Semaine théâtrale/Première représentation de Jacques Callot, à la Porte-Saint-Martin ; réouverture de l’Opéra-Comique ; reprise de la Vie parisienne aux Variétés

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SEMAINE THÉÂTRALE


Porte-Saint-Martin. Joseph Callot, drame à spectacle en 5 actes et 6 tableaux, de MM. Henri Cain, Eug. et Ed. Adenis, musique de M. Fr. Le Rey. — Opéra-Comique. Réouverture avec Orphée. — Variétés. La Vie parisienne, opérette bouffe, de MM. Meilhac et Halévy, musique d’Offenbach.

À l’auberge de la Poularde, aux environs de Nancy, le jeune Jacques Callot, qui a fui la demeure paternelle, mène turbulente vie au milieu d’une bande de bohémiens qu’il régale, insouciant, de fastueux soupers impayés à l’aubergiste et dont il crayonne, amoureusement, les truculents accoutrements. Mais son père, de par la volonté des auteurs maréchal du régiment de Lorraine et inconscient de l’avenir artistique de Jacques, n’entend point voir mener à son fils une existence aussi déréglée. Il vient le relancer et, sans ambages, lui propose ou la prison pour dettes ou le mariage. Jacques Callot promet d’épouser sa cousine Blanche.

Or, Blanche aimée et aime le meilleur ami de Jacques, qui, pour ne chagriner ni l’un ni l’autre et fort heureux de s’en tirer à si bon compte, renonce au mariage. Le maréchal, entêté et sévère, ne veut écouter aucune raison, il accuse le gamin de lâcheté, et celui-ci, fouetté par l’outrage, s’enrôle dans un des bataillons de son père qui va guerroyer en Valteline contre les Impériaux. Il est réclamé par le capitaine de Garriel, qui, je vous en préviens de suite, est le traître de l’affaire.

Jacques Callot se bat comme un jeune lion ; séduit par le superbe panache d’un colonel ennemi, il le fait prisonnier et est nommé sergent. Cependant, un soir, après la retraite, il garde auprès de lui la petite Ridza, une gentille amie des jours d’escapade, qui, avec la bande de bohémiens, rencontre en Italie l’armée française. Le capitaine Garriel surprend le tête à tête et, pour venger une leçon que lui infligea jadis le jeune homme, le pousse tellement à bout que Jacques Callot porte la main sur lui. C’est la mort pour le soldat rebelle. Et le maréchal, consulté, ne peut et ne veut faire fléchir la discipline militaire en faveur de son fils. En attendant qu’on le juge, Jacques est enfermé prisonnier dans un vieux moulin d’où, à l’aide des ailes tournantes, les braves bohémiens le font évader.

Pourchassé, errant, escorté de ses loqueteux amis, le hasard lui fait apprendre que ce Garriel, cause de son malheur, est, dans les rangs français, à la solde de l’ennemi et qu’il trahit autant qu’il le peut. Grâce à l’aide de ses compagnons et au dévouement de la petite Ridza, les complots d l’infâme sont déjoués, les régiments de France et de Lorraine battent à plate couture les Impériaux dans les environs de Sondrio, et Jacques Callot, sauveur de la patrie, est pardonné par son père. Il épousera même Ridza et pourra retourner à ses chers crayons, qui en firent l’une de nos gloires nationales.

Tel est le fort, succinctement narré, ce drame nouveau que le public de la Porte-Saint-Martin a accueilli très chaudement. Se réclamant avant tout de la manière d’Alexandre Dumas père, MM. Henri Cain, Eug. et Ed. Adenis ont tenu à faire simple, vivant et amusant, et ils y ont pleinement réussi. Si, dans Jacques Callot, il y a telles scènes, comme celles de l’enrôlement et celle de la révolte de Jacques contre son supérieur, qui sont de parfait théâtre, ce qu’il faut retenir avant tout de ces cinq actes c’est la bonne humeur, la franchise, le sens du mouvement et le pittoresque avec lequel ils ont été composés. Ce sont, aujourd’hui, qualités assez rares pour qu’on y applaudisse de tout cœur quand on a la chance de les rencontrer.

De la nombreuse distribution, il faut mettre hors de page M. Coquelin, superbe de verve, de finesse et d’adresse, en un personnage épisodique dont il a su tirer un étourdissant parti. À côté de lui, on a fait fêter à M. Gauthier, plein de chaleur juvénile en Jacques Callot, et à M. Jean Coquelin, qui a délicieusement composé la figure sympathique d’un vieux précepteur. Il faut nommer encore MM. Péricaud, Segond, Prad, Mlles Dauphin, Kerwich et Miroir, et ces étonnants Price, dont l’un, M. James Price, dans un rôle d’ours d’importance et déjà populaire, est absolument étonnant de vérité.

Fort jolie mise en scène, et gros effet pour le truc original du moulin de Lugano, qu’on applaudit autant que les auteurs et les interprètes. Bref, un succès auquel contribue, pour sa petite part, la musique de M. Le Rey.

L’Opéra-Comique, en suite des dégâts causés par le cyclone de la semaine dernière, a dû rouvrir ses portes avec un jour de retard sur l’époque primitivement fixée. C’était Orphée qui faisait les frais de ce premier spectacle, donné devant une salle absolument comble qui n’a ménagé ses applaudissements ni à Mlle Delna, dont la voix merveilleuse et les accents tragiques ont soulevé tout le public, ni à l’orchestre très fin de M. Danbé. Mlle Marignan en Eurydice, Mlle Lainé en Ombre heureuse, et Mlle Tiphaine, peu à sa place, semble-t-il, sous le travesti de l’Amour, ont diversement contribué au bon ensemble de cette fort belle représentation.

Aux Variétés, reprise de la Vie parisienne. Offenbach ! Offenbach ! Et en écoutant cette musique endiablée, spirituelle, délicate, on oublie que la pièce de MM. Meilhac et Halévy date du beau temps de l’Empire, et que, dame ! elle commence à avoir les allures d’une bonne vieille dame en crinoline, et on n’a pas davantage le courage de reprocher aux interprètes femmes des Variétés de manquer de brio et de chic. Je m’en voudrais, cependant, de ne point signaler l’aimable façon dont Mlle Méaly a chanté sa tyrolienne. Les hommes demeurent plus dans le ton, surtout cet étonnant Albert Brasseur et le tonitruant M. Baron. Peut-on demander à M. Guy, qui a une très heureuse nature personnelle, pourquoi il s’est tant appliqué à si bien marcher dans les souliers de M. Dupuis ? N’empêche, on ira entendre la partition d’Offenbach, et on ne perdra certes pas sa soirée.

Paul-Émile Chevalier.