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Sermon XXV. Le bonheur dans l'Évangile.

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Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON XXV. LE BONHEUR DANS L’ÉVANGILE[1].

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ANALYSE. – En expliquant le verset qu’il a pris pour texte, Saint Augustin semble se proposer de faire connaître quel est, le bonheur que promet l’Évangile. – I. Il y a cette différence essentielle entre la loi ancienne et la nouvelle loi, que l’ancienne promettait des biens temporels, tandis que la nouvelle recommande par-dessus tout les biens spirituels de la grâce. Aspirer à ceux-ci, n’est-ce pas échapper à la servitude où jettent ceux-là et s’assurer en quelque sorte le bonheur de l’impeccabilité ? – II. C’est aussi adoucir les maux inséparables de cette vie. L’homme en effet ne peut se mettre à l’abri, complètement au moins, ni des douleurs physiques, ni des souffrances morales que font endurer les méchants, ni des secousses du combat intérieur. Mais l’Évangile lui inspire la résignation et la paix et il s’assure l’éternel bonheur en y tenant ses regards attachés. – Que cet espoir nous détermine à imiter la charité de Zachée.


1. Nous avons dit, en chantant les louanges de Dieu : « Heureux l’homme que vous avez instruit, Seigneur, et à qui vous avez enseigné votre loi. » N’est-ce pas ici le divin Évangile, et Zachée répandant ses aumônes ? Écoutez. La loi de Dieu est-elle préférable au saint Évangile ? Le prophète que vous avez entendu lire a dit de la loi du nouveau Testament : « Voilà que les jours viennent, déclare le Seigneur, et j’établirai un nouveau Testament sur la maison de Jacob ; non pas comme le Testament que j’ai donné à leurs pères en les tirant de la terre d’Égypte[2]. » C’était le Testament promis, il est aujourd’hui accompli ; promis par un prophète ; il est accompli par le Seigneur des prophètes. Lisez et connaissez ce Testament qu’on, appelle l’Ancien. En même temps aussi Dieu donna une loi ; lisez-la ou écoutez-la lire et sachez les promesses qu’elle contenait. À la terre elle promettait une terre où coulaient le lait et le miel, une terre pourtant. Mais si nous pénétrons le sens spirituel, comme en ce pays n’ont jamais coulé le lait et le miel, il est une autre terre où en jailliront les flots ; c’est la terre dont il est parlé ainsi : « Vous êtes mon espoir, mon partage dans la terre des vivants ; [3] » par opposition à celle-ci, laquelle est la terre des mourants. Vous cherchez du lait et du miel ? « Goûtez et « voyez combien le Seigneur est doux[4] ! » Ces noms de lait et de miel désignent sa grâce, qui plaît en même temps qu’elle nourrit. Figurée dans l’ancien Testament, elle est manifestée dans le Nouveau.
2. A cause de ceux qui l’entendent charnellement, qui demandent à Dieu des récompenses charnelles et ne veulent le servir qu’en considération des biens qu’il y promet, cette loi a mérité que l’Apôtre Paul l’accusât d’engendrer pour la servitude [5]. Pourquoi ? Parce que les Juifs la comprennent d’une manière toute charnelle ; car entendue dans un sens spirituel, elle n’est autre chose que l’Évangile. Elle engendre donc pour la servitude. Qui ? Ceux qui servent Dieu en vue des biens de la terre. En effet quand ces biens leur sont donnés, ils rendent grâces au Seigneur. Leur font-ils défaut ? Ils le blasphèment. En servant Dieu dans l’intention de les obtenir, ils ne peuvent le servir franchement lui-même. Ils examinent ceux qui ne l’adorent point et ils remarquent qu’ils possèdent ce qu’eux-mêmes ambitionnent comme prix de leur religion ; ils se disent alors : Quel avantage de servir Dieu ? Suis-je aussi riche que ce blasphémateur perpétuel ? Je prie et j’ai faim : celui-là blasphème et vit dans l’abondance. Celui qui parle ainsi est un homme, un homme de l’ancien Testament. Mais sous le nouveau Testament, le serviteur de Dieu doit compter sur un nouvel héritage, non sur l’ancien. Ah ! Si tu espères ce nouvel héritage, quitte la terre, foule aux pieds le sommet des montagnes, méprise l’arrogance des superbes. Mais après l’avoir méprisée, après l’avoir foulée aux pieds, sois humble et ne tombe pas de ta hauteur. Écoute ce qu’on te dit. Élève ton cœur, élève-le vers le Seigneur et non contré le Seigneur. Tous les superbes élèvent, leur cœur, mais c’est contre Dieu. Veux-tu que ton cœur soit vraiment élevé ? Élève-le vers le Seigneur. Car si tu le tiens élevé vers le Seigneur, le Seigneur le retient et l’empêche de tomber à terre.
3. Heureux donc, « heureux l’homme que vous avez instruit, Seigneur ! » Je parle, je crie, j’explique. Qui me comprend ? Je le sais : c’est « l’homme heureux que vous avez instruit, Seigneur ; » c’est l’homme à qui Dieu parle au cœur : et celui-là est heureux, même quand je me tais, car « vous l’avez instruit, Seigneur, et vous lui avez enseigné votre loi. » Que vient-il ensuite ? Nous avons chanté encore : « Et vous lui avez enseigné votre loi ; afin de l’adoucir par les jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse se creuse pour l’impie. » Celui donc qui est instruit parle Seigneur, celui à qui le Seigneur enseigne sa loi, celui-là s’adoucit au moyen des jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse se creuse pour l’impie. Voici ce que c’est. Il y a des jours mauvais. N’est-il pas vrai que, depuis le moment où nous avons été chassés du paradis, nous passons ici des jours mauvais ? Nos ancêtres ont déploré le temps de leur vie, leurs ancêtres avaient aussi gémi sur leur époque. Nul n’a jamais trouvé bons les jours qu’il a vécu. La postérité envie les anciens jours ; la vieillesse aussi avait regretté les temps, dont elle n’avait pas eu l’expérience et qui lui plaisaient parce qu’elle ne les connaissait pas. En effet, le temps présent a toujours des rigueurs ; ce n’est pas qu’on les sente plus vivement ; mais le cœur en est blessé chaque jour. Ne vous arrive-t-il pas souvent de dire chaque année à l’époque du froid, que jamais il n’a fait si froid, que jamais il n’y a eu tant de tempêtes ? Dieu cependant en est toujours fauteur. Mais « heureux l’homme que vous avez instruit, Seigneur, pour l’adoucir durant les jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse se creuse pour l’impie. »
4. Il y a des jours mauvais. Les jours mauvais sont-ils ceux que forme le cours du soleil ? Les mauvais jours sont produits par les hommes mauvais ; c’est ainsi presque partout, le petit nombre des bons gémit au milieu de la foule des mauvais. Et les justes mêmes ? Les méchants rendront les jours mauvais. Et les justes ? Sans compter ce qu’ils ont à souffrir des hommes pervers au milieu desquels ils gémissent, ne portent-ils pas aussi en eux-mêmes des jours mauvais Qu’ils rentrent en eux-mêmes, qu’ils s’examinent, qu’ils se considèrent avec attention ; et sans sortir de là ils trouveront des jours mauvais. Ils ne veulent pas la guerre, ils cherchent la paix, et qui ne la cherche pas ? Or quoique personne ne veuille la guerre, quoique tous cherchent la paix, le juste même tourne les regards sur soi et il y trouve la guerre. Quelle guerre, diras-tu ? « Heureux l’homme que vous avez instruit, Seigneur, et à qui vous avez enseigné votre loi. » Voici un homme qui me demande quelle guerre le juste souffre en lui-même, enseignez-lui votre loi, faites-lui dire par votre Apôtre : « La chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair [6]. » Et comment rejeter cette, chair si la guerre se déclare, si, ce qu’à Dieu ne plaise, l’ennemi fait invasion ? L’homme fuit et de quelque côté qu’il aille, il traîne avec lui la guerre. Je ne parle pas ici du méchant ; le bon lui-même, le juste expérimente ce que dit l’Apôtre : « La chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair. » Durant cette guerre comment les jours peuvent-ils être heureux ?
5. Il est donc des jours mauvais, mais c’est pour nous adoucir. Quoi ! pour nous adoucir ? Oui, si nous ne nous irritons point contre la divine justice ; si nous lui disons : « Il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos jugements [7] ; » vous m’avez chassé du paradis, vous m’avez éloigné de la béatitude ; je suis dans l’angoisse, dans les gémissements et mes gémissements ne vous sont point inconnus. Mais « il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos jugements. » J’apprends, durant les jours mauvais, à rechercher les jours heureux. – Que sont ces jours heureux ? Ne les cherchez point pour le moment ? Croyez-moi, ou plutôt croyez-le avec moi, vous ne les trouveriez point. Les jours mauvais passeront, puis viendront les jours heureux ; ils viendront pour les bons, car aux méchants sont réservés des jours plus malheureux encore.
6. En effet je vous demande à mon tour : « Quel est l’homme qui désire la vie ? » Je sais que tous les cœurs me répondent : Eh ! quel est l’homme qui ne la désire point ? J’ajoute : « Et qui aime à voir des jours heureux ? » Tous vous me répondez encore : Eh ! quel est celui qui n’aime pas à voir des jours heureux ? C’est bien : vous voulez la vie, vous voulez des jours heureux. Quand je disais : « quel est l’homme qui désire la vie ? chacun me répondait, je n’en doute pas : C’est moi. « Quel est l’homme qui veut voir des jours heureux ? » Chacun encore né dit-il pas en silence : C’est moi ? Écoute donc ce qui suit : « Préserve ta langue de toute parole mauvaise. » Dis donc : Oui. Tu cherches le pardon ; je vais te le trouver. Ce qui est passé est passé : si tu as été méchant, rapporteur, accusateur, calomniateur, médisant ; c’est assez. Que tout cela passe avec les jours mauvais ; toi seulement ne passe pas avec eux. Car la peux te retenir pour n’être pas emporté. Les choses humaines passent comme un fleuve ; comme un fleuve s’écoulent les jours mauvais : Pour n’être pas entraîné, saisis le bois. Les flots se précipitent : car « toute chair n’est que de l’herbe et toute beauté charnelle est comme la fleur des champs. » Tout passe, tout se précipite : « l’herbe se dessèche, la fleur tombe. » Où m’arrêter ? « La parole du Seigneur demeure éternellement [8]. »
7. Préserve donc ta langue de tout ce qui est mal, et tes lèvres de tout mensonge. Toi qui voulais ou plutôt qui veux la vie et les jours heureux, « fuis le mal et fais le bien. Cherche « la paix », la paix que nous souhaitons, même dans cette chair mortelle, même dans ce corps fragile, au milieu de tant de vanités et de mensonges. Recherchez tous la paix. « Cherche la paix et la poursuis[9]. » Où est-elle ? Où la chercher ? Par où a-t-elle passé ? Par où a-t-elle passé, afin que je la poursuive ? C’est par toi qu’elle a passé, mais elle n’y a point demeuré. À qui s’adresse ce langage ? Au genre humain ce n’est pas à chacun de nous, mais au genre humain. La paix a donc passé à travers le genre humain ; pendant qu’elle passait, l’aveugle dont il était parlé hier a fait entendre ses cris. Et où est-elle allée ? Cherche d’abord quelle est cette paix, vois ensuite où elle est allée et suis-la. Quelle est-elle ? Écoute l’Apôtre ; il disait du Christ. « Il est notre paix, il a uni les deux[10]. » Le Christ est donc cette paix. Où est-elle allée ? Il a été crucifié et enseveli, il est ressuscité des morts et monté au ciel. C’est là qu’est allée la paix. Comment la suivre ? Élève ton cœur ; tu l’apprendras. On te l’apprend chaque jour en peu de mots, lorsqu’on te dit : Élève ton cœur ; élève-le plus haut encore et tu atteindras la paix ; écoute encore mieux et tu poursuivras la paix véritable, ta propre paix, la paix qui a soutenu pour toi les travaux de la guerre ; la paix qui en soutenant la guerre dont tu devais recueillir les fruits, a prié pour les ennemis de la paix et a dit du haut de la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[11]. » On était en guerre, et la paix sortait de la croix. Elle en sortait. Ensuite ? Elle est montée au ciel. Cherche-la. Mais par quel moyen ? Écoute l’Apôtre : « Si vous êtes ressuscités avec le. Christ, cherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut, non les choses de la terre. Car vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Quand le Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire[12]. » Voilà les jours heureux, désirons-les ; et vivons pour y parvenir, prions dans ce but et faisons l’aumône.
8. Déjà voici l’hiver, par la grâce de Dieu : songez aux pauvres, cherchez à revêtir la nudité de Jésus-Christ. Pendant la lecture de l’Évangile, n’avons-nous pas tous estimé le bonheur de Zachée sur qui le Christ jeta les yeux lorsqu’il était sur un arbre, attentif à le voir passer ? Comment ce publicain aurait-il espéré donner dans sa demeure l’hospitalité au Fils de Dieu ? Et quand le Sauveur lui disait : « Descends, Zachée, il faut qu’aujourd’hui je loge dans ta maison : » j’ai entendu le sourd murmure de vos félicitations [13]. Comme si vous étiez tous dans la personne de Zachée pour recevoir Jésus-Christ, tous vos cœurs ont dit : O heureux Zachée ! Le Seigneur est entré dans sa demeure. O heureux Zachée ! Pouvons-nous jouir du même bonheur ? Le Christ est au ciel. O Jésus ! rappelez-moi le Testament nouveau ; rendez-moi heureux par votre loi. Lis toi-même et sache que tu n’es pas privé de la présence du Christ. Écoute ce qu’il dira an moment du jugement : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, vous me l’avez fait [14]. » Chacun de vous s’attend à recevoir le Christ assis au Ciel : voyez-le d’abord gisant sous les portiques ; voyez-le souffrant la faim et le froid ; voyez-le indigent et étranger. Faites vos aumônes accoutumées et plus encore. Que les bonnes œuvres croissent avec l’instruction. Vous louez celui qui vous la donne ; montrez que vous en profitez. Ainsi soit-il.

  1. Ps. 93, 12
  2. Jér. 31, 31-32
  3. Ps. 93, 6
  4. Ps. 33, 9
  5. Gal. 4, 24
  6. Gal. 5, 17
  7. Ps. 118, 71
  8. Is. 11, 6-8
  9. Ps. 33, 15
  10. Eph. 2, 14
  11. Lc. 23, 46
  12. Col. 3, 1-4
  13. Lc. 20, 6
  14. Mt. 25, 40