Socrate chrestien/Discours 10

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Augustin Courbé (p. 169-269).

REMARQUES
SUR DES SERMONS
ET SUR DES TRAITEZ
DE CONTROVERSE,
IMPRIMEZ À LION L’AN
M. DC. XXIII.


Discours Dixiesme.


CEluy qui avoit apporté à Socrate la Traduction des Annales de Tacite, luy fit present de trois ou quatre Sermons, et de quelques Traitez de Controverse, imprimez à Lion l’année mille six cens vingt-trois, & reliez ensemble dans un mesme Livre. Nous estant trouvez au Rendez-vous, une demie-heure apres soupé, à cause des continuelles visites de l’apresdinée, nous vismes ces Sermons et ces Traitez sur la Table du Cabinet. Ils estoient marquez de la main de Socrate & de son crayon : Mais il falloit deviner son chiffre ; Et nous creûmes avoir plustost fait d’en demander & d’en recevoir l’esclaircissement, que de le chercher & de le trouver.

En cecy il se fit un peu plus prier qu’à l’accoustumée. La reverence qu’il portoit à la parole de Dieu, par quelque organe qu' elle sortist, l' empeschoit de juger des predicateurs avec liberté : il supportoit beaucoup de choses qu' il n' approuvoit pas, et comme il ne refusoit jamais ses loüanges au merite, il donnoit volontiers son silence à ce qui ne meritoit pas d' estre loüé. Il eust bien voulu demeurer dans les mesmes termes : mais il falut contenter la compagnie, et les violentes interrogations que nous luy fismes à diverses fois, tirerent de sa bouche ces responses que je mis par ordre le lendemain. Elles peuvent tenir lieu de commentaire, sur quelques endroits du livre, assez remarquables et assez beaux : mais outre cela, elles peuvent servir d' adresse à quiconque veut aller droit dans la lecture des autres livres, et apprendre à juger finement de la valeur des choses et des paroles. Je ne touche point à la doctrine du predicateur : elle est saine et catholique : elle vient des anciennes sources, et n' a pas esté prise dans les nouvelles cisternes. Mais ce n' est pas tout que la doctrine. Ce n' est pas assez de sçavoir la theologie pour escrire de la theologie ; il faut encore sçavoir escrire, qui est une seconde science. Il faut que l' art des paroles serve de guide et de truchement à la connoissance des choses : cette connoissance descouvre les grandes veritez, et cét art les met à la portée des petits esprits. L' autheur des traitez s' y est trompé : il s' est arresté à la moitié de ce qu' il devoit : il s' est contenté d' avoir acquis, et de jouïr à sa mode, et n' a pas consideré que la possession n' estoit pas l' usage. Il a creû qu' entendre les mysteres et les faire entendre aux autres despendoit d' une mesme intelligence. Ainsi faute d' art et de methode des veritez extremément hautes sont peu heureusement expliquées. Les oracles deviennent galimatias, par la mauvaise disposition de l' organe qui les rend. Ils perdent l' opinion de leur premiere divinité, et n' acquierent point les graces de l' eloquence humaine. La doctrine du predicateur paroist moins que quand elle n' estoit pas descouverte : son silence la cachoit, et ses paroles la gastent. Le defaut de la grammaire deshonore toute sa theologie. Qu' il y a de difference entre ces sortes d' escrits, et ceux d' un homme qui sçait escrire ; entre ces Traitez de Controverse, & les Actes de la Conference de Fontainebleau, dont vous avez leu les endroits que je vous ay marquez. Dans ces Actes les Raisons sont en bataille, et combatent l’Adversaire : icy elles sont en foule et s’empeschent elles-mesmes. Voilà ce que cause le defaut de la Discipline et le manquement de l’Art. Pour produire un Ouvrage regulier, il falloit débrouiller la masse et partager la matiere ; sçavoir soustraire et diminuer. Il falloit d’une periode en faire plusieurs, & songer plus à l’ordre qu’à l’abondance. Nous aurions besoin de cette Hache fameuse dont parlent les grecs, qui retranchoit les superfluitez de leur stile. Nous escririons moins si nous meditions davantage. Si nous nous conseillions aveque le Temps, il reduiroit nos excés à la mediocrité, outre les autres bons offices qu’il nous rendroit. Cet homme, disoit-on à Paris, lors que j’y estois, a fait un grand livre, parce qu’il n’a pas eu le loisir d’en faire un petit.

DAns les Traitez et dans les Sermons il y a des termes qui me sont suspects, & sur lesquels je veux encore deliberer. Un Iuge moins indulgent que moy les condamneroit absolument. Il y a d’autres termes qui sont tout-à-fait insoustenables, et la plus grande indulgence du monde les doit abandonner à la rigueur des Grammairiens ; l’Autheur ne feroit pas mal de s’en deffaire : Mais ie voy qu’il y a de l’attache, et que c’est par inclination et par choix, que ces termes luy sont plus familiers que ceux dont il pourroit user sans scrupule. Ie n’ay pas dessein, d’esplucher tout le livre par le menu : je veux seulement suivre mon Crayon, et vous déchiffrer les marques que Monsieur le Vicaire pourroit prendre pour des characteres de Magie.


Le mot de Religionnaire n’est pas François. Il vient du mesme pays que celuy de Doctrinaire, & ce fut sans doute un Predicateur Gascon, qui le debita le premier dans les chaires de Paris. De dire aussi Calviniste, il me semble que ce seroit faire trop d’honneur à Calvin. Ce seroit faire injure aux Rohans et aux Colignis, et à tant d’autres grands Seigneurs, de leur faire porter le nom d’un petit Sophiste, qui ne pouvoit pretendre qu’à la qualité de leur Aumosnier, s’ils fussent demeurez fermes, comme ils devoient, dans la Religion de leurs Peres.

Mais d’ailleurs Heretique, Schismatique, Ennemy de l’Eglise, Deserteur & Rebelle de l’Eglise, sont des termes qui font peur : ils effarouchent ceux qu’on veut apprivoiser. La passion de la Cause paroist à descouvert en semblables termes : et cette passion, quoy que ie la trouve bonne & legitime, ne seroit pas approuvée par le Critique Castelvetro. Il trouve mauvais que Tite-Live parlant des Carthaginois, les appelle les Ennemis, à cause que l’Histoire, qui à son advis doit estre neutre, se declare partiale, en se servant de semblables termes.

Il faut aussi avouër qu’il seroit bien long et bien ennuieux d’obeïr tousiours regulierement aux Edits du Roy, et de dire ceux de la Religion pretenduë Reformée, ayant à les nommer souvent, soit dans une Narration continuë, soit dans un Discours de Controverse, où la repetition de leur nom pourroit estre une piece essentielle de la matiere. De l' autre costé d’accourcir ce nom composé de trois, & de reduire ceux de la Religion pretenduë Réformée à ceux de la Religion; ie ne pense pas que cet Abbregé fust agreable à l’Eglise Catholique, particulierement dans un Acte public, & hors de la Conversation privée.

Mais pourquoy, sans avoir recours à des termes odieux, ou à des locutions figurées, ne dira-t-on pas les Huguenots, aussi bien que les Guelphes et les Gibelins? Pourquoy parlant en public, nous abstiendrons-nous d’un mot qui est dans la bouche de tout le monde, que les Estrangers ont emprunté des François ; qui a cours deçà & delà les Monts ? L’Histoire de Davila en est semée d’un bout jusqu' à l' autre : il se lit en grosses lettres, à la teste d' une des relations du Cardinal Bentivoglio, Relatione, si je ne me trompe, De Gli Ugonotti Di Francia. Je ne voudrois dire ni les gueux , comme on faisoit aux Païs-Bas, au commencement des troubles de la religion, ni les parpaillaux , comme on fit en France, dans nos dernieres guerres civiles, et durant le siege de Montauban. Ces deux mots ont esté de courte vie, et leur destin n' a pas voulu qu' ils durassent ; outre qu' ils me semblent un peu trop comiques et trop populaires. Mais encore me desplaisent-ils moins que religionnaire , qui n' est ni latin ni françois, ni plaisant, ni serieux ; qui ne signifie point ce qu' ils veulent qu' il signifie. Le mot de religieux vient de religion, par la voye legitime et naturelle ; celuy de religionnaire , en vient aussi, mais par une licence vicieuse. Il est bastard et monstrueux. Pour le moins il n' est pas françois, comme je l' ay dit d' abord, et n' a garde d' estre si bon que sectaire , duquel neantmoins on ne se sert pas. La meilleure partie du peuple ne l' entend point ; le bon usage ne l' a point receû ; il a esté fabriqué dans un coin du Quercy ou du Perigort ; et par consequent il doit estre condamné comme Barbare, & renvoyé à Sarlat ou à Cadenac, d’où il est venu.

Si j’avois une si violente aversion pour les mots vulgaires, & si j’estois absolument resolu de ne parler pas en France, comme on parle en France, je voudrois suivre l’exemple de l’Eglise Grecque, qui employoit en pareilles occasions, un terme extremément doux ; Elle ne disoit point d’injures à ceux qui s’estoient separez d’elle, & ne leur donnoit point de noms odieux : Elle se contentoit de les appeller les gens de l’autre opinion ; sans dire de la mauvaise ; comme si c’eust esté pour les distinguer, plustost que pour les offenser, n’y ayant rien de formellement ennemy entre Orthodoxe et Eterodoxe.

Cette façon m’a semblé digne de la civilité de la Grece, et il me souvient d’avoir leu ie ne sçay quoy de semblable dans les despesches de Monsieur de Foix, Ambassadeur pour le Roy pres du Pape Gregoire Treiziesme. Sire, (c’est dans une Relation qu’il envoye au roy son maistre) ie fis entendre à nostre Saint Pere, comment ceux de la nouvelle opinion demandoient à vostre Majesté, &c.

Ainsi parloit-on à Rome et devant le Pape, de la cause de Calvin, en un temps où elle venoit d’estre condamnée, & où sa premiere nouveauté la rendoit encore plus odieuse qu’elle n’est aujourd’huy, à une Puissance, dont elle avoit l’audace de disputer la Souveraineté, apres en avoir secoüé le joug. Ce Monsieur de Foix estoit un personnage de grande naissance, de rare vertu, & d’eminente doctrine. Hors des fonctions de l’Ambassade, et aux heures de divertissement, il s’entretenoit avec les bons Livres, et nostre Muret estoit un de ses Lecteurs. Ayant, comme il avoit, particuliere connoissance des Lettres Grecques, son François pouvoit bien quelquefois viser au Grec.

Mais je vous prie, quelle delicatesse de pieté, ou quelle affeterie de langage, dans les Sermons du Predicateur & dans ceux des autres, d’opposer tousjours Demon à Dieu, & de n’oser jamais dire ni le Diable, ni Satan ? ont-ils peur d’offenser le Diable, quand ils l’appellent par son nom propre ? Au moins est-ce un nom que luy a donné nostre Seigneur ; Et voudroient-ils reformer ces redoutables paroles, rapportées par saint Matthieu, & sorties de la bouche qui ne peut faillir, allez maudits au feu eternel, qui a esté preparé au diable et à ses anges. Voudroient-ils corriger Iesus-Christ, et changer Diable en Demon, dans ce passage de l’Evangile, et en tant d’autres passages, soit de l’Escriture Sainte, soit des Saints Peres ?

Ce seroit une belle chose, s’ils avoient dessein de flater le Diable, en luy choisissant un nom qu’ils estiment plus doux & plus agreable que le sien ; Quoy que je ne voye pas ce qu’ils trouvent de si rude & de si fascheux en ce nom, dans lequel la plus delicate de toutes les langues modernes a trouvé quelque chose qui luy a plû. Car vous sçavez que souvent elle se sert della Casa del Diavolo, & qu’elle ne prend pas en mauvaise part Una cosa diavolica, Una memoria diavolica, &c. Il me souvient qu’il y a un Personnage dans les comedies de Plaute, & un personnage amoureux, si ma memoire ne me trompe, qui se nomme Diabolus, comme Phamphilus ou Phedria. Comme si à la Comedie Italienne il y avoit un Signor Diavolo, aussi bien qu’un Signor Lelio, ou un Signor Tancredi. La licence et l' audace sont à blasmer : mais il y a des scrupules qui ne se peuvent souffrir : et je vous advouë que j' ay leû avec despit dans les lettres latines du ciceronien Longolius, que les indiens avoient partagé le gouvernement du monde entre la deesse et la furie, pour dire entre Dieu et le diable : où vous voyez que contre la foy de l' histoire, et par une temerité encore plus grande que son scrupule, à cause que furie est du genre feminin, il a mis deesse au lieu de Dieu, afin que l' opposition fust plus juste. Ce sont des superstitions ridicules, et une affectation impertinente, de laquelle les ciceroniens ne seroient pas advouëz par leur Ciceron. L' ancien usage reconnoist de bons et de mauvais demons, de bons et de mauvais anges, de bons et de mauvais genies. Pourquoy desobeïra-t-on à l' authorité de cét usage ? Et si demon se prend tousjours en mauvaise part, n' y a-t-il pas un notable inconvenient à apprehender ? Car en effet garde l' equivoque pour les jeunes allemans, qui commencent à apprendre nostre langue, et qui disent quelquefois des botes equitables pour des botes justes . Croyant sur la parole des esprits doux, que diable et demon ne sont qu' une mesme chose ; et par exemple ayant ouï dire que la peine et la recompense sont les deux demons qui gouvernent les choses humaines ; qu' Aristote est le demon de la nature ; que le favori est le demon de l' estat, etc. Ils rediront innocemment, et sans craindre de parler mal françois, que la peine et la recompense sont les deux diables qui gouvernent les choses humaines ; qu' Aristote est le diable de la nature ; que le favori est le diable de l' estat, etc.

LE Dominus Regnavit du Pseaume 95 ne me semble pas traduit comme il faut. Prendre possession de son Regne, est Italien, & non pas François. Il faut dire, prendre possession de son Royaume, & c’est une faute dans laquelle nostre defunt Maistre est tombé deux fois en moins de deux lignes,

Et vray Roy Tres-Chestien
son Regene aggrandira.
Des Regnes & des Roys, au
nom de Christ rebelles.

Royaume est le païs où regne le Prince ; Regne est le temps que regne le Prince ; & la locution ne seroit pas plus impropre de dire la premiere et la seconde année de son Royaume, que la premiere et la seconde ville de son Regne. Autrefois à la Cour ceux qui Italianisoient en François, appelloient les Coursiers de Naples, les chevaux du Regne, parce qu’en Italie le Regne est le Royaume de Naples. En ce pays-là, le Regne est encore pris pour une autre chose, et on donne ce nom à la triple couronne du Pape. Je vis mettre le Regne sur la teste de Paul Cinquiesme, quand ie le vis couronner à Rome.


Les eminences ont esté receuës en ce Royaume ; mais les Eminentissimes, les Excellentissimes, &c. n’ont point encore passé les Monts. Lors que Monsieur Le Cardinal du Perron revint de Rome, apres la Negociation de Venise, il en apporta l’illustrissime cardinal, et la seigneurie illustrissime, mais personne n’en voulut. Il fut leur Introducteur à la Cour : Il leur donna place à la teste de ses Despesches, et dans ses autres Escrits : il les imprima dans ses Livres. Tout cela inutilement ; il n’eut pas assez de credit, pour faire naturaliser ces Nouveaux Venus, et les faveurs particulieres qu’il leur faisoit, ne peurent leur acquerir celle du Public. En cecy, comme au reste, Monsieur le Cardinal de Richelieu a esté plus heureux que ses Compagnons. Rien ne luy a esté impossible. Ayant entrepris avec succes des choses ausquelles tout le monde s’estoit manqué, la Grammaire ne pouvoit pas seule desobeïr, dans la generale soumission. Il falloit que nostre langue subist le ioug, aussi bien que nos Esprits, et que nos Courages. Sans se mettre en peine de la fortune des autres Superlatifs, qu’il n’a pas jugez dignes de luy, il a employé son authorité pour faire reüssir le plus important de tous, celuy de Generalissime, l’indépendant, & le tout-puissant Generalissime. Et à dire vray, il a mis en usage ce Superlatif d’une admirable maniere, depuis le grand et ample Pouvoir qu’il receut du Roy, allant commander les Armées de France en Italie. Vous sçavez que feu Monsieur le Duc d’Espernon disoit de ce grand Pouvoir, que le Roy ne s’estoit rien reservé, que la vertu de guerir des Escrouëlles.

Generalissime est donc nostre unique Superlatif, & nous sommes obligés de l’honorer en la personne de Monsieur Le Cardinal de Richelieu, La langue Françoise, qui a rejetté tous les autres, n’a pas osé s’opposer â celuy-cy, pour le respect qu’elle porte à un si puissant & si redoutable Instituteur. Hors de là elle ne connoist point de Superlatifs, & c’est un defaut que luy reprochent les italiens. Ils croyent qu’elle manque de ce moyen pour porter les choses par la vertu d’un seul mot, jusques dans la derniere extremité du blasme & de la loüange. Ils croyent de plus que pour reparer ce defaut en quelque façon, nous appellons à nostre aide, le Ter des Latins (car ainsi expliquent-ils nostre Tres ) qui signifie bien nombre et multitude, mais qui est estranger, auxiliaire, et venu de loin, mais qui est plustost une attache jointe à un corps, qu’un membre qui luy soit naturel. Ainsi discourt l’Italie au desavantage de la France. Et en effet elle a raison de nous reprocher nostre pauvreté, elle qui est si heureuse et si riche, particulierement en Superlatifs. Elle fait des exces les jours mesmes qui ne sont pas de desbauche : Elle est prodigue jusqu’à donner du vostrissimo et du suisceratissimo servitore dans ses complimens et dans ses civilités ordinaires. La licence des siecles gothiques n’a pas esté si avant, et ceux qui ont dit pientissimus, praegloriossimus, victoriossimus, n’ont pas osé dire tuissimus & vestrissimus.


I’ay esté effrayé du Prodige de devotion, et immediatement apres de la prodigieuse pieté. Sans quelque temperament et quelque precaution de Grammaire, Prodigieux ne peut estre pris en bonne part. Merveilleux, Admirable, Extraordinaire sont les termes receus et approuvez. Ils contentent suffisamment la pensée de l’escrivain et l’attente du lecteur. Ils ne laissent point de remors aux esprits qui se hazardent le moins, et qui apprehendent le plus de faillir.

Pensez-vous qu’on puisse dire un orateur et un poëte prodigieux, une harangue et une elegie prodigieuse, quand on a dessein de louër les orateurs et les poëtes, les harangues et les elegies ? Pour moy je ne le pense pas, et il me semble que prodige et prodigieux ne sont gueres plus obligeans ni plus propres à louër que monstre et que monstrueux. Les statuës qui sortoient de la main de Phidias estoient admirables, mais celles que Stesicrates concevoit en son esprit eussent esté prodigieuses. Les Heros sont de belle taille, mais la stature des Geans est prodigieuse. Moyse faisoit des Miracles, et les Magiciens de pharaon faisoient des prodiges. Dans le langage figuré, on peut dire les Prodiges de la Vie de Neron, mais il faut dire les Merveilles de la Vie d’Auguste.

Prodigiale Rubens se dit d’une Comete, dont la chevelure menace la Terre ; et ne se peut pas dire du Soleil, dont les rayons meurissent les fruits : quand mesme le Soleil seroit plus rouge que la Comete ; quand il seroit entré dans le signe de la Canicule, et qu’il verseroit sur la Terre plus de feu que de lumiere. Une femme accouchée d’un serpent, un corps nay avec deux testes, une pluye de pierres ou de sang, sont des Prodiges, qu’on expioit par des actes de Religion, comme des marques de la colere des Dieux. Et vous sçavez qu’il y avoit autrefois à Rome un Iupiter Prodigialis, non pas qui fist des prodiges, mais à qui on faisoit des sacrifices, pour destourner le mauvais effet de ces mauvais signes.

Ciceron ayant dit en quelque lieu, que les actions de Pompée estoient semblables à des prodiges, a tesmoigné par là qu’il n’osoit dire qu’elles fussent prodigieuses. Il a fait voir qu’en telle rencontre il redoutoit le mot de Prodige, puisqu’il s’est contenté de s’en approcher, et n’a pas voulu aller jusqu’à luy. Par des actions semblables à des prodiges, il entendoit qu’elles estoient d’aussi dure et d’aussi difficile creance que les choses qui arrivent contre le cours ordinaire de la Nature : Mais par des actions prodigieuses on pouvoit entendre, qu’elles estoient contraires aux Loix et à la Raison, et qu’elles porteroient malheur à la Republique. Lors que Claudian esleve Stilichon jusques au ciel, il parle des miracles de ses actions. Mais quand il fait descendre Eutropius, plus bas, s’il se peut, que les Enfers, il dit, que toutes ses actions estoient des Prodiges, prodigium est quodcumque gerit.

Enfin il faudroit une figure extremement violente, pour faire changer de place au mot de Monstre et à celuy de Prodige; et sans estre accompagnez de quelque Epithete bien particulier et bien efficace, ils ne peuvent passer de leur signification, qui est mauvaise, en une autre signification, qui soit ou bonne ou indifferente. Pour le moins il ne me souvient point de l’avoir veu, si ce n’est à la verité dans les Livres du Pere * * *, qui sont tous pleins de Prodiges, aussi bien que d’Augures & d’Auspices, d’Orages & de Tempestes. il ne se despouïlle jamais dans ses Livres, de cette pompe de langage, & de ces termes illustres (ainsi les appelloit-il). on les y trouve sans les y chercher : et c’est ce qui obligea un grand Prince à dire de luy, que pour un Prestre de la Religion Chrestienne, il usoit un peu trop souvent d’Auspices et de Prodiges ; & que dans ses œuvres il n’y avoit gueres moins d’Orages que dans la mer. Mais Orages, Auspices, & Augures à une autre fois. Contentons-nous aujourd’huy de dire qu’en la langue du Pere * * * Salomon est un Prodige de sagesse ; qu’un autre est un Prodige de Sainteté ; qu’il y a des Prodiges de beauté et des Beautez Prodigieuses. Sans doute s’il eust esté Poëte, il eust chanté dans ses vers un ieune Prodige, comme Malherbe a chanté une ieune Merveille. Cela n’empesche pas que ce bon Pere ne fust un bon Theologien, & une des Lumieres de nostre Eglise : mais il n’estoit pas pour cela la Regle de nostre Langue. Et il ne faut pas plus le suivre, quand il dit, une prodigieuse pieté, que quand il dit de l’Imperatrice Livie, Cette habile courtisane, & quand il parle des Onguens de Sainte Marie Madeleine. En quoy pourtant le Predicateur a voulu encore l’imiter, & mal, si je ne me trompe. Car il est certain qu’il y a grande difference entre une Courtisane, & une femme de Cour, entre des Onguens & des Parfums. Outre que ceux-là offensent les sens, & font bondir le cœur à ceux qui ont l’imagination delicate ; se servir d’Onguens au lieu de Parfums, c’est parler Latin en François ; c’est prendre une invention de la Volupté pour une composition de la Medecine.

I’avois oublié que le mot de Prodige, & mesme celuy de Monstre pourroient estre employez en bonne part dans les occasions de la Guerre, où il entre non seulement du desordre & de la confusion, mais aussi de la cruauté & de la fureur ; toutes choses mauvaises en elles-mesmes, mais qui sont loüées du Monde, quand elles servent à la Victoire.

Poi ch’eccitò della Vittoria il gusto
L ppetito del sangue à de’ le morti

Nel fiero Vincitore ; eglifè cose
Incredibili, horrende è mostruose

A mon avis on ne parleroit pas ainsi des actions de bonté, de moderation et de prudence ; de ce qui se seroit passé à l’Hostel de Ville ou dans le Senat, pour conclure un Traité de Paix, une alliance entre deux Couronnes, &c. Reüssir prodigieusement, monstrueusement dans les Conseils, dans les Negociations ; quel Prodige bon Dieu, & quel Monstre de langage ! I’aimerois mieux dire faire un excés de moderation, estre furieusement sage, estre grandement petit, comme comme parle d’ordinaire une bonne Dame que je connois.

Nostre homme parfume d’Ambre-gris les habillemens de la Reyne dans le Pseaume quarante-quatriesme, quoy que la Traduction vulgaire porte mirrha, gutta, & casia, & que pas un de ces trois mots ne puisse signifier l’Ambre-gris, quelque mot des trois qu’on veuïlle choisir pour cela. Cette precieuse odeur n’a point esté connuë de l’Antiquité, non pas mesme de l’Antiquité Romaine, qui est inferieure à celle des Iuifs. Et i’advouë bien que dans les cabinets d’yvoire, chantez par le Pseaume quarante-quatriesme ; que dans la Garderobe du Roy David, et dans celle du Roy Salomon, il pouvoit y avoir des parfums tres-rares et tres-exquis : Mais ie soustiens qu’on ne parloit pas plus d’Ambre-gris en ce temps-là, que des peaux d’Ambrete & des gans de Frangipane.

Ce n’est pas que l’Ambre-gris ne fust au nombre des choses ; mais il n’estoit pas dans le commerce des hommes. C’estoit un Enfant de la Nature, qu’elle a caché long-temps dans son sein avant que d’en manifester la naissance, & de l’exposer sur le rivage de la Mer, comme ont esté exposez ces Enfans illustres, dont l’Histoire a tant parlé. Cette bonne Mere a fait un secret de ce cher Enfant, durant je ne sçay combien de siecles, pour le faire paroistre tout d’un coup dans le Cabinet des Roys, avec avantage sur ses Aisnez, les autres Parfums connus de l’Antiquité. Car il est certain, ie le dis pour la seconde fois, que c’est une piece qui a manqué au luxe de Rome, & à l’elegance de la Grece. Et qu’ainsi ne soit, ni l’une ni l’autre n’ont point de terme de leur crû, pour exprimer ce qu’elles ne connoissoient pas, un thresor non encore descouvert, des delices reservées à la posterité, le dernier present que peut-estre la Nature vouloit faire au Monde. Ambar ou Ambara est un mot originaire d’Arabie, et ne se trouve que dans les Livres des nouveaux Grecs : Et c’est encore une des mesprises de nostre faiseur d’Onguens, le bon Pere * * * lors qu’il parle dans son Histoire Romaine, des bains de l’Empereur Heliogabale. Il asseure qu’ils estoient parfumez d’Ambre-gris, qui est un pur don qu’il fait à ce siecle-là, & une marque de sa liberalité, que nous pourrions appeller prodigieuse.

De cette sorte les Historiens, ou pour mieux dire les Traducteurs de l’Histoire se permettent d’embellir la Verité : ils ornent ainsi & enjolivent les choses de l’Antiquité, quand elles leur semblent trop rudes & trop grossieres. Parce que l’ambre est plus estimé que la Casia, que quelques-uns pensent estre la Canelle, le predicateur croit bien faire de parfumer d’Ambre le pseaume quarante-quatriesme. Et par la mesme raison, où il y aura du Miel dans un autre Pseaume, un autre Predicateur changera ce miel en sucre, à cause que le Sucre sera plus à son goust, & qu’il est plus nouveau et en plus grande reputation.

A la page 150 il fait son idole de son subjet, & tombe dans l’intemperance de ces Orateurs violens, qui vont tousjours plus loin que leur but, & ne croyent jamais en dire assez, s’ils n’en disent trop. Chose estrange, qu’ils ne puissent estimer un Saint, sans mespriser tous les autres Saints. Quelquefois mesme dans la chaleur de leur Eloquence, il leur eschappe quelque mot, peu avantageux au Saint des Saints, et qui blesseroit la gloire de Dieu jaloux, si l’innocence de l’intention n’excusoit l’imprudence du mot. Ce n’est pas un vice de nostre Siecle. J’ay remarqué le mesme déreglement dans le Chœur d’une ancienne Tragedie, où un Devot invoquant Hercule, receu depuis peu au nombre des dieux, O Hercule, luy dit-il, à cette heure que tu habites le Ciel, tu lanceras la Foudre avec plus de force que Jupiter. Ainsi le Devot se laisse emporter à la violence de son zele, et offense le Pere pour loüer le fils.


Ie voy que vous avez pris garde au coup d’ongle que j’ay donné sur les Gaulois de la Deesse Cybele. Il est vray qu’en cet endroit le Predicateur s’est mespris, et a fait un equivoque. Mais s’il a failli, sa faute n’est pas sans consolation, ayant failli apres Saint Hierosme, qui s’est equivoqué le premier. Galli Cybeles ou famuli Cybeles se doivent rendre en François, par les Prestres ou les Ministres de la Deesse Cybele. Et on ne les appelloit pas Galli, pour estre nais dans la Province des Gaules, mais à cause d’un fleuve de la Phrygie nommé Gallus, dont l’eau mettoit en fureur ceux qui en beuvoient, et sur le rivage duquel ces Prestres furieux vacquoient au service de leur Déesse. Vous voyez l’Equivoque, causé par la ressemblance du mot. Mais combien en voyons-nous de mesme nature ? Nous sommes en une saison si fertile en equivoques, que nouvellement le premier homme de nostre Siecle a pris le Grammairien Terentianus Maurus pour un personnage des Comedies de Terence, et l’a appellé le Maure de Terence. Un autre a crû, tant il est bien versé en l’Histoire Ecclesiastique, que Saint Epiphane et l’Epiphanie avoient esté le frere et la sœur. Un autre excellent Geographe, comme vous pouvez penser, s’est imaginé que Sodome estoit la capitale ville de Bulgarie.

Mais pour revenir à Saint Hierosme, son opinion me semble remarquable par sa singularité, et ie ne croy pas que personne ait dit devant luy que les Romains se voulant venger de la prise de Rome contre les Gaulois, prissent des gens de cette Nation, pour les faire Prestres de Cybele, apres les avoir fait Eunuques. Une opinion si particuliere se trouve dans son Commentaire, sur le quatriesme chapitre du Prophete Osée, & le passage merite que vous le lisiez. Socrate fit apporter le cinquiesme tome des Oeuvres de Saint Hierosme, & nous donna à lire ce qui s’ensuit.

Quoniam ipsi cum meretricibus conversabantur, et cum effoeminatis sacrificabant. Hi sunt quos hodie Romæ, Matri non Deorum, sed Dæmoniorum servientes Gallos vocant. Eo quod de hac gente Romani truncatos libidine in honorem Atys (quem Eunuchum Dea meretrix fecerat) Sacerdotes illius manciparit. Propterea autem Galorum Gentis homines effœminantur, ut qui urbem Romam ceperant, hac feriantur ignominia.

Sainct Hierosme, adjouste Socrate, n’eust pas debité cette histoire, s’il se fust souvenu de ces vers,

Cur igitur Gallos, qui se excidere vocamus,
Cum tantùm à Phrygia Gallica distet humus ?
Inter, ait, viridem Cybelen altasque Celenas,
Amnis it insane, nomine Gallus, aqua :
Qui bibit inde, furit, Procul hinc discedite queis est
Curabona mentis, qui bibit inde, furit.

Vous diriez qu’Ovide par un esprit de divination, & prevoyant que Sainct Hierosme prendroit l’un pour l’autre, a fait ces vers tout exprés, pour empescher qu’il ne se mesprist. Neanmoins comme vous voyés, il s’est esgaré en beau chemin, & quoy qu’il ne manquast pas de guide. Tirons de l’instruction de cette remarque, & n’en prenons point de vanité. Reconnoissons avec beaucoup de respect pour la personne de saint Hierosme, qu’il n’y a point de force qui ne soit accompagnée de foiblesse, point de science qui ne soit meslée d’erreur. Consolons-nous en cette rencontre, mais ne triomphons point de cet exemple. Une faute de memoire ou d’attention ; Un peu trop de credulité, ou trop de deference au tesmoignage d’autruy, n’effacent pas la gloire de tant de gros volumes d’excellentes choses ; ne ruinent pas le merite d’un jugement exquis, et d’une Doctrine extraordinaire. Pour une legere béveuë, pour un petit equivoque, saint Hierosme ne doit point perdre son rang, parmy ceux qui ont veu plus clair que les autres : il n’en est pas ni moins grand Saint ni moins grand Docteur. Les hommes ne sont pas les mesmes hommes à toutes les heures du iour : comme les fous ont quelquefois de bons intervalles, les Sages en ont quelquefois de mauvais.

O Gouffres ! ô abismes de l’amour de Dieu ! Iettons-nous dedans sans apprehender ; il y a du plaisir à s’y perdre.

Ie suis de l’avis du Predicateur, & ne blasme point cette belle fougue de devotion. Les abismes de l’amour de Dieu sont les seuls abismes où il y a du plaisir à se perdre, parce qu’une telle perte est avantageuse, et qu’on se retrouve en se perdant. Quand un mouvement extraordinaire de pieté pousse les ames hors de leur assiette naturelle, elles changent de place pour estre en un meilleur lieu. Les cheutes sont heureuses quand on tombe de la Terre dans le Ciel. Il n’y a point d’eslevation qui soit si haute que pareilles cheutes, & ce n’est pas de la mesme sorte qu’Agrippine fit descendre son Mary dans le ciel.

Un jour nous pourrons dire quelque chose de cette descente que vous avez veuë dans les Satyres de Juvenal. Disons maintenant que c’est un desespoir heroïque, que c’est une divine fureur de se precipiter dans la Souveraine felicité. Disons que l’infinité de ce bon-heur ne sçauroit estre mieux representée que par la vaste estenduë de l’Ocean, que par la profondeur de ses gouffres & de ses abysmes. Les choses de l’autre Monde sont si grandes, qu’il n’y a point d’exces qui ne devienne mediocrité, lors qu’il est question de les faire entendre à ce Monde icy. Il n’en est pas de mesme des choses inferieures, qui ont leurs proportions et leurs mesures, selon lesquelles il en faut parler. Rien n’est si voisin du haut stile que le Galimatias : Le Ridicule est une des extremitez du Subtil. Et ie ne puis approuver ce Poëte Italien, qui apres avoir loüé toutes les beautez d’une riviere, pour couronner toutes ses loüanges par une subtilité merveilleuse, conclut que l’eau en est si belle, qu’il y auroit de la volupté à s’y noyer. Un autre italien, parlant de la mort de Marulle qui fut emporté par le courant d’une autre riviere, la voulant passer à gué ; Il meritoit, dit-il, de se noyer dans la riviere des Muses

Aonio mergi flumine debuerat.
Comme si on se noyoit plus doucement & plus agreablement en une riviere qu’en une autre. Comme si mourir en Grece estoit plus de la dignité d’un grand Personnage, que de mourir en Barbarie.

Ie recevrois mal ces sortes de subtilitez, quand elles me viendroient de Rome & du Vatican. Et ie n’ay garde de trouver bon qu’on redie en France, se noyer dans un fleuve de delices, quoy que celuy qui l’a dit la premiere fois, soit un de mes chers amis : Ne luy en desplaise, ce n’est pas penser à ce qu’on dit. Se noyer est une mauvaise chose, fust-ce dans une pipe de Malvoisie qu’on se noyast : Vous sçavez l’exemple de l’Histoire d’Angleterre. Le terme de se noyer ne peut exprimer la possession d’un bien, la iouïssance d’un plaisir, un estat où l’on se trouve à son aise. L’image d’un homme qui se noye, en quelque lieu que ce soit, en quelque liqueur que ce puisse estre, ne peut iamais estre que funeste : elle offense tousiours les yeux et l’esprit : elle n’est gueres plus agreable que celle d’un homme qui se pend ; quand il se pendroit avec une corde d’or & de soye ; quand ce seroit avec un collier de diamans ou de perles, & qu’il choisiroit pour cela le plus beau Cedre du mont Liban.


Le peu de respect que les ministres portent aux peres en les alleguant, &c.

Ils commencent pourtant à estre un peu plus honnestes, & à les traitter plus civilement. Depuis quelque temps ils s’accoustument à saint Hierosme, à saint Augustin, et à saint Ambroise. De dire comme ils disoient autrefois, Hierosme, Augustin, & Ambroise, il me semble que c’est dégrader les Peres, en les alleguant. Mais non seulement c’est les dégrader, et leur oster une qualité que l’Eglise et le consentement des peuples leur a donnée : C’est de plus leur dérober une partie de leur nom ; c’est en retrancher la premiere et la plus importante sillabe. Saint est tellement joint et lié, tellement colé & incorporé à Ambroise, à Hierosme, & à Augustin, qu’il en fait comme un membre essentiel : Il en fait mesme la teste, & le reste n’est plus que son tronc. Ce seroit donc les décapiter que de leur ravir ce tiltre, sans lequel ils ne sont pas reconnoissables au Monde Chrestien. A mon gré ils ne seroient pas plus desfigurez, si on les appelloit, Broise, Rosme, & Gustin, qui si on les appelle simplement Ambroise, Hierosme, et Augustin.

Mais avoüons la verité toute entiere. Comme c’est estre trop Huguenot, que de nommer ainsi les saints Peres, aussi c’estoit faire trop le Catholique, & vouloir estre trop opposé aux Huguenots, que d’aiouster le nom de Monsieur à celuy de Saint, & d’appeller Monsieur saint Ambroise, Monsieur saint Hierosme, & Monsieur Saint Augustin. Dans la lumiere de la gloire qui les environne et qui les penetre de tous costez ; dans la Souveraine Grandeur, dont ils sont en possession, ils sont eslevez d’une distance infinie, au dessus de nos qualitez et de nos tiltres ; au dessus de nostre Monsieur, de nostre Monseigneur, et mesme de nostre Sire. Neanmoins au temps de nos Peres, les Eglises de Paris retentissoient de pareils messieurs. Le barreau suivoit l’exemple des Chaires, et l’Avocat General de la sainte Ligue, le celebre Louys d’Orleans, n’alleguoit jamais les Peres d’une autre façon : Ce Ligueur zelé pensoit par là, faire honneur aux Saints, & faire dépit aux Huguenots.


CEst la beauté de l’Eglise et la gloire de l’Humilité, de voir les Roys prosternez devant les Prestres ; de les voir descendre de leur Throsne pour se sousmettre au Tribunal de la Confession.

Cela s’appelle parler noblement des affaires de l’Eglise, et des choses de la Religion. I’approuve bien plus ce langage, que celuy du Pere que nous avons veu à la Cour, et qui apres en estre sorti, avoit accoustumé de parler de cette sorte, Du temps que i’avois l’honneur de servir le Roy en sa conscience, pour dire du temps que i’estois Confesseur du Roy. La Phrase me semble bien delicate. En cette occasion le mot de servir est inferieur à la chose qu’il signifie : Il avilit la noblesse de l’action et la dignité du Ministere ; il est trop Courtisan, et sent trop la Milice Palatine. Le Confesseur du Feu Roy d’Espagne connoissoit bien mieux la grandeur de sa Charge, & la Souveraineté de la Iurisdiction qu’il exerçoit. Un jour le Duc de Lerme le voulut traitter de petit Compagnon, & luy parler aveque mespris. A qui pensez-vous avoir affaire, luy respondit-il : Vostre faveur est bien moindre que la mienne. Sçachez que vous vous attaquez à un homme, qui a tous les jours dieu entre les mains, et une fois la semaine le roy à ses pieds. Nous apprenons de là, le stile du Confesseur, dans la brouïllerie qu’il eut avecque le favory, et la devotion du Roy, qui se confessoit toutes les Semaines.

EN ce temps-là la Providence divine estoit accusée par les hommes, de la longue prosperité d’un si mauvais prince.

Il est vray qu’on parloit ainsi, avant que la Religion Chrestienne eust reformé le langage. On accusoit les Dieux de tout le mal que faisoient les hommes. La Providence divine estoit prise tous les iours à partie, par quelqu’un qui se plaignoit que les choses du monde n’alloient pas comme il eust voulu. Ce tyran heureux porte tesmoignage contre Dieu. C’est un ancien mot allegué par vostre Ciceron ; Et il n’est rien de si vulgaire dans les vers des Poëtes payens, que le crime de leurs Dieux et de leur Destin : Crimen Deorum, Fatorum crimen, &c. Cinthia est malade, & si elle meurt de sa maladie, dit le Poëte amoureux de Cynthia, une si belle Morte sera le crime du Dieu de la Medecine.

Tam formosa tuum Mortuæ crimen erit.

Depuis constantin mesme, et sous les enfans de Theodose, il y a des exemples de ces blasphemes Poëtiques, et de cette profane liberté. Si Rusin n’eust esté puni de ces crimes, on alloit appeller les Dieux en iustice, comme fauteurs et complices de Rusin :

Abstulit hunc tandem Rusini pœna timorem,

Absoluit que Deos.

Un de nos Poëtes a dit je ne sçay quoy de semblable ; mais en verité d’une excellente maniere, & sa copie passe tous ses originaux. Je vous la propose comme un chef-d’œuvre, dans cette ode qu’on peut opposer aux plus belles & aux plus achevées de l’Antiquité. Le Dieu de Seine parle à un Favori, qui passoit sur le Pont-Neuf.

Va-t’en à la mal’heure, excrement de la Terre,
Monstre qui dans la Paix fais les maux de la Guerre,
Et dont l’orgueil ne connoist point de loix ;


En quelque haut dessein que ton esprit s’égare,
Tes iours sont à leur fin, ta cheute se prépare,
Regarde-moy pour la derniere fois.

C'est assez que cinq ans ton audace effrontée,
Sur des aisles de cire aux estoiles montée.
Princes & Roys ait osé défier,
La Fortune t’appelle au rang de ses victimes,
Et le ciel accusé de soustenit tes crimes,
Est resolu de se iustifier.

En tout le Poëme il n’y a qu’un mot qui ne me plaist pas, & que je voudrois avoir changé pour un autre.

Excrement de la Terre me semble trop bas pour un Tyran, c’est à dire pour un Criminel illustre, nay à la ruine de la Patrie, alteré du sang des Citoyens, et partant plus haï que mesprisé. Engeance de la Terre seroit peut-estre mieux, parce qu’il feroit allusion à la naissance des Geans, que la Fable appelle enfans de la Terre. Le mot d’excrement est d’ailleurs assez vilain, & d’assez mauvaise odeur : en sa plus honneste signification, il ne peut signifier que les rats, les mousches, les vermisseaux, et autres creatures imparfaites, qui se forment de la corruption de la Terre.

SI Alexandre n’eust pas esté Alexandre, il eust voulu estre Diogene. Tant la Pauvreté vertueuse se fait estimer par la Royauté mesme & par la Grandeur.

Pour moy, en cette occasion je ne sçaurois estre complaisant à la Royauté mesme & à la Grandeur. Celuy que toutes les Nations & que tous les Siecles ont loüé, n’aura point icy de mes loüanges. Si ie n’estois Alexandre, je voudrois estre Diogene. Le Predicateur a trouvé ce mot extrémement bon, et moy ie le trouve extrémement mauvais. Car à vostre avis, & dans la verité de la chose, qu’est-ce que d’estre Diogene ? Ie vais vous le dire, en traduisant seulement le Texte Grec, sans aucune addition de ma part.

Estre Diogene, c’est violer les coustumes establies & les Loix receuës ; c’est n’avoir ni pudeur ni honnesteté ; c’est ne connoistre ni parent, ni hoste, ni ami ; c’est ou iapper, ou mordre tousjours ; c’est manger en plein marché une sole cruë ou de la viande toute sanglante ; c’est offenser les yeux du Peuple par des actions encore plus sales & plus vilaines ; des actions pour lesquelles il ne doit point y avoir d’assez grand secret ni d’assez profonde solitude. Voilà ce que c’est que d’estre Diogene, et ce qu’Alexandre vouloit estre, s’il n’eust esté Alexandre.

Il ne pouvoit pas sortir un plus mauvais mot de la bouche du Disciple d’Aristote, et le Predicateur ne pouvoit pas desobliger davantage ceux qu’il avoit dessein de louër, qu’en se servant d’une comparaison si odieuse, pour le moins à quiconque n’est pas estranger dans les bons Livres. La modeste Pauvreté des Philosophes Chrestiens n’a rien de commun avec la Gueuserie effrontée des Philosophes Cyniques. Ces Philosophes extravagans faisoient profession d’orgueil, d’impudence & d’impureté : Ils haïssoient les Hommes, sous pretexte de haïr les Vices : Ils vouloient que leur barbe, que leur misere, que leurs ordures fussent adorées. Tout ce que ie viens de dire est bien esloigné de la douceur, de la chasteté, de l’humilité du Christianisme : Nos Philosophes sont les antipodes de ceux-là.

CHose deplorable ! Ils nient celuy qu’ils ne peuvent ignorer. La Cour, les Villes, & la Campagne sont pleines de ces gens-là. Autrefois l’Impieté n’alloit que de nuit, et ne parloit qu’à l’oreille : Aujourd’huy elle triomphe en plein jour, &c.

Ie ne puis luy accorder ce qu’il dit. Son exageration est trop injurieuse à la France, & au temps present. Il n’est point de Siecle, ie le sçay bien, qui ne soit remarquable par quelque monstre : Mais le bon est que les Monstres ne font point d’espece, et qu’ils finissent sans multiplier. Quand mesme ils ne seroient pas steriles, et que la corruption des mœurs les voudroit faire durer dans le Monde, la Police de France pourvoit à cet inconvenient, et les Parlemens chastient ceux qui sont eschapez à l’Inquisition.

Ie vous diray à ce propos que j’ay esté spectateur de l’horrible Tragedie, dont vous avez esté Auditeurs plus d’une fois, puisque vous avez veu souvent le Chevalier de l’Escale. Je parle de la mort de Lucillio, à laquelle je ne songe jamais qu’il ne me ressouvienne de celle de Capanée. Cette Fable devant Thebes est devenuë Histoire à Tholose : Et vous ne serez pas faschez, je connois vostre curiosité, que je vous face la Comparaison de deux Spectacles, qui ont tant de rapport l’un à l’autre.

Considerés dans le dixiesme Livre de la Thebaïde, cet ennemy de la Religion receuë & des Loix de son Païs. Il fait profession de n’adorer que son bras & que son espée. Ce sont les seules Divinitez qu’il reconnoist, & qu’il invoque allant au combat. Voyez comme il desfie Iupiter et son Tonnerre ; comme il se moque d’Apollon & de ses Oracles ; comme il ne sçauroit ouvrir la bouche, sans braver les Puissances Superieures. A la fin une si haute insolence ne pouvant plus estre supportée, & le Ciel estant las d’estre outragé par un enfant de la terre, il fallut luy faire sentir la foudre qu’il mesprisoit : & le punir de la peine des Geans. Capanée est donc abbatu, à la veuë de Thebes, et de l’armée, par un coup qui fait trembler les Assiegez et les Assiegeans. Mais il est tout en feu, et il blaspheme encore en cet estat-là. N’ayant plus ni parole ni voix, il murmure et souffle contre le ciel. Il voudroit tonner aussi bien que luy. Il luy fasche que Iupiter ait le dernier mot ; Et pour conclure avecque le Poëte, qui a representé une extravagance si furieuse,

Si le premier esclat ne l’avoit mis en poudre,
Il alloit meriter une seconde foudre.

L’original Latin porte.

Et si iam tardius artus
Cessissent, poter at sulmen meruisse secundum.

Apres avoir leu dans les Traductions d’Amyot,

Elle produit drogues medecinales
Tout pesle-mesle, autant bonnes que males

Et

Cétuy, malgré Phebus, a semé des enfants,

Ie me suis hazardé de traduire aussi à ma mode les vers des Anciens, & de dire en rime, que les tourmens ne convertirent point le coupable.

Mais pour venir à la seconde piece de nostre comparaison, Capanée n’a-t’il pas esté la figure de Lucillio, & Lucillio n’a-t’il pas ioüé, tout de bon, le Capanée de son Siecle ? N’a-t’il pas fini par la mesme Catastrophe ? Il est certain qu’il conserva ses abominables opinions iusques dans la mort & dans les supplices. N’ayant plus de langue sur l’eschaffaut (car elle luy fut coupée dés la prison) il faisoit des signes d’impieté. Son obstination & sa dureté ne purent estre vaincuës, ny par la severité des Iuges, ny par la doctrine des Theologiens, ny par la presence du feu, ny par le voisinage de l’Enfer. Cet homme visiblement reprouvé a noirci son Siecle par sa naissance ; a souïllé par sa vie et par sa mort, nostre pays et le sien. Mais quoy qu’il en soit, ce n’estoit qu’un homme, et cet homme n’a laissé ny Race ny Secte.

On ne peut donc pas dire que la Cour, les Villes et la Campagne soient pleines de ces gens-là : Beaucoup moins que l’Impieté triomphe en France, puisque les Impies y sont bruslez tout vifs, quand on les defere à la Iustice, comme Lucillio à Tholose ; & qu’ils sont traisnez à la voirie apres leur mort, quand leur mort previent leur condamnation, comme Cosme Roger à Paris. Vous verrez à loisir, cette autre Tragedie, dans les Livres de la vie de Monsieur de Thou. Mais advouëz-moy cependant que voilà un Triomphe bien triste et bien funeste au Triomphateur. Et remarquez de plus, s’il vous plaist, qu’outre que ces exemples sont rares en ce royaume, ils sont de deux hommes venus de de-là les Monts. L’un estoit de Florence, & l’autre de Naples : Et i’aime beaucoup mieux encore que le troisiesme Exemple que i’ay à vous alleguer, et que ie vous promis il y a quelques jours, soit d’un prince estranger, que s’il estoit d’un Prince François.

Une heure avant que ce Prince rendist l’esprit, le Theologien Protestant, qui preschoit d’ordinaire devant luy, l’estoit venu visiter, accompagné de deux ou trois autres de la mesme communion. S’approchant de son lit avec une profonde reverence, il le conjura au nom de toute leur Eglise, de vouloir rendre quelque tesmoignage de la Religion qu’il professoit, & de faire une espece de confession de foy, qui pust estre recueillie de la Compagnie : afin, disoit-il, que les dernieres paroles d’un si grand Personnage se conservassent dans la memoire des hommes, & donnassent de l’authorité à l’opinion qu’il avoit suivie. A cette demande le Prince se mit un peu à sousrire, & luy respondit incontinent apres, Monsieur mon amy, i’ay bien du desplaisir de ne vous pouvoir donner le contentement que vous desirez de moy. Mais vous voyez que ie ne suis pas en estat de faire de longs discours, ny de vous rendre compte de ma Creance par le menu. Je vous diray seulement en peu de mots, que ie croy que deux et deux font quatre, et que quatre et quatre font huit : Monsieur Tel, montrant du doigt un mathematicien qui estoit là present, vous pourra esclaircir des autres points de nostre Creance.

Cette histoire, connuë de peu de personnes, est un secret domestique, que ie tiens d’un Gentil-homme d’honneur et bien informé. Ie ne vous nomme point le Prince qui avoit une si belle Religion : il me suffit de vous dire qu’il ne manquoit pas des vertus morales. Il ne juroit que Certes, et ne buvoit que de la Tisanne. Il estoit extrémement reglé en tout ce qui paroissoit de luy au dehors. Et c’est dequoy ie m’estonnerois extrémement, si je n’avois un peu estudié le Monde. C’est ce qui m’oblige d’advouër à la honte de la Nature humaine, que l’Homme est un animal bien divers et bien bigarré ; que les Centaures et les Chimeres ne l’estoient pas davantage ; que non seulement il est composé de pieces differentes, mais quelquefois aussi de pieces contraires.

Ie ne trouve point estrange que la Santé s’eschappe de la subjettion des Loix ; que la Desbauche soit oublieuse de son devoir ; que le Vice engendre l’Impieté. Mais de voir au milieu de la mort une froide et tranquille mescreance ; mais de dire qu’on puisse estre furieux sans esmotion ; que la douceur et la modestie se rencontrent avec les derniers effets de la rage et du desespoir, avec le renversement des temples et des autels, c’est en verité ce que je ne puis pas bien comprendre. Sera-ce un sobre et un continent, qui viendra esbranler les fondemens de l’estat du monde ; qui se declarera ennemi de l’ordre et des reglemens de la grande republique ? Ces derniers impies sont encore plus rares que les premiers, et à dieu ne plaise qu’il y ait multitude des uns ni des autres. Je ne sçaurois le croire pour l’honneur de nostre siecle.

SUr la fin du dernier Sermon il y auroit bien de la matiere à remuër, pour une humeur reprenante, & pour un Grammairien pointilleux. Mais ne soyons ni trop severes ni trop indulgens. Arrestons-nous à quelque terme douteux, et qui vaille la peine d’estre examiné : Passons sur les autres, qui sont absolument bons, ou absolument mauvais. Mais je vous demande premierement, du nombre desquels vous croyez que soient ceux-cy ; La Superbe pour l’Orgueil, Emperiere pour Imperatrice, Affectueusement pour Passionnément, &c. Toute la Compagnie trouva qu’ils n’estoient pas absolument bons. Il n’y eut que le Vicaire de la Parroisse, qui s’opposa à ce jugement : Et là-dessus ayant allegué des Auteurs, dont personne que luy ne reconnoissoit l’authorité, Socrate se contenta de luy respondre par un signe de teste, & continua son Examen.

A vostre advis est-il permis à un Orateur, et mesme à un Poëte de dire que Godefroy De Bouïllon, & tant d’autres Heros Chrestiens ont esté planter leurs lauriers iusques sur les rives de l’Euphrate ?

planter des lauriers n’est autrechose, ce me semble, en sa plus noble signification, que de faire des allées ou des pallissades, et cette action appartient à l’Agriculture, et non pas à l’Art de la Guerre. Les Iardiniers plantent les lauriers, & on en couronne les Victorieux. C’est à quoy peu de nos gens ont pris garde, et ces belles phrases sont imprimées dans les plus beaux Ouvrages que nous ayons. Ne croyez-vous pas que pour bien parler, il faudroit parler plus correctement ? Cesar a merité mille lauriers et mille statuës : il y a pourtant grande difference entre Cesar & un planteur de lauriers, entre un Conquerant et un faiseur de statuës. Les Iardiniers & les Bouquetiers, les Sculpteurs & les Doreurs fournissent l’estoffe, et les ornemens du Triomphe ; travaillent à la decoration des Theatres, & au reste de la ceremonie, qui doit honorer les actions militaires : Mais ceux qui ont fait ces actions, & qui doivent triompher, ne se meslent point de ce travail.

SAinte Paule, cette brave Veuve, cette Heroïne de Saint Hierosme.

C’est l’opinion d’un de nos amis que l’epithete de Brave ne se peut donner à une femme, qui ne va point à la Guerre, & par consequent qu’il n’appartient de droict qu’à Penthesilée, Reyne des Amazones, qu’à Tomyris Reyne des Scites, qu’à Zenobie Reyne des Palmyreniens, &c. Au deçà de la riviere de Loyre on dit un brave Avocat, & un brave Predicateur. Et peut-estre qu’en quelque lieu plus esloigné de Paris, et plus voisin des monts Pyrenées, on dit un vaillant Advocat, et un vaillant Predicateur. Nous avons veû à la cour un autheur de ce pays-là, qui se vantoit de tailler sa plume avec son espée : N’estoit-ce pas un vaillant Auteur ? Un Prelat du mesme païs, Deputé à l’Assemblée des Estats generaux tenuë à Paris, respondit à un autre Deputé, qui luy contestoit quelque chose, dans l’Assemblée ; Hors d’icy vous n’oseriez me le soustenir l’espée à la main. Ce Prelat n’estoit-il pas un vaillant Prelat ?

PUis-qu’il se sert de Reliques où il devroit se servir de Restes, je m’imagine qu’en quelque autre lieu, il prend les Restes pour les Reliques. Comme il dit icy les Reliques de la Guerre, recueillir les Reliques de son Naufrage, sauver les Reliques de sa Fortune ; il y a de l’apparence qu’il dit ailleurs, les Restes de saint Pierre & de saint Paul, honorer les Restes des Martyrs, aller à l’adoration des Restes, le jour du Ieudy absolu. Il y a certains mots consacrez à la religion et aux choses saintes : il ne faut pas les profaner en les employant à un autre usage, & il me semble que le mot de Reliques est un de ceux-là.

sAint Paul avoit fort bonne grace quand il disoit.)

Ou ie me trompe, ou la bonne grace n’est pas plus icy en sa place que la beauté. I’aimerois autant qu’il dist, Sainct Paul estoit bien ioli de dire, ou, Saint Paul ne fut iamais plus agreable que quand il disoit.

Mais la nuit est desja bien avancée, & dix heures viennent de sonner. Laissons un Examen si peu important, pour songer à celuy de nostre conscience. Pour vacquer à la chose, qui est seule necessaire, quittons les autres choses, qui sont toutes inutiles. Ce que nous allons faire dans la Chapelle, vaut bien mieux que ce que nous venons de faire dans le cabinet.

Vous vous souvenez du vieux Pedagogue de la Cour, et qu’on appelloit autrefois le Tyran des mots et des sillabes ; et qui s’appelloit luy-mesme, lors qu’il estoit en belle humeur, le Grammairien à lunettes et en cheveux gris. N’ayons point dessein d’imiter ce que l’on compte de ridicule de ce vieux Docteur. Nostre ambition se doit proposer de meilleurs Exemples. J’ay pitié d’un homme qui fait de si grandes differences entre pas et point; qui traitte l’affaire des Gerondifs et des Participes, comme si c’estoit celle de deux Peuples voisins l’un de l’autre, & ialoux de leurs frontieres. Ce Docteur en langue vulgaire, avoit accoustumé de dire que depuis tant d’années, il travailloit à dégasconner la cour, et qu’il n’en pouvoit venir à bout. La Mort l’attrapa sur l’arrondissement d’une Periode, et l’an climaterique l’avoit surpris, deliberant si Erreur & Doute estoient masculins ou feminins. Avec quelle attention vouloit-il qu’on l’escoutast, quand il dogmatisoit de l’usage et de la vertu des Particules ?

Croyons-en les anciens Peres, & si vous le voulez, croyons-en mesmes les Peres Modernes. Suivons le conseil que le Pere Leonard Lessius donnoit à son ami Juste-Lipse. C’est assez faire l’enfant, et s’amuser à ce ieu de mots et de sillabes ; il faut vieillir plus serieusement, et dans de plus graves et de plus importantes pensées. La proprieté, la regularité, la beauté mesme du langage ne doit pas estre la fin de l’homme. Il ne faut pas songer aux roses et aux violettes, quand la saison de la recolte est venuë.