Sermon CCCXLVII. De la crainte de Dieu. I
SERMON CCCXLVII.
DE LA CRAINTE DE DIEU. I.
1. La crainte de Dieu, mes frères, nous est souvent recommandée, et l’on ne saurait compter combien de fois les divins oracles nous rappellent les précieux avantages attachés à cette crainte. De cette immense multitude de textes, je vais citer quelques passages seulement, et je les expliquerai autant que me le permettront ces quelques instants : veuillez m’écouter de bon cœur.
Qui n’est heureux d’être sage ou ne désire de l’être, s’il ne l’est pas encore ? Or, que dit l’Écriture ? « Le commencement de la sagesse « est la crainte du Seigneur[1] ». Qui n’aimerait de régner ? Écoutons l’avertissement que dans un psaume l’Esprit-Saint donne aux rois : « Et maintenant, ô rois, comprenez ; instruisez-vous, vous qui jugez la terre ; servez le « Seigneur avec crainte, et tressaillez devant lui avec tremblement[2] ». Voilà pourquoi l’Apôtre dit aussi : « Opérez votre salut avec « crainte et tremblement[3] ». Nous lisons également ces mots : « Tu convoites la sagesse ? a Garde la justice, et le Seigneur t’en fera don ». Combien ne rencontrons-nous pas d’hommes fort indifférents à la justice, et très-désireux de la sagesse ? L’Écriture leur apprend ici qu’ils ne sauraient arriver à ce qu’ils convoitent sans observer la vertu qu’ils négligent, M Garde la justice, dit-elle, et le Seigneur te « la donnera », cette sagesse que tu convoites. Mais qui pourrait, sans la crainte de Dieu, garder la justice ? N’est-il pas dit ailleurs : « Celui qui est sans crainte ne saurait devenir « juste[4] ? » Or, si d’un côté le Seigneur ne donne la sagesse qu’autant qu’on garde la justice, et si d’autre part on ne saurait sans crainte devenir juste, nous retrouvons cette maxime : « Le commencement de la sagesse « est la crainte du Seigneur ».
2. En parlant des sept dons, si connus, de l’Esprit-Saint, Isaïe commence à la sagesse pour aboutir à la crainte de Dieu : on dirait qu’il descend vers nous afin de nous apprendre à monter vers ce qu’il y a de plus élevé. Il débute donc par ce qui est le terme de nos efforts, et il s’arrête par où nous devons débuter. « Sur lui, dit-il, reposera l’Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et d’intelligence, « Esprit de conseil et de force. Esprit de science et de piété, Esprit de crainte du Seigneur[5] ». De même donc que de la sagesse à la crainte le Prophète descend, non pas en tombant, mais pour nous instruire ; ainsi nous devons monter de la crainte à la sagesse, non par esprit d’orgueil, mais par amour du progrès ; car « le commencement de la sagesse « est la crainte du Seigneur ». Ici apparaît cette vallée de larmes dont il est dit dans un psaume : Il a établi des degrés dans son « cœur, au sein de cette vallée de larmes ». La vallée rappelle l’humilité. Or, qui est humble, sinon celui qui craint Dieu et qui, sous le poids de cette crainte, se brise le cœur et en fait couler les larmes de la confession et de la pénitence ? Aussi « Dieu ne méprise point « le cœur contrit et humilié[6] ». Que ce cœur ne craigne point de rester dans cette vallée de larmes. Dans ce cœur contrit et humilié qu’il ne dédaigne point. Dieu lui-même n’a-t-il pas établi des degrés pour nous aider à monter vers lui ; puisqu’il est dit dans le psaume : « Dans son cœur, dans cette vallée de larmes, « il a établi des degrés vers le sanctuaire préparé par lui-même[7] ? » Où sont établis ces degrés ? « Dans le cœur ». D’où faut-il s’élever ? De cette vallée de larmes. Jusqu’où ? Jusqu’au sanctuaire que lui-même a préparé ». Quel est ce sanctuaire, sinon le séjour du repos et de la paix ? Là habite en effet l’éclatante et immarcessible sagesse. Si donc, pour nous exercer nous-mêmes, Isaïe est descendu de la sagesse à la crainte en suivant comme des degrés de doctrine ; si du séjour de l’éternelle paix il est venu jusqu’à la vallée des larmes qui passent, c’est pour nous dire qu’en confessant nos péchés, qu’en les regrettant, en gémissant et en les pleurant, nous ne resterons pas toujours dans la douleur, les gémissements et les larmes ; mais que nous élevant de cette vallée vers la montagne spirituelle, où est établie notre mère, la sainte cité de Jérusalem, nous y jouirons d’une joie inaltérable. Aussi, après avoir mis en avant la sagesse, l’indéfectible lumière de l’âme, il parle aussitôt de l’intelligence. Ne dirait-on pas qu’on lui demande d’où on arrive à la sagesse ? et qu’il répond : de l’intelligence ; d’où à l’intelligence ? du conseil ; d’où au conseil ? de la force ; d’où à la force ? de la science ; d’où à la science ? de la piété ; d’où à la piété ? de la crainte. C’est ainsi que de la crainte on s’élève jusqu’à la sagesse, car « le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur » ; de la vallée des pleurs jusqu’au mont de la paix.
3. « Heureux », en effet, « les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux[8] ». Ces pauvres sont les humbles de la vallée ; pénétrés de crainte ils offrent à Dieu un cœur contrit et humilié. — De là ils s’élèvent à la piété, qui ne permet point de résister à la volonté divine, soit qu’on la rencontre dans des oracles dont on ne comprend point le sens, soit qu’on l’aperçoive dans l’ordre et le gouvernement de l’univers, où il arrive bien des choses opposées à la volonté de chacun, et où nous devons dire : « Cependant, non pas ce « que je veux, mais ce que vous voulez, mon Père[9] ». Aussi « bienheureux ceux qui « sont doux, car ils auront pour héritage la terre », non pas la terre des mourants, mais la terre dont il est écrit : « Vous êtes mon espoir, mon partage, dans la terre des vivants[10] ». — Par cette piété on méritera de monter un degré de plus, d’arriver à la science, de connaître, non-seulement le mal qu’on a fait autrefois en péchant et qu’on a déploré quand on était sur le premier degré, au degré de la pénitence, mais encore le mal qu’il y a à être mortel et éloigné du Seigneur, comme on est sur terre, lors même que sourit la félicité du siècle. Aussi est-il écrit : « Ajouter « à la science, c’est ajouter à la douleur’ » ; et encore : « Heureux ceux qui pleurent, car ils « seront consolés ». — De là le chrétien s’élève jusqu’à la force ; le monde est crucifié pour lui, et lui l’est pour le monde ; au lieu de laisser refroidir sa charité au milieu de la perversité et des iniquités multipliées de cette vie, il souffre courageusement la faim et la soif de la justice, jusqu’à ce qu’il soit pleinement rassasié en jouissant de l’immortalité des saints et de la société des anges. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés[11]», — Cependant les tentations ne laissent point de relâche ; de plus, il est écrit : « Malheur au monde à a cause des scandales[12] ». Si donc il arrive de tomber par surprise dans quelques-unes de ces fautes légères dont ne s’exempte point la faiblesse humaine, on ne doit pas manquer de conseil. À quelque hauteur qu’élève le don de force, on ne saurait, durant le cours de cette vie mortelle où on lutte continuellement contre l’ennemi le plus rusé, n’être pas blessé quelquefois, surtout en succombant à quelques tentations de parole ; car « si on traite a son frère d’insensé, on sera passible de la géhenne du feu[13] ». Quel est alors le conseil à suivre, sinon celui que donne le Seigneur quand il dit : « Pardonnez et on vous pardonnera [14] ». Voilà pourquoi au don de conseil qu’Isaïe énumère en cinquième lieu, correspond en cinquième lieu aussi, parmi les béatitudes énumérées dans l’Évangile, cette sentence : « Bienheureux les miséricordieux, car « ils obtiendront miséricorde ». — Le sixième degré dans Isaïe est l’intelligence, l’intelligence qui purifie le cœur de tous les égarements où entraîne la faiblesse de la chair, et qui dirige l’intention tout épurée vers la fin suprême. Aussi le Seigneur dit-il en sixième lieu : a Bienheureux ceux qui ont le cœur a pur, car ils verront Dieu[15] ». Une fois arrivé à la fin, on s’arrête, on se repose, on triomphe dans une imperturbable paix. — Or, quelle est notre fin, sinon Dieu, le Christ ? « Le Christ effectivement est la fin de la loi, « pour la justification de quiconque croit en a lui[16] ». Quelle est aussi la sagesse de Dieu, sinon le Christ ? Quel est encore le Fils de Dieu, sinon le Christ ? C’est donc par lui qu’on devient sage, par lui qu’on devient enfant de Dieu, quand on le devient ; et c’est en cela que consiste la paix parfaite et perpétuelle. Voilà pourquoi si, en remontant les degrés qu’Isaïe a descendus pour nous instruire, on rencontre en septième lieu la sagesse, qui a été son point de départ ; le Seigneur qui veut nous relever, a dit en septième lieu : « Bienheureux les pacifiques, car ils seront nommés enfants de Dieu ». Avec de telles promesses et en suivant ces gradations pour arriver jusqu’à Dieu, bravons toutes les aspérités et les persécutions de ce monde, sans nous laisser abattre par ses rigueurs, puisqu’en les surmontant nous jouirons de l’éternelle paix. C’est à quoi nous excite, après nous avoir montré notre fin, cette huitième maxime : « Bienheureux ceux « qui souffrent persécution pour la justice, car « le royaume des cieux est à eux[17] ».