Aller au contenu

Sensation et mouvement. Contribution à la psychologie du fœtus

La bibliothèque libre.


SENSATION ET MOUVEMENT

CONTRIBUTION À LA PSYCHOLOGIE DU FŒTUS


I

Dans un précédent article[1], j’ai eu surtout pour but de mettre en lumière l’influence de ces excitations sensitives et sensorielles sur la production d’énergie disponible.

Un autre point m’a préoccupé : c’est l’étude des mouvements involontaires provoqués par ces mêmes excitations[2]. J’ai enregistré les réactions musculaires, soit à l’aide d’un tambour appliqué directement sur les masses musculaires de l’avant-bras ou de la cuisse, soit à l’aide d’une poire en caoutchouc, tenue dans la main et mise en communication avec l’appareil enregistreur. Ces différentes expériences m’ont montré que les muscles offrent des contractions involontaires, mais conscientes, dont l’intensité varie avec l’intensité de l’excitation et avec l’excitabilité du sujet, qui réagit d’autant plus que l’excitation est plus subite et moins prévue, quel que soit le sens qui entre en jeu. Les mouvements apparents de surprise ne sont que l’exagération de ces mouvements involontaires, et il est facile de les faire rentrer dans la catégorie des mouvements réflexes.

Les mouvements produits sous l’influence des sensations auditives sont surtout propres à l’étude. J’ai obtenu deux tracés qui donnent le résultat d’expériences que j’ai faites avec le concours de M. Séglas de la manière suivante : Un cardiographe est fixé sur le grand palmaire et mis en rapport avec l’appareil enregistreur, pendant que l’on joue sur le violon différents morceaux. Lorsque le sujet en expérience est un sujet normal, les secousses musculaires sont à peine sensibles, on ne voit guère sur le tracé que des ondulations, bien qu’il se produise des sensations musculaires manifestes. Lorsqu’au contraire il s’agit d’un sujet névropathe, d’une hystérique, ces secousses musculaires deviennent considérables, et on pourrait peut-être y reconnaître le rythme des impressions auditives.

Si les muscles sont déjà en action sous l’influence de la volonté, comme lorsque le sujet fait effort pour maintenir la pression sur le dynamographe manuel, les secousses provoquées par les recrudescences de l’excitation sensorielle sont beaucoup moins hautes, mais elles sont encore très appréciables sur quelques-uns des tracés que j’ai déjà donnés précédemment.

Dans une autre série d’expériences, avec le même dispositif, j’ai étudié les réactions des mêmes muscles ou l’influence d’un même choc sur le tendon, suivant que le sujet est exploré à l’état normal ou sous l’influence de la lumière rouge. On voit que dans le second cas le mouvement réflexe est beaucoup plus intense. Je n’ai pas pu obtenir avec quelque netteté le même résultat sur des sujets sains.

Ces observations, sur lesquelles j’aurai à revenir plus en détail, ne font que confirmer mes précédentes conclusions sur l’influence des excitations sensitives et sensorielles sur les mouvements. Toute excitation détermine un mouvement auquel paraissent prendre part tous les éléments contractiles de l’organisme, et ce mouvement semble constituer essentiellement le caractère objectif de la sensation.

II

Quelques faits relatifs au transfert de la force musculaire chez les hystériques méritent d’être rapprochés des observations qui précèdent.

Sitôt après la découverte du transfert des troubles unilatéraux de la sensibilité, soit par l’aimant, soit par les autres esthésiogènes, on a remarqué que la force musculaire, toujours moindre du côté le plus anesthésique, augmente ou diminue en même temps que la sensibilité du côté correspondant. Le transfert de la force musculaire n’avait été considéré, à ma connaissance du moins, que comme une partie accessoire du phénomène. Il mérite pourtant d’être considéré en particulier, car il me paraît propre à jeter quelque lumière sur le phénomène du transfert en général.

En effet, le transfert de la sensibilité est un phénomène très délicat à étudier, précisément en raison de la difficulté de mesurer la sensibilité, surtout lorsqu’elle varie d’une façon rapide. Les modifications de la force musculaire peuvent au contraire être mesurées, et, lorsque les écarts de ces mesures sont considérables, on est en droit de tirer des conclusions de l’observation.

Voici comment j’ai opéré : un dynamographe est placé dans la main droite et un dynamomètre dans la main gauche du sujet en expérience. J’applique un aimant ou des pièces métalliques, etc., sur l’avant-bras gauche, c’est-à-dire du côté hémianesthésique et hémiparétique, et je fais serrer alternativement le dynamomètre et le dynamographe. Je marque sur le cylindre le moment de chaque pression du dynamomètre et j’en inscris le résultat, qui, à la fin de l’expérience, est transcrit sur le cylindre aux points terminés. On peut ainsi lire sur la même feuille les courbes du dynamographe (main droite) et les pesées du dynamomètre (main gauche).

Lorsque, comme je viens de le dire, l’aimant a été placé du côté hémiparétique, on voit que, au bout d’un temps variable pour chaque sujet, le premier phénomène est l’exagération de la force musculaire du côté correspondant à l’aimant. Et, chose remarquable, la force peut devenir de ce côté hémiparétique plus considérable qu’elle n’était du côté opposé avant l’expérience ; il y a donc un gain immédiat, c’est-à-dire quelque chose de plus que ce qu’on est convenu d’appeler le transfert.

Si, un autre jour, on reprend l’expérience sur les mêmes sujets, en appliquant l’aimant ou l’esthésiogène, non plus sur le côté hémiparétique, mais sur le côté le plus fort, et qu’on enregistre de la même manière les résultats, on voit qu’il se produit tout d’abord une augmentation de la force musculaire du côté de l’aimant, c’est-à-dire cette fois du côté le plus fort, et que le transfert ne se fait que consécutivement. Cette expérience nous explique comment le phénomène communément désigné sous le nom de transfert est moins rapide, lorsque l’esthésiogène est appliqué du côté opposé à l’hémianesthésie ; mais, en outre, elle montre que le premier effet de l’aimant ou du métal spécifique pour le sujet est de déterminer une dynamogénie, quel que soit le côté sur lequel il est appliqué. L’aimant agit donc à la manière des autres excitations sensitives ou sensorielles que nous avons étudiées précédemment.

La constatation de cette action dynamogène, commune aux excitations sensitives, sensorielles et à l’aimant placé à distance, m’a conduit à chercher si une excitation sensorielle quelconque n’était pas capable de déterminer le transfert.

On sait depuis longtemps que certaines irritations cutanées, que les sinapismes, le collodion, les vibrations du diapason, etc., déterminent le transfert. On était moins bien fixé, je crois, sur le rôle des excitations sensorielles pures ; cependant, sur certains sujets au moins, on peut par une excitation unilatérale tant soit peu forte du goût, de l’odorat, de l’ouïe, de la vue, produire la dynamogénie et le transfert. Par exemple, étant donné un sujet anesthésique gauche sensible au rouge, si on bouche l’œil droit et qu’on fasse arriver des rayons rouges, exclusivement à l’œil gauche, cet œil qui ne percevait que le rouge voit toutes les autres couleurs que voyait auparavant l’œil droit, et la main gauche donne une pression plus forte que la main droite avant l’expérience, etc. Les observations de M. Brown-Séquard, relatives au transfert provoqué par des lésions expérimentales douloureuses de la moelle, coïncident avec ces faits. Il ne faut plus s’étonner de la multiplicité et de la variété des agents susceptibles de produire le soi-disant transfert, qui n’est en somme qu’un épiphénomène de la dynamogénie : ne sait-on pas en effet que, chez une hystérique hémianesthésique une série de transferts provoqués par un esthésiogène quelconque est suivie d’un rétablissement au moins temporaire de la sensibilité.

Mais le point que je désirais surtout signaler, c’est que l’aimant agit comme un excitant sensoriel et comme dynamogène. J’ai mentionné déjà que certaines excitations non perçues, parce qu’elles portent soit sur des organes atteints d’anesthésie morbide, soit sur des organes normalement insensibles comme l’utérus, ont des effets dynamogènes très nets. Il faut d’ailleurs faire des réserves sur l’absence de sensation à l’aimant : certains sujets déclarent qu’ils ont une sensation vague de courant d’air, de vibration, etc., et de ce que ce sont des hystériques, il ne découle pas qu’on soit en droit de nier leur dire. Ces sujets dégénérés, doués d’une vibratilité spécifique inférieure à celle des individus sains, sont ébranlés par des excitations plus faibles.

La similitude d’action de l’aimant et des autres excitants sensitivo-sensoriels est peut-être propre à éclairer un peu l’action physiologique de l’aimant et à faire cesser certains désaccords qui persistent parmi les observateurs ; il est possible en effet que, suivant le sujet, il agisse tantôt comme aimant, tantôt comme métal, tantôt comme corps froid, etc.

Je ferai remarquer que ces expériences, qui semblent propres à appuyer la possibilité de la sensation de l’aimant à distance chez certains sujets, offrent un certain intérêt au point de vue des faits annoncés récemment par MM. Bourru et Burot, relatifs aux effets de certaines substances qui agiraient sans être mises directement en contact avec l’organisme : lorsque, par exemple, on approche de certains sujets, doués d’une sensibilité spéciale, un flacon d’alcool bouché en apparence hermétiquement, on voit survenir au bout d’un certain temps des phénomènes d’ébriété.

J’ai expérimenté sur un sujet qui avait servi avec succès à M. Bourru, en bouchant le flacon à l’émeri et recouvrant et le bouchon et l’orifice d’une épaisse couche de cire : il ne s’est rien produit ; j’en conclus que dans l’expérience de M. Bourru l’occlusion était insuffisante ; le sujet a pu sentir l’odeur de l’alcool et la suggestion s’en est suivie. M. Bourru n’a pas réussi à la Salpêtrière à provoquer à distance les effets physiologiques de la pilocarpine, tandis qu’un des malades qui lui ont fourni un résultat favorable, avait été soumis à Bicêtre à un traitement par la pilocarpine. Cette apparente contradiction vient à l’appui d’une remarque que j’ai déjà faite autrefois à savoir « qu’un objet inconnu ne suggère rien ». Il serait intéressant de savoir si dans les expériences ou apparences négatives de M. Dumontpallier relativement à la suggestion de vésicatoires, les sujets avaient eu à supporter des applications de ce genre. On comprend que la suggestion peut être grandement aidée lorsque le sujet peut évoquer le rappel d’une sensation véritable.

Si on reconnaît d’ailleurs que certains sujets peuvent avoir une sensation cutanée au voisinage de l’aimant, il faudra bien reconnaître du même coup que ces sujets, somnambules, hystériques ou névropathes, sont doués d’une sensibilité exagérée et que par conséquent ils sont capables d’éprouver des sensations et des effets physiologiques différents de ceux qu’on a l’habitude d’observer chez les sujets sains ou réputés tels.

III

J’ai déjà eu occasion d’insister sur ce fait que la vue d’un mouvement détermine, chez certains sujets du moins, la nécessité de le reproduire, ce qui revient à dire que l’idée du mouvement c’est déjà le mouvement qui commence ; et on peut constater la réalité du phénomène en mesurant l’augmentation de force musculaire. On comprend ainsi comment l’attention peut exagérer la puissance du mouvement. D’autre part, j’ai montré que l’intensité des réactions aux sensations de l’ouïe et de la vue au moins peut être mise en rapport avec le nombre et l’amplitude des vibrations de l’air et de l’éther, c’est-à-dire avec l’énergie d’un mouvement initial qui provoque la sensation.

J’ai réalisé une expérience qui met en lumière, je crois, l’action dynamogène du mouvement en général, et montre que le mouvement est susceptible d’accroître la valeur d’un excitant.

Sur un sujet qui est sensible à l’action dynamogène des couleurs, et chez lequel on provoque très facilement le phénomène de l’induction psycho-motrice, j’ai opéré ainsi qu’il suit : J’ai disposé des disques de carton, de différentes couleurs, rouge, vert, bleu, jaune, sur une sorte de roue de rouet, dont on se sert ordinairement pour mettre en mouvement les disques avec lesquels on expérimente le mélange des couleurs. Je prie le sujet de fixer avec attention chacun des disques immobiles, et je prends comme précédemment la force dynamométrique sous l’influence des diverses couleurs : j’obtiens ainsi des résultats tout à fait semblables à ceux que j’ai déjà signalés. Puis je mets successivement chaque disque en mouvement et, répétant chaque fois l’exploration dynamométrique, je constate que pour toutes les couleurs il y a une augmentation en rapport avec la rapidité du mouvement. Cette augmentation varie de 3 à 5, à 8 pour chaque couleur dans des conditions que j’essayerai d’indiquer tout à l’heure ; mais auparavant, je désire rappeler un point d’historique :

Depuis près de dix ans, Gaëtan Delaunay, qui vient de mourir, poursuivait une étude physiologique qui n’a pas abouti à une démonstration évidente parce que ses procédés de recherche étaient défectueux : il s’est servi à peu près exclusivement de la méthode statistique et les observations qu’il réunissait n’avaient pas pour la plupart été faites par des personnes compétentes ; mais il n’en est pas moins vrai qu’il a pressenti avec une intensité remarquable que la direction des mouvements avait une valeur physiologique, et il a cherché à établir que la direction de certains mouvements à droite ou à gauche était en rapport avec le degré d’évolution. Il a fait à ce sujet un certain nombre de communications à la Société de biologie et je n’ai pas à y insister davantage.

D’autre part, un mathématicien, M. Ch. Henry[3], se basant sur des considérations théoriques que je ne suis pas en mesure de suivre, fait jouer un rôle prépondérant à la direction dans l’esthétique. Mais la démonstration d’une théorie scientifique de l’esthétique est subordonnée à la constatation des effets physiologiques des sensations soidisant agréables ou soi-disant désagréables : les unes produisent, comme nous l’avons montré, une augmentation de force disponible, tandis que les autres diminuent cette même force.

Pour bien comprendre la valeur de la direction du mouvement, il fallait que le rôle physiologique du mouvement fût préalablement établi. Mes précédentes recherches sur l’action dynamogène des excitations sensitives et sensorielles montrent nettement cette action des vibrations et du mouvement en général.

Quoi qu’il en soit, la direction du mouvement a-t-elle une action physiologique ?

C’est précisément cette action que démontrent peut-être les différences que je signalais tout à l’heure, entre les résultats de l’exploration dynamométrique sous l’influence de la sensation visuelle d’un cercle coloré en mouvement de rotation sur son axe. La différence paraît tenir à ce que la rotation allait tantôt de droite à gauche, tantôt de gauche à droite. Une première série d’expériences donne des résultats à peu près constants, quel que soit l’ordre dans lequel sont faites les explorations dynamométriques, c’est-à-dire que l’on commence par un mouvement ou par un autre, ou par la simple sensation colorée du disque immobile. Ces expériences ont été faites à jours différents, mais ont donné des résultats assez concordants et qui donnent en moyenne : [Tableau à insérer]

  IMMOBILE EN ROTATION
de droite à gauche, de gauche à droite.
Disque vert : 27 33 37
Disque bleu : 25 27 33
Disque jaune : 22 25 29
Disque rouge : 42 47 48

Si on s’en rapportait à ces chiffres, la question serait tranchée pour le sujet en expérience, la direction de gauche à droite serait plus tonique et par conséquent plus agréable inconsciemment. Mais dans une autre série d’expériences où j’ai voulu inscrire le résultat avec le dynamographe, la différence encore existante sur la. plupart des tracés est beaucoup moins évidente. Il convient donc de conserver encore une certaine réserve sur la valeur dynamogène de la direction du mouvement. Mais, en ce qui concerne le mouvement lui-même, toutes les expériences sont concordantes, et les tracés

[Image à reprendre]

e’ c b’ b a’ a
a a’, contractions normales ; b b’ contractions à la vue d’un disque vert immobile ; c c’, contractions a la vue d’un disque vert en rotation sur son axe de gauche a droite[4].

montrent d’une façon on ne peut plus nette l’ascension de la courbe sous l’influence de la rotation du disque coloré la différence de hauteur peut être d’un quart ou d’un tiers ; elle est par conséquent grossière. D’ailleurs tous les sujets sains que j’ai mis en expérience se sont parfaitement rendu compte que, sous l’influence de la rotation du disque coloré, la sensation devient plus intense.

Ces faits montrent que le mouvement exagère l’intensité de la sensation colorée ; du reste, plusieurs sujets normaux que j’ai soumis à l’expérience m’ont déclaré que la sensation pour une couleur quelconque était toujours plus vive lorsque le disque tournait. Si le mouvement et les rayons colorés sont capables de déterminer des effets qui s’additionnent, c’est qu’ils ne diffèrent pas essentiellement par leur nature. Les expériences qui précèdent peuvent donc être citées à l’appui de la théorie mécanique de la lumière et des sensations colorées. Ajoutons encore que, chez certaines hystériques, on peut provoquer la perception d’une couleur qui n’a jamais été distinguée auparavant, en mettant le sujet en présence d’un disque de cette couleur en rotation rapide.

Cette action dynamogène du mouvement donne l’explication d’un certain nombre de faits que l’on comprend mal sans cette notion. Le goût des jeux de force et d’adresse, d’agilité (lutte, course, combats de bêtes, etc.) n’a pas d’autre raison. On aime le mouvement sous toutes ses formes, et sa représentation a dans les arts la plus grande importance au point de vue de l’esthétique.

En faisant intervenir la connaissance de ce fait que tout sentiment de plaisir réside dans une sensation de puissance, on peut comprendre le mécanisme de l’action psychique, des différentes excitations que nous avons eu à étudier précédemment.

Il faut noter d’ailleurs que, chez le sujet en expérience, la fixation du disque coloré et la mise en mouvement de ce disque s’accompagnent d’une modification de la physionomie qui finit par prendre une expression de satisfaction des plus nettes, lorsqu’il s’agit des couleurs les plus excitantes. Cette remarque, qui peut être faite à propos de toutes les autres excitations sensorielles ou sensitives, concorde avec l’ensemble des résultats énoncés précédemment, à savoir que toute excitation détermine non pas seulement la tension d’un muscle ou d’un groupe de muscles, mais une érection générale de l’organisme tout entier. Et c’est justement à cette érection, qui s’accompagne d’une augmentation de la tonicité de tous muscles, qu’est due l’expression de satisfaction ou de plaisir qui se traduit non seulement par l’aspect de la face, mais encore par l’attitude du corps, où domine l’extension ; tandis qu’à l’état inverse, la dépression, correspond un relâchement musculaire général qui se traduit dans les membres et le tronc par la prédominance de la flexion et dans la face par la flaccidité des mêmes muscles, d’où il résulte que les chairs semblent s’abandonner aux lois de la pesanteur. Dans les asiles d’aliénés, certains anciens persécutés à idées de grandeurs donnent bien la représentation de l’attitude d’extension, tandis que les mélancoliques avec stupeur en proie aux obsessions les plus pénibles nous montrent un type de flexion des plus remarquables.

La corrélation de cette érection générale avec le sentiment de plaisir avait été pressentie par Gratiolet, qui s’exprime ainsi : « Quand un plaisir s’éveille, à propos d’une sensation quelconque, l’organisme entier chante sur divers tons un hymne de satisfaction et de joie[5]. » Si sous l’influence du plaisir ou de la douleur certains muscles paraissent se contracter d’une manière plus évidente, ce peut être en raison de leur prédominance fonctionnelle, de certaines habitudes acquises ; mais ce qui domine, c’est la tension générale dans les émotions excitantes, et le relâchement général dans les émotions dépressives. Il faut reconnaître d’ailleurs que Duchenne de Boulogne lui-même a dû signaler des faits contradictoires à sa prétendue localisation exclusive[6].

Quand on a constaté méthodiquement, et par divers procédés, des modifications dynamiques des muscles des membres et même des muscles viscéraux sous l’influence des sensations dites agréables, il devient impossible de soutenir que la satisfaction se traduit exclusivement par la contraction du grand zygomatique et de l’orbiculaire des paupières, etc.

Et si les expériences de MM. Charcot et Richer ont montré que la contraction provoquée de certains muscles de la face peut déterminer une attitude générale appropriée, il n’est pas moins vrai qu’une excitation générale du système nerveux, comme celle qui se produit lorsqu’un sujet est soumis à l’électrisation statique, s’accompagne d’une sensation de satisfaction très marquée chez quelques individus.

IV

Il résulte des faits précédemment exposés que toute espèce d’excitation quel que soit le sens sur lequel elle porte, détermine une augmentation de l’énergie potentielle et des contractions musculaires, involontaires, se manifestant à la fois dans les muscles de la vie de relation et dans les muscles de la vie organique.

D’autre part, une irritation préalable d’un sens quelconque modifie les effets de l’irritation d’un autre sens : tantôt elle les exagère, tantôt elle les diminue. Par exemple, sous l’influence d’une excitation visuelle, les réflexes provoqués par la percussion d’un tendon, deviennent plus considérables, l’action du vinaigre sur les organes du goût s’ajoute à l’action de la même substance sur l’organe de l’odorat, etc. ; d’autre part, un grand nombre de faits montrent qu’une excitation est susceptible de supprimer les effets d’une excitation antérieure plus faible ou seulement différente.

Ces phénomènes sont plus facilement constatés sur des sujets nerveux, mais ils peuvent l’être aussi sur des individus parfaitement sains. Nous appellerons l’attention sur quelques faits du même ordre, qui sont particulièrement intéressants grâce à cette circonstance que la bonne foi du sujet ne peut pas être mise en cause[7].

À partir du quatrième ou du cinquième mois de la grossesse, le fœtus présente des mouvements dits spontanés ou actifs, assez étendus pour être sentis par la mère, et même par une main étrangère. Ces mouvements n’ont guère été considérés par les accoucheurs qu’au point de vue du diagnostic de la grossesse et de la vitalité du fœtus. C’est surtout Jacquemier[8], qui s’est préoccupé des conditions de leur production ; mais il reste encore beaucoup à faire à cet égard.

On a remarqué depuis longtemps que les chocs physiques ou moraux, les émotions violentes éprouvées par la mère sont susceptibles de provoquer des mouvements du fœtus. C’est ainsi que les applications de froid sur le ventre, ou encore l’ingestion d’un liquide à une basse température, sont reconnues capables de les produire. Jacquemier a constaté que pendant que la mère était en proie à une attaque d’hystérie, le fœtus était animé de mouvements convulsifs ; j’ai pu faire la même observation sur deux sujets. Enfin, dans des expériences sur les animaux, le même Jacquemier a constaté que le pincement direct du fœtus, encore contenu dans ses enveloppes, détermine des mouvements. On s’est préoccupé de savoir si ces mouvements étaient volontaires ; ils le sont comme les mouvements de surprise de la mère, ils le sont comme les mouvements de défense de la grenouille décapitée, dans l’expérience de Pflüger.

Il n’est pas sans intérêt de considérer dans quelles conditions les mouvements se produisent de préférence. Il n’est pas douteux qu’ils se font sentir fréquemment lorsque la mère subit une secousse violente de quelque nature que ce soit ; mais il n’est pas nécessaire qu’une excitation soit assez intense pour déterminer chez la mère des mouvements visibles ou seulement conscients pour que le fœtus réagisse. J’ai interrogé à ce point de vue un certain nombre de femmes enceintes, et plusieurs ont pu m’affirmer avec la plus grande netteté, qu’il suffisait qu’un coup de sonnette, qu’un son un peu brusque, qu’une odeur forte, etc., vint les impressionner pour que les mouvements du fœtus se manifestent, bien que ces excitations n’aient pas provoqué chez elles de mouvements de surprise, ni même de sensations musculaires assez intenses pour éveiller leur attention. Il semble donc que pour une même excitation le fœtus soit un réactif plus sensible que la mère.

Je puis observer actuellement à la Salpêtrière, une hystérique enceinte et qui offre, soit dit en passant, le phénomène sur lequel j’ai déjà eu à insister, l’élévation des zones douloureuses ovariennes[9] ; Cette femme prétendait qu’il lui suffit d’entrer dans le cabinet du laboratoire de photographie qui ne reçoit que de la lumière rouge pour que les mouvements du fœtus se produisent immédiatement ; il m’a été facile de vérifier la réalité du fait à plusieurs reprises. Une autre femme m’a donné un renseignement analogue ; mais je n’ai pu le vérifier directement.

Un autre exemple de l’intensité plus marquée des excitations du fœtus est fournie par un autre fait que j’ai communiqué à la Société de biologie[10] et relatif à une jeune femme morphinique, chez laquelle les accidents propres à l’abstinence de morphine se manifestaient surtout d’abord par des mouvements spasmodiques du fœtus qui nécessitaient rapidement la reprise du poison. J’ai eu occasion de faire depuis des remarques analogues chez une femme soumise à l’action du bromure de potassium.

La facilité avec laquelle on peut provoquer les mouvements du fœtus par des excitants sensoriels agissant sur la mère, permettent de soutenir que tous les mouvements dits actifs du fœtus, sont en réalité des mouvements réflexes consécutifs à une excitation dont la mère peut n’avoir pas conscience.

J’ai fait remarquer précédemment que lorsqu’un sujet est fatigué, est en état de faiblesse irritable, comme disent les Anglais, ses réactions aux excitations sensitives ou sensorielles sont beaucoup plus intenses. Cette circonstance nous explique comment les mouvements du fœtus sont plus énergiques à certaines heures de la journée, précisément à celles où la mère, consciemment ou non, se trouve relativement le plus épuisée, c’est-à-dire avant les repas et le soir. Les mouvements s’apaisent au contraire lorsque la mère a pris des aliments ou s’est reposée.

Une des femmes que j’ai interrogées m’a déclaré que chaque fois qu’elle mangeait d’un mets qu’elle digérait mal, elle était incommodée par les mouvements du fœtus après le repas. Certains aliments, comme le poisson, par exemple, paraissent jouir de propriétés excitantes qui se manifestent sur un grand nombre de sujets ; ces faits indiquent que les sensations internes de la mère déterminent sur le fœtus des mouvements analogues à ceux qui sont provoqués par les sensations externes.

L’influence de l’excitation psychique de la mère n’est pas moindre : sous l’influence de la colère, les mouvements du fœtus se manifestent souvent avec une très grande intensité ; et il en est de même dans les autres états psychiques violents.

J’interrogeais un jour une femme enceinte de sept mois qui avait déjà un jeune enfant : « Il semble, me disait-elle, qu’il y a une sympathie étrange entre l’enfant que je porte et l’autre. Quand le second crie ou pleure, le premier s’agite extraordinairement, au point de me donner des douleurs très vives. » D’autres femmes qui ont eu plusieurs enfants m’ont confirmé la réalité de cette remarque. Chez quelques-unes, c’est seulement dans ces conditions qu’on voyait se révéler l’influence des irritations périphériques sur le fœtus : aucun ébranlement mécanique de même intensité n’est capable de déterminer chez la mère un état émotif équivalent à celui que provoquent les cris de son enfant, et de produire par conséquent des contractions musculaires aussi intenses.

Un fait que je n’ai pas trouvé signalé, et qui me paraît très important m’a été rapporté par plusieurs femmes. Souvent au milieu d’un rêve banal, produisant une excitation très modérée, n’offrant pas les caractères d’un cauchemar, dans lequel le sujet lui-même est réveillé en sursaut par une contraction brusque de tout le corps sous l’influence d’une hallucination terrifiante ; au milieu d’un rêve qui, à l’état normal, n’aurait pas interrompu le sommeil, la femme est réveillée par les mouvements du fœtus. Ce fait nous montre que les représentations mentales de la mère provoquent des réactions motrices chez le fœtus, et que, même, tout comme pour les excitations sensorielles, ces réactions sont plus fortes chez lui que chez elle. Il semble qu’en raison de sa faiblesse il réagisse plus fortement à toutes les excitations, et constitue une sorte de multiplicateur des réactions de la mère.

En somme, le fœtus dans la cavité utérine réagit, on peut dire fatalement, non seulement à toutes les excitations qui peuvent l’atteindre directement, mais à toutes les sensations perçues ou non, à toutes les représentations mentales de sa mère. Quand il vient au monde il a déjà un avant-goût de la prétendue liberté dont il va jouir.

Quel est le mécanisme de ces mouvements dits actifs du fœtus ? Il est, semble-t-il, assez simple. Les faits que nous avons rapportés précédemment montrent que toute excitation détermine des contractions non seulement des muscles de la vie de relation, mais encore des muscles de la vie organique (vaisseaux, intestins, vessie, etc.) : il est certain que les fibres musculaires de l’utérus se contractent aussi. Le fœtus subit dans toute sa substance les effets de la compression déterminée par cette contraction chaque fois que la mère est soumise à une excitation quelconque ; et il en témoigne à sa manière par des mouvements de défense variables en intensité.

L’organisme maternel réduit pour le fœtus les excitations lumineuses, sonores, tactiles, etc., à une forme élémentaire commune, le mouvement, qui est bien évidemment dans cette circonstance la commune mesure des sensations. Pour le fœtus, les excitations et les réactions qu’elles déterminent ne peuvent se distinguer que par la forme des contractions musculaires qui, comme nous l’avons déjà vu, est capable de caractériser les sensations de couleur, d’odeur, et peut-être de timbre, etc. Après la naissance, l’enfant acquiert graduellement la connaissance de ces modifications de forme, et il les distingue de mieux en mieux ; mais, si la sensibilité consciente se développe, rien ne change au fond, et le mouvement reste la commune mesure des sensations et leur substratum nécessaire : Nous ne connaissons les objets extérieurs que par les réactions motrices qu’ils provoquent dans notre organisme tout entier.

Si les quelques faits que l’on connaît, relatifs aux circonstances dans lesquelles se produisent les mouvements du fœtus, sont capables d’établir qu’il ressent toutes les excitations auxquelles la mère est soumise, on comprend que ces circonstances méritent considération au point de vue de l’hygiène.

L’hérédité de la dégénérescence est aujourd’hui un fait des mieux établis, de même que son aggravation progressive ; et la localisation de la prédisposition morbide peut être influencée par un accident de la conception ou de la gestation[11]. Mais chez quelques dégénérés on ne peut saisir aucune trace de vices héréditaires, et il faut chercher une autre cause. Les observations que nous venons de rapporter permettent de comprendre comment les excitations sensorielles, émotions répétées ou violentes de la mère pendant la grossesse[12] peuvent déterminer des troubles profonds dans la nutrition du fœtus et en particulier dans son système nerveux, et ces dégénérés congénitaux (ab utero) ne peuvent guère se distinguer des dégénérés héréditaires[13]. Un bon nombre des cas d’épilepsie, d’idiotie, etc., reconnaissent pour cause l’alcoolisme des parents : tous ces troubles physiques et mentaux un peu profonds de la mère pendant la gestation peuvent agir dans le même sens.

Les faits grossiers qui montrent l’influence de l’état psychique de la mère sur l’état somatique du fœtus nous mettra peut-être sur la voie de l’explication de l’influence de l’imagination de la mère sur le développement du produit de la conception.

V

S’il est relativement facile d’établir que toute excitation détermine la production d’un mouvement de tout l’organisme, il est moins aisé de faire la contre-épreuve, et de montrer expérimentalement que tout obstacle au mouvement est capable de produire une obnubilation de la sensation, de modifier les effets de l’excitation. Cependant on me permettra de citer quelques faits.

Nous avons vu précédemment que certaines excitations déterminent chez des sujets appropriés une augmentation de la sensibilité et de l’énergie motrice, s’accompagnant d’un phénomène accessoire et mal défini, connu sous le nom de transfert. À ces faits de dynamogénie, j’opposerai certains faits d’inhibition qui ne manquent pas d’intérêt dans l’espèce.

Sur plusieurs hystériques présentant une anesthésie prédominante d’un côté du corps, on immobilise même imparfaitement les doigts, la main et l’avant-bras d’un côté, avec une bande élastique ou même une simple bande de toile enroulée autour du membre et modérément serrée ; il se produit alors une modification de la sensibilité des plus remarquables. Si la compression a été un peu forte, le sujet perd la notion de la position de son bras, et en même temps la sensibilité générale et spéciale s’affaiblit dans tout le côté du corps correspondant, même si la compression a porté sur le côté le plus fortement atteint d’anesthésie. Le côté opposé gagne au contraire en sensibilité. Retenons seulement ce fait important que la compression circulaire d’un membre est capable de déterminer une diminution de la sensibilité de tout le côté correspondant, c’est-à-dire un phénomène inverse de celui que nous avons vu se produire dans les faits de dynamogénie déjà signalés.

Comment la compression circulaire d’un membre détermine-t-elle le phénomène de l’inhibition ? Il y a lieu de croire que l’obstacle apporté aux actions musculaires joue un rôle important. En effet, si sur une hypnotique on provoque par excitation directe une contracture des membres supérieurs pendant la léthargie, on peut voir persister la rigidité fixe des muscles après le réveil, et en même temps une diminution de la sensibilité générale et spéciale du même côté.

VI

L’existence d’une relation nécessaire entre le mouvement et toute sensation ou toute représentation mentale, propre à établir que toutes les opérations psychiques ont nécessairement un équivalent moteur, constitue une notion très importante en psychologie, et cette notion peut être immédiatement utilisée par l’interprétation d’un phénomène qui a beaucoup attiré l’attention dans ces dernières années, je veux parler de la suggestion mentale, de la communication de pensée. On a remarqué que dans certaines circonstances une personne avait pu comprendre la pensée d’une autre sans que cette dernière eût fait aucun mouvement apparent : c’est ce qui constitue le phénomène occulte de la communication de pensée, dont on ne rend compte qu’en imaginant des fluides mystérieux. Or, si on peut prouver expérimentalement qu’il ne se passe rien dans l’esprit qui ne se traduise à l’extérieur par des mouvements, des modifications de la circulation et par conséquent des sécrétions, etc., par une modification générale des fonctions organiques, il s’ensuit qu’il est seulement nécessaire de savoir lire les signes extérieurs pour connaître ce qui se passe dans l’esprit.

Or nous savons que certains sujets, et les hypnotiques en particulier, sont doués, dans certaines circonstances, d’une acuité sensorielle exagérée ; de nombreuses observations le démontrent : il est donc possible de comprendre que ces mêmes sujets sont capables de saisir certains signes qui échappent à la plupart des individus.

Je prends un exemple très grossier. Lorsque je pense une lettre, j’ai la sensation distincte d’un mouvement qui se passe dans ma langue ; si je pense la bouche ouverte, ce mouvement se voit d’une façon très vague, tandis que les lèvres paraissent complètement immobiles. Je me place en face de G… en somnambulisme ; c’est la première fois que l’expérience est faite sur elle : je la prie seulement de me regarder. Je reste la bouche entr’ouverte, et je pense successivement un certain nombre de lettres. G… me regarde attentivement, suit les mouvements des lèvres et de la langue et, au bout de quelques minutes, elle prononce automatiquement quelques-unes des lettres que je pense et elle réussit d’autant mieux à mesure que l’expérience se prolonge. G… ne fait en somme que ce que font les sourds-muets qui parviennent à lire sur les lèvres ; mais elle le fait avec une délicatesse beaucoup plus grande, puisque les lettres ne sont pas prononcées.

On assiste à la reproduction du phénomène que j’ai désigné sous le nom d’induction psycho-motrice, et qui consiste dans la reproduction automatique du mouvement que l’on voit faire ; or nous savons depuis les expériences de Braid que toute attitude ou tout mouvement suggère une idée corrélative ; et nous arrivons en fin de compte à reconnaître que la communication de pensée n’est qu’une communication de mouvements, et que la suggestion mentale se réduit à une suggestion par la mimique, phénomène beaucoup moins mystérieux et plus accessible à l’étude. Les suggestions seront plus complexes si le sujet est plus sensible ; si certains sujets sont capables de saisir un mouvement inappréciable pour la plupart, rien de surprenant que tel autre, plus sensible encore, puisse être frappé d’une modification de circulation ou de sécrétion.

VII

Les observations et les faits expérimentaux que nous avons rapportés sont capables d’éclairer le mode de production de certaines dégénérescences ; on peut encore, croyons-nous, en déduire une théorie du rôle pathogène de la dégénérescence.

On peut dire que la dégénérescence consiste essentiellement dans une diminution de vitalité, se traduisant par une atténuation générale des fonctions organiques, généralement avec une certaine prédominance sur un organe ou sur un tissu.

Nous avons vu que, pour modifier la perception d’une couleur (transformation en sa complémentaire)[14], on peut employer deux moyens qui réussissent également : 1o modifier l’état vibratoire du sujet par un excitant physique ou mécanique, comme le diapason ; 2o modifier mécaniquement l’excitant sensoriel en le mettant en mouvement, en le faisant vibrer différemment.

D’autre part, il faut considérer que ces modifications de la sensibilité par rapport aux modifications de l’état vibratoire du sujet ou de l’excitant sensoriel ne se produisent que chez des sujets déterminés. — Or, comment concevoir qu’une même excitation soit susceptible de modifier profondément l’état vibratoire d’un sujet, tandis que cette modification ne se produit pas chez les autres, autrement qu’en reconnaissant un affaiblissement des vibrations moléculaires, de la vibratilité propre de ce premier sujet ?

Nous avons déjà eu occasion de dire comment la vibratilité d’un sujet peut varier d’un moment à l’autre, suivant l’influence exercée sur lui par les circumfusa ou les ingesta. Un individu quelconque peut donc à un moment donné se rapprocher plus ou moins des dégénérés héréditaires et être plus sensible aux influences extérieures.

Cette diminution de l’énergie vibratoire de certains sujets, ou même de tous les individus sous des influences variables, peut avoir une importance très considérable au point de vue de la pathologie générale.

On peut ainsi s’expliquer comment, lorsqu’un individu a été déprimé par une influence accidentelle quelconque qui s’est traduite par une diminution de l’énergie vibratoire, il ne peut se réparer que dans des conditions hygiéniques exceptionnellement bien dirigées. L’atténuation de l’énergie spécifique tend à s’accentuer à chacune des générations suivantes qui dégénère, non seulement au point de vue de l’évolution de chaque organe en particulier, mais encore au point de vue général, et finit par aboutir à la stérilité.

D’autre part, il est important de rappeler que, pour quelques-unes de certaines bactéries au moins la démonstration est faite, le développement ne peut se faire lorsque le milieu dans lequel elles vivent est agité d’un mouvement suffisamment rapide. En un mot le mouvement s’oppose à leur développement (P. Bert. Horvath)[15].

On comprend par là comment des sujets affaiblis congénitalement ou dont la vibratilité spécifique a été diminuée sous l’influence d’un trouble de nutrition, d’influences extérieures dépressives, comme les températures excessives, les fatigues de toutes sortes, etc., soient plus exposés aux maladies infectieuses, les bactéries trouvant un milieu favorable dans un organisme dont la puissance vibratoire est atténuée.

On peut noter d’ailleurs que lorsque l’on fait la statistique de la mortalité d’une période comprenant une grande épidémie, comme une épidémie de choléra par exemple, et qu’on la compare à celle d’une période égale des années suivantes ou précédentes, il n’y a pas de différence considérable. L’épidémie n’a donc touché que les sujets prédisposés.

L’intensité des vibrations moléculaires pourrait ainsi expliquer les immunités morbides momentanées ou permanentes. Lorsqu’une maladie infectieuse détermine une réaction générale, des accidents fébriles, elle modifie par cela même le terrain sur lequel les micro-organismes se sont développés ; les conditions d’existence de ces derniers se trouvent modifiées et leur destruction s’ensuit. On peut ainsi se rendre compte théoriquement de l’évolution nécessairement cyclique d’un certain nombre de maladies infectieuses, dont la guérison peut s’effectuer spontanément, et dans des délais à peu près fixes. On peut comprendre encore comment les modifications déterminées par une maladie infectieuse favorisent le développement d’une autre.

Cette conception théorique, qui nous amène à subordonner à la dégénérescence héréditaire ou acquise la genèse de la plupart des maladies, peut paraître décevante au premier abord ; il semble en effet qu’il ne doive plus rester au médecin que le rôle que lui attribue Faust : « étudier les choses par le gros et par le menu, et laisser aller comme il plaît à Dieu ». Il n’en est rien cependant ; le poids du passé n’écrase pas fatalement tous ceux qui ont été touchés par quelque cause de dégénérescence ; il est possible, précisément en raison de la nécessité des réactions que l’on peut quelquefois calculer, il est possible, dis-je, d’arrêter l’évolution morbide des néophytes qui n’ont pas encore revêtu les insignes officiels du dégénéré, et de neutraliser les effets des troubles accidentels.


  1. Sensation et mouvement (Revue philosophique, octobre 1885).
  2. Bull. Soc. de Biologie, p. 590, 629.
  3. Ch. Henry, Introduction à une esthétique scientifique (Revue contemporaine, 25 août 1885).
  4. Je rappellerai que les dix-sept premiers tracés de mon précédent article doivent être lus de droite à gauche et non de gauche à droite.
  5. P. Gratiolet, De la physionomie et des mouvements d’expression, 1869, Hetzel, p. 30.
  6. Duchenne (de Boulogne), Mécanisme de la physionomie humaine, 2e éd., 1876, p. 18 et suiv.
  7. Communication à la Société de psychologie physiologique (séance d’octobre).
  8. Jacquemier, Manuel des accouchements, 1846, t.  I, p. 323.
  9. Bull. Soc. biol., 1881.
  10. Morphinisme et grossesse (Bull. Soc. biol., 1882).
  11. Ch. Féré, La famille névropathique (Archives de neurologie, 1884, janvier et mars).
  12. Progrès médical, 1884, p. 245.
  13. Ch. Féré, Nerve troubles as foreshadowed in the child (Brain, july 1885).
  14. La polarisation psychique (Rev. philos., mai 1885).
  15. Bull. Societe de biologie, 18.