous ne voulions point de ce gibier, et personne ne daigna leur lâcher un coup de fusil.

Cependant la journée s’avançait, et nous ne découvrions point de gazelles. Gazaïn était visiblement mécontent. Rentrer sans gazelles, quand la nuit il avait vu d’interminables troupes de ces animaux défiler dans ses songes, cela lui semblait honteux. Son regard parcourait lentement le terrain tout autour de nous, plongeait dans chaque éclaircie du bois et interrogeait le sol, tandis que ses narines flairaient l’air, comme si à l’odorat il eût pu reconnaître la présence du gibier que nous cherchions. Nous venions d’atteindre alors un point où le torrent se bifurquait, comme si c’eût été le confluent de deux torrens secondaires. Dans cette supposition, il était vraisemblable que le troupeau d’arabat (gazelles) ne devait pas être allé bien loin, et qu’il avait dû gagner la forêt, le lit des deux petits cours d’eau étant trop étroit pour qu’il y fût en sûreté ; mais avec sa sagacité infaillible, l’Abyssin, pour lequel les choses les plus insignifiantes étaient des indices sûrs, observa encore que l’espace que nous supposions compris entre deux torrens différens n’était pas autre chose qu’une île vers laquelle il se dirigea, et bientôt nous le vîmes revenir vers nous en courant. Sa figure rayonnait. L’île est remplie de gazelles ! nous dit-il.

Nous étions sous le vent des arabat, ce qui devait simplifier nos dispositions. Nous nous séparâmes pour aller nous embusquer sur les deux rives, tandis que le chasseur de M. D. se chargerait de pénétrer dans l’île. Gazaïn ne devait commencer son mouvement que lorsque tout le monde serait à son poste. Alors il laissa tomber son couari blanc et son turban rouge, arrangea son couteau et ses sacs à plomb de manière à éviter tout choc bruyant, et retourna vers l’île, où il se glissa en rampant comme une couleuvre d’arbre en arbre. Tout cela avait pris un certain temps, et pour mon compte je commençais à m’impatienter, lorsque je pus voir une gazelle se lever et faire face au point par lequel arrivait l’Abyssin. À un autre mouvement de Gazaïn, qui sans doute fit crier quelque feuille sèche, l’inquiétude de l’antilope toujours immobile se trahit par un cri semblable au bruit que fait un homme en toussant. À ce cri, d’autres gazelles se levèrent, se tournèrent aussi vers Gazaïn, puis toussèrent à leur tour ; de proche en proche, l’alerte se propagea, et tout le troupeau, couché dans l’herbe cinq minutes avant et tout-à-fait invisible, fut sur pied : il y avait plus de trois cents arabat réunies sur cette île verte et fraîche, que les cimes des grands arbres couvraient de larges pans d’ombre. Les plus rapprochées de Gazaïn ne bougeaient pas plus que si elles eussent été de marbre. Celles qui étaient plus en arrière bondissaient d’impatience, ou battaient la terre de l’une des jambes de devant. Les unes, les vieux mâles par exemple, aux longues cornes tordues, au pelage presque blanc, avaient la taille d’un veau ; d’autres étaient grandes comme des chèvres ; il y avait aussi des faons qui, ne comprenant rien à cette panique, allaient, venaient ou tournaient autour de leur mère, insoucieux du danger inconnu. C’était quelque chose de beau à voir ; mais quand le premier coup de feu de l’Abyssin retentit, suivi de près d’un second, quand tout le troupeau effaré bondit en bramant de terreur, le nez au vent, les cornes couchées sur le cou, les quatre jambes réunies sur un espace grand comme la main pour se détendre comme un ressort d’acier, le spectacle de ces gracieux animaux s’élançant sur le sable du torrent et emportés dans une course rapide comme l’éclair devint vraiment admirable.

Nous en avions abattu quatre, sans parler de quelques autres que nous pouvions voir se traîner sur les traces du troupeau. Personne ne fut tenté de les poursuivre : celles-là étaient à coup sûr destinées aux panthères. Nous courûmes à celles restées sur le terrain. Deux vivaient encore et se débattaient dans le sang ; des pleurs tombaient goutte à goutte de leurs larmiers ; c’était pitié d’entendre leur dernière plainte sous le couteau de Gazaïn, qui leur coupait la gorge[25] avant de les vider. L’Abyssin était ému lui-même, et chaque fois qu’il répétait son opération, le mot meskin (l’équivalent de pauvre bête) tombait de ses lèvres comme un remords.

Pour regagner la vallée de l’Eau-Chaude, chacun de nous dut porter à son tour une de nos quatre pièces de gibier : ce ne fut qu’après une grosse heure de marche que nous rencontrâmes un Bédouin qui nous loua son âne, sur lequel on les chargea toutes. Il pouvait être deux heures de l’après-midi, lorsque nous arrivâmes à notre petit camp. Comme tout le monde était fatigué et que nous avions plus de gibier qu’il ne nous en fallait, personne ne songea à retourner à la chasse ce jour-là Le reste de la soirée se passa donc, sous la tente, à fumer et à causer. Gazaïn et Gabrio lavaient les fusils, et leurs compagnons aidaient Aïlou dans ses doubles fonctions qui consistaient à préparer des oiseaux avec une assez grande habileté, talent qu’il devait à un Européen, M. Schimper[26], et à confectionner d’une manière supérieure une soupe aux pintades, un civet de lièvre, des côtelettes d’arabat et un rôti de beni-israïl. Quant aux chameliers, ils étaient au moins aussi occupés, rien qu’à regarder faire les autres.

Un peu avant le coucher du soleil, le ciel s’assombrit, et bientôt commença une pluie fine, mais opiniâtre, qui ne cessa que le surlendemain, et nous retint pendant tout ce temps prisonniers sous la tente. Le sol étant trop profondément, détrempé pour se hasarder à faire un pas dehors, il fallut renoncer à chasser. D’un autre côté, nos gens n’ayant d’autre abri que quelques fagots de ramée disposés en hangar, nous ne pouvions songer à les laisser plus long-temps à la belle étoile sans nous exposer à avoir des malades. Le soir du troisième jour de pluie, nous gagnâmes donc le village d’Eylat, où nous étions sûrs de trouver des huttes vides pour nous loger cette nuit.

Une scène de deuil nous y attendait. Au milieu du cercle sur lequel sont rangées les cabanes des Bédouins, un troupeau de femmes à peu près nues et les crins au vent dansaient autour d’une vieille dont la figure était souillée de poussière. Ces femmes pleuraient la mort de Fokad, le chasseur d’éléphans. La mère du défunt tenait un sabre nu à la main ; lorsque les vociférations du chœur s’arrêtaient, elle entonnait sur un rhythme lugubre quelques vers dans lesquels elle célébrai l’adresse du chasseur, la bravoure et les combats de son fils contre les Abyssins, récit auquel la pauvre mère mêlait l’expression de son désespoir. Quand ses sanglots suspendaient l’improvisation, le chœur recommençait à hurler en dansant autour de la mère du mort. Ici comme dans presque tout l’Orient et comme chez les anciens, la perte d’un membre de la famille, tout aussi bien que la naissance d’un fils, donne lieu à un repas dans lequel les vivans disent adieu à celui qui veut de quitter la terre. Mohammed-Nouraï avait fait tuer dix chameaux pour ce repas funèbre, qui devait commencer à la nuit et auquel il avait convié tout le village. Bien qu’occupé à en surveiller les apprêts, il trouva un moment pour venir nous rendre visite, rien, pas même l’affliction, ne dispensant de l’accomplissement des devoirs l’hospitalité envers l’étranger.

On se souvient qu’après la retraite des maraudeurs d’Oueld-Gaber, Mohammed-Nouraï nous avait quittés au moment où des coups fusil tirés bien loin dans la montagne s’étaient fait entendre. En quelques heures, il atteignit avec ses hommes une vallée que d’autres détonations lui désignaient comme le théâtre de la lutte entre Fokad et les Abyssins. Seulement ces détonations avaient cessé depuis long-temps, ce qui ne fit qu’augmenter ses craintes. En arrivant à l’ouverture cette morne vallée, le chef d’Eylat et ceux qui l’accompagnaient eurent beau crier de toutes leurs forces ; leur cri d’appel demeura sans réponse ; l’écho même se taisait. À force d’errer, leurs pas firent lever une hyène qu’ils ne virent point, mais qu’ils entendaient se lamenter, et qui semblait se plaindre d’être obligée d’abandonner sa proie. Le chef d’Eylat ne put s’empêcher de penser que c’était peut-être le cadavre de son frère qu’elle dévorait, et cette idée le fit frissonner. Un peu plus loin, il butta contre un obstacle et tomba sur un chameau mort. L’animal était tout sellé, et portait encore des objets de harnachement que le malheureux scheikh eut bientôt reconnus ; c’était le dromadaire de Fokad. Les Bédouins poussèrent un cri de rage ; quant à Mohammed-Nouraï, à mesure que la certitude de la mort de son frère pénétrait dans son esprit, une haine furieuse contre les meurtriers s’allumait en lui, et y laissait peu de place pour la douleur. Les recherches continuèrent, mais sans amener d’autre découverte à cause de l’obscurité. Ce ne fut qu’au jour qu’un Bédouin rencontra, à peu de distance du dromadaire, la moitié d’une lame de sabre brisée, et un peu plus loin le corps du compagnon de Fokad. Cet esclave a subi l’horrible mutilation à laquelle l’Abyssin et le Galla ne manquent jamais de soumettre l’ennemi vaincu. Deux coups de lance avaient en outre ouvert sa poitrine. Le terrain d’ailleurs était piétiné, et s’il ne présentait pas de taches de sang, c’est que la pluie les avait lavées. Quelqu’un, s’étant avisé de poser la main sur le cœur de l’esclave, s’aperçut qu’il battait encore, et quelques minutes après qu’on l’eut mis sur son séant, position qui facilitait le jeu des poumons embarrassés par l’hémorragie intérieure, le noir reprit connaissance ; bientôt il put donner de brèves indications sur ce qui s’était passé la veille. C’étaient bien, comme on le présumait, les Costanis abyssins qui avaient frappé Fokad. La lutte avait été courte. Le dromadaire que montaient Fokad et l’esclave, au lieu de soustraire les chasseurs à leurs ennemis par la fuite, s’était lancé au plus épais des bandes d’Abyssins, et peu d’instans après Fokad tombait avec son compagnon sous les zagaies des chrétiens. Mohammed-Nouraï, guidé par les souvenirs de l’esclave, put, à quelques pas de ce lieu maudit, retrouver le corps de son frère. Les Bédouins chargèrent aussitôt sur leurs épaules les restes inanimés du chasseur d’éléphans et regagnèrent Eylat. L’esclave expira le lendemain.

Le scheikh nous avait donné ces détails d’une voix émue, et il eut peine à achever son récit sans que, malgré ses mâles efforts ses paupières ne laissassent échapper deux grosses larmes. Il se hâta de les essuyer, et, afin de nous donner le change, il prétendit que, pour avoir passé toute cette terrible nuit à la pluie et dans la boue, ses yeux étaient malades. Puis il ajouta : — C’était écrit là-haut ! La destinée ne recule point devant les joies ou les douleurs de l’homme que le désespoir tue la mère ou brise le cœur du vieillard, que les enfans demeurent orphelins et sans appui, que les entrailles des frères saignent, qu’importe à l’ange de la mort ? Le sombre envoyé de Dieu n’en poursuit pas moins son œuvre de désolation. Pourtant, malheur à ceux qui ont tué Fokad ! Malheur à ceux qui ont seulement une goutte de son sang sur la toile de leur taub !

Notre campagne pouvait être regardée comme finie. Aux émotions d’une chasse aux gazelles et aux singes s’étaient joints pour nous les hasards d’un combat avec les chrétiens d’Abyssinie. Rien ne nous retenait plus dans les solitudes voisines de Masswah. Le jour suivant, nous rentrions à Masswah, où nous comptions ne prendre que le repos nécessaire pour nous préparer à de nouvelles fatigues.


A. VAYSSIERE.

  1. Un résumé de ce voyage a été publié, avec cinquante-six inscriptions hamyarite suivies d’un commentaire de M. Fresnel, dans le Journal asiatique de 1844 à 1845.
  2. Capitaine, patron de barque.
  3. Sorte de barque moins grande que celles connues sous le nom de daws et de barghléhs, mais d’un tonnage supérieur à celui des sambouks.
  4. Saint en grand honneur chez les marins musulmans : son tombeau est sur une des îles du golfe Persique.
  5. Nom arabe de la baleine, qui a évidemment la même racine que léviathan.
  6. Doum, cricifera thebaïca (espèce de palmier).
  7. Partie du littoral abyssin au sud de Masswah.
  8. Il ne s’agit point ici du crépuscule, mais de la lumière zodiacale qu’avait observée Agatharchide, comme on peut le voir dans un fragment cité par Diodore de Sicile.
  9. Nom du sycomore en langue amharique.
  10. L’une des plus belles perles connues, celle qui ornait la couronne des doges de Venise, provenait de Dahlâk, où les Vénitiens établirent autrefois une pêcherie.
  11. Espèce de palétuvier.
  12. Monnaie connue dans tout l’Orient sous le nom même de thaler et valant 5 francs 25 centimes
  13. C’est le nom que porte cette partie de la chaîne de montagnes qui longe la mer Rouge.
  14. M. W. Plowden, que les événemens politiques survenus en Abyssinie du mois de janvier 1849 au mois d’avril 18(0 ont forcé à quitter ce pays.
  15. Nom qui dérive probablement de la même racine que le Hamyar des Arabes, et qui s’applique à une grande province de l’Abyssinie.
  16. Le couari se fabrique en Abyssinie. C’est un tissu en coton non tordu, de la grandeur de nos couvertures, terminé à ses deux bouts par une large raie rouge, et quelquefois par une broderie en soie de couleurs vives et d’un bon effet.
  17. La coiffure que nous décrivons ici est celle de beaucoup d’indigènes abyssins. Les uns divisent la masse volumineuse de leurs cheveux en petites tresses qu’ils laissent retomber tout naturellement ; d’autres les disposent d’une façon plus ou moins bizarre ; quelques-uns, ceux seulement qui ont tué un ennemi, ont le droit de les relever sur le sommet de la tête. Cet usage semble remonter à l’époque la plus reculée, si l’on en juge par certains personnages figurant dans les monumens de l’ancienne Égypte, notamment dans les fresques des sépulcres royaux du Biban-el-Moulouk et dans celles des cryptes de Gournèh, la nécropole de Thèbes. Quelques peuplades du Samhor, les Danakil par exemple, poussent la coquetterie jusqu’à saupoudrer le tout d’un peu de chaux vive qui donne aux cheveux une teinte d’un fauve ardent.
  18. Appellation usitée envers les chrétiens, le mot sid (seigneur) n’étant employé que lorsqu’il s’agit d’un musulman.
  19. Des officiers européens qui ont fait les campagnes de l’Assir dans la péninsule arabe avec les régimens égyptiens se souviennent encore d’un bataillon mis en déroute par une tribu de cynocéphales, pendant une marche nocturne.
  20. Gallas de l’ouest.
  21. Première province de l’Abyssinie quand on l’aborde par la mer Rouge.
  22. Le Raz-Ali est le chef qui règne sur l’Amahra, l’une des trois grandes fractions des pays abyssins ; le Tigrè est gouverné par Oubié, et le Choa par les enfans du dernier roi, Sahla-Sahlassé.
  23. Le taub est une pièce de toile que les Bédouins portent de la même manière que les Abyssins portent le couari.
  24. Nom arabe d’une variété de gazelle ; l’autre se nomme choucan.
  25. On retrouve chez les Abyssins beaucoup de traces du judaïsme, qui était la religion du pays avant l’introduction du christianisme ; ainsi ils ne mangent point de la chair d’un animal qu’ils n’auraient point tué eux-mêmes, ou qui aurait été étouffé au lieu d’être saigné ; comme chez les Juifs, le lièvre, le canard, l’oie, sont pour l’Abyssin des viandes impures.
  26. Naturaliste allemand aussi modeste que savant qui habite l’Abyssinie depuis longues années.