Situation des émigrés suisses au Brésil

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BRÉSIL. — Situation des émigrés allemands. — Nous avons toujours pensé qu’il ne fallait adopter qu’avec beaucoup de prudence les projets de colonisation lointaine. Voici un rapport adressé par le consul suisse, au Brésil, à son gouvernement : le consul y trace le tableau le plus décourageant des peines et des contrariétés de tous les genres auxquelles sont en butte les Européens que des espérances de fortune et de bonheur attirent dans ce pays. Après avoir détaillé les obstacles que l’on éprouve à se procurer un terrain convenable et quelques esclaves, il ajoute : « D’ailleurs, qui pourra diriger l’émigré dans l’établissement qu’il va former ? Ses voisins peut-être ? Mais il ne doit ni ne peut s’en rapporter à eux ni à leurs conseils. Jaloux des moyens qu’ils lui supposent et qu’ils portent toujours au-dessus de la réalité, ils ne cherchent en secret qu’à entraver ses démarches et ses opérations. Si malheureusement il a besoin d’eux, ils lui font payer leurs services au poids de l’or, et ne participent à ses travaux qu’avec l’intention d’en retarder les progrès ; trop heureux alors, si par des erreurs, de fausses spéculations ou des mesures mal combinées, il ne se prépare pas des regrets pour l’avenir.

« Dans tous les cas, il doit s’attendre à de très-fortes dépenses pour sa nourriture et celle de ses esclaves, puisque huit mois au moins doivent s’écouler avant qu’il puisse songer à retirer du sol, de quoi pourvoir à leurs premiers besoins. Enfin, après trois ou quatre ans d’anxiétés et de souffrances, il verra ses moyens pécuniaires totalement épuisés, et commencera à s’apercevoir trop tard, qu’après tant de sacrifices il n’a acquis qu’une propriété dont la valeur est à peine suffisante pour fournir à ses besoins. Alors le découragement viendra l’accabler et les maladies termineront peut-être sa triste existence.

« Mais il est des émigrés dont la chute est plus rapide et le sort plus funeste encore. Je veux parler des infortunés qui, séduits par les illusions dont on se berce trop souvent en Europe, abandonnent leur patrie, pour venir, sans argent et quelquefois sans talens, chercher dans ces contrées lointaines une fortune qu’ils croient aussi certaine que brillante. À leur arrivée, la misère la plus affreuse les accueille, et ils attendent que les secours de la charité les arrachent à une mort imminente. On en a vu un exemple récent et terrible dans ces malheureux Allemands débarqués au nord du Brésil.

« Dès son arrivée, cette troupe composée d’hommes, de femmes et d’enfans de l’âge le plus tendre, fut réduite à implorer la pitié publique. L’ignorance de la langue du pays est un obstacle de plus pour les étrangers, et cependant ceux qui sont familiarisés avec cette langue et qui la parlent avec facilité, n’en retirent aucun avantage.

« Ce que peuvent attendre de plus ces émigrés, c’est de trouver un propriétaire qui les emploie pour la nourriture seule. Dans ce cas, après deux ou trois ans, ils obtiennent la conduite subalterne des esclaves, et les modiques appointemens de trois cents francs. Mais combien de privations ne doivent-ils point subir ; par quelles épreuves ne doivent-ils point passer, avant de parvenir à ce point ? Dégoûtés, découragés, ils cherchent à s’étourdir, à oublier leurs maux, par l’usage immodéré des boissons ; ils finissent ainsi par ruiner entièrement un tempérament déjà miné par les travaux et les chagrins, et ils terminent d’une manière affreuse une carrière de privations et de dégoûts.

« Tel est le sort presque inévitable qui attend les Européens attirés dans ce pays par l’espoir d’y faire fortune. Le service militaire, qui, partout ailleurs est une ressource, n’offre pas ici le moindre avantage, attendu que l’avancement y est nul. Le Brésil est un pays superbe, et extrêmement riche des dons de la nature ; mais, dans son état actuel, les Européens ne doivent pas songer à y former des établissemens. »