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Sept lettres de Mérimée à Stendhal/01

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Sept lettres de Mérimée à Stendhal, Texte établi par Casimir StryienskiAux frais de la compagnie (p. 5-11).
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I


crimes[1], c’est d’avoir exposé à nu et au grand jour certaines plaies du cœur humain trop salopes pour être vues. J’ai trouvé cette observation vraie. Il y a dans le caractère de Julien[2] des traits atroces dont tout le monde sent la vérité, mais qui font horreur. Le but de l’art n’est pas de montrer ce côté de la nature humaine. Rappelez-vous le portrait de Delia par Swift et l’abominable vers qui le termine : But Delia pisses and Delia shits. Certes, mais pourquoi le dire ? Vous êtes plein de ces odieuses vérités-là, et Swift avait l’excuse qu’étant impuissant il n’avait de plaisir qu’à faire débander les puissants. Mais vous qui êtes très susceptible d’amour, comme il appert par vos relations avec Mme Azur[3], vous êtes impardonnable d’avoir mis en lumière les vilenies cachées de cette belle illusion. J’ai reçu il y a deux jours une lettre étrange, sans orthographe et sur papier écolier. C’est une déclaration d’amour on ne peut plus passionnée, signée Célina. L’auteur dit avoir dix-huit ans, être jolie, mariée à un honnête homme mais d’un état répugnant : (vidangeur, par hasard ?) Elle me dit de me rappeler ce que je lui disais autrefois de sa beauté, et les caresses que je lui faisais en jouant avec les boucles de ses cheveux. Tout cela m’est parfaitement inconnu. Il n’y a point d’adresse. J’ai cru d’abord que c’était un hoax[4], mais tous les amis auxquels je l’ai montré sont tous d’un avis différent, et dans le fait il y a de ces phrases si entortillées et si ridicules qu’il faut avoir vécu toute sa vie dans une loge de portier pour les inventer. — Que le temps où nous vivons est plat et sot malgré tous les bouleversements qui arrivent ! Vous n’avez pas idée comme ces émeutes de Paris sont sales. Il n’y a jamais une goutte de sang répandu, et en les voyant on est plus triste que si on avait vu un champ de bataille. À quoi cela tient-il ? Est-ce parce qu’entre Odilon B.[5] et Dupin il est difficile de décider lequel est le plus ennuyeux ?

The Queen of Spain[6].

Apollinaire[7] ne vient pas, je n’ai rien à faire, je ne sais que faire, je m’ennuie énormément. Je vais vous écrire une histoire bien salope qu’on m’a racontée à Madrid. La reine saxonne que Ferdinand a épousée était une princesse confite en dévotion, et si chrétiennement élevée, qu’elle ignorait jusqu’aux choses de ce monde les plus simples, et que savent en Espagne les petites filles de 8 ans. C’est un ancien usage, lorsque le roi épouse une princesse présupposée vierge, que, la princesse du sang mariée la plus proche parente du roi, ait avec la reine un entretien d’un quart d’heure pour la préparer à la cérémonie. À défaut de princesse du sang la camarera mayor est chargée de cette instruction. Or la Saxonne étant venue, la belle-sœur du roi, femme de l’infant D. Carlos, et sœur de la feue reine Marie-Isabelle, à qui la reine saxonne succédait, déclara tout net que pour rien au monde elle ne mettrait cette Allemande en état de remplacer sa sœur. D’autre part, la camarera mayor, vieille putain dévote, protesta qu’elle n’avait jamais fait assez d’attention à ce que son mari lui faisait, pour pouvoir l’expliquer à d’autres. Il en résulta que la reine fut mise au lit sans aucune préparation. Entre Sa Majesté. Représentez-vous un gros homme à l’air de satyre, très noir, la lèvre inférieure pendante. Suivant la dame de qui je tiens l’histoire, son membre viril est mince comme un bâton de cire à la base, et gros comme le poing à l’extrémité, d’ailleurs long comme une queue de billard. C’est en outre le plus grossier et effronté paillard de son royaume. À cette horrible vue la reine pensa s’évanouir, et ce fut bien pis quand S. M. C. se mit à la farfouiller sans ménagement. (N. B. La reine ne parlait que l’allemand dont S. M. ne savait pas un mot.) La reine s’échappe du lit et court par la chambre avec de grands cris, le roi la poursuit, mais comme elle était jeune et leste, et que le roi est gros, lourd et goutteux, le monarque tombait sur le nez, se heurtait contre les meubles. Bref il trouva ce jeu fort sot et entra dans une colère épouvantable. Il sonna, demanda sa belle-sœur et la camarera mayor, et les traite de P. et de B. avec une éloquence qui lui est particulière — enfin il leur ordonna de préparer la reine, leur laissant un quart d’heure pour cette négociation. Puis en chemise et en pantoufles, il se promène dans une galerie fumant un cigare. Je ne sais ce que diable dirent ces femmes à la pauvre reine, ce qu’il y a de certain c’est qu’elles lui firent une telle peur que sa digestion en fut troublée. Quand le roi revint et voulut reprendre la conversation où il l’avait laissée, il ne trouva plus de résistance, mais à son premier effort pour ouvrir une porte, celle d’à côté s’ouvrit naturellement et tacha les draps d’une couleur toute autre que celle que l’on attend après une première nuit de noces. Odeur effroyable, car les reines ne jouissent pas des mêmes propriétés que la civette. Qu’auriez-vous fait à la place du roi ? Il se sauva en jurant et fut 8 jours sans vouloir toucher à sa royale épouse. Si j’avais plus de papier je vous enverrais la relation de sa première nuit avec la reine portugaise, mais ce sera pour une autre fois. Adieu, tâchez de vous amuser mieux que nous.


  1. Le commencement manque. — Cette lettre est de la fin de 1830.
  2. Dans : Le Rouge et Noir.
  3. Alberte de Rubempré. Voir Journal de Delacroix, passim.
  4. Mystification.
  5. Barrot.
  6. Note de Stendhal.
  7. Le comte d’Argout.