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Sermon CXLI. Jésus notre voie.

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Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CXLI. JÉSUS NOTRE VOIE[1].[modifier]

ANALYSE. – Les philosophes ont pu avec les lumières de la raison se faire quelque idée de la grandeur et de la majesté de Dieu. Mais au lieu de prendre le chemin qui les aurait conduits à la possession de ce bien suprême, ils se sont égarés jusqu’à adorer les idoles. Ah ! que nous sommes heureux que la Vérité même se soit faite notre voie dans la personne de Jésus-Christ ! Attachons-nous inséparablement à Lui.

1. Pendant qu’on lisait l’Évangile saint, vous avez entendu, entre autres, ces paroles du Seigneur Jésus : « Je suis la voie et la vérité et la vie. » Quel homme n’aspire à la vérité et à la vie ? Mais chacun n’en découvre pas la voie. Quelques philosophes même profanes ont vu en Dieu une vie éternelle et immuable, intelligible et intelligente, sage et principe de toute sagesse ; en lui aussi ils ont vu une vérité ferme, stable, invariable et comprenant les idées et les formes de toutes les créatures. Malheureusement ils ne l’ont vue que de loin et du sein de l’erreur ; aussi n’ont-ils point découvert la route qui conduit à la possession de ce magnifique, de cet heureux et ineffable héritage. Ce qui prouve en effet qu’ils ont vu réellement, autant du moins que l’homme en est capable, le Créateur à travers la créature, l’ouvrier à travers son ouvrage et dans le monde l’auteur même du monde, c’est le témoignage, irrécusable pour les Chrétiens, de l’Apôtre saint Paul. Il dit donc en parlant d’eux : « La colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute l’impiété. » Vous reconnaissez bien ici le langage de l’Apôtre. « La colère de Dieu éclate du haut du ciel contre toute l’impiété et l’injustice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’iniquité. » L’Apôtre dit-il que ces hommes ne possèdent pas la vérité ? Non, mais ils « la retiennent dans l’iniquité. » Ce qu’ils possèdent est bon, mais ils ont tort de le garder ainsi : « ils retiennent la vérité dans l’iniquité. »

2. On pouvait demander à saint Paul : comment ces impies sont-ils parvenus à la vérité ? Dieu a-t-il adressé la parole à quelqu’un d’entre eux ? Ont-ils reçu de lui la loi, comme le peuple d’Israël par le ministère de Moïse ? Comment alors peuvent-ils retenir la vérité, fût-ce dans l’iniquité même ? – Prêtez l’oreille à ce qui suit, c’est la réponse. « Parce que ce qui est connu de Dieu est manifeste en eux ; Dieu le leur a manifesté. » – Comment ! il le leur a manifesté et il ne leur a pas donné sa loi ? – Voici de quelle manière. « En effet, ses invisibles perfections ; rendues compréhensibles par ses œuvres, sont devenues visibles. » Interroge le monde et la magnificence du ciel, l’éclat et la disposition des astres, le soleil qui suffit pour former le jour, et la lune qui nous ranime pendant la nuit ; interroge cette terre qui produit en abondance et la verdure et les arbres, qui se couvre d’animaux et qu’embellit le genre humain ; interroge la mer, les grands et nombreux poissons qui la remplissent ; interroge l’atmosphère et les oiseaux qui en font la vie ; interroge enfin tous les êtres et dis-moi si tous ne te répondent pas à leur manière C’est Dieu qui nous a faits. De nobles philosophes ont ainsi interrogé l’univers, et cet œuvre leur a fait connaître l’ouvrier.

Mais alors, comment dire que la colère de Dieu éclate contre leur impiété ? C’est qu’« ils retiennent la vérité dans l’injustice. » Venez, Apôtre, expliquez-vous. Déjà vous avez montré comment ils sont parvenus à connaître Dieu. « Ses invisibles perfections, dit-il, rendues compréhensibles par ses œuvres, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité : de sorte qu’ils sont inexcusables. Car après avoir connu Dieu ils ne l’ont point glorifié comme Dieu ni ne lui ont rendu grâces ; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur cœur insensé s’est obscurci. » C’est toujours l’Apôtre qui parle et non pas moi. « Et leur cœur insensé s’est obscurci. Ainsi en disant qu’ils étaient sages ils sont devenus fous. » L’orgueil leur a fait perdre ce que la curiosité leur avait fait découvrir. « En disant qu’ils étaient sages », en s’attribuant les dons de Dieu, « ils sont devenus fous. » Encore une fois c’est l’Apôtre qui l’assure : « En disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous. »

3. Montrez maintenant, prouvez qu’ils étaient fous. O Apôtre, vous nous avez fait voir comment ils ont pu parvenir à connaître Dieu, « c’est que rendues compréhensibles par ses œuvres, ses invisibles perfections sont devenues visibles. » Montrez-nous de la même manière comment « en se disant sages ils sont devenus fous. » – Le voici : C’est parce qu’« ils ont changé, répond-il, la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles[2]. » Les Païens en effet se sont faits des dieux des figures de ces animaux. Quoi ! tu connais Dieu et tu adores une idole ! Tu connais la vérité et tu la retiens dans l’injustice ! Ce que te révèle l’œuvre de Dieu, tu le sacrifies à l’œuvre d’un homme ! Tu as tout examiné, tu as saisi l’harmonie du ciel et de la terre, de la mer et de tous les éléments ; et tu ne veux pas remarquer que comme le monde est l’ouvrage de Dieu, cette idole est simplement l’ouvrage d’un homme. Si cet homme pouvait donner un cœur à son idole comme il lui a donné une physionomie, cette idole adorerait son auteur. N’est-il par vrai, mon ami, que cette idole est l’œuvre d’un homme, de même que tu es l’œuvre de Dieu ? Qu’est-ce en effet ton Dieu ? Celui qui t’a formé. Et le Dieu de l’ouvrier en idoles ? Celui également qui l’a formé. Le dieu de l’idole n’est-il donc pas aussi l’auteur de l’idole, et ne s’ensuit-il pas que si cette idole avait un cœur, elle adorerait aussi l’ouvrier qui l’a formée ? C’est ainsi que ces philosophes ont retenu la vérité dans l’iniquité et qu’après l’avoir vue, ils n’ont point trouvé le chemin qui conduit à elle.

4. Mais le Christ est dans le sein de son Père la vérité et la vie, il est le Verbe de Dieu et c’est de lui qu’il est écrit : « La vie, était la lumière des hommes[3]  ; » il est donc dans le sein de son Père la vérité et la vie, et comme nous n’avions pas le moyen de nous réunir à cette vérité, lui, le Fils de Dieu, qui est éternellement avec son Père la vérité et la vie, s’est fait homme pour devenir notre voie. Suis cette voie de son humanité, et tu arrives à la divinité. C’est lui qui te conduit à lui-même, et pour y parvenir ne cherche personne que lui. Hélas ! nous serions toujours égarés, s’il n’avait daigné se faire notre voie ; il est réellement devenu la voie où tu dois marcher. Je ne te dirai donc pas : Cherche la voie. Cette voie s’est présentée elle-même devant toi ; en avant, marche ! Ce sont les mœurs qui doivent marcher en toi en non les pieds ; car il en est beaucoup dont les pieds vont bien, tandis que leur conduite va mal, et tout en courant bien ils se précipitent hors de la voie. Tu rencontreras effectivement des hommes dont la conduite est régulière, mais qui ne sont pas chrétiens : ils courent bien, mais hélas ! hors de la voie, et plus ils courent, plus ils s’égarent, puisqu’ils s’éloignent de leur chemin. Ah ! si ces hommes entraient dans la voie, s’ils s’y tenaient, quelle sûreté pour eux, puisqu’ils courraient sans s’égarer ! Combien au contraire ils sont à plaindre de tant marcher sans être dans la voie ! Mieux vaut y marcher en boitant, que de n’y être pas en marchant d’un pas ferme. Que votre charité veuille se contenter de ceci. Tournons-nous, etc[4].

  1. Jn. 14, 6
  2. Rom. 1, 18-23
  3. Jn. 1, 4
  4. Voir. Serm. I