Scarron - Œuvres, par Bastien/La Baronade

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SATIRE


DE SCARRON,


CONTRE


UN NOMMÉ BARON.


BARGNADE (1)[1].


O muse ! donne-moi non du style plaisant,
Mais du chagrin du médisant,
De celui qui tranche, et qui pique,
Et qui de loin, comme de près,
Lance d’inévitables traits,
Dont les coups, quoi qu’on leur applique,
Et fût-ce un remède magique,
Laissent des marques pour jamais.

Non, ne me donne point de vers trop sérieux :
Les plaisans se répandront mieux
Par toute la France habitable.
Le vers comique et l’enjouement,
Au vrai, mais scandaleux roman,
Rendront le lecteur favorable ;
Et le héros très-batonnable,
En enragera doublement.

Maranne sous le chaume autrefois l’enfantai
Le mou tetoii qui l’allait-i,
De toutes les mains fut la proie :
Et son géniteur indigent,
Sourd a l’honneur, apte à l’argent,
Fut un sbirre, et mourut de joie.
De voir cheminer sur sa voie,
Un fils plus larron qu’un sergent.

Mais un bourg fut un lieu peu digne et trop petit ;
Pour l’insatiable appétit.
De notre chouette publique ;
11 alla donc en Oleron,
Etre ce qui rime à Baron,
C’est-à-dire j afin que j’explique,
Qu’il s’y fit un fameux larron.

Entre plusieurs larcins, un lui fut glorieux :
Il vola le cœur par les yeux
D’une paillarde matelotte,
Qui dans ce jeune pied d’escot >
Crut retrouver son matelot,
Mais elle s’y trompa, la sotte ;
Car il mangea jusqu’à sa cotte,
Et la quitta sans dire mot.

On dit, mais que sait-on ? qu’avant de la quitter ;
L’ingrat époux lui fit tâter
D’un ménestre empoisonnée ;

Quoiqu’il en soilc, elle mouruc^
Détescanr son funeste rue,
Ec le patibulaire Enée,
Loin de saDidon surannée,
Se moqua du bruit qui courut.

Autre vieille en chaleur, ec qui sous deux cocus,
Avoir acquis quelques écus,
Moitié larcin, moitié ménage,
Le prit pour son troisième époux ;
Mais ses enfans, deux jeunes fous
Vinrent troubler le mariage,
Et la grêle suivit l’orage :
Ils lui donnèrent mille coups.

On dit qu’il en eut moins ; mais c*est toujours beaucoup ;
Puisqu’il ne faut souvent qu’un coup
Pour envoyer un homme en terre.
Craignant donc de recevoir pis
De ces trop colères beaux— fils
Qui lui faisoient ainsi la guerre >
Il rompit l’hymen comme un verre,’
Et de son pied vint à Paris.

Dans cette vaste mer de différens poissons,’
Où, jusqu’aux vendeurs de chansons.
Chacun trouve sa subsistance,
Notre héros, en peu de jours j
Se fit conuoître par cent tours

D’escroquerie, et d’impudence,
Pour le plus grand fripon de France ;
Ec fie de nouvelles amours.

Il se trouvoir alors dans l’hôtel d’Aiguillon,
Une nimphe sans cotillon j
Qui le regarda pour sa dupej
Lors ses attraits on aiguisa.
On se cérusa, se rasa,
On frisa sa tcte de hupe,
On boursilla pour une jupe,.
On fit si bien qu’on épousa.

O muse ! dis-moi bien qui fut la***
Avant qu’un licite congres
En eût fait une maltotiére :
Apprends-moi quel âge elle avoit
Pendant le tems qu’elle servoit
De soubrette non roturière,
Et sur— tout de quelle manière
La bonne donselle vivoit.

Où les eaux de la Loire abreuvent l’Angevin,
Sous un coteau fertile en vin,
S’étend une longue vallée :
Là chacun vit à peu de frais
Du revenu de ses guérets :
Là naquit la tcte pelée,
Et la peau noire et tavelée,
La sans pareille ****

Son père, grand mangeur de lièvres en civé>
Dans le village de Long-vé,
Avoit une gentilhommière —,
Sa fille au visage d’oison,
Servoir toujours dans la saison
D’épouvantail de cheneviére j
Et par fois étoit dindonniére
De la paternelle maison.

Cette infante s’étoit enduftie au travail ;
Elle nemangeoic rien sans ail,
Couroit aussi vîre qu’un Basque,
Reclamoic en mille façons,
Les grands et les petits cochons ;
Haussoit et rabaissoit un masque,’
Comme la visière d’un casque,
Et ne portoit point de chaussons.

Sur une jupe jaune un corps de damas bleu ^
A manche de couleur de feu,
Etoit son habit de dimanche :
Les autres jours elle filoit,
Et tous ornemens méprisoit,
Et sur-tout la chemise blanche :
Mais souvent la main sur sa hanche,’
Faisoit bien voir ce qu’elle ècoit.

La nymphe campagnarde, aboiidante en bon sens j
S’étoit dès ses plus jeunes ans

îlendue admirable en lésine :
Le hxu’n après tout s’en étendit :
Uiîedame qui l’entendit ,
Voulut avoir cette Angevine,
Pour régler sa froide cuisine ,
Paya son voyage’, et la prit.

En peu de tems son train , par la faim combattu J
Devint sans Force et sans vertu^
Tant la lésine fut extrême :
Dans les visages différens ,
Des serviteurs petits et grands,
La mort parut difforme et blême :
La dame mourut elle-même ,
Et lui laissa soixante francs.

Auprès d’une duchesse un seigneur la plaça ;
Un écuyer la caressa j
Et reçut quelques faveurs d’elle j
On l’en chassa les pieds au eu ,
Elle étoit sans un quart d’écu ;
Grand malheur quand on n’est pas belle !
La mort prit son amant hdelle ,
Et l’empêcha d’être cocu.

Elle crut la campagne un mal-plaisant séjour.
Où la fortune , ni l’amour ,
Ne pouvoient rîen faire pour elle.
Elle fit son petit paquet.
Mit quelque argent sous son gousset,
Je veux dire sous son aisselle,

Et vint malgré sa parentelle ,
A Paris planter Je piquet.
Je n’ai point su comment elle en fît le chemin >
Aucuns ont dit sur un roussin ,
Juchée entre deux grosses malles :
Qu’importe ? il sufnc qu’elle y vinc^
Qu’avec Baroii elle convint.
Après quelques douceurs verbales.
De s’entre-donner les mains sales ,
Et cependant qu’il l’entretint,
11 prend de tous cotés àes meubles à crédit ;
Et tous les jours change d’habit,
( S’entend habit de friperie )
Fait à sa dame de beaux dons _,
Entr’autres les premiers chaussons
Qu’elle eût jamais mis en sa, vie ,
Et d’une eau faite au Bain-Marie ,
Pour lui sécher quelques bourgeons.
Le beau jour de l’hymen des Amans désiré,
Le bienheureux couple paré
Se soumit au sacré mystère :
La fête vraisemblablement
Devoir se passer plaisamment ;
Chacun s’efforçoit d’y bien faire r
Mais dieu permit tout le contraire.
Et je vais vous dire- comment.
X3

Comme on écoic à table, et que chacun mangeoît i
Et bien ou mal goguenardoit,
Comme on fait en pareilles fèces »
Un créancier désobligeant,
Accompagné de maint sergent,
La moins pitoyable des bètes,
Et deux tapissiers malhonnêtes,
Saisirent tout, faute d’argent.
I-ors le lit nuptial, quoique bien défendu ^
Par un sergent fut détendu ;
L’un détapisse, l’autre emballe :
Enfin, comme un enchantement
, Tout disparut en un moment •
Et tantôt rouge, tantôt pâle,
Earon vit marcher vers la halle
Son fugitif ameublement.
Ainsi fut le destin des Lapithes troublé^
Quand le Centaure écervelé
Porta trop loin l’incontiilfece.
Cependant le vin mis au frais,
Fut bu par l’insolent laquais :
Baron détesta l’insolence
,
Et ht venir en diligence,
De nouveau vin sur nouveaux frais.
Le festin s’acheva, mais s’acheva de bout ;

Car la justice enleva tour
,
Hormis je couvert et la table :
Et pour le troisième malheur
,
On prit un bassin au traiteur ;
Baron en fur cru îe coupable
,
Et le traiceur, homme intraitable,’
Fit une terrible rumeur.
Le voilà possesseur de la jeune beauté
,
Qu’il appelloit sa ûéïté
,
Bien qu’elle eût l’haleine un peu forte 2
Si le seigneur l’avoir aussi
,
A sa femme en est le souci.
Ce n’est pas chose q^li m’importe ;
Mais parlons de la cotre morte,
D’un riche moine de Bîancy.
Est-il un croniqueur qui ne s’abuse point
,
Alors qu’il n’a pas bien à point
,
Les mémoires de sa cronique ?
J’avouerai donc ingénument
,
D’avoir oublié lourdement
L’action la plus héroïque,
Où notre moderne Angélique
Ait plus fait voir de jugement.
Quand le pauvre ccuyer qui s’appelloit l’Aimé,
Mourut j jurant comme un damné.
De voir éloigner son bel ange ;
Ce bel ange qu’cai mit dehors
,

N’avoir sur son très-vilain corps,
Qu’une jupe, ou plutôt qu’un lange ;
Et dans cet cquipn2 ; e ctranc^e
,
La Seine le vit sur ses bords.
L’héritière d’Armand, la duchesse aux beaux yeux
i
De qui les soins toujours pieux
Ont secouru le misérable
,
La prit dans l’hôtel d’Aiguillon,
Vit par les trous de son haillon
Que son linge étoit effroyable x
Et lui fit donner, charitable.
Chemise, robe, et cottillon.
Un moine de Blancy son destin termina ;
La bonne duchesse donna,
I
A monsieur tel sa cotte-morte
i
, »
A la Baron, trois mille francs :
i
Elle acquiert le droit des parens j.

Et de ce droit chicane ensotte,
Que sur monsieur tel elle emporte

La cotte— morte avec dépens..
,
Comme l’argent comptant, et les prospécitcs,
•,
Erigent en divinités
i
Los guenons les plus effroyables,
Quantité de Godelureaux
,
Pour la laide firent les beaux.
Intéressés comme des diables.
'

Hors Baron, tous ces misérables
,
Tirèrent leur poudre aux moineaux.
Disons après cela qu’il est des nœuds secrets^
Et que les amoureux progrès
Sont purs effets de sympathie.
Baron alors comme aujourd’hui >
Étoit sans bien, et sans appui :
Mais le ciel de ces deux parties,
Avoit les âmes assorties ;
Il fut pour elle, elle pour lui.
Arnaudet de Niort, de son oncle héritier
3
A Baron confie un papier
,
Pour lui conserver un office.
Baron sans honneur, et sans foi.
Conserva l’office pour soi.
Arnaudet l’appelle en justice ;
L’or sauva Baron du supplice,
Et fit perdre un rameur au roi.
Biou de qui le linge est toujours sale et noir^
Eiou fort mal-plaisant à voir.
Les cheveux gras, et sans manchettes
,
Obtint le parti des Débets.
Certe affaire étoit de grands frais,
Il avoit beaucoup de disette,
Eroit mal avec sa planette.
Et n’y faisoit pas grands progrès.

Baron en oit parler, et ce fourbe maudit
Lui vanre si bien son crédit
Auprès des maîtres des finances >
Que Biou n’ayant pas un sou
,
Ccde son affaire au filou
,
Sans bien prendre ses assurances.
Baron ayant fait ses avances,
Ne connoît plus monsieur Biou.
Lors Baron et sa femme ont de l’argent comptant.
Tandis que Biou mécontent
Fait contre eux des desseins tragiques.
Les tapis Chinois sont foulés
,
Dans leurs alcôves bien meublés :
Et ces deux figures comiques
Font traîner deux chars magnifiques i
Par des chevaux gris pomelés.
Mais il n’est rien de pur dans ce bas univers
,
Et la médaille a son revers
Soit faute d’argent, soit sottise
,
Celle qui sur le cuir vilain
De son pendantissime sein
Fait éclater la perle exquise,
Et dépense en points de Venise ^
N’a qu’une salière d’étain.
Change en bons plats d’argent l’inutile bijou :
Et si tu veux parer ton cou,
Attaches-y
quelques reliques :

Cesse de nous blesser les yeux
,
D’un luxe aussi sot qu’odieux :
Tes ameublemens magnifiques,’
Et les atours que tu t’appliques.
Sont bons, mais de l’argent vaut mieux.’
Baron traitoit un jour des nobles Angevins ^
Et leur prônoit entre deux vins
Sa richesse et ses espérances :
Il juroit j leur serrant les poings ;
Et prenant ses gens à témoins
,
Qu’on lui devoit des récompenses
, "
Et qu’on l’alloit voir des finances
Premier directeur pour le moins.
Dans le tems qu’il leur tint ce discours faafaron
,
De sergens un gros escadron
L’a bloqué devant et derrière.
On le lui vint dire:il pâlit.
Et se cacha derrière un lit;
Sa femme gagne la gouttière,
Et d’une effroyable manière
,
Leur train en demeure interdit.
Mais le neveu de Richelieu
S’y trouva, puisqu’il plut à dieu,
Apprit l’avanie inhumaine j
Et fit retirer les sergens :
La Baron appel la ses gens
,
Descendit du toît à grand’peine,

Et du toît baissant dans la plaine.
Fit à l’abbé ses complimens.


Ainsi souvent Baron s’enfuit, triste et pantois

Devant le sergent discourtois,
Qui de tems en tems le relance.
Ainsi souvent ce financier
Eprouve que le créancier.
Qu’on excroque sans conscience J
Se venge quand moins on y pense à
D’un perfide banqueroutier.


Ici le croniqueur attend que son héros
Fournisse en détail comme en gros,
Assez de quoi se faire pendre.
Ce n’est pas que le croniqueur
Manque de matière ou de cœur,
Il n’a que trop de quoi s’étendre ;
Mais on ne perd rien pour attendre.
Qu’on exécute le voleur.


Fin de la Baronade et du tome premier.

  1. (l) On avoit mis dans l’édition de Paris Baroneïde, mais Scarron dans ses lettres l’appelle la Baronade.