Semaine théâtrale/Autour d’une traduction

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Heugel (no 34p. 2).

SEMAINE THÉÂTRALE


AUTOUR D’UNE TRADUCTION

M. Louis Pilate de Brinn’Gaubast (Ajax) continue son œuvre d’éclaircissement ou peut-être mieux d’assainissement des poèmes de Richard Wagner. Comme il avait fait pour les quatre poèmes de la Tétralogie, il vient de consacrer son temps et ses veilles à démêler à son tour celui des Maîtres Chanteurs. Ils nous en donne une traduction nouvelle (un vol. in-8o  chez Dentu), sorte de traduction libre où il rogne et ajoute tout à son aise pour la meilleure compréhension de l’idée. Ceci s’éloigne terriblement du mot à mot farouche de M. Alfred Ernst et cela n’en a que plus de grâces et d’élégance.

Hâtons-nous d’ajouter que cette traduction émolliente n’a nullement la prétention de s’adapter sous la musique. Vous me demanderez alors à quoi elle peut bien servir. Mais simplement, je vous l’ai dit, à éclaircir certaines obscurité du texte, à en faire disparaître les rugosités et à présenter le tout sous des dehors aimables et non rébarbatifs. C’est à la fois une œuvre pie et une œuvre d’humanité, destinée à amadouer les novices et à les mener peu à peu, par des sentiers fleuris, au chemin plus rude et plus abrupt de la vraie parole. C’est du Wagner facilité à l’usage des petites gens, non encore initiés et préparés à tout.

Et il n’y a pas qu’une traduction dans le nouveau volume de M. Louis Pilate de Brinn’Gaubast. Comme vous devez bien vous imaginer, il s’y trouve encore nombre de commentaires pour expliquer cette traduction, qui bien qu’explicative par elle-même, ne le serait pas encore suffisamment, paraît-il, sans les notes innombrables qui l’accompagnent et qui prennent plus de place que le texte même. Ah ! ce n’est pas des œuvres de Wagner qu’on peut dire qu’elles se passent de commentaires ! C’est devenu une véritable carrière pour beaucoup que d’épiloguer sur chaque mot et sur chaque croche du maître allemand, vaste association où chacun vit du mieux qu’il peut des reliefs du grand homme et, pauvre grelottant, se réchauffe aux rayons de sa gloire.

Il faut lire ces notes curieuses du volume de M. Brinn’Gaubast pour savoir tout ce qu’on peut trouver d’états d’âme dans un simple éternuement du cordonnier Hans Sachs. Et, s’il vous donne le bonjour, il ne faudrait pas croire qu’il y a là seulement le bonjour de tout le monde. Oh ! non; c’est un bonjour qui a des ramifications profondes avec l’histoire des peuples, un bonjour philosophique plein de dessous et de mystères. Quelle rage de vouloir ainsi, en matière artistique, disséquer son propre plaisir et en rechercher les raisons algébriques par A + B, au lieu d’en jouir tout franchement sans ergoter, comme on prend le soleil qui nous vient du ciel ! Pour nous, nous nous refusons à croire que Wagner ait pensé à tant de billevesées en composant ses chefs-d’œuvre, et il faut qu’il soit un bien grand musicien pour résister au ridicule dont on essaie de le couvrir.

Nous disons un bien grand musicien, car après comme avant l’aimable traduction de M. Brinn’Gaubast il ne nous apparaît pas comme un bien grand poète, dans la stricte acception du moi. Et nous trouvons un peu osé de le vouloir mettre à côté de Shakespeare, – c’est dit quelque part. Admettons le livret des Maîtres Chanteurs, puisqu’il sert souvent de prétexte à d’admirable musique, mais cette histoire naïve de cordonnerie et de concours d’orphéons mélangés, encore qu’elle ne soit pas autrement désagréable, n’a rien qui puisse nous transporter et il nous est impossible d’y voir le dernier mot de l’art dramatique.

N’oublions pas qu’il y a aussi, à côté du commentaire littéraire, un autre commentaire musical de M. Edmond Barthélemy, qui suit pas à pas la nouvelle traduction et nous guide à travers les motifs conducteurs de la partition, au fur et à mesure qu’ils se présentent. C’est ainsi que les thèmes de la « Sagesse humaine » de « l’Entrain au travail », du « Souvenir de la jeunesse », de « l’Impétuosité juvénile », de « l’Interrogation d’amour », du « Don de soi-même », etc., etc., n’ont plus de secret pour nous. C’est donc, au résumé, un livre qui a son utilité que celui de M. Louis Pilate de Brinn’Gaubast, et c’est comme tel que nous avons cru devoir le recommander au fidèle lecteur.

H. M.