Siegfried (Wagner)/Texte entier
LONDRES.
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MAYENCE.
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BRUXELLES.
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SCHOTT & CO.
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B. SCHOTT'S SÖHNE.
|
SCHOTT FRÈRES.
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Sigfried | Ténor. |
Mime | Ténor. |
Le Voyageur (Wotan) | Basse. |
Alberich | Baryton. |
Fafner | Basse. |
Erda | Contralto. |
Brünnhilde | Soprano. |
La voix de l’oiseau de la forêt | Soprano. |
ACTE I.
Scène I.
Peine stérile !
tâche sans fin !
Le meilleur fer
que j’aie martelé[1]
aux géants eux-mêmes
eût pu servir :
mais, lui qui l’exige,
l’enfant détestable
le va jeter en morceaux[2]
tout comme un simple hochet !
Un glaive seul
lui serait rebelle :
Nothung ferme
tiendrait en son poing
si j’en soudais les fortes pièces
que tout mon art n’a pu joindre encor !
Si j’en faisais son arme,
de mes maux j’aurais le paiement !
Fafner, cruel dragon,
gîte aux bois obscurs.
Sous ses lourds et hideux replis
des Nibelungen l’or
est bien gardé,
Siegfried, fort jouvenceau,
pourrait coucher Fafner mort.
Du Niblung l’Anneau
serait mon butin !
Un fer seul peut cet exploit.
Seule Nothung peut me servir,
quand Siegfried la brandira.
Mais en vain je forge,
Nothung, l’Epée.
Peine stérile !
Tâche sans fin !
Le meilleur fer
que j’aie martelé[3]
ne peut valoir
pour l’unique haut-fait !
Je frappe et martelle ici,
car l’enfant m’y contraint.
Il met mon œuvre en tronçons
et gronde si je suis las !
Hoi-ho !
Hoi-ho !
Mords-le ! Mords-le !
Mange ! Mange le sot forgeur !
(riant).
Ha ha ha ha ha !…
Foin de la bête !
Que faire d’un ours ?
A deux nous allons
mieux t’entreprendre :
Fauve ! Réclame mon fer !
Hé ! chasse l’ours !
Là gît ton glaive
prêt depuis ce matin.
Un jour encore
sois sauf.
Cours, Fauve ! C’est assez de toi.
J’admets qu’aux ours
tu donnes chasse.
Pourquoi, vivants,
les mener chez nous ?
Cherchant compagnon plus digne
que le seul que j’aie ici,
du cor, au fond des forêts,
j’ai lancé le chant sonore :
Si j’allais voir paraître
un bon ami ?
Tel fut le but de l’appel.
Du fourré sortit un ours,
l’oreille au guet, tout grognant.
Il m’a plu
mieux, certes, que toi.
Pourtant, je veux mieux encor !
De ce dur lien
par moi muselé,
il vint s’enquérir de mon glaive.
J’ai fait ce glaive aigu ;
de son fil tu vas être fier.
C’est peu que le fil reluise
si l’acier n’est dur et fort !
Hé ! qu’est ce vil jouet d’enfant !
Un tel fétu
est il un glaive ?
Attrape les pièces,
drôle stupide !
Sur ton museau
j’aurais dû le rompre.
Sot fanfaron,
croit-il qu’il me berne ?
C’est de géants qu’il me parle,
et de luttes, d’exploits superbes,
de rudes combats.
Il veut forger glaives, fortes armes,
vante son art,
se dit sans rival ;
mais, si j’empoigne
ce qu’il m’apporte,
du premier coup
ça vole en éclats !
Si je n’avais
dégoût de ce gueux,
dans sa forge
il cuirait avec ses hochets,
stupide nain décrépit !
Ma rage du coup finirait !
Tu cries encor comme un fou :
Ton cœur est trop ingrat.
Si le méchant garçon
n’est servi sur l’heure au mieux,
tous mes bienfaits passés
ne comptent plus pour lui.
N’as-tu donc plus mémoire
de tous mes bons préceptes ?
Tu dois savoir te soumettre
à qui de biens t’a comblé.
Voici qu’encor tu me boudes !
Pourtant, veux-tu manger ?
La viande sort de la broche.
Veux-tu au bouillon goûter ?
Pour toi seul je l’ai fait.
Seul j’ai cuit mon rôti :
De ta soupe mange seul !
C’est d’un tendre amour
le triste prix !
C’est l’affreux paiement de mes soins !
Marmot vagissant,
Je t’élevai,
chauffant de langes
l’enfant chétif.
Mets et boisson
je t’ai fourni
et mieux gardé
que ma propre peau,
Puis, lorsque vint l’âge,
je t’ai couvé,
dressant ton lit
pour un doux repos.
J’ai fait tes hochets
et ton cor vibrant ;
pour t’amuser,
je m’efforçais.
Mon fin savoir
te put rendre fin ;
mon sage avis
ouvrit ton esprit.
Suis-je au logis,
forgeant, suant,
à cœur-joie tu cours où tu veux.
Pour toi seul en peine,
pensant à toi seul,
je m’use et vieillis,
moi, pauvre nain !
Et, pour mes peines,
en guise de prix,
le terrible garçon
me tourmente, me hait !
Fort savant es-tu, Mime !
De toi j’eus maintes leçons,
mais ce que tu veux tant m’apprendre,
je n’en saurai rien jamais :
c’est à souffrir ta vue.
Si tu m’apportes
mets et boisson,
l’horreur m’enlève la faim.
Si tu me fais
Un lit bien moelleux,
dormir me pèse aussitôt.
Si tu m’enseignes
l’art d’être fin,
je m’aime mieux balourd.
Si je dirige mes yeux vers toi,
je trouve exécrable
chacun de tes faits.
Et quand tu marches,
boîtes et traînes,
cloches, et louches
de tes yeux qui clignent,
je voudrais au cou
saisir le drôle,
chasser bien loin
cette horrible face.
Vois comme, Mime, je t’aime !
Étant si sage,
tu vas m’instruire
d’un point que je cherche en vain.
Par les bois j’erre
pour fuir ta face :
qu’ai-je qui me lait revenir ?
Toute bête m’est plus chère que toi.
Nids aux branches, poissons au ruisseau,
rien ne me fâche, hormis de te voir !
Mais qu’ai-je donc pour revenir ?
Toi qui sais, apprends-le moi !
Mon fils, cela te prouve
combien je suis cher à ton cœur.
Tu m’es intolérable,
n’oublie pas ça, d’abord !
C’est là ton sauvage esprit
que tu dois, méchant, dompter.
Tristes les jeunes pleurent
vers le bon nid des vieux.
C’est l’amour qui les presse.
Ainsi tu languis vers moi !
Tu aimes ainsi ton Mime !
Il faut que tu l’aimes !
Dans le nid l’oisillon trop frêle,
est par l’oiseau nourri,
tant que faible est son aile.
Tel, jeune enfant, pour toi
zélé doit être ton Mime.
Il faut qu’il le soit !
Hé, Mime, es-tu si sage,
Dis-moi encore autre chose.
Le chant des oiseaux
est si doux au printemps
et l’un appelle l’autre.
Tu dis toi-même,
quand je veux savoir :
Ce sont là mâle et femelle.
Ils s’aiment, si tendres,
ensemble toujours,
bâtissent un nid,
et couvent des œufs ;
et, lorsque volètent,
les tout petits,
le couple veille sur eux.
Au bois les chevreuils
s’unissent aussi.
Renards et loups font de même.
Seul le mâle fournit la pâture,
la mère allaite les jeunes.
J’ai pu comprendre
l’amour ainsi :
aux mères je n’ôte
les petits jamais.
Où as-tu donc, Mime,
ta douce compagne,
que je la nomme ma mère ?
Qu’as-tu, niais ? Ah ! pauvre sot !
Te crois-tu oiseau ou renard ?
Marmot vagissant
tu m’élevas,
chauffant de langes
l’enfant chétif.
Mais d’où te vint
ce petit enfant ?
Bien sûr
tu ne m’as pas sans mère fait.
Crois sans plus ce que je t’affirme :
je suis ton père et ta mère à la fois.
Tu mens, horrible hibou !
Que les jeunes aux vieux ressemblent,
cela je l’ai su très bien voir.
J’allai jusqu’au clair ruisseau,
voir les arbres, les bêtes
que l’eau reflète.
Astre, nuages,
tous, tels qu’ils sont,
dans l’onde parurent de même.
Je vis à son tour
mon propre aspect.
Tout autre que toi
je me suis vu.
Tel est au crapaud
le poisson argenté.
Poisson de crapaud ne peut naître !
Affreux non-sens
que tous ces propos !
Juste, je crois comprendre enfin
ce que j’ai cherché si longtemps :
lorsqu’au bois je cours,
pour fuir ta présence,
ce que j’ai pour revenir ?
De toi il faut que j’apprenne
pour père et pour mère qui j’ai !
Ton père ! Ta mère !
Sottes demandes !
Faut-il te contraindre
à me répondre ?
Rien, rien à tenir de ton gré ![4]
Qu’ai-je eu de toi
sinon par force ?
S’il m’apprit son langage,
c’est qu’il y fut contraint rudement.
Allons, vite, drôle hideux !
Nomme mon père et ma mère.
Tu vas me faire mourir !
Assez ! C’est savoir qu’il te faut ;
Eh ! sache tout comme moi !...
Ingrat, cœur dur, méchant enfant,
apprends pourquoi tu m’exècres !
Mime n’est père ou cousin pour toi.
A moi cependant tu dois tout.
Tu m’es étranger
et n’as d’autre ami.
Par pitié seulement,
moi, je te pris :
j’en ai l’aimable paiement !
Qu’attendais-je, simple, pour prix ?
En pleurs, faible, une femme
au bois ténébreux gisait.
Vers l’antre, alors, je l’aidai,
jusqu’au foyer qui réchauffe.
D’un fils elle était grosse
qui vint au monde ici.
Cruel était son mal ;
je fis pour elle au mieux.
Jour plein d’horreur !
Elle meurt ; mais Siegfried voit le jour.
Ma mère est donc morte par moi ?
A ma garde elle t’a remis.
J’ai bien soigné l’enfant.
Que Mime s’est efforcé !
Combien le bon gnome a peiné !..
Marmot vagissant,
je t’élevai…
Je crois que déjà tu l’as dit.
Poursuis :
Qu’est mon nom de Siegfried ?[5]
Au vœu de ta mère
il est conforme
et « Siegfried » a bien poussé depuis…
J’ai chauffé de langes
l’enfant chétif…
Dis vite le nom de ma mère.
A peine il m’en souvient…
Mets et boisson
je t’ai fourni…
Ce nom, tu vas me le dire !
L’aurais-je oublié ? Attends !
Sieglinde était cette femme
qui t’a remis à mes soins…
Je t’ai mieux gardé
que ma propre peau…
Or, parle !
Quel fut mon père ?
Je ne l’ai vu jamais.
Mais ma mère
a dû te l’apprendre.
Tué en armes…
tel fut son récit…
Enfant sans père,
mes mains t’ont reçu,
et, lorsque vint l’âge,
je t’ai couvé,
dressant ton lit
pour un doux repos…
Trêve à ce chant
de geai bavard !
S’il faut vraiment te croire,
si tout est sans mensonge,
fais voir un gage sûr !
Où chercher d’autres preuves ?
J’en crois trop peu tes discours ;
j’en crois mes yeux seulement.
Quel gage montres-tu ?
C’est un don que j’eus de ta mère.
Mes peines, soins et veilles
eurent ce faible prix !
tu vois les tronçons d’un glaive.
Ton père, me disait- elle,
le portait au jour qu’il mourut.
Des deux moitiés tu vas le refaire.
Que brille mon glaive vrai !
Prompt ! Hâte-toi, Mime !
Vite à la tâche !
Sage ouvrier, fais voir tes talents !
Laisse-moi là ces vils jouets.
Au glaive brisé vient mon espoir !
Toi, si tu muses,
manques la tâche
et mal rajustes
ce ferme acier,
trembleur, prends garde à ta peau
et gare à l’art du balai !
Car, dés ce jour,
Moi, je veux mon épée !
Du glaive je m’arme aujourd’hui !
Qu’en veux tu bien faire aujourd’hui ?
Hors des grands bois m’en aller loin,
sans jamais revenir.
Je me sens gai,
sans aucun joug,
délivré de liens !
Mon père n’est pas toi ;
tout l’espace m’appartient.
Ton seuil n’est pas le mien ;
Ton réduit m’abrite mal.
Le poisson fuit
dans les flots clairs ;
le pinson vole
aux buissons verts !
tel je m’enfuis,
tel je m’envole,
comme au loin, sur les bois,
va l’ouragan !…
Toi, Mime ! fini de te voir !…
Reste ! Reste ! Reste !
Qu’as-tu ! Hé ! Siegfried, Siegfried ! Hé !
Il court là bas !
Je reste ici…
Mon vieux tourment,
d’autres l’accroissent.
De peines je suis comblé !
Que puis-je à présent ?
Comment le tenir ?
Mener le sauvage
Où Fafner gît ?
Comment mettre ensemble
ces traîtres aciers ?
Nulle ardeur de feu
n’aide à les joindre !
Nul marteau de nain
ne peut les réduire !
Du Niblung haineux l’âpre effort
s’use pour Nothung en vain.
L’arme toujours reste en deux.
Scène II.
Salut, fin forgeur !
A l’hôte las des routes
donne accueil à ton foyer.
Qui donc aux forêts sauvages me suit ?
Qui m’atteint au désert des bois ?
« L’Errant », tel on me nomme.
Long fut mon parcours.
Sur la terre au loin
je vais voyageant
Voyage plus loin,
ne t’attarde ici,
toi qu’on nomme « l’Errant » !
Tous les bons chez eux m’accueillent
Mille offrandes j’en reçois.
Malheur menace
qui mal agit.
Male chance habite avec moi :
Veux-tu la rendre encor pire ?
Mainte chose j’apprends et vois ;
mainte chose aussi j’enseigne.
J’ôte aux hommes mainte angoisse,
âpre souci des cœurs.
Puisque tu vois et devines beaucoup,
je hais que l’on voie et devine.
Seul me veux-je et sans témoin.
Hors d’ici tout espion !
Plus d’un pense
tout bien savoir
qui du danger seul
n’est pas instruit.
Tout l’utile,
s’il s’en informe,
c’est par moi qu’il l’apprend.
Vaine science !
Maints s’en vantent.
J’en sais tout juste à mon goût.
Mon savoir me va.
Pas trop n’en faut.
Toi, sage, vois ton chemin.
Je reste au foyer
et risque ma tête
pour prix au jeu du savoir.
Elle est à toi, remise en tes mains,
si, toi, tu n’apprends tout l’utile
par ma réponse à tes vœux.
Que faire qui trompe sa ruse ?
Je vais donc tendre des pièges !…
Je prends ta tête pour enjeu :
donc, songe, et sauve ton gage !
Trois demandes sont à mon choix.
J’y fais trois réponses.
Sans fin tu parcours
l’âpre dos terrestre,
foulant le monde en tout sens.
Or, parle et sois fin :
dis quelle race
vit au terrestre abîme ?
Au terrestre abîme
vivent les Nibelungen.
Nibelheim est leur lieu.
Noirs sont les Alfes ;
Noir-Alberich fut
leur seigneur autrefois.
D’un magique anneau
le rude pouvoir
mit sous sa loi tous ces nains.
L’or qui brille,
riche trésor,
œuvre des gnomes,
devait lui soumettre le monde.
Ensuite, demande, Nain.
Tout, Voyageur, t’est connu
de ce sombre nid profond.
Or, parle et sois prompt :
dis quelle race
hante le dos du monde ?[6]
Sur le dos du monde[7]
sont les géants monstrueux.
Riesenheim est leur lieu.
Fasolt et Fafner,
leurs rudes maîtres,
ont désiré saisir l’Or.
Le trésor tout puissant,
ils l’ont obtenu,
et même ils prirent l’Anneau.
Ce bien fatal
met la guerre entre eux
et Fasolt tombe.
Dragon hideux,
Fafner seul veille sur l’or.
La tierce énigme à présent.
Tout, Voyageur, t’est connu
de ce dos abrupt du monde.
Or, parle et dis vrai :
dis quelle race
vit aux monts nuageux ?
Aux monts nuageux
seuls les dieux vivent.
Walhall est leur Burg.
Clairs sont ces Alben.
Clair-Alberich, Wotan
règne sur eux.
D’un rameau saint
du frêne du monde
Wotan fit un épieu.
Meure l’arbre,
cet épieu reste fort.
De par sa pointe
Wotan tient le monde !
Foi des traités, les fortes runes
sont dans son bois gravées.
Seigneur du monde est celui-là
qui tient l’arme
que Wotan porte au poing.
Ce joug courbe
les Nibelungen noirs.
L’orgueil des géants
cède à sa loi.
Tous à jamais le subissent,
l’épieu puissant du dieu !
Or, parle, nain rusé !
T’ai-je donné réponse ?
Mon gage demeure sauf !
Certes, ton gage est libéré ;
Donc passe, suis ton chemin.
Tu devais demander
ce qui t’importe,
toi, qui, pour gage, eus mon chef.
Que tu ne sais
rien qui te serve,
j’en prends pour gage le tien.
L’hôte ici fut mal reçu.
Ma tête ai-je voulu t’offrir
pour avoir place au foyer.
J’ai droit sur ta vie à mon tour
si tu ne sais répondre trois fois.
Donc ouvre-toi, Mime, l’esprit !
Bien loin est mon pays natal,
loin l’époque où je vins au monde.
De Wotan j’ai vu l’œil luire,
mon antre en fut éclairé.
Cet œil trouble mon vieux savoir !
Mais, puisqu’il faut être subtil,
Hôte, fais tes questions !
Peut-être Mime qu’on force
pourra préserver son chef.
Or, gnome loyal,
Songe à répondre !
Quelle race naquit
que Wotan livre aux peines
alors que son cœur l’aime le plus ?
Telle race m’est peu connue ;
je puis, pourtant, me libérer.
Les Wælsungen sont la race élue,
de Wotan fille, et son cœur les aime
bien qu’il leur soit cruel.
Siegmund et Sieglinde
viennent de Waelse,
en d’âpres peines
jumeaux unis.
Siegfried sort de leur sang,
le Wælsung fort entre tous !
Mon gage, Errant,
est-il préservé ?
Puisque tu sus
cette race nommer,
sage et fin je t’estime.
Pour cette fois
ton cas est bon.
A l’autre énigme réponds.
Un sage Niblung garde Siegfried
qui doit lui tuer Fafner
pour que l’anneau lui revienne
et qu’il s’empare de l’or.
Par quel glaive
peut Siegfried atteindre
Fafner, et voir sa mort ?
Nothung est ce glaive envié.
Au tronc d’un frêne
il fut plongé par Wotan
et seul put le ceindre
qui sut l’ôter du bois.
Des plus robustes
nul n’y parvint
Siegmund, le brave,
seul le prit,
mais ce glaive, au combat,
sur l’épieu divin s’est rompu.
Ses débris, un fin forgeron les tient,
qui sait bien
que, s’armant de l’auguste fer,
Un brave et simple enfant,
Siegfried, tuera le monstre.
Mon gage encor demeure-t-il sauf ?
Ha-ha ! Ha-ha !…
Ton vif esprit
confondrait les plus sages !
Est-il un plus fin que toi ?
Mais si, par ta ruse,
l’enfant héroïque
des gnomes sert les intrigues,
la troisième énigme, songes y bien !
Parle, savant forgeur d’épées :[8]
qui doit des puissantes pièces
faire l’épée nouvelle ?
Les pièces ! L’épée !
Malheur ! Vertige !
Que faire ici ?
Comment savoir ?
Maudit acier !
Pourquoi l’ai-je encore ?
Ce fer m’a valu
des tourments sans fin.
Dur, obstiné,
il brave la forge !
Clous, soudures,
rien n’aboutit !
L’adroit forgeron
reste en défaut.
Qui peut le forger,
moi m’y perdant ?
Le grand secret, où l’apprendre ?
Trois fois j’eus tes demandes ;
trois fois j’ai bien parlé.
D’anciennes choses tu t’enquis.
Ce qui de près sert ton plan,
tout l’utile, tu l’oublias.
Quand je l’indique,
tu perds l’esprit.
A moi ta tête
de gnome rusé.
Mais, fier vainqueur de Fafner,
sache, débile nain :
« Seul qui de crainte n’est instruit
peut forger l’Epée ! »
Ton sage front,
Veilles-y bien !
Je l’offre à celui-là
qui de crainte n’est instruit !
Scène III.
Clarté maudite !
Quel feu dans les airs ?
Qui saute, qui danse,
Voltige, bondit,
et flotte, et revient
et flambe à l’entour ?
Ça brille et vibre
au soleil ardent !
Qui souffle, frémit,
et ronfle au loin ?
Ca beugle et gronde
et crie par ici !
Ça court par le bois,
roule vers moi !
La gueule effroyable
s’ouvre sur moi !
Le monstre m’attaque !
Fafner ! Fafner !
Hé là ! Paresse !
L’œuvre est donc faite ?
Vite, fais moi voir l’épée !
Où est le vieux ?
s’est-il enfui ?
Hé-hé ! Mime !
Stupide ! Avance !
Où donc es-tu ?
Est-ce toi, fils ?
Viens-tu tout seul ?
Contre l’enclume ?
Dis, que forges-tu là ?
Ai-je, enfin, mon épée ?
L’épée ? L’épée ?
Qu’y puis-je faire ?
« Seul qui de crainte n’est instruit
peut forger l’Epée ».
J’en sais trop long
pour pareil travail.
Vas-tu répondre ?
Parle, ou j’avise.
Où prendre justes conseils ?
Ma sage tête fut mise en gage.
Sa perte me livre à celui
« qui de crainte n’est instruit. »
Quelles fadaises !
Penses-tu fuir ?
Bien sûr, l’on fuit
qui sait la peur !
Mais quoi ! C’est un savoir qu’il ignore.
En sot, j’oubliai mon seul vrai bien !
Lorsqu’à m’aimer, je l’exhorte
cela tourne hélas ! si mal !
Pourrai-je à la peur le plier ?
Hé ! T’aiderai-je ?
Ta tâche, voyons ?
De toi tourmenté,
je cherche et médite
pour t’enseigner chose grave.
Et c’est sous ton siège que tu cherches !
Que trouves-tu là de si fort ?
J’appris la crainte pour toi,
pour te l’apprendre, simple.
Quelle est cette crainte ?
Sans rien en savoir,
tu veux, hors des bois,
courir par le monde ?
Que peut le plus ferme des glaives
si tu n’as crainte au cœur ?
Quels avis m’inventes-tu là ?
De ta mère l’avis,
c’est celui-là.[9]
Moi, ma promesse
je la tiens toute.
Aux embûches de tous
je dois te soustraire
avant que tu saches la peur.
Si c’est un art,
que l’ai-je ignoré ?
Eh bien ! Qu’est donc cette crainte ?
N’as-tu senti
aux bois obscurs,
quand meurt le jour
aux noirs halliers
ce qui murmure,
souffle, vibre,
et, sinistre,
vient grondant ?
Folles flammes
sur toi volent ;
voix qui s’enflent
te font appel. —
Lors n’as-tu pas senti
frémir en ton corps l’épouvante ;
d’âpres selousses
rompre tes membres ;
dans ton sein
qui tremble, séné,
se fendre et battre ton cœur ?
Si tu ne l’as senti,
l’effroi te reste inconnu.
Quel effet drôle
ça doit faire !
Ferme et fort
bat, tranquille, mon cœur.
Ce trouble qui presse,
ces affres ardentes,
flammes, vertiges,
fièvres et doutes,
j’ai désir de ces choses ;
d’elles j’attends vrai plaisir !
De toi puis-je, Mime, l’avoir ?
T’aurai-je, lâche, pour maître ?
Veuille venir,
je puis te guider :
Mime sut combiner. —
Je sais un cruel dragon,
nourri d’humaine chair.
Fafher va l’apprendre à craindre ;
viens avec moi jusqu’à lui.
Où donc se tient-il ?
Neid-höle, tel est le lieu,
à l’est, au fond de ce bois.
Est-il si proche du monde ?
De Neidhôl’ le monde est tout près.
C’est là qu’il faut me conduire.
Fait à la crainte, j’irai par le monde !
Donc, vite ! Forge mon glaive.
Sous le ciel qu’il étincelle ! i
Le glaive ? Angoisse !
Vite à la forge !
Montre ton art !
Maudit acier !
Souder ses deux parts, pas moyen !
Rebelle, un charme
déçoit tout effort de nain.
Qui de crainte est exempt,
lui seul est maître du but !
Quelle feinte arrange ce fourbe !
Loin d’avouer qu’il n’est bon à rien,
il ment pour sortir d’embarras !
Donne les pièces !
Foin de ce drôle !
L’acier du père
doit m’obéir.
Je vais faire l’Epée !
Que n’as-tu mis à l’art tes soins !
Pour toi quel grand avantage !
Mais non, tu fus toujours paresseux :
Peux-tu t’attendre à bien faire ?
Où le maître se perd
que peut son élève,
s’il a toujours obéi ?
Or ça, va-t’en !
Reste à l’écart —
Sans quoi tu vas choir dans l’âtre !
Que grattes-tu là ?
Prends la soudure ;
l’étain est tout fondu.
Laisse l’étain !
C’est peu pour moi.
Sans colle on cuit les épées !
Tu détruis la lime,
tu romps sa râpe.
Tu crois que l’acier se lime ?
Je veux en poudre
broyer les tronçons,
qu’ils ne fassent plus qu’un seul fer !
Aucune adresse,
j’y vois bien clair :
sottise seule
seconde le sot.
Quel mouvement !
La forte ardeur !
Il use l’acier sans être lassé !
Je suis aussi vieux
que bois et rocs
et n’ai rien vu de pareil !
Il arrive au but,
rien n’est plus sûr…
Sans peur va son travail.
L’Errant l’avait bien dit !
Comment sauver
ma pauvre tête ?
Au fier garçon elle échoit,
s’il n’est instruit de la peur !
Hélas ! moi pauvre !
Comment vaincra-t’il
si Fafner lui donne l’effroi ?
D’où prendrai-je, alors, l’Anneau ?
Etau terrible !
J’y reste pris
si je n’ai quelque idée
pour dompter ce sans-peur à son tour !
Hé, Mime ! Allons !
Le nom du glaive
que j’ai réduit en limaille ?
Nothung : tel est ce glaive rêvé.
C’est ta mère qui me l’a dit.
Nothung ! Nothung ! glaive rêvé !
Qui put jadis te rompre ?
J’ai mis en poudre
ton âpre éclat,
au feu je fonds ta poussière !
Ho-ho ! Ho-ho ! Ho-hai ! Ho-ho !
Souffle, soufflet ! Souffle le feu !
L’arbre au bois croissait puissant.
Son tronc sous mes coups tomba.
Du frêne brun j’ai fait du charbon ;
au foyer il gît en morceaux.
Ho-ho ! Ho-ho ! Ho-haï ! Ho-haï ! Ho-ho !
Souffle, soufflet ! Souffle le feu !
Le bois du frêne,
qu’il brûle fier !
Qu’il flambe clair et beau !
Un flot d’étincelles
saute et jaillit.
Ho-haï, Ho-ho, Ho-haï !
Que fonde l’acier broyé !
Ho-ho ! Ho-ho ! Ho-haï ! Ho-haï ! Ho-ho !
Souffle, soufflet ! Souffle le feu !
Il forge son fer !
C’est fait de Fafner !
Je vois clairement ce qui vient.
L’or, l’anneau seront son butin.
Quel moyen peut me les livrer ?
Rusé, subtil, je vais les prendre
et vais sauver mon chef.
Ho-ho ! Ho-ho ! Ho-ho ! Ho-haï ! — Ho-haï !
Las du terrible combat,
il a soif, il prend ma boisson.
De sûres plantes
j’ai su l’extraire,
cette boisson pour lui !
D’une goutte il suffit qu’il s’abreuve :
sans force il tombe en sommeil.
Par son propre glaive,
qu’il vient de se faire,
prompt, j’en déblaie mon chemin.
Je gagne l’anneau et l’or !
Hé ! Sage Voyageur,
suis-je si sot ?
Goûtes-tu, enfin,
mon beau savoir.
Ai-je bien trouvé le joint ?
Nothung ! Nothung ! Glaive rêvé !
Il fond, ton acier broyé !
Ta vraie sueur te baigne enfin !
Bientôt je vais te brandir !
Dans cette eau je verse un flot de feu.
Rouge fureur siffle soudain !
Ardent, il coulait,
mais au froid de l’eau
cède son flux.
Plein, ferme et roidi
règne le dur acier !…
Sang qui brûle,
doit l’inonder !
Mollis dans le feu
afin qu’on te forge,
Nothung, glaive rêvé !
Que fait le vieux balourd de ce pot ?
L’un fait l’acier, l’autre la soupe ?
J’ai honte, vain forgeur
qu’un simple apprenti confond.
A son art le vieux renonce ici :
Il cuit des mets pour toi.
Si le garçon cuit l’acier,
le vieux lui chauffe
un bon petit plat.
Mime, l’artiste, fait des… soupes ;
la forge n’est plus son fait.
Tous ses glaives,
je les ai mis en pièces…
Ses brouets ne valent pas mieux.[10]
La crainte, il veut que je la connaisse :
Un monstre doit m’en instruire.
Ce qu’il sait ce moins mal,
lui, mal me l’apprend.
Il gâche toujours ce qu’il touche !
Ho-ho ! Ho-ho ! Ho-heï !
Forge, marteau,
un solide fer.
Ho-ho ! Ho-heï ! — Ho-ho ! Ho-heï !
Le sang teignit
ton pâle bleu ;
ses rouges flots
jadis t’ont rougi.
Froide, lors, tu riais,
léchant sa tiède coulée !
Heï-aho ! Ho-ho ! Ho-heï !
Tu prends au feu
rougeur de feu
et ta souple trempe
au marteau mollit :
Gronde et crache l’étincelle,
enrage d’être dompté !
Heï-ho-ho ! Heï-a-ho !…
Il forge son fer tranchant.
Fafner mourra, l’ennemi des nains.
Je brasse un philtre fort.
Siegfried périsse
dès Fafner mort !
Ma ruse doit triompher !
D’amples gains me sourient !
Ho-ho ! Ho-ho ! Ho-ho ! Ho-ho !
Forge, marteau,
un solide fer !
Ho-ho ! Ha-heï ! — Ho-ho ! Ha-heï !
Tes jets d’étincelles
sont joie pour moi !
Au brave ardente colère sied :
gaie tu ris à mon gré
quoique grondant de fureur.
Heï-a ho ! ha-ho-ho-heï-a-ha !
Frappée au feu,
l’épée se fait.
Le fort marteau
étend le fer.
Assez de rougeur et d’émoi !
Deviens froide et dure à la fin !
Heï-a-ho ! Heï-a-ho ! Heia-ho-ho-ho-ho-ho !
Heï-ha !
De mon frère issu,
l’anneau éclatant
en qui, par un charme,
gît tout pouvoir.
ce clair joyau
qui nous fait régner,
telle est ma conquête ;
l’or est à moi.
Alberich même
qui m’a dompté,
tremblant esclave,
va me servir.
Des Niblungs je vais être le prince !
Seul maître je commande à tous !
Le nain méprisé,
qu’on va l’honorer !
Pour l’amas de l’or
brûlent dieux, héros.
Mon moindre signe
courbe le monde.
Sous ma fureur,
il tremble d’effroi.
Nothung ! Nothung !
Glaive rêvé !
Fort est ton fer
repris en sa garde !
Ainsi les maux
de Mime s’en vont :
Glaive brisé,
entier te voici !
Nul coup ne doit
jamais te rompre !
D’un autre il tient
l’éternel trésor !
Au père expirant
l’acier faillit.
Le fils vivant
l’a reforgé.
Tu ris, en sa main luisant,
et ta lame tranche à coup sur !
Mime, le brave,
Mime règne,
chef des Alben,
maître de tout !
Nothung ! Nothung !
Glaive rêvé !
La vie en toi se réveille.
Fer mort, tu gisais rompu ;
Rayonne terrible, sacré !
Hé ! Mime, quel maître succès !
Qui donc aurait cru cela ?
Montre aux infâmes
tous tes éclairs !
Frappe le traître,
tue l’imposteur !
Vois, Mime, forgeron :
Tel doit frapper mon fer !
ACTE II.
Scène I.
Au bois, la nuit,
sur Neidhöl, là, je veille,
Prêtant l’oreille,
loin scrutant des yeux.
Triste jour,
Nais-tu déjà ?
Est-ce bien toi
qui de l’ombre sors ?
Quel éclat brille là bas ?
Prompt s’approche
l’embrasement.
Il court, fantastique coursier,
saute aux halliers,
fonce sur moi.
Est-ce le tueur de monstres
qui contre Fafner vient ?
Le feu s’enfuit.
L’éclat cesse aux regards.
Nuit encore.
Qui vient et brille dans l’ombre ?
Vers Neidhöl !
je vais dans la nuit.
Qui se cache au plus noir là-bas ?
C’est toi — qu’ici je vois ?
Qu’y cherches-tu ?
Pars, va t’en loin !
Arrière, honteux forban !
Noir Alberich,
toi rôdant !
Gardes-tu Fafner là ?[11]
Rêves-tu d’autres
actes félons ?
Point de retard !
Gagne le large !
Assez de fourbe
inonde ce lieu de malheur.
Donc, infâme.
Va ton chemin !
J’observe, j’erre
et je songe[12],
Qui peut arrêter mes pas ?
Haineux, tout aux intrigues,
tu voudrais me voir
ma sottise ancienne
quand tu me pris en piège.
Sans peine ainsi
de l’anneau tu serais le maître.
Tout beau ! Car ton art
m’est bien connu,
mais ta faiblesse
m’est aussi sans mystère.
Quand ma richesse
vint à tes dettes,
l’anneau fut
aux géants donné,
pour prix du burg qu’ils t’ont fait
Tu te lias jadis
par un pacte :
tes Runes sont gravées
sur l’épieu partout souverain.
Tu n’as droit
de reprendre aux géants
cet or, paiement de leur tâche.
Toi-même, alors,
violerais ta loi
et, dans ta main,
l’épieu sans rival,
en pièces soudain volerait.
De ses pactes saints les runes
n’ont point fait taire
ton cœur.
Il t’a courbé sous sa vigueur.
Pour vaincre il reste en ma main.
D’un fier défi
m’affronte ta force,
mais comme en ton cœur tu frémis !
Voué à la mort,
par moi maudit
est de l’or le maître. —
A qui l’héritage ?
L’enviable trésor
le Niblung va-t’il le reprendre ?
Tel l’âpre souci te rouge.
Car si je le tiens,
encor sous mon poing,
mieux qu’un géant inepte
dois-je par l’anneau régner.
Donc tremble le maître
céleste des braves !
Vers le Walhall
montent les forts de Hell.
Le monde est à moi seul !
Ton dessein m’est connu,
mais point n’ai-je peur.
De l’or est maître
qui le conquiert.
Langage trouble
où, pourtant, je vois clair !
Au jeune Wælsung
va ton espoir,
en qui ton vieux sang refleurit.
Comptes-tu pas qu’un jeune homme
pour toi du fruit s’empare
à toi seul défendu ?
Pour moi, non.
Veille sur Mime.
Ton frère fait ton péril.
Un garçon qui vient avec lui
à Fafner sera fatal.
Lui ne sait rien de moi,
Le Niblung veut s’en servir.
Comprends-moi donc, l’ami :
Fais ton œuvre à ton gré.
Ouvre les yeux,
garde-toi bien !
L’enfant ignore l’anneau,
mais Mime guide l’enfant.
Et ta main reste loin de l’or ?
Qui m’agrée[13]
libre accomplit son oeuvre.
Vainqueur ou vaincu,
son roi, c’est lui.
Tels héros seuls me secondent.
A Mime seul
je dispute l’anneau ?
Hormis toi, lui seul
recherche cet or.
Doit-il cependant m’échapper ?
Un brave vient
sauver le trésor.
Deux Niblungs aspirent à l’or.
Fafner meurt
sur l’anneau veillant.
Qui le prend en reste maître.
T’en faut- il plus ?
Le monstre est là.
Mis en garde de mort,
vois s’il renonce à l’anneau !
Moi-même veux l’éveiller.
Fafner ! Fafner !
Ecoute, monstre !
Est-ce en lui démence ?
Ou bienveillance ?[14]
Qui rompt mon repos ?
Quelqu’un vient te dire
sombres nouvelles.
Il peut sauver ta vie
si tu lui veux donner
les richesses que tu gardes.
Que veut-il ?
Vite, Fafner !
Vite, dragon !
Un fort héros me suit
qui vise tes jours sacrés.
J’ai faim de lui.
Fier est l’enfant, et fort.
Net tranche son fer.
Le clair anneau
seul est son but.
Livre le moi pour prix,
j’empêche l’assaut ;
tu gardes tout l’or
et vis heureux longtemps.
Je dors et je tiens. —
Qu’on me laisse !
Vois, Alberich ! Effort vain !
A moi ne t’en prends pas.
De cette règle
fais ton profit :
Toute chose suit sa loi :
Ces lois, nul ne les change.
Je quitte la place ;
Restes y bien.
Raisonne Mime, ton frère.
Ta ruse le peut mieux convaincre.
Le reste, enfin,
toi-même apprends le.
Il presse, là bas,
son clair coursier,
Et moi, tourmenté, j’ai peur.
Or, vous, riez,
parmi vos plaisirs,
o folles
puissances divines !
Dieux, tous,
Vous mourrez sous mes yeux.
Aussi longtemps que l’or luira
Moi, je sais et j’attends !
Ruine vous vient par moi !
Scène II.
Voici la place
Reste là.
Là dois-je apprendre à craindre ?
Loin m’as-tu fait te suivre ;
dans les bois, la nuit entière
nous fîmes route tous deux.
C’est l’heure, Mime, au large !
Si je n’apprends
en ce lieu la peur,
alors, seul je m’éloigne,
libre de toi désormais !
Sois tranquille.
Si ton cœur
n’apprend la crainte ici,
en d’autres lieux,
en d’autres temps,
rien n’en dois-tu savoir.
Vois, là-bas,
cet antre noir, béant,
là se tient
un monstre à faire horreur,
rage effroyable,
masse sans nom.
Sa gueule est un gouffre
énorme et hideux.
Ton corps entier
en un seul coup,
le monstre peut t’engloutir.
Il sied qu’on ferme sa gueule.
J’éviterai donc d’être pris.
Crains sa bave,
poison dévorant.
Si du venin il peut t’inonde)-,
c’est fait de ta chair jusqu’aux os.
Esquivant la bave brûlante,
j’offre la lutte de flanc.
La longue queue
traîne et se tord.
De qui en est atteint
et bien étreint
se brisent les os en éclats.
De sa queue je trompe l’approche ;
point ne le quittent mes yeux.
Pourtant, réponds-moi :
n’a-t’il pas un cœur ?
Un cœur cruel, sans pitié.
Ce cœur est-il
où les êtres l’ont,
tous, ou bêtes ou gens ?
Mais oui, Siegfried,
il l’a tout comme eux.
Eh bien ! Te prend-elle, la peur ?
Nothung va s’enfoncer
dans ce cœur.
C’est-il de la peur l’indice ?
Hé ! Vieux gnome,
de ta ruse
que puis-je encore apprendre ici ?
Va ton chemin bien vite.
La crainte point ne saurai.
Sois moins pressé.
Pour toi le monstre
n’est qu’une histoire en l’air.
Lui-même, là,
bientôt le voyant,
pour sûr, tu vas perdre l’esprit.
Ton regard s’éteint ;
ta jambe fléchit ;
l’angoisse horrible
au cœur t’étreint.
Soudain, tu penses à Mime,
ton guide, qui t’aime tant.
Défense qu’on m’aime !
N’est-ce donc clair ?
Loin de mes yeux va t’en ;
laisse-moi seul.
Colère me gonfle le cœur[15]
lorsque tendresse te prend !
Tes laides grimaces,
tes yeux qui clignent,
quand dois-je en être délivré ?
Quand dois-je être quitte de toi ?
Je veux partir.
Je vais là, près de l’eau.
Reste en ce lieu.
Quand le soleil montera,
veille au dragon.
Hors de l’antre Fafher viendra
pour boire à cette source.
Mime, si tu es là,
j’y veux laisser aller le monstre.
Nothung va
n’entamer son échine
sans que toi même
il ait pu te boire.
Aussi, suis mon conseil :
Fuis au plus loin cette eau.
Reste aussi loin
que tu pourras —
et va t’en pour toujours.
Après tel combat
soif nous échauffe.
Laisse qu’on t’offre à boire.
Crie et j’accours
pour t’être utile
ou si tu sens la peur te saisir.
Fafner et Siegfried,
Siegfried et Fafner,
oh ! qu’il s’égorgent tous deux !
N’avoir pour père ce nain,[16]
combien j’en suis donc joyeux !
C’est à présent que le bois me plait
où sourit l’allégresse du jour,
puisque l’être hideux m’a fui
pour ne plus revenir jamais !
Comment mon père était-il ?
Ah ! Bien sûr, comme moi.
Or, s’il naît de Mime un fils,
Doit-il pas être
Mime même,
juste aussi blême
gris et vilain,
grêle et tors,
jambe qui boîte,
pendantes oreilles,
rouges paupières ?
Quel cauchemar !
Enfin, ne plus le voir !
Mais ma mère
Comment la rêver ?
Ça, rien
ne m’en donne l’idée ! —
Les biches, je crois,
doivent avoir
ses yeux clairs et limpides,
mais bien moins tendres…
Naissant, j’ai fait sa peine.
Pourquoi donc sa mort aussi ?
Est-ce qu’ainsi les mères
à nos naissances
meurent toujours ?
Triste ce serait, oui !
Ah ! voir ma mère,
ma mère aimée !
Voir ma mère
humaine épouse !
Oiseau que j’aime,
ton chant m’est nouveau :
es-tu chez toi dans ce bois ? —
Ah ! si je pouvais comprendre !
Bien sûr, il m’a parlé…
qui sait ?… de ma douce mère ?
Un gnome hargneux
m’a raconté
qu’au frais langage
des oisillons
on se peut reconnaître.
Est-ce possible, vrai ?
Hé ! tentons le !
Par mon chant
au pipeau si je l’imite,
laissant les paroles,
tout à l’air même,
Si je chante sa langue,
du coup, je saurai ce qu’il dit.
Il cesse, il guette :
eh bien, parlons lui !
(Il souffle dans sa flûte de roseau qui rend un son aigre et faux. Il s’arrête, retaille le roseau et s’efforce de mieux faire. Il secoue la tête, essaye de perfectionner encore son œuvre, souffle de nouveau, s’ingénie. Impatient, il serre le pipeau dans ses mains, recommence à souffler. La flûte rend un son toujours aigre, Siegfried s’interrompt en riant.)
Ça sonne mal.
Au roseau grossier
la douce chanson ne va pas !
Oiseau, vois-tu,
je reste sot ;
ton art est malaisé !
J’ai honte, vraiment,
de le voir ainsi qui m’écoute.
Il guette et ne peut comprendre.
Hei da ! Entends
ce chant de mon cor.
Le niais roseau
m’a servi trop mal.
Une fanfare
comme j’en sais,
joyeuse, te doit bien mieux plaire.
Ainsi j’appelais
un bon compagnon,
mais seuls parurent
des loups, des ours…
Or, aujourd’hui,
Voyons qui viendra,
si c’est qui j’espère, — l’ami ?
Ah ! Ah ! Mon chant m’a valu
quelque chose d’aimable !
Tu fais un joli compagnon.
Qu’est-ce là ?
Hé ! puisqu’étant bête
tu sais parler,
peut-être vas- tu m’instruire ?
Quelqu’un ignore
ici la peur.
Peut-il de toi l’apprendre ?
As-tu trop d’ardeur ?
Trop ou bien juste assez,
qu’en sais-je ?
Mais toi, gare à ta panse
ou me révèle la peur.
Boire allais-je ;
on m’offre à manger.
Quelle gueule coquette
montres-tu là ?
Une mâchoire
friande y rit !
Il sied qu’on te bouche le mufle.
Ton gouffre s’ouvre un peu trop.
Paroles vaines
mal y vont,
mais large place
t’y attend.
Ho ! Ho ! Sauvage
et laid compagnon,
calmer ta faim
n’a rien qui m’aille.
Sage et bien vu, je crois,
que tu crèves, là, sans délai.
Prouh !… Viens,
jeune vantard !
A toi, monstre.
Vantard te joint.
Voilà, monstre haineux !
Nothung t’ouvre le ventre.
Quel es-tu, jeune brave ;
qui perças mon cœur ?
Qui donc excita l’enfant
à l’exploit meurtrier ?
Ton front n’a pas conçu
ce que tu fis.
Je sais peu de chose,
pas même qui je suis.
A ta mort par le glaive
tu m’as toi-même incité.
Enfant dont l’œil rayonne,
Cœur très ingénu,
de ta victime
sache tout…
Les rudes rois des géants,
Fasolt et Fafner,
les frères, tous les deux gisent.
Pour un or maudit
livré par les dieux
Fasolt est mort par moi.
Gardien de l’or,
dragon farouche,
Fafner, dernier de sa race,
cède au héros fleurissant.
Garde toi bien,
fleur de jeunesse,
car cet autre qui t’excita,
c’est lui qui médite ta mort
Vois l’issue.
Songe à moi !
Quelle est ma race,
dis le moi donc !
Bête, la mort
t’emplit de sagesse.
Sache comme on me nomme :
Siegfried — tel est mon nom.
Siegfried !…
Un mort ne peut rien dire.
Protège moi donc,
mon glaive vivant !
Ça brûle comme du feu !
Vrai, je croirais
ouïr les oiseaux me parler.
Est-ce d’avoir
goûté de ce sang ?
Le bel oiseau, là haut,
chut ! que me dit-il ?
Hei ! Siegfried possède
à présent le trésor.[18]
Oh ! Si, dans cet antre,
il découvre l’or !
S’il y veut ravir le heaume
propice aux exploits enivrants
et si de l’anneau il s’empare
qui doit lui donner l’univers !…
Oh ! cher oiseau,
du conseil merci.
Certes, j’y obéis.
Scène III.
Où donc glisses-tu,
si pressé,
drôle mauvais ?
Avide frère,
Maudit sois-tu !
Que cherches-tu ?
Penses-tu, gars,
ravir mon or ?
Tu guettes mon bien ?
Fuis de la place.
L’endroit est à moi.
Que restes-tu là ?
Oui, je viens mal,
muet artisan,
pour ton larcin !
Ce que me vaut
un long effort,
seul je le garde.
As-tu pris l’or
au Rhin pour faire l’anneau ?
Du charme tenace
as-tu chargé son métal ?
Qui fit ce heaume
par qui l’on est changé ?
L’utile objet
ton esprit l’a t’il conçu ?
Qu’eût donc ta bêtise
sans secours pu bien produire ?
L’anneau puissant
mit sous ma loi l’art du nain.
Où donc est l’anneau !
Facile aux géants fut la prise !
Tu l’as perdu,
mais ma ruse espère l’avoir.
Sur l’exploit d’autrui,
ainsi, ladre ; tu comptes ?
Le profit ne t’est dû,
gagné par ce fier enfant.
Je l’ai nourri.
De mes soins n’est-ce le prix ?
Depuis longtemps
j’attends le paiement que je veux.
Pour l’avoir nourri
cet avare,
ce triple valet
sans pudeur
se croit roi maintenant !
Au chien le plus laid,
certes, l’anneau
siérait mieux qu’à toi.
Drôle, à ton doigt
jamais ne luira son or !
Qu’il soit donc tien :
conserve-le
ce clair joyau.
Sois le chef,
mais, moi, nomme-moi : Frère !
Que mon seul tarnhelm,
jouet plaisant,
fasse mon lot.
Et quoi de mieux ?
Nous partageons le butin.
Moi, partager ?
Et ce heaume ? oui, dà !
Quel fin renard !
Mon sommeil jamais
ne serait paisible !
Quoi ! ni échange,
ni partage ?
Vides mes mains ?
Pas un profit ?
Pour moi rien que tu laisses ?
Rien au monde !
Pas une bribe[19]
qui te revienne !
Sur anneau ni tarnhelm,
lors, plus ne compte ;
Tout reste mon bien !
Contre toi j’appelle
Siegfried à l’aide
et son glaive fort !
L’ardent héros
va fondre, frère, sur toi !
Tourne les yeux !
Hors de l’antre vois le venir.
Quel jeu d’enfant
put-il bien choisir ?
Il a le heaume.
Oui — et l’anneau.
Malheur ! L’anneau !
Compte qu’il va te le rendre !
Moi j’en ferai la conquête.
Pourtant il faudra
qu’à son vrai maître il retombe.
Que valez-vous ?
Je ne sais.
Je vous ai pris,
cependant, au tas de l’or.
Un bon conseil m’y poussa.
Qu’au moins votre éclat
de ce jour témoigne.
Soyez les garants
que je fus de Fafner vainqueur,
mais qu’à craindre point n’ai-je appris.
Hé ! Siegfried possède
le heaume et l’anneau !
Ah ! qu’il craigne Mime,
le gnome pervers !
Fausse sonne la voix
sur les lèvres du fourbe flatteur :
mais il peut saisir
ce que Mime lui veut.
Tel don vient du sang du dragon.
Il songe et soupèse
son butin. —
Est-ce bien que l’Errant trop sage
vint par ici
séduire l’enfant
d’obscurs et louches dits ?
Deux fois fin
soit donc le nain !
Les pièges habiles
sont disposés.
Par de flatteuses paroles
vite je leurre l’enfant orgueilleux.
Louange, Siegfried !
Dis, ô brave :
Fafner t’apprit la frayeur ?
Nul maître ne me l’apprit
Mais l’affreux dragon
l’as-tu mis par terre ?
Hé, quel plus sinistre gaillard ?
Si rude et fauve qu’il fut
Sa mort me fâche un peu,
car maint drôle bien pire
vit encore à cette heure.
Qui me le fit tuer
me fait horreur plus que lui !
Sois calme ! Bientôt
plus rien entre-nous.
Sommeil sans fin
aura par moi fermé tes yeux.
Tu fis ton office
fort à mon gré ;
Il faut qu’à présent
ta prise me soit acquise ;
c’est clair, je dois tout te prendre :
à tromper tu es trop aisé.
Tu cherches donc à me nuire ?
Quoi ! Ai-je dit ça ?
Siegfried, viens ici, mon cher enfant !
Ton être et tes instincts
ont toujours eu ma haine ;
Tendresse ne t’a point
bercé dans mes bras.
Trésor gardé par le dragon,
c’est l’or qui fut mon seul souci.
Tu ne veux
m’en faire don franchement :[20]
Siegfried, mon fils,
toi-même le vois,
ton meurtre m’est nécessaire.
Tu me détestes !
Eh ! tant mieux.
Mais c’est la vie que tu veux me prendre ?
Disais-je cela ?
Comme mal tu m’entends !
Vois, tu es las
d’un si grand effort.
Rouge et fumant est ton corps ;
Pour te remettre
Voici la boisson
par moi brassée avec soin.
Nous faisions, toi, l’acier,
et moi, l’hydromel.
Bois, maintenant,
et j’aurai ton brave fer,
avec le heaume et l’or.
Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !
Tu veux mon épée
avec ma conquête.
Or et tarnhelm te tentent ?
Mais comme mal tu m’entends ?
Suis-je bègue ou bien fol ?
Ah ! quelle peine
ai-je, céans,
sur ma vraie pensée
pour mettre un voile :
et toi, sot garçon, tu fausses
tous mes propos !
Ouvre l’oreille !
Rends-toi compte mieux !
Sache quel est mon but.
Voyons, bois-moi cela vite !
Tu bus ainsi souvent.
Ton humeur dure
boude toujours
à mon présent.
Tu cries —
puis tu veux boire.
Un breuvage frais,
quoi de mieux ?
Comment fis-tu celui-ci ?
Hé ! Avale,
Crois en mon art !
En nuit et brume
laisse tes yeux s’obscurcir ;
Languissants, inertes,
lourds, plieront tes membres.
Toi gisant là,
sus ! j’ai ta conquête
et je la cache.
Mais, l’éveil survenant,
où pourrais-je fuir devant toi,
même ayant ton anneau ?
Donc cette épée
au tranchant si fin
te coupera
le cou d’abord.
Puis, je suis en paix : à moi l’anneau.
Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi ! Hi !
Dormant, tu veux, toi, m’occire ?
Voudrais-je ? Ai-je dit ça ?
Je veux, enfant,
couper net ton cou !
Si, même, pour toi
j’étais sans fiel,
et si tes mépris
et mon rôle de traître
moins haut criaient vengeance,
de ma route je devrais, pourtant,
te chasser en hâte.
Sans quoi comment saisir ta proie ?
Car Alberich la guette aussi.
Ça, mon Wælsung,
fils de Loup,
bois, absorbe la mort.
C’est ton dernier glou-glou !
Hi ! hi ! hi ! hi-hi-hi…
Goûte à l’épée,
sale vipère ![21]
Ha-ha-ha-ha-ha-ha…
Pour payer
l’envie
j’ai forgé cette lame !
Sous la terre, là,
gis près de l’or.
Ton âpre ruse
pensait le ravir,
qu’il fasse tes chères délices !
Un gardien fidèle
Vais-je t’offrir
pour te défendre des vols !
Là, dors aussi,
sombre ver !
A l’or décevant
sers de gardien
près de ton avide rival.[22]
Ainsi, tous deux soyez en paix !
Qu’il fait chaud
après tel labeur !
Tout en feu
bondit mon sang !
Ma main brûle mon front.
Au ciel midi monte.
Du clair azur
l’œil ardent du soleil
se fixe sur moi.
L’ombre fraîche
s’épand des branches de l’arbre.
Rechante, voix si douce.
Après un long
et rude effort
tels accents me sont un charme.
Aux ramures, Oiselet,
tu te berces.
Tout babillants, tout gais,
frères, sœurettes,
t’entourent d’un vol caressant.
Mais moi, je suis tout seul.
Ni sœurettes, ni frères.
Et mon père est mort,
ma mère aussi :
jamais ne les vis.
Mon seul compagnon
fut un vil avorton.
Rien de bon qui nous fît tendres.[23]
Il m’enlaçait
d’infâmes traîtrises.
Enfin, ai-je dû l’abattre.
Cher camarade[24]
Réponds à présent.
Si tu me savais
un bon ami ?
Veuille venir à mon aide.
Combien j’ai cherché
Sans jamais rien trouver !
Toi que j’aime,
touche plus juste.[25]
Si bien tu m’as conseillé !
Oh ! chante ! j’écoute ta chanson.
Hei ! Siegfried frappa
le plus lâche des nains.
Oh ! S’il connaissait
l’épouse sans prix !
Au roc altier elle dort,
dans une enceinte de feu.
Passant le brasier
s’il la réveille,
Brunnhilde, lors, est à lui.
Suave chant !
Souffle enchanté !
L’ardent espoir fait battre mon sein.
En quelle fièvre
flambe mon cœur !
Qui trouble ainsi
mon cœur et ma tête.
Dis le moi, doux ami.
Joie et douleur
d’amour je chante.
Doux et plaintif
passe mon chant.
Qui rêve et désire comprend.
Loin, vite !
Gai, faisons route
loin des grands bois jusqu-au roc !
Dis moi ceci, pourtant,
mon doux chantre :
dois-je en la flamme faire brèche ?
Puis-je éveiller telle vierge ?
De Brunnhild conquise
doit voir l’éveil,
un lâche jamais,
mais qui de Peur n’est instruit.[26]
Le simple enfant
qui de peur n’est instruit,
oiseau, je suis celui-là.
Encor ce jour
bien en vain j’ai voulu
connaître par Fafner la crainte.
Je n’ai d’autre vœu
que de Brunnhild l’apprendre.
Quel est le chemin vers le roc ?
Ainsi je saurai ma route.
Vole et me guide.
Siegfried te suit.
ACTE III.
Scène I.
Monte, Wala !
Wala, debout !
Du long sommeil,
Viens, je t’éveille aujourd’hui.
Entends mon appel.
Surgis ! surgis !
Du puits ténébreux,
du gouffre nocturne,
surgis !
Erda ! Erda !
Femme éternelle !
Des cryptes natales,
monte aux hauteurs !
Je clame vers toi ;
mon chant t’évoque ;[27]
Du somme où tu songes,
sors à ma voix !
Toute sage !
Prime Science,
Erda ! Erda !
Femme éternelle !
Monte ! approche !
O Wala !
Approche !
Fort est le chant ;
fort agit le charme.
L’éveil m’arrache,
au songe sachant.
Qui donc me trouble ainsi ?
C’est moi qui t’éveille ;
des charmes j’use,
puissants à rompre
le plus pesant sommeil,
Partout je passe,
dieu voyageur,
pour encor apprendre.
Maint vieux savoir je recueille.
Nul plus que toi
Ne sait de secrets.
Tu sais tous ceux
que l’abîme tient,
dont monts et vaux,
cieux et mers, sont remplis.
Où l’être vit
plane ton souffle ;
L’esprit qui pense
pense par toi ;
toute chose
fait ton savoir.
Pour que ma science s’accroisse,
sors, enfin, du sommeil.
Je dors et rêve,
je rêve et pense,
je pense l’œuvre sachante.
Mais si je dors,
les Nornes veillent
qui tissent la corde
et nouent sans fin mes secrets.
Demande donc aux Nornes.
Esclaves du sort
tissent les Nornes,
sans pouvoir rien
sur ce qui passe.
Mais toi, la Sage,
parle, ne puis-je
enrayer la roue du rouet ?
L’acte humain[28]
enténèbre mes pensers.
J’ai dû, moi la Sage
Subir un maître jadis !…
L’enfant chère
donnai-je à Wotan.
Fixer le sort des guerriers
fut sa tâche.
Cœur brave, et sage aussi.
Pourquoi viens-tu ?
Recours à cette enfant
Qu’Erda conçut du dieu !
De Brunnhild tu parles,
Brunnhild l’enfant ?
Elle a bravé
le dompteur des tempêtes,
à l’heure où, fort,
lui-même se domptait
Quand le dieu des combats,
rêvant un acte,
dut s’en défendre,
malgré son désir,
elle, sans peur,
lors, affronta la défense,
et fit l’acte même,
— Brunnhild, — au rude combat
Moi, j’ai puni mon enfant :
sur ses yeux pesa le sommeil.
Au rocher la vierge dort :
L’éveil pour elle
viendra seulement
afin qu’un homme
soit son époux.
D’elle qu’aurais-je à savoir ?
Nuit trouble
suit mon réveil :
vague, obscur
va le monde.
La Walküre, issue de moi,
est frappée de sommeil
quand, sachante, sa mère dort !
Le fougueux maître
hait l’ardeur !
Par qui veut des actes,
l’acte est puni !
Qui préside au droit,
à la foi jurée,
Contre tout droit est parjure !
Laisse-moi m’engouffrer.
Rends à l’ombre mon rêve !
Non, Mère,
reste et m’entends,
car mes charmes sont les plus forts.
Prime Sagesse,
par toi, la crainte aiguë
en Wotan a pénétré.
L’effroi des chutes,
hontes suprêmes,
vient de toi seule
remplir d’angoisse mon cœur.
Si, plus que tous,
toi, tu es sage,
parle ; comment vaincre, enfin,
les transes du dieu ?
Tu n’es pas
ce que tu dis.
Pourquoi donc,
cœur implacable,
briser mon sommeil sacré ?
Tu n’es pas
ce que tu crois.
Prime Sagesse
touche au terme :
ta science s’éteint
devant mon ordre !
Sais-tu ce que Wotan veut ?
Aveugle, apprends le de moi,
et, calme,
va sans fin dormir !
Cette fin divine
point ne m’effraie.
Mon désir y tend.
Ce qu’en la lutte,
aux maux farouches,
mon cœur brisé résolut,
fier et libre,
mon vouloir s’y complaît !
Si j’ai voué, dans ma rage
au Niblung haineux l’Univers,
au Wælsung sublime
j’ai tout légué désormais.
Moi qui l’ai choisi,
je lui reste inconnu.
Le plus fier jeune homme,
par sa seule force,
conquit du Niblung l’anneau.
Plein d’amour,
libre de haine,
il rend l’anathème
d’Alberich vain :
lui seul reste sans peur !
Notre noble enfant,
Brunnhild, s’éveille
aux tendresses du Fort.
Brunnhild va, sachante,
accomplir l’exploit
rédempteur du monde.
Donc va dormir, toi,
clos ta paupière ;
rêve et vois ma chute.
Mais quoiqu’il survienne
à jeunesse éternelle
cède en joie le dieu.
Au gouffre, Erda,
Prime Terreur !
Prime Trouble !
Descends ! descends dormir sans fin !
Scène II.
Tout proche Siegfried vient.
Mon guide a disparu !
D’un vol frémissant,
d’un chant joyeux,
il m’indiquait mon chemin :
Tout juste il vient de me fuir !
Fort bien pourrai-je
aller seul vers le roc.
Au but qu’un guide ailé m’apprit,
j’irai donc maintenant !
Quel but, jeune homme,
cherchent tes pas ?
On parle ici ?
On peut donc me guider.
Vers un roc je marche
qu’entoure un cercle de flammes :
là dort la femme
dont je veux l’éveil.
Qui t’a parlé de cette roche ?
Qui t’a vanté cette femme ?
L’oiseau qui dans le bois chante :
sa voix m’a dit ces choses.
Aux branches, l’oiseau jase,
Mais nul ne le comprend :
Comment as-tu fait pour bien l’entendre ?
C’est grâce au sang
d’un cruel dragon
que j’ai, à Neidhol, su vaincre.
Ma langue à peine
a goûté ce sang,
je devine le chant des oiseaux.
Par toi le géant est mort,
mais qui te pressa
au fort dragon de courir ?
Conduit par Mime,
ce nain menteur,
voulait m’apprendre la crainte.
Du fer terrible ;
si je frappai,
Fafner me pressa seul,[29]
car sa gueule
s’ouvrait pour moi.
Qui fit ce glaive
au dur tranchant
dont le fort dragon mourut ?
Moi-même l’ai fait
à défaut de Mime :
l’arme autrement m’eût manqué.
Mais qui fit les rudes pièces
dont tu forgeas le glaive entier ?
Qu’en puis-je savoir ?
Je sais du moins
que les pièces point ne servent
qu’on n’en ait fait glaive neuf.
Sûr, c’est mon avis !
Qu’as-tu à railler ?
Vieux loquace !
Cesse à la fin
et n’attends plus que je jase.
Sais-tu quelle est ma route ?
Eh ! parle.
N’en sais-tu rien ?
Referme ton bec !
Holà ! jeune homme,
suis-je si vieux ?
Eh bien, respecte mon âge.
Belle trouvaille !
Dès ma naissance,
un vieux m’a toujours
barré la route,
mais je l’ai su mettre à bas.
Si, toi, tu restes
et si tu me braves,
gare à toi, dis-je,
et crains de Mime le sort !
Quel air as-tu donc ?
Pourquoi porter
un si grand chapeau ?
Sur tes traits, pourquoi
baisser ses bords ?
C’est en marchant l’usage,
quand on a le vent contre soi.
Mais je crois qu’un œil te manque ?
Quelqu’un, bien sûr, te l’a fait sauter,
que ton aplomb, en chemin bravait ?
Pars maintenant,
sans quoi tu pourrais
de même perdre aussi l’autre.
Je vois, mon fils :
bien qu’ignorant,
tu sais t’aider toi-même.
L’œil qui me manque,
c’est par lui qu’à présent,
tu vois toi-même cet autre
qui m’est pour guide resté.
Ha ! ha ! ha ! ha !
Tu sais vraiment faire rire !
Pourtant, assez de paroles :
Allons, dis mon chemin.
Suis ta route, après, sans délai ;
Tu n’as rien à faire de mieux :
Donc, parle, ou gare à mes poings !
Si ta fierté m’eût connu,
l’affront m’eût épargné.
Toi qui m’es cher,
triste dois-je à t’entendre.
Si, dès longtemps,
j’ai chéri ton sang,
mainte douleur
par moi vint l’accabler.
Quand moi, je t’aime,
Moi, l’auguste,
prends garde à mon courroux,
redoutable pour toi et moi !
Te tairas-tu,
drôle obstiné ?
Cède la place
car, certes, là-haut,
est une vierge qui dort.
L’oiseau fut mon guide ;
il volait là quand il m’a fui.
Il t’a fui pour son salut !
Il craint le maître
des noirs corbeaux :
Tremble s’ils l’ont atteint !
La route qu’il te montre
n’est point pour toi !
Ho ! ho ! tu commandes !
Qui donc es- tu ?
pour m’arrêter ici ?
Crains du rocher le maître !
Je tiens captive là-haut
la vierge qui dort.
Qui la réveille,
qui la possède,
jette à bas ma puissance.
D’un flot de feu
la vierge est cernée,
vagues de flammes
léchant le roc.
Qui vers elle court
se heurte au fauve brasier.
Lève les yeux !
Vois-tu ces clartés ?
L’éclat grandit,
le feu redouble ;
rouges fumées,
trombes de flammes,
roulent, et brûlent,
et grondent vers nous.
L’ardente mer
empourpre ton front.
Bientôt son feu mortel
va t’étreindre.
Arrière, jeune insensé !
Arrière, toi-même, bavard !
Là où les flammes flambent,
vers Brunnhild je dois m’élancer !
Si du brasier, tu n’as peur,
j’oppose ma lance à tes pas !
Je garde en mes mains
l’entier pouvoir.
Le fer que tu tiens
ce bois l’a pu briser.
Qu’ici encor
le brise l’antique lance !
De mon père,
C’est toi l’ennemi ?
Joie des vengeances
que j’ai enfin !
Pousse l’épieu :
qu’il vole en deux sous mon fer !
Va donc ! Je quitte la place !
Ramassant son arme,
prompt, il m’échappe ?
Ah ! Feu radieux !
Claire splendeur !
Large et brillante
s’ouvre ma route.
Plonger en ces flammes !
Aux flammes trouver
la fiancée !
Ho ! ho ! Ha hei !
J’appelle un bon ami !
Scène III.
Paix solitaire
Des monts bienheureux !
Qui dort là, calme,
au bois de sapins ?
Un cheval gît
dans un profond sommeil.
Quel vif éclat me frappe ?
Quels riches reflets d’acier ?
Suis-je ébloui
toujours par le feu ?
Quelles armes !
Vais-je y toucher ?
Ah ! un homme, un guerrier ?
Combien me charment ses traits !
Au front si pur pèse le heaume ?
Mieux vaudrait d’abord l’enlever ?
Oh ! c’est beau !
Maints clairs nuages
parent d’écumes.
les flots d’azur du ciel.
Rire et splendeur,
l’éclat du soleil
brille en ces vagues de l’air !…
Le rythme du souffle
gonfle son sein :
vais-je briser la cuirasse !
Viens, mon fer,
romps cette armure !
Ce n’est pas un homme !
Charme qui brûle
gagne mon cœur…
Trouble embrasé
règne en ma vue.
Tout flotte et tourne
sous mon front !
Qui puis-je appeler
qui me seconde ?
Mère ! mère !
entends ma voix !
Comment l’éveiller
pour que ses yeux
sur moi s’ouvrent ?…
— Ses yeux sur moi s’ouvrent ?
Vont-ils m’éblouir, ces yeux ?…
Puis-je affronter ?… subir cet éclat ?…
Tout flotte, et tourne.
et croule en moi !
D’âpres désirs
consument mon être ;
mon cœur qui défaille
trouble ma main !
Serais-je un lâche ?
C’est donc la crainte ?…
O mère ? mère ?
ton fils valeureux !…
Paisible, dort une femme
qui va lui apprendre la peur !…
Comment s’enhardir ?
comment oser ?
M’éveillant moi-même
Que ma voix la réveille !
Fraîche à mes yeux
sa bouche fleurit…
Quel doux frisson d’effroi
vibre en mon sein !
Ah ! cette haleine !
tendre et tiède senteur !
Eveille-toi !
Eveille-toi !
Femme sacrée !
J’appelle en vain !…
Puisons donc la vie
aux fleurs de ses lèvres
quand j’en devrais mourir !
Gloire à l’astre !
Gloire au ciel ![30]
Gloire, Flamme du jour !
D’un long repos,
c’est mon réveil.
Quel est le fort
qui m’éveilla ?
Franchissant la flamme
qui cernait le roc.
ton armure, j’ai su l’ouvrir !
Siegfried suis-je
qui t’éveillai !
Gloire, Dieux saints !
Gloire, monde !
Gloire, Terre splendide !
Je sors de mon sommeil ;
mes yeux s’ouvrent.
Siegfried,
seul m’a porté l’éveil.
O gloire à celle
qui m’enfanta !
Gloire au sol
qui m’a vu grandir,
puisque tes yeux m’ont lui
qui, là, m’enivrent joyeux !
O gloire à celle
qui t’enfanta !
Gloire au sol
qui t’a vu grandir !
Tes yeux seuls
devaient m’éclairer.
L’éveil me dut venir de toi !
O Siegfried ! Siegfried !
Noble héros !
Réveil de la vie,
jour triomphant !
Oh ! sache donc,
joie qui nous luit,
d’où date mon amour.
Tu fus mon rêve,
mon seul souci !
Ta tendre enfance,
je la préservai.
Au sein maternel
mon bras t’a sauvé.
Je t’aimais dès lors,
Siegfried !
Ma mère n’est donc morte ?
elle dort seulement ?
Sublime enfant !
Rien ne peut te rendre ta mère…
je suis toi-même
si, toi, tu me donnes ton amour.
Ton cœur ne sait,
mais, moi, je sais.
Or, sachante si je suis,
c’est que je t’aime.
O Siegfried ! Siegfried !
Jour triomphant !
C’est toi que j’aime,
car, pour moi seule,
s’ouvrit de Wotan l’idée, —
cette idée que je sus
sans la dire,
jamais comprise,
mais devinée,
— pour qui, vaillante,
j’ai combattu,
osant braver le dieu
qui l’avait eue ;
— pour qui me vinrent
tels châtiments,
ne l’ayant comprise,
l’ayant sentie !
Mais, cette idée,
toi, tu l’éclairés.
Moi je n’y vis qu’amour pour toi.
Merveille et joie,
emplissent ton chant.
Pourtant, il reste obscur.
De tes yeux si clairs
je vois l’éclat ;
de ton souffle pur
je sens l’ardeur ;
de ta voix, l’accent
me vient ravir ;
mais ce que disent tes chants,
simple, j’y suis fermé.
Mon cœur ne comprend
ces choses lointaines
quand tous mes sens te voient,
toi seule, et r/ assiègent !
D’un sombre effroi,
tu m’as rempli.
Toi seule as su
m’enseigner la frayeur ;
à moi, qu’étreignent
tes chaînes puissantes,
rends le courage oublié !
Là bas, c’est Grane,
mon fier cheval.
Joyeux, il pâture,
ayant dormi.
Lui même doit
à Siegfried l’éveil !…
Des joies de ta bouche
mes yeux se repaissent
Brûlante, une soif
dessèche mes lèvres,
que le don des tiennes l’apaise !
Je vois le bouclier,
secours de braves…
Le heaume est ici
qui couvrait mon front.
Sans eux, soudain, me voici.
Une vierge bénie
transperce mon cœur.
Elle a blessé
mon front de ses coups,
je n’ai bouclier, ni heaume !
Je vois la cuirasse
où brille l’acier ;
un glaive aigu l’ouvre en deux,
et du corps virginal
l’armure s’en va !
Je suis sans soutien,
sans force, à merci,
et rien qu’une femme !
Du fauve brasier
j’arrive vers toi.
armure, cuirasse,
moi, je n’ai rien.
Aussi, la flamme
pénètre en mon sein.
Mon sang bondit
et roule, embrasé.
Un rouge incendie
en moi se déchaîne.
Du feu qui, là bas,
garde ton roc,
l’ardeur a brûlé mon cœur !
O femme, éteins ce brasier !
calme sa folle fureur !
Nul dieu ne m’approcha !
Le front courbé, les braves m’honorent.
Sainte, j’ai quitté le Walhall !
Las ! las !
Honte pour moi !
Détresse et mépris !
Par lui, je souffre,
lui, l’éveilleur.
Il rompit armure et heaume.
Brunnhilde est loin de moi !
O vierge, ici,
tu rêves toujours.
Brunnhilde encore
songe en sommeil…
Réveille-toi,
sois une femme !
Mes sens me trahissent !
Ma science fuit.
Sans elle vais-je vivre ?
Toi-même n’as-tu pas dit
qu’elle est l’éclat de ton amour pour moi ?
L’ombre funèbre
voile mes yeux.
Ma vue se trouble :
mon jour s’éteint.
L’ombre est sur moi.
De nuit et d’horreur
monte et surgit un effroi confus.
Peur sans trêve
se dresse et bondit.
L’ombre pèse
aux yeux qu’on ferme.
Les ouvrir
en chasse l’obscur effroi.
Sors des ténèbres, et vois !
Clair et beau brille le jour !
Clair et beau
brille le jour pour ma honte !
O Siegfried ! Siegfried !
Vois ma terreur !
Dès l’origine
comme à cette heure
j’ai fait le rêve
d’ardentes délices,
mais toutes pour ton salut !
O Siegfried.
pur héros ! trésor du jour !
vie de la terre,
joie des héros !
laisse, ah ! laisse,
laisse moi !
Garde mon corps de l’approche farouche ;
grâce d’étreintes
qui brisent et domptent ;
épargne l’amour de ton cœur !
Vis-tu tes traits au clair ruisseau ?[31]
Fut-ce point pour toi plaisir ?
Mais si ta main
à cette onde a touché,
ridant le miroir
si pur du courant,
l’image a disparu,
s’effaçant au trouble de l’eau !
Ne m’effleure donc pas,
laisse-moi pure !
Douce sans fin,
doit sourire en moi
ta claire image,
gai et jeune héros !
O Siegfried !
fier adolescent !
Aime-toi
et laisse-moi.
Ne tue point ton propre amour !
Je t’aime !…
Si, toi, tu m’aimais !
Mon cœur, je ne l’ai plus…
Oh ! si je t’avais !
Un flot large et pur
séduit mes yeux
et tout mon être
vibre à le voir,
aux joies mouvantes des vagues !
Loin mon reflet !
Je brûle moi-même
et veux éteindre
en ces flots mes flammes.
Moi-même m’élançant,
j’entre au ruisseau.
Ah ! que, dans ses vagues heureuses, je plonge !
Mes fièvres soudain s’y noieront.
Eveille-toi, Brunnhilde parle, enfant !
Ris à la vie,
joie enivrée !
Sois mienne !… sois mienne !… sois mienne !…
Oh ! Siegfried !
tienne fus-je toujours !
Si tu l’étais, montre le donc !
Tienne à tout jamais,
je le suis !
A tout jamais, dès ce moment !
Prise en mes bras,
étreinte par moi,
cœur contre cœur,
lorsque tout brûle,
feu des regards,
flamme du souffle ardent,
bouche à bouche,
lèvre à lèvre,
à moi te voici,
ainsi que jadis et toujours !
J’ai dompté le souci de savoir
si déjà Brunnhild est à moi.
A toi déjà ?
Calme divin, rugis en tempête !
Chaste clarté, brûle en fournaise !
Science des cieux, tu fuis loin de moi !
Ivre, l’amour te chasse à jamais.
A toi déjà ?
Siegfried ! Siegfried !
Ouvre les yeux !
Mon regard tout en feu
t’aveugle-t-il pas ?
Quand mon bras t’étreint,
t’embrases-tu pas ?
Quand mon sang transporté
vers toi se rue,
ces flammes sauvages,
les sens-tu pas ?
Crains-tu pas, Siegfried,
crains-tu donc pas
la folle femme en furie ?
Ah ! — Quand le sang
bouillonne et s’embrase,
quand les yeux en feu
se dévorent,
quand les bras
brûlent d’étreindre,
en moi renaît ma fière ardeur
et la crainte, ah ! que jamais je n’ai sue,
la crainte ! Je crois, moi simple,
l’avoir oubliée !
Oh ! jeune héros,
enfant magnifique !
D’exploits sacrés trésor naïf !
En riant je t’adore,
en riant je m’aveugle,
en riant courons
nous perdre au gouffre ouvert !
Rire, c’est là ce qu’éveille ta joie !
Péris, Walhall, monde éclatant !
Que tombe en poudre
le fier palais !
Brunnhilde vit,
Brunnhilde rit !
Gloire au jour
qui, sur notre front, rayonne !
Gloire à l’œil ardent du soleil !
Gloire à l’aube
qui sort de la nuit !
Adieu, règne
éblouissant des dieux !
Meurs en joies,
ô pouvoir éternel !
Brisez, ô Nomes,
le fil sacré !
Soir des dieux
du gouffre surgis !
Nuit du néant,
submerge tout !
Pour moi l’étoile en feu
de Siegfried luit !
Gloire au monde
où Brunnhilde vit !
Debout ! vivante !
Son rire m’accueille !
Claire étoile,
Brunnhilde luit !
Elle est à moi, à tout jamais,
mon bien suprême,
seule, et toute !
Il est à moi, à tout jamais,
mon bien suprême,
seul, et tout !
Flamme d’amour !
joie de la mort !
- ↑ Var. : Le glaive fort
que j’ai martelé. - ↑ Var. : le brise et jette en morceaux.
- ↑ Var. : Le glaive fort
que j’ai martelé. - ↑ Var. : Pas l’ombre d’un bon mouvement
- ↑ Var. : D’où vient mon nom de Siegfried ?
- ↑ Var. : hante la roche abrupte.
- ↑ Var. : sur la roche abrupte.
- ↑ Var. : savant soudeur d’épées.
- ↑ Var. : seul sort de moi
- ↑ Var. : je n’y toucherai.
- ↑ Var. : Gardes, tu de Fafner l’or.
- ↑ Var. : sans faire acte.
- ↑ Var. : Qui m’est cher.
- ↑ Var. : M’est il propice ?
- ↑ Var. : je ne suis plus maître de moi.
- ↑ Var. : Je n’eus pour père ce nain.
- ↑ La machine représentant le dragon a été portée, pendant le combat, plus près de l’avant scène. Une nouvelle trappe a été ouverte pour que l’interprète du rôle puisse chanter dans un porte-voix moins grand que le premier.
- ↑ Var. : du Niblung le bien.
- ↑ Var. : pas un clou même.
- ↑ Var : de bon gré.
- ↑ Var. : Bavard immonde !
- ↑ Var. : côte à côte avec ton rival.
- ↑ Var. : Rien de bon et rien de tendre.
- ↑ Var. : Voix gazouillante.
- ↑ Var. : en toi j’espère.
- ↑ Var. : seul qui de Peur.
- ↑ Var. : Je chante l’air d’appel — pour qu’il t’éveille.
- ↑ Var. : L’œuvre humaine.
- ↑ Var. : Seul me pressa.
- ↑ Var. : O lumière ! Cieux brillants !
- ↑ Var. : L’onde sans doute a miré tes traits !