Shirley/30

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Shirley
Traduction par Ch. Romey et A. Rolet.
Shirley et Shirley et Agnès GreyCh. Lahure et Cie (p. 91-108).


CHAPITRE VI.

L’oncle et la nièce.


Le dé était jeté. Sir Philippe le savait ; Shirley le savait. Cette soirée, où toute la famille de Fieldhead dînait au prieuré de Nunnely, devait décider de l’affaire.

Deux ou trois choses avaient amené sir Philippe Nunnely à se prononcer. Il avait observé que miss Keeldar avait l’air pensif et souffrant. Cette nouvelle phase dans sa manière d’être le frappa dans son côté faible, son côté poétique. Des sonnets fermentèrent tout à coup dans son cerveau ; et, pendant qu’ils s’élaboraient, une des sœurs persuada à la dame de ses amours de s’asseoir au piano et de chanter une ballade, une des propres ballades de sir Philippe. C’était le moins travaillé, le moins affecté, et sans comparaison le meilleur de ses nombreux essais poétiques.

Il arriva que Shirley, l’instant auparavant, avait été occupée à regarder par la fenêtre donnant sur le parc ; elle avait vu ce clair de lune orageux que le professeur Louis, peut-être au même moment, contemplait de la fenêtre du parloir de Fieldhead ; elle avait vu les arbres isolés du domaine, des chênes puissants et des hêtres d’une hauteur immense, agités par la tourmente. Son oreille avait entendu le mugissement profond de la forêt ; son œil avait vu les nuages violemment chassés passer sur le disque argenté de la lune : elle s’arracha à cette vue et à ces bruits, touchée, sinon ravie, excitée, sinon inspirée.

Elle chanta, comme on l’en avait priée. Il y avait beaucoup de choses dans la ballade : l’amour fidèle qui refusait d’abandonner son objet ; l’amour que le malheur ne pouvait ébranler ; l’amour qui dans la calamité devenait plus fort, dans la pauvreté s’attachait plus étroitement : les paroles étaient adaptées à un vieil air très-beau ; par elles-mêmes, elles étaient simples et douces ; peut-être, à la lecture, manquaient-elles de force ; bien chantées, il ne leur manquait rien. Shirley les chanta bien : elle en interpréta admirablement le sentiment et la douceur ; elle leur donna de la passion, de la force : sa voix était belle ce soir-là, son expression dramatique : elle impressionna tous ses auditeurs et en charma un.

En quittant l’instrument, elle s’approcha du feu et s’assit sur un siège moitié tabouret, moitié coussin : les ladies étaient autour d’elle, aucune n’ouvrait la bouche. Les miss Sympson et les miss Nunnely la regardaient comme d’innocentes poules pourraient regarder une aigrette, un ibis, ou tout autre volatile rare. Qu’est-ce qui la faisait chanter ainsi ? Elles n’avaient jamais chanté de la sorte. Était-il décent de chanter avec une telle expression, une telle originalité, si différemment d’une écolière ? Décidément non : c’était étrange ; c’était inusité. Ce qui était étrange devait être mal ; ce qui était inusité devait être inconvenant. Shirley était jugée. De plus, la vieille lady Nunnely, du haut de sa grande chaise placée au coin du feu, la regardait avec des yeux pétrifiants. Son regard disait :

« Cette femme n’est pas de mon espèce ni de l’espèce de mes filles ; je ne veux pas qu’elle soit la femme de mon fils. »

Sir Philippe, saisissant le regard, en découvrit la signification : il s’alarma ; ce qu’il avait tant désiré gagner, il courait risque de le perdre. Il devait se hâter.

La salle dans laquelle ils étaient avait été autrefois une galerie de tableaux. Le père de sir Philippe, sir Monkton, l’avait convertie en salon. Un réduit profond, avec une fenêtre, réduit qui contenait autrefois un lit, une table et une armoire, formait une chambre dans une autre. Deux personnes pouvaient échanger là un dialogue parfaitement secret, pourvu toutefois qu’il ne fût ni trop haut ni trop long.

Sir Philippe décida deux de ses sœurs à chanter un duo ; il donna de l’occupation aux miss Sympson : les deux ladies conversaient ensemble. Il eut le plaisir de remarquer que, pendant ce temps, Shirley s’était levée pour regarder les tableaux. Il avait une histoire à lui dire touchant une de ses ancêtres dont la sombre beauté ressemblait à celle d’une fleur du midi : il la rejoignit et commença son récit.

Il y avait dans l’armoire placée dans le réduit des objets qui avaient appartenu à la même lady ; et, pendant que Shirley s’arrêtait pour examiner le missel et le rosaire placés sur un des rayons, et que les miss Nunnely se plaisaient à prolonger leur chant dénué d’expression, pur de toute originalité, parfaitement conventionnel et sans la moindre signification, sir Philippe s’arrêta aussi, et lui murmura quelques phrases précipitées. D’abord miss Keeldar fut frappée d’une telle immobilité, que l’on aurait pu s’imaginer que le charme de ce murmure l’avait changée en statue. Mais aussitôt elle leva les yeux et répondit. Ils se séparèrent. Miss Keeldar retourna auprès du feu et reprit son sié ge ; le baronnet la suivit des yeux, puis alla se placer derrière ses sœurs. M. Sympson, M. Sympson seulement, avait remarqué la pantomime.

Ce gentleman tira ses propres conclusions. S’il avait été aussi fin qu’il était intrigant, aussi profond qu’il était curieux, il eût pu trouver sur le visage de sir Philippe de quoi rectifier son induction. Toujours superficiel, impatient et entêté, il rentra à Fieldhead triomphant.

Il n’était pas homme à bien garder ses secrets : quand il était fier d’une chose, il ne pouvait s’empêcher d’en parler. Le lendemain matin, ayant occasion d’employer le précepteur de son fils comme secrétaire, il lui annonça, avec un accent et des manières bouffies de vanité, qu’il ferait bien de se préparer pour un prochain retour dans le Midi, attendu que l’importante affaire qui l’avait si longtemps retenu, lui, M. Sympson, dans le Yorkshire, était à la veille d’avoir la plus heureuse terminaison : ses anxieux et pénibles efforts, à la fin, ajouta-t-il, allaient très-probablement être couronnés du plus heureux succès, et une très-honorable alliance était sur le point d’accroître les relations de la famille.

« En la personne de sir Philippe Nunnely ? » conjectura Louis Moore.

Sur quoi M. Sympson se donna la satisfaction d’une prise de tabac et d’un ricanement réprimé seulement par un soudain accès de dignité ; puis il ordonna au précepteur de continuer son travail.

Pendant un jour ou deux, M. Sympson se montra doux comme l’huile ; mais aussi il semblait être assis sur des épingles, et sa démarche ressemblait à celle d’une poule marchant sur une plaque chaude. Sans cesse il regardait à la fenêtre, cherchant à saisir le bruit d’une voiture. La femme de Barbe-Bleue et la mère de Sisara n’étaient rien à côté de lui ; il attendait avec anxiété le moment où la demande serait faite en forme, où lui-même serait consulté et les hommes de loi appelés ; où commenceraient pompeusement les discussions et tout ce délicieux fracas qui précède un mariage.

À la fin, il vit une lettre ; il la remit lui-même à miss Keeldar : il connaissait l’écriture, il connaissait le cachet. Il n’assista point à l’ouverture ni à la lecture, car Shirley l’emporta dans sa chambre ; il ne vit pas non plus la réponse, car elle s’enferma et y mit un temps considérable, la plus grande partie de la journée. Il lui demanda si elle avait répondu ; elle répondit : oui.

Il attendit encore, il attendit en silence, n’osant absolument pas parler, rendu muet par quelque chose qui se faisait remarquer sur le visage de Shirley, quelque chose de terrible, aussi inscrutable pour lui que les mots tracés sur le mur du palais de Balthasar. Il eut plus d’une fois l’idée d’appeler Daniel, dans la personne de Louis Moore, et de lui en demander l’interprétation ; mais le décorum lui interdit cette familiarité. Daniel lui-même, peut-être, avait ses propres difficultés à propos de cette traduction embarrassante : il avait l’air d’un élève pour qui les grammaires sont confuses et les dictionnaires muets.


M. Sympson était allé se débarrasser d’une heure d’anxiété en la compagnie de ses amis à De Walden Hall. Il revint un peu plus tôt qu’on ne l’attendait ; sa famille et miss Keeldar étaient assemblés dans le parloir aux boiseries de chêne ; s’adressant à cette dernière, il lui demanda de passer avec lui dans une autre pièce, désirant avoir avec elle une entrevue strictement privée.

Elle se leva, sans adresser de question, sans manifester de surprise.

« Très-bien, monsieur, » dit-elle du ton déterminé d’une personne qui est informée que le dentiste est arrivé pour lui extraire la molaire qui lui a fait endurer depuis un mois les tourments du purgatoire. Elle laissa son travail de couture et son dé, et suivit son oncle où il la conduisait.

Enfermés dans le salon, ils prirent chacun un fauteuil et se placèrent en face l’un de l’autre, à quelques pas de distance.

« J’ai été à De Walden Hall… » dit M. Sympson. Il fit une pause. Miss Keeldar tenait les yeux fixés sur le joli tapis vert et blanc. Il n’y avait pas de réponse à faire ; elle n’en fit aucune.

« J’ai appris, continua-t-il lentement, j’ai appris une circonstance qui me surprend. »

Appuyant sa joue sur son index, elle attendit qu’on lui fit connaître la circonstance.

« Il paraît que le prieuré de Nunnely est fermé, que la famille est retournée à sa résidence ordinaire. Il paraît que le baronnet… que le baronnet… que sir Philippe lui-même a accompagné sa mère et ses sœurs.

— Vraiment ! dit Shirley.

— Puis-je vous demander si vous partagez l’étonnement avec lequel j’ai appris cette nouvelle ?

— Non, monsieur.

— Est-ce une nouvelle pour vous ?

— Oui, monsieur.

— J’entends, j’entends, poursuivit M. Sympson, s’agitant alors sur sa chaise, et quittant la phraséologie brève et assez claire dont il s’était servi jusque-là, pour retourner au style verbeux, confus et irritable, qui lui était habituel ; j’entends avoir une complète explication. Je ne veux pas être joué. J’insiste pour… pour interroger à ma manière. Je veux qu’il soit fait réponse à mes questions. Je veux des réponses claires et satisfaisantes. Je ne suis pas homme à me laisser jouer ! C’est une chose étrange et extraordinaire, une chose très-singulière ! Je pensais que tout allait bien, et voilà que la famille est partie !

« Je suppose, monsieur, qu’ils avaient le droit de partir.

Sir Philippe est parti ! »

Shirley releva ses sourcils : « Bon voyage ! dit-elle.

— Cela ne sera pas : il faut que cela change, madame. »

Il tirait sa chaise en avant, il la repoussait en arrière ; il paraissait tout à fait en fureur.

« Allons ! allons, mon oncle ! dit Shirley, ne commencez pas à jeter feu et flamme, ou nous ne ferons rien de bon. Demandez-moi ce que vous voulez savoir ; je suis aussi désireuse que vous d’en vernir à une explication : je vous promets de sincères réponses.

— Je veux savoir, je demande à savoir, miss Keeldar, si sir Philippe vous a fait l’offre de sa main.

— Il me l’a faite.

— Vous l’avouez ?

— Je l’avoue. Maintenant, continuez ; regardez ce point comme établi.

— Il vous a fait cette offre le soir où nous avons dîné au prieuré.

— Il suffit de vous dire qu’il l’a faite ; continuez.

— Il vous l’a faite dans le petit réduit, dans la chambre qui a été une galerie de tableaux, que sir Monkton convertit en salon ? »

Pas de réponse.

« Vous examiniez tous deux une armoire : je vis tout ; ma sagacité ne fut point en défaut, elle ne l’est jamais. Plus tard, vous avez reçu de lui une lettre. Sur quel sujet ? de quelle nature était son contenu ?

— Peu importe.

— Madame, est-ce là la manière dont vous me parlez ? »

Shirley frappait le tapis à coups redoublés avec son pied.

« Vous voilà silencieuse et irritée, vous qui m’avez promis de sincères réponses !

— Monsieur, je vous ai répondu jusqu’ici ; continuez.

— J’aimerais à voir cette lettre.

— Vous ne pouvez la voir.

— Je dois la voir, et je la verrai, madame. Je suis votre tuteur.

— Ayant cessé d’être mineure, je n’ai plus de tuteur.

— Ingrate ! élevée par moi comme ma propre fille…

— Une fois de plus, mon oncle, ayez la complaisance de ne pas vous écarter de la question. Demeurons de sang-froid. Pour ma part, je n’ai nulle envie de m’emporter ; mais, vous le savez, une fois poussée dans certaines limites, je ne pèse guère ce que je dis. Je ne suis pas alors facile à arrêter. Écoutez ! Vous m’avez demandé si sir Philippe m’a offert sa main : j’ai répondu à cette question. Que voulez-vous savoir encore ?

— Je désire savoir si vous l’avez accepté ou refusé ; et je le saurai.

— Certainement, vous allez le savoir : je l’ai refusé.

— Vous l’avez refusé ! Vous, vous, Shirley Keeldar, refuser sir Philippe Nunnely ?

— Je l’ai refusé. »

Le pauvre gentleman bondit de sa chaise, et se précipita d’abord, puis trotta à travers la chambre.

« C’est cela ! c’est cela ! c’est cela !

— Pour parler sincèrement, je suis fâchée, mon oncle, de vous voir si fort désappointé. »

La concession, la contrition, ne font aucun bien près de certaines personnes. Au lieu de les adoucir et de les apaiser, elles ne font que les enhardir et les endurcir davantage : de ce nombre était M. Sympson.

« Moi désappointé ! Qu’est-ce que cela me fait ? Est-ce que j’ai un intérêt à ce mariage ? Vous voudriez insinuer peut-être que j’avais des motifs ?

— Beaucoup de gens ont des motifs, d’un certain genre, pour leurs actions.

— Elle m’accuse en face ! moi qui lui ai servi de père ! elle m’attribue de mauvais motifs !

— Je n’ai pas dit mauvais.

— Et maintenant vous prévariquez. Vous n’avez aucuns principes.

— Mon oncle, vous me fatiguez ; j’ai besoin de m’en aller.

— Vous ne sortirez pas ! vous me répondrez. Quelles sont vos intentions, miss Keeldar ?

— À propos de quoi ?

— À propos de votre mariage.

— J’entends que l’on me laisse tranquille, et je ferai absolument ce qu’il me plaira.

— Ce qu’il vous plaira ! Ces mots sont inconvenants au dernier point.

— Monsieur Sympson, je vous engage à ne pas vous servir d’expressions insultantes : vous savez que je ne supporte pas cela.

— Vous lisez des ouvrages français. Votre esprit est empoisonné par les romans français. Vous êtes imbue de principes français !

— Le sol sur lequel vous marchez rend un son fort creux sous vos pieds. Prenez garde !

— Cela finira par le déshonneur, tôt ou tard ! Je l’ai prévu depuis le commencement.

— Voulez-vous dire, monsieur, que quelque chose qui me concerne finira par le déshonneur ?

— Oui, oui. Vous venez à l’instant de dire que vous agiriez comme il vous plairait. Vous ne connaissez ni règles ni limites.

— Impertinentes divagations ! aussi vulgaires qu’impertinentes !

— Sans égard pour le décorum, vous êtes décidée à braver toutes les convenances.

— Vous me fatiguez, mon oncle.

— Quoi, madame ! Quelles ont pu être vos raisons pour refuser sir Philippe Nunnely ?

— Enfin, voilà une question sensée ; j’y répondrai avec plaisir. Sir Philippe est trop jeune pour moi ; je le regarde comme un enfant ; tous ses parents, sa mère surtout, seraient contrariés de le voir m’épouser ; un tel mariage le brouillerait avec eux ; selon les idées du monde, je ne suis point son égale.

— Est-ce là tout ?

— Nos caractères ne sont pas sympathiques.

— Quoi ! jamais plus aimable gentleman n’a existé.

— Il est fort aimable, excellent, vraiment estimable, mais il n’est pas mon maître, pas même sur un seul point. Je ne pourrais me fier à lui, ni faire son bonheur ; pour aucune fortune je ne voudrais l’entreprendre. Je n’accepterai jamais une main qui ne pourrait me maîtriser.

— Je pensais que vous aimiez à faire ce qui vous plaît : vous êtes fort inconséquente.

— Lorsque je promettrai d’obéir, ce sera dans la conviction que je pourrai tenir cette promesse ; je ne pourrais obéir à un jeune homme comme sir Philippe, D’ailleurs, il ne me commanderait jamais ; il se reposerait toujours sur moi du soin de gouverner, de guider, et je n’ai pas le moindre goût pour cet emploi.

— Vous n’avez aucun goût pour dominer, pour soumettre, pour ordonner, pour gouverner ?

— Mon mari, non ; seulement mon oncle.

— Quelle est la différence ?

— Il y a une légère différence ; c’est certain. Et je sais fort bien que tout homme qui voudra vivre heureux et paisible avec moi, comme mari, devra être capable de me réprimer.

— Je voudrais que vous eussiez un vrai tyran.

— Un tyran ne me tiendrait pas un jour, une heure en son pouvoir. Je me révolterais, je m’arracherais de ses mains, je le défierais !

— Vous êtes capable de détraquer le cerveau de l’homme le plus sensé, avec vos étranges contradictions.

— Il est évident que je dérange le vôtre.

— Vous parlez de la jeunesse de Philippe ; mais il a vingt-deux ans.

— Mon mari doit avoir trente ans, avec la raison de quarante.

— Il vous faudrait quelque vieillard, quelque amoureux à tête blanche ou chauve.

— Non, je vous remercie.

— Vous pourriez conduire quelque radoteur, vous pourriez l’attacher à votre tablier.

— C’est ce que je ferais sans doute en épousant un enfant ; mais je n’ai pas de vocation pour cela. Ne vous ai-je pas dit que je préférais un maître ? un homme en la présence duquel je me sentirais obligée et disposée à être bonne ; un homme dont mon tempérament impatient dût reconnaître l’autorité ; un homme dont l’approbation pût me récompenser et le mécontentement me punir ; un homme qu’il me semblât impossible de ne pas aimer et très-possible de craindre.

— Qu’est-ce qui vous empêche donc d’avoir tout cela avec sir Philippe ? Il est baronnet ; c’est un homme de rang, de fortune, d’une excellente famille, bien au-dessus de la vôtre. Si vous parlez d’intelligence, il est poëte : il fait des vers, ce que vous, je l’affirme, avec toute votre habileté, ne pouvez faire.

— Ni son titre, ni sa fortune, ni sa généalogie, ni son talent poétique, ne peuvent l’investir du pouvoir dont j’ai parlé. Ce sont des qualités trop légères. Un peu de bon sens pratique, solide et sain, le placerait plus haut dans mon estime.

— Vous et Henry raffolez de poésie ; vous aviez coutume de prendre feu comme de l’amadou sur ce sujet, quand vous étiez enfant.

— Oh ! mon oncle, il n’y a de réellement précieux en ce monde, il n’y a de glorieux dans le monde à venir que la poésie !

— Eh bien donc, épousez un poète.

— Montrez-m’en un, je ne demande pas mieux.

— Sir Philippe.

— Point du tout. Vous êtes presque aussi poëte que lui.

— Madame, vous sortez de la question.

— Vraiment, mon oncle, je voudrais bien en être dehors, et je serais heureuse de vous en faire sortir avec moi. Ne nous mettons pas en colère, je vous en prie ; cela n’en vaut pas la peine.

— En colère ! miss Keeldar ! je serais content de savoir qui est-ce qui est en colère !

— Je ne le suis pas encore.

— Si vous avez l’intention d’insinuer que je le suis, je vous déclare coupable d’impertinence.

— Vous le serez bientôt, si vous allez de ce train.

— C’est cela ! vous avez une langue qui mettrait à l’épreuve la patience de Job.

— Je le sais bien.

— Trêve de plaisanterie, miss ! Ceci est une chose sérieuse. C’est une affaire que je suis résolu de tirer au clair, convaincu qu’il y a quelque chose de mal au fond. Vous venez de peindre, avec beaucoup plus de liberté qu’il ne convient à votre âge et à votre sexe, l’espèce d’individu que vous préféreriez pour votre mari. Veuillez, je vous prie, me dire si c’est un tableau d’après nature ? »

Shirley ouvrit les lèvres ; mais, au lieu de parler, elle devint rouge comme une rose.

« J’aurai une réponse à cette question, s’écria M. Sympson, tirant un grand courage et d’immenses conséquences de ce symptôme de confusion.

— C’est une peinture historique, mon oncle, d’après plusieurs originaux.

— Plusieurs originaux ? grand Dieu !

— J’ai été amoureuse plusieurs fois.

— Quel cynisme !

— De héros de plusieurs nations.

— Et après…

— Et de philosophes.

— Elle est folle.

— N’agitez pas la sonnette, mon oncle ; vous allez alarmer ma tante.

— Votre pauvre chère tante, quelle nièce elle a !

— Autrefois j’aimais Socrate.

— Oh ! ne plaisantez pas, madame.

— J’admirais Thémistocle, Léonidas, Épaminondas.

— Miss Keeldar !

— Je passe sur plusieurs siècles. Washington était assez laid, et cependant je l’ai aimé ; mais, pour parler du temps présent…

— Ah ! le temps présent.

— Pour quitter les rêveries d’écolière et arriver à la réalité…

— La réalité ! voilà l’épreuve où vous voulez arriver, madame.

— Pour avouer devant quel autel maintenant je m’agenouille, pour révéler l’idole actuelle de mon âme…

— Hâtez-vous, s’il vous plaît ; l’heure du goûter approche, et il faut que vous me fassiez votre confession.

— Il faut que je me confesse : mon cœur est plein du secret ; il faut que je le dévoile. Seulement je voudrais que vous fussiez M. Helstone, au lieu d’être M. Sympson ; vous sympathiseriez mieux avec moi.

— Madame, ceci est une question de sens commun et de prudence ordinaire, et non une affaire de sympathie et de sentiment. Avez-vous dit que c’était M. Helstone ?

— Non pas précisément, mais aussi près que possible ; ils ont beaucoup de ressemblance.

— Je veux savoir le nom ; je veux connaître les détails.

— Ils sont positivement ressemblants ; leur visage est le même : c’est une paire de faucons humains, secs, absolus et décidés tous deux. Mais mon héros est le plus puissant des deux : son intelligence a la clarté de la mer profonde, la patience de ses rocs, la force de ses vagues.

— Pur galimatias !

— Je puis dire qu’il est rude comme le tranchant d’une scie, brusque comme un corbeau affamé.

— Miss Keeldar, cette personne réside-t-elle à Briarfield ? Répondez à cela.

— Mon oncle, je vais vous le dire, son nom tremble sur ma langue.

— Parlez, fille !

— C’est très-bien dit, mon oncle ! « Parlez, fille ! » est tout à fait tragique. L’Angleterre a hurlé avec sauvagerie contre cet homme, mon oncle ; un jour elle l’acclamera avec frénésie. Il n’a pas été effrayé par les clameurs, et il ne sera pas enflé par l’acclamation.

— Je disais qu’elle était folle, elle l’est.

— Cette nation changera et changera encore de conduite envers lui : il ne changera jamais dans sa manière de remplir ses devoirs envers elle. Allons, cessez de vous échauffer, mon oncle, je vais vous dire son nom.

— Vous me le direz, ou bien…

— Écoutez ! C’est Arthur Wellesley, lord Wellington. »

M. Sympson se leva furieux : il bondit hors de la chambre, mais il rentra immédiatement, ferma la porte et reprit son siége.

« Madame, vous allez répondre à ceci : Vos principes vous permettraient-ils d’épouser un homme sans fortune, un homme au-dessous de vous ?

— Un homme au-dessous de moi, jamais.

— Miss Keeldar, épouseriez-vous un homme pauvre ?

— Quel droit avez-vous, monsieur Sympson, de me demander cela ?

— J’insiste pour le savoir.

— Vous ne prenez pas la bonne manière.

— La respectabilité de ma famille ne sera pas compromise.

— Excellente résolution : tenez-la.

— Madame, c’est vous qui la tiendrez.

— C’est impossible, monsieur, puisque je ne fais pas partie de votre famille.

— Est-ce que vous nous désavouez ?

— Je dédaigne votre dictature.

— Qui épouserez-vous, miss Keeldar ?

— Non M. Sam Wynne, parce que je le méprise ; non sir Philippe Nunnely, parce que je l’estime seulement.

— Qu’avez-vous en vue ?

— Quatre candidats rejetés.

— Une semblable obstination est inexplicable, à moins que vous ne soyez sous une influence impropre.

— Que voulez-vous dire ? Il y a certaines phrases qui ont le pouvoir de me faire bouillir le sang. Influence impropre ! Qu’est-ce que cette expression de vieille femme ?

— Êtes-vous une jeune lady ?

— Je suis mille fois mieux que cela ; je suis une honnête femme, et je veux être traitée comme telle.

— Savez-vous (se penchant mystérieusement en avant et parlant avec une effrayante solennité), savez-vous que le voisinage est plein de rumeurs sur vous et votre tenancier banqueroutier, l’étranger Moore ?

— Vraiment !

— Oui. Votre nom est dans toutes les bouches.

— Il honore les lèvres entre lesquelles il passe ; puisse-t-il aussi les purifier !

— Est-ce cet homme qui a le pouvoir de vous influencer ?

— Plus que tous ceux dont vous avez plaidé la cause.

— Est-ce lui que vous voulez épouser ?

— Il est beau, il est brave, il est résolu.

— Vous osez me déclarer cela en face ? Ce misérable Flamand ! ce vil marchand !

— Il a du talent, il est aventureux et plein de courage. Il a le front d’un prince et la démarche d’un maître.

— Elle se glorifie en lui ! Elle ne cache rien. Pas de honte, pas de crainte !

— Quand on prononce le nom de Moore, on ne doit avoir aucune idée de honte ni de crainte. Les Moore ne connaissent que l’honneur et le courage.

— Je dis qu’elle est folle.

— Vous m’avez mise hors de moi par vos sarcasmes ; vous m’avez exaspérée par vos provocations !

— Ce Moore est le frère du précepteur de mon fils. Permettriez-vous qu’un homme dans cette position vous donnât le nom de sœur ? »

L’œil de Shirley brilla d’un éclat particulier ; elle le fixa sur son interlocuteur.

« Non, non, dit-elle. Pas pour un royaume ! pas pour un siècle d’existence !

— Vous ne pouvez séparer le mari de sa famille.

— Quoi alors ?

— Vous serez la sœur de Louis Moore.

— Monsieur Sympson… Ces nauséabondes altercations me font mal au cœur ; je ne les supporterai pas plus longtemps. Vos pensées ne sont pas mes pensées, vos vues ne sont pas mes vues, vos dieux ne sont pas mes dieux. Nous ne voyons pas les choses sous le même aspect ; nous ne les mesurons pas à la même mesure ; nous parlons à peine la même langue. Séparons-nous.

— Ce n’est pas, reprit-elle vivement excitée, ce n’est pas que je vous haïsse ; vous êtes une bonne espèce d’homme ; peut-être avez-vous d’excellentes intentions : mais nous ne pouvons nous entendre ; nous sommes toujours en désaccord ! Vous m’ennuyez avec vos petites intrigues, avec votre misérable tyrannie ; vous exaspérez mon caractère et me tenez dans un continuel état d’irritation. Quant à vos petites maximes, à vos règles étroites, à vos préjugés, à vos aversions, à vos dogmes, faites-en un fagot, et allez l’offrir en sacrifice à la divinité de votre culte. Je n’en accepte aucun ; je me dirige d’après une autre religion, une autre lumière, une autre foi, une autre espérance que les vôtres.

— Une autre religion ! Je crois qu’elle est infidèle.

— Une infidèle pour votre culte ; une athée pour votre Dieu.

Une… athée !!!

— Votre Dieu, monsieur, c’est le Monde. À mes yeux, vous aussi, si vous n’êtes un infidèle, êtes un idolâtre ; je crois que vous adorez par ignorance : en toute chose vous me paraissez trop superstitieux. Monsieur, votre Dieu, votre grand Baal, votre Dragon à queue de poisson, se dresse devant moi comme un démon. Vous, et d’autres semblables à vous, l’avez élevé sur un trône, lui avez placé sur la tête une couronne, lui avez mis un sceptre à la main. Voyez comme il gouverne hideusement ! Voyez-le occupé à l’œuvre qu’il aime le mieux : faire des mariages. Il lie le jeune au vieux, le fort à l’impotent. Comme autrefois Mézence, il enchaîne le mort au vivant. Dans son royaume est la haine, la secrète haine ; la trahison, la trahison de famille ; le vice, le vice domestique, profond et mortel. Dans ses États les enfants croissent sans aimer, entre des parents qui n’ont jamais connu l’amour ; ils sont mis dès leur naissance au régime de la déception ; ils sont élevés dans une atmosphère corrompue par le mensonge. Tout ce que votre Dieu environne se précipite vers la décrépitude : tout décline et dégénère sous son sceptre. Votre Dieu, c’est la Mort avec un masque.

— Voilà un langage terrible ! Mes filles et vous ne devez plus avoir de relations ensemble, miss Keeldar : il y a du danger pour elles dans la société d’une compagne telle que vous. Si je vous eusse connue plus tôt ! mais, tout extraordinaire que je vous croyais, je n’eusse jamais pensé…

— Maintenant, monsieur, commencez-vous à être persuadé qu’il est inutile de faire des projets pour moi ? qu’en agissant ainsi, vous semez le vent pour récolter la tempête ? Je balaye de mon chemin vos projets pareils à la toile d’araignée, afin de passer sans me souiller. J’ai jeté l’ancre sur une résolution que vous ne pouvez ébranler. Mon cœur, ma conscience, disposeront de ma main : eux seuls. Sachez-le enfin ! »

M. Sympson commençait à être effrayé.

« Jamais je n’ai entendu un pareil langage ! murmura-t-il plusieurs fois. Jamais de ma vie on ne m’a parlé ainsi ; jamais je n’ai été ainsi traité.

— Vous êtes tout confus, monsieur. Vous feriez mieux de vous retirer, ou je vais sortir. »

Il se leva rapidement.

« Nous devons quitter cette maison : il faut qu’ils fassent à l’instant leurs malles.

— Ne pressez pas tant ma tante et mes cousines ; donnez-leur le temps. »

Il se dirigea vers la porte ; il revint reprendre son mouchoir de poche ; il laissa tomber sa tabatière ; laissant son contenu éparpillé sur le tapis, il se précipita dehors et faillit tomber sur Tartare, qui se tenait sur le paillasson : au comble de l’exaspération, il hurla un jurement pour le chien et une grossière épithète pour la maîtresse.

« Pauvre M. Sympson ! il est tout à la fois faible et vulgaire, » se disait Shirley à elle-même. La tête me fend, et je suis fatiguée, ajouta-t-elle, et plaçant sa tête sur un coussin, elle se laissa doucement passer de l’excitation au repos. Quelqu’un, entrant dans la chambre un quart d’heure après, la trouva endormie. Quand Shirley avait été agitée, elle prenait généralement ce repos naturel, qui ne manquait jamais de venir à son appel.

L’intrus s’arrêta en sa présence et dit :

« Miss Keeldar ! »

Peut-être sa voix s’harmoniait-elle avec quelque rêve heureux de la jolie dormeuse : elle ne tressaillit point, elle s’éveilla à peine ; sans ouvrir les yeux, elle tourna légèrement la tête, de façon que sa joue et son profil, auparavant cachés par son bras, devinrent visibles ; son teint était vermeil ; elle semblait heureuse ; un demi-sourire s’épanouissait sur ses traits ; mais ses cils étaient humides : elle avait pleuré pendant son sommeil ; ou peut-être, avant de s’endormir, l’épithète que lui avait jetée son oncle en la quittant lui avait fait répandre quelques larmes. Il n’est pas d’homme, il n’est pas de femme qui soient toujours assez forts pour mépriser une opinion injuste, pour dédaigner une parole outrageante. La calomnie, même dans la bouche d’un insensé, peut avoir son amertume. Shirley ressemblait à un enfant qui, après avoir été méchant et puni, jouirait en repos du pardon obtenu.

« Miss Keeldar ! » dit de nouveau la voix.

Cette fois, elle s’éveilla. Elle leva les yeux et vit à son côté Louis Moore, non tout près d’elle, mais debout à trois ou quatre pas de distance.

« Oh ! monsieur Moore ! dit-elle, j’avais peur que ce ne fût encore mon oncle. Lui et moi nous nous sommes querellés.

— M. Sympson devrait vous laisser en repos ; est-ce qu’il ne voit pas que vous n’êtes rien moins que forte ?

— Je vous assure qu’il ne m’a pas trouvée faible : je ne pleurais pas quand il était ici.

— Il est sur le point de quitter Fieldhead, dit-il. Il donne en ce moment des ordres à sa famille : il est venu dans la salle d’étude, où il a commandé d’une manière qui, je suppose, est la continuation de celle avec laquelle il venait de vous harasser.

— Est-ce que vous et Henry devez aussi partir ?

— Je crois, pour ce qui concerne Henry, que c’était la teneur de ses ordres à peine intelligibles ; mais il peut tout changer demain : il est justement dans cette disposition où l’on ne peut pas compter sur sa consistance pour deux heures consécutives : je doute qu’il vous quitte avant quelques semaines. À moi, il a adressé quelques mots qui demanderont bientôt un peu d’attention et quelques commentaires, lorsque j’aurai le temps de leur en accorder. Au moment où il est entré, j’étais occupé par une lettre que je venais de recevoir de M. Yorke, si occupé que j’ai rompu l’entrevue d’une façon quelque peu abrupte : je l’ai quitté furieux. Voici la lettre, je désire que vous la lisiez ; elle a trait à mon frère Robert. »

Et Louis regarda Shirley.

« Je serais heureuse d’apprendre de ses nouvelles. Est-ce qu’il revient ?

— Il est revenu ; il est dans le Yorkshire : M. Yorke alla hier à Stilbro’ à sa rencontre.

— Monsieur Moore, il y a quelque malheur ?

— Est-ce que ma voix a tremblé ? Il est en ce moment à Briarmains, et je vais le voir.

— Qu’est-il arrivé ?

— Si vous devenez si pâle, je serais fâché d’avoir parlé. Il eût pu arriver un plus grand malheur. Robert n’est pas mort, mais grièvement blessé.

— Oh ! monsieur, c’est vous qui êtes pâle. Asseyez-vous près de moi.

— Lisez la lettre ; laissez-moi l’ouvrir. »

Miss Keeldar lut la lettre : elle disait brièvement que la veille Robert Moore avait reçu un coup de feu de derrière le mur de la plantation de Milldean ; que sa blessure était grave, mais que l’on espérait qu’elle ne serait pas mortelle. De l’assassin, ou des assassins, on ne savait rien, ils avaient pris la fuite. Sans aucun doute, faisait observer M. Yorke, c’était une vengeance ; c’était malheureux qu’il se fût attiré la haine ; mais on n’y pouvait rien.

« C’est mon unique frère, Shirley, dit Louis, au moment où elle lui rendait la lettre. Je ne puis penser sans être ému que des misérables sont allés l’attendre, et ont fait feu sur lui de derrière un mur, absolument comme sur une bête fauve.

— Prenez courage ; espérez : il guérira. »

Shirley, désireuse de le consoler, posa sa main sur celle de M. Moore placée sur le bras du fauteuil : elle la toucha à peine, presque insensiblement.

« Bien, donnez-moi votre main, dit-il, ce sera pour la première fois : c’est dans un moment de calamité ; donnez-la-moi. »

Et n’attendant ni consentement ni refus, il prit ce qu’il demandait.

« Je vais à Briarmains, continua-t-il. Je vous prie d’aller jusqu’à la rectorerie, et de dire à Caroline Helstone ce qui est arrivé ; voulez-vous ? Il vaut mieux qu’elle l’apprenne de vous.

— Immédiatement, dit Shirley avec une docile promptitude. Dois-je lui dire qu’il n’y a aucun danger ?

— Oui.

— Vous reviendrez bientôt m’en apprendre davantage.

— Je reviendrai ou j’écrirai.

— Comptez sur moi pour veiller sur Caroline. Je verrai votre sœur aussi. Mais, sans doute, elle est déjà auprès de Robert ?

— Sans doute ; ou elle y sera bientôt. Au revoir, maintenant.

— Vous aurez du courage, quoi qu’il puisse arriver ?

— Nous verrons cela. »

Les doigts de Shirley furent obligés de se retirer de ceux du précepteur ; Louis fut obligé d’abandonner cette main serrée et cachée dans la sienne.

« Je pensais que j’aurais eu besoin de la soutenir, dit-il en se dirigeant vers Briarmains, et c’est elle qui m’a donné de la force. Quel regard de compassion ! quel doux toucher ! Aucun duvet ne fut jamais plus doux, aucun élixir plus puissant. Sa main était dans la mienne comme un flocon de neige : elle frémissait comme l’éclair. Mille fois j’ai désiré posséder cette main, l’avoir dans la mienne. Je l’ai possédée, pendant cinq minutes je l’ai tenue. Ses doigts et les miens ne peuvent plus être étrangers ; s’étant une fois rencontrés, ils doivent se rencontrer encore. »