Socrate chrestien/Discours 11

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Augustin Courbé (p. 270-307).

DE LA LECTURE
DES
SAINTES ESCRITURES,
ET DES SAINTS PERES.


AU de-là du cabinet, où nous avions accoustumé de nous assembler, il y a une petite Galerie, qui regarde sur la Riviere, et qui est détachée du reste de la Maison. On y monte par un escalier desrobé, & le Maistre du logis la pourroit appeller sa Bibliotheque, s’il vouloit donner au choix le nom qui se donne à la multitude. Il n’y a que de bons et de saints Livres en cette Galerie, & Socrate n’ayant plus de commerce qu’avec ces derniers, les visitoit d’ordinaire le matin, apres avoir fait ses prieres dans une Chapelle proche de là.

Durant ce temps privilegié, dont il ne faisoit part à personne, il s’entretenoit avec les Prophetes & les Apostres ; avec les Peres Grecs et Latins. Il s’adressoit tantost à l’un & tantost à l’autre ; estans tous ouverts sur de grands Pupitres de sapin, verni d’un verd extremement vif, la pluspart à trois & à quatre faces. Un iour qu’il nous tardoit à venir, et que l’heure de sa sortie approchoit, quelqu’un de la troupe plus libre & plus hardi que les autres, nous conseilla de monter dans la Galerie. Nous le trouvasmes aupres d’un de ces Pupitres ; le vieux Testament, les œuvres de Saint Denis, & un Tome des Homilies de Saint Chrysostome devant luy. Il ne fut pas fasché de nous voir, encore qu’il ne nous attendist pas : Et apres quelques civilitez qui durerent peu, il nous fit ce Discours, pour nous rendre compte de ce qu’il faisoit. Donnons pour le moins ce qui nous reste, à celuy à qui nous devions avoir tout donné. Nous avons vescu avec Herodote et avec Homere. Mourons avecque Moïse et avecque Job. Je cherche icy dequoy me rendre plus homme de bien, et non pas plus eloquent ; quoy que l' eloquence se trouve icy, aussi-bien que la vertu ; quoy que la critique payenne ait remarqué son genre sublime, dans le style de Moïse. Mais cette sublimité de style n' est pas aujourd' huy l' objet de ma passion. Je vise à une plus haute sublimité. J' ay besoin de quelque autre chose pour estre heureux. Je suis en queste de la verité, mais de l' importante et de la necessaire verité. Il faut apprendre la langue du ciel, où nous avons à trafiquer, où doit estre nostre commerce, où sont nos veritables affaires. Il faut estudier en la science des saincts, dont nous voulons augmenter le nombre. Que s' il se rencontre des difficultez aux avenuës de cette science, ce n' est pas une excuse qui puisse justifier la paresse et la lascheté des ignorans. Si la parole de Dieu est quelquefois raboteuse ; si elle heurte le sens et fait peine à la raison, ne nous rebutons point pour ses pierres et pour ses espines. Au lieu de les esplucher et de les compter, je les laisse-là, et tasche de passer outre. Je saute aux endroits où je ne puis pas cheminer facilement. Je veux suivre Moïse, à quelque prix que ce soit, et dans le desnvironnent le lieu où Dieu parle. Il a tousjours pris plaisir à parler de cette sorte, et en cecy la saincte montagne a figuré la saincte escriture. J' adore la lumiere de cette escriture, mais j' en adore aussi les tenebres. Ce que j' ay entendu je l' ay admiré ; ce que je n' entends pas je l' admire encore davantage. Quelqu' un a dit autrefois cela de la physique d' un philosophe payen ; ne me sera-t-il pas permis de le dire de la metaphysique chrestienne ? La parole de Dieu sera tousjours difficile, sera tousjours obscure, apres mille et mille expositions, apres des montagnes de commentaires et des legions de commentateurs. En voulez-vous sçavoir la raison ? C' est afin que Dieu enseigne tousjours, et que l' homme estudie tousjours sous luy : c' est afin que Dieu soit tousjours le maistre, et que l' homme soit tousjours l' escholier. Il est certain que pour reüssir en une lecture si difficile, il n' y faut pas apporter des yeux purement humains, et un esprit ordinaire ; beaucoup moins des yeux de grammairien, et un esprit de sophiste. Là dedans on ne voit rien par sa propre veuë : on ne discerne rien sans une lumiere qui vient d' enhaut ; qui ne se communique pas à toute sorte de regardans ; qui choisit les yeux et les lecteurs. Cette lumiere esclaire la simplicité et la soûmission du cœur, mais elle aveugle la vanité et l' eslevation de l' esprit : et non seulement la voix de Dieu crie, hors d' icy profanes, mais aussi, hors d' icy presomptueux. Dans l' explication des lettres sainctes, les petits enfans de l' eglise, les simples catechumenes ont de l' avantage sur les geans de l' eschole, sur les vieux rabins, sur ceux qui croyent estre assis dans la chaire de Moïse. La science du ciel, aussi bien que le royaume du ciel, est le partage des pauvres d' esprit de l' evangile, et pour en avoir une parfaite intelligence, il s' en faut approcher avec une extrême humilité. Mais cette vertu d' humilité ne se trouve point dans les ethiques à Nicomachus : elle n' a point esté connuë d' Aristote. Aussi sa connoissance, quelque relevée qu' elle ait esté, n' est pas montée plus haut que le globe de la lune ; et comme il n' a presque rien ignoré des choses inferieures ; il n' a presque rien sceû de celles du ciel. Pour aller là, il estoit trop regulier et trop methodique. En matiere de religion, on ne sçauroit s' eslever qu' en se faisant plus petit qu' on n' est, qu' en s' abaissant au dessous de soy-mesme et de sa raison ; que par des moyens qui semblent contraires à leur fin et qui eussent paru absurdes à Aristote. Disons-le donc, et redisons-le à la honte de l' academie et du lycée. L' humilité des chrestiens est appellée dans le sanctuaire, parce qu' elle s' arreste sur les premiers degrez du portique ; et la confiance des philosophes est repoussée de ce lieu sacré, parce qu' elle y veut aller d' elle-mesme, et entrer sans passe-port. On fait bien plus de progrez dans la connoissance de Dieu, par l' exercice de la priere, que par l' estude de la theologie. Et comme à la cour des rois, une heure de faveur vaut mieux que dix années d' assiduité, il en arrive icy tout de mesme. Il s' en faut bien que le travail des curieux ne penetre aussi avant que la patience des humbles, et que l' homme ne puisse autant acquerir que Dieu peut donner. C' est de pareils dons et de pareilles largesses que se sont enrichis les premiers fideles ; avant que Charlemagne eust fondé des universitez ; avant qu' il y eust d' escholes de theologie et de sommes de theologie ; avant que les escossois fussent venu crier à Paris au milieu des ruës, latin et science à vendre. C' est en cette source qu' ont puisé les apostres, et les disciples des apostres, les anciens peres grecs et latin sroyoit au vray, de la naissance de ce sublime escrivain ; du merite de ses escrits ; du temps où il a escrit. Mais Socrate ne se fit entendre là-dessus qu' avecque reserve, et sans prendre part aux divers procez qui se sont meûs entre les sçavans du dernier siecle. à quoy bon, dit-il, s' agiter si fort, et combatre avec tant de chaleur, sur des questions si peu importantes ? De là ne despendent pas les destinées de l' eglise, le salut des fideles, et la felicité que je cherche. Pourquoy former des partis et des factions dans la republique des lettres, soit pour maintenir ou pour disputer à Sainct Denis la qualité d' areopagite ; soit, comme dernierement en une compagnie où je me trouvay, pour oster ou pour conserver aux mages qui vinrent adorer Jesus Christ, les couronnes que les peintres mettent sur leurs testes ? Je ne prononce point là-dessus quoy que l' occasion m' y conviast, et que vos yeux et vostre visage m' en sollicitent. Je ne veux condamner ni l' un ni l' autre parti. Mais il me semble, que la qualité de sainct est bien plus noble et bien plus illustre que celle d' areopagite ; et quand tous les rois de la terre le devroient trouver mauvais, j' estime beaucoup plus la sagesse que la royauté. Le tribunal de l' areopage est trop peu de chose, pour relever la dignité du nom chrestien. Le christianisme donne de l' esclat et de la noblesse à qui que ce soit, et n' en reçoit de personne. Il n' y avoit point de chrestien, en ces temps heroïques de la primitive eglise, qui ne valust plus que tout l' areopage d' Athenes, que tous les ephores de Lacedemone, que tous les peres conscrits, et tout le senat de Rome. De l' autre costé, faut-il remuër ciel et terre, et faire la guerre à outrance, contre des gens qui aiment si fort les beaux noms et les beaux offices ; qui ont tant de passion pour les dignitez, et pour les emplois de la republique ? Ils pensent avec la pluspart des gens de Paris, que c' est un grand malheur que de n' estre pas officier : et pour quelque consideration secrette, l' interest de Sainct Denis leur estant aussi cher que le leur propre, ils veulent luy conserver une charge qui luy a esté donnée, ou par son siecle ou par la posterité. Ce qu' ils disent ils le sçavent peut-estre de bonne part, comme disoit un honneste homme de ma connoissance. Ils ne l' asseureroient pas si affirmativement aux autres, s' ils n' en estoient eux-mesmes bien asseurez. Et sans parler des revelations que de plus hardis allegueroient sur ce subjet, ils ont peut-estre quelque titre de foy irreprochable, quelque manuscrit de venerable vieillesse, outre les premieres pieces qu' ils ont produites. Mais d' ailleurs tous les escrits du volume qui porte l e nom de S Denis, sont-ils de la mesme main et du mesme esprit ? Une partie ne peut-elle pas estre de Sainct Denis l' areopagite, et une partie de quelque autre autheur ? Ce qui est rapporté contre la foy de l' histoire, et qui ne s' accorde pas bien au siecle de l' areopagite, ne peut-il pas estre d' un estranger, qui s' est introduit dans la possession d' autruy, et qui a pris un autre nom que le sien ? Pour moy, bien loin de disputer à Sainct Denis la qualité d' areopagite, je ne m' oppose pas mesme au cardinalat de Sainct Hierosme : et quand il ne tiendroit son chapeau rouge que de la faveur des peintres, et de la credulité du peuple, je ne veux point luy faire un proces sur les ornemens de son portrait. Je ne touche point à une piece que l' eglise ne propose pas comme un article de foy, mais qu' elle souffre comme une fantaisie de pieté. Ces marques d' honneur et de respect ; ces faveurs et ces graces faites à des morts, c' est-à-dire à des gens qui ne sont plus en estat de s' en revancher, viennent d' une cause tres-honneste ; partent d' un principe de courtoisie et de liberalité, mais de courtoisie desinteressée et de liberalité toute pure. Pour le moins ce sont des excez loüables d' une inclination bien-faisante, portée à donner, et à obliger ; et je n' ay garde de prendre à partie des personnes si bonnes et si officieuses. Il y a des docteurs plus fins et plus penetrans que ceux-cy dans les choses grecques et romaines, mais il n' y en a point de plus sousmis à l' authorité de Rome, ni de mieux intentionnez. Ils ont creû que la verité estoit quelquefois trop courte et trop maigre, et qu' en ce cas-là, il n' y avoit point de mal de l' allonger ou de la grossir par leurs inventions. Sur ce fondement, ils ont esté encore les mediateurs de cette belle amitié, contractée entre Sainct Paul et Seneque, quelque temps apres leur mort : ils se sont imaginez qu' ils faisoient une bonne œuvre, de mettre bien ensemble deux hommes si vertueux, et que ces deux hommes vivant en mesme temps et dans une mesme ville, s' ils n' ont esté amis, ils le devoient estre. Il n' y a rien en cela qui offense la vray-semblance, ni qui choque la chronologie. Vos gens de l' antiquité profane, sont bien plus licencieux et plus temeraires. Vostre Virgile a bien marié un homme et une femme, qui non seulement ne se sont jamais veûs en toute leur vie, mais qui ont esté esloignez l' un de l' autre, de plus de cent ans. Je ne dis rien pour cette fois du regent Pythagore et de l' escholier Numa. Ouï, mais les epistres qu' on a debitées sous le nom de Seneque et de Sainct Paul, ne sont ni de Seneque ni de Sainct Paul. Je n' oserois pas vous nier ce que vous asseurez si fortement : mais il se trouvera un docteur aussi asseuré que vous, et qui vous soustiendra avec une force pareille à la vostre, (j' ay veû autrefois ce docteur) que si ces lettres ne sont ni de Seneque ni de Sainct Paul, elles sont de quelques-uns de leurs amis ; elles peuvent estre de leurs secretaires ; quoy qu' à mon advis, ils les ayent escrites sans commandement, et sans en avoir eu ordre de leurs maistres. Des choses si peu importantes ne devroient point semer de querelles parmi les citoyens d' une mesme republique, ne devroient point deschirer en partis et en factions les sçavantes assemblées. Pour cela il ne faut battre personne, ni sauter aux yeux de ses amis. Il ne faut pas faire des affaires d' estat, de tous nos petits differens ; ni traitter de criminel de leze-majesté, comme fait quelquefois Scaliger, des personnes qui ne sont coupables que de leur innocence, que de leur bonté, que de leur facilité à croire. Tout le monde se trompe, de façon ou d' autre. Tout homme se sent de l' infirmité humaine ; et les hebreux disent que Jacob leur pere a esté boiteux. Scaliger luy-mesme a fait de faux pas ; il a fait des jugemens temeraires. Que feront donc les demi-sçavans, les docteurs du second et du troisiesme ordre, des gens qui ont estudié tard, qui estudient peu, qui vivent dans la province, parmi la contagion des mauvais exemples, à six vingts lieuës de la bibliotheque de Monsieur De Thou, et de la conversation de Messieurs Dupuy ? Bien que la lumiere de ce siecle nous ait esclaircis de beaucoup de choses, dont nos peres ont douté, il reste tousjours quelque petit nuage de l' ancienne barbarie. En certains lieux il n' est pas encore bien jour : cette espaisse obscurité, venuë sur le declin de l' empire, des dernieres parties du septentrion, couvre encore une partie de la terre. Les vandales et les goths ont corrompu toutes les belles et bonnes choses. Ils ont mis la peste dans le monde raisonnable ; et il y a beaucoup d' endroits de ce monde qui ne sont pas encore bien purifiez. Mais c' est assez, et peut-estre trop de ces opinions contestées. En pareilles rencontres je n' opine point : je me contente de rapporter les advis des autres. Je vous diray seulement de moy, une chose assez particuliere, et de laquelle quelqu' un pourra s' estonner. Pour voir cét homme extraordinaire, ce sainct Denis dont on m' avoit tant parlé, sans partir de France, je fis autrefois un voyage en Grece, je veux dire, que j' appris expres la de Corinthe. C' est un homme qui vole plus haut que les aigles. Il n' apporte rien sur la terre, qu' il n' ait esté prendre dans le ciel. Je le vis, mais je le perdis aussi-tost de veuë. Apres ces paroles, Socrate se teût quelque temps, et prit le troisiesme volume qui estoit sur son pupitre. Jusques-là s' estant peu ouvert, et ayant parlé avec retenuë, ce fut en suite, et sur le subjet de Sainct Chrysostome, dont il avoit les homilies entre les mains, qu' il se declara et qu' il s' espandit ; que son esprit, et que ses paroles se desborderent. Et certes d' une si estrange sorte, qu' on peut dire qu' il commença son discours, par une espece d' entousiasme, et qu' il passa de la prose à la poësie, comme fait quelquefois l' autre Socrate, dans les dialogues de Platon. C' est cét homme, nous dit-il, qui vole encore bien haut : mais son vol est si reglé et si juste, qu' il y a tousjours plaisir à le voir voler : on peut le suivre des yeux et de la pensée : il fend les airs, sans se perdre dans les nuës : car vous sçavez que les esprits font une espece dans le genre des oiseaux, et que ç' a esté l' opinion des sages hebreux. Celuy-cy a de grandes aisles toutes peintes et toutes dorées. Il chasse devant luy les nuages, la nuit, et l' obscurité. Il fait naistre le jour en se montrant, et par sa seule presence. I l crie, il gronde agreablement. Ses plaintes et ses coleres sont belles. En blasmant le vice, il plaist aux pecheurs. Il n' est pas moins citoyen du ciel, ni moins compagnon des anges que le premier. Mais il s' accommode mieux à l' usage du bas monde, et s' apprivoise davantage avecque les hommes. Les grecs l' ont appellé Chrysostome, et les barbares l' appellent comme les grecs. Voulez-vous que nous disions encore quelque chose de cét homme ? Expliquons pour le moins ce que nous venons d' en dire. Ayant acquis les plus rares connoissances, par la force de la meditation, il en rend capables les plus vulgaires esprits, par la facilité du discours. Ou il sçait abbaisser la verité jusqu' à nous, ou il sçait nous eslever jusqu' à elle : ou il a la vertu d' esclairer et de subtiliser les ames, ou il a le don d' esclaircir et de démesler la doctrine. ô l' excellente et l' admirable maniere d' instruire les ames, et de debiter la doctrine ! Ces animaux de gloire, ces ennemis de la foy, ces superbes enfans d' Aristote, trouveroient le christianisme raisonnable ; en l' estat que Sainct Chrysostome le fait voir à la raison : leur philosophie s' humilieroit devant nos mys teres, si nos mysteres leur estoient descouverts de cette maniere. Pour moy je les adorois avec frayeur, dans leur naturelle obscurité ; et je les regarde maintenant avec plaisir, dans la lumiere de ses paroles : j' avois du respect pour des choses que je n' entendois point, et il m' a donné de l' amour pour ces mesmes choses, en me les rendant intelligibles. J' ay trouvé dans ses homilies, mille graces et mille beautez ; mais toutes chastes et toutes viriles ; une infinité d' ornemens, mais que la gravité souffre, et que la bien-seance conseille. Ce sont des ornemens tres-honnestes, et tres-dignes de celle qui les porte ; de la vraye, de l' ancienne, de la venerable theologie. Ils ne sont pas du theatre ; ils sont de l' autel ; ils ne font point de la reine des sciences, une baladine des places publiques, une comedienne de la cour. Ma matiere croist entre mes mains, et j' ay quelque opinion que le sainct m' inspire en parlant de luy. Je vous l' advouë, c' est un de mes saincts, et je suis un de ses devots. Je l' invoque, je m' adresse à luy : et peut-estre qu' il me fera la mesme faveur, que quelques-uns ont creû que luy fit Sainct Paul : peut-estre qu' il me communiquera ses secrets, qu' il m' allumera de son feu, qu' il remplira mon esprit de l' abondance du sien. Mais en attendant une si chere faveur, ne laissons pas d' en parler à nostre mode, et d' en dire encore quelque chose. Sans tomber dans l' exces que cherche le luxe, son eloquence a toute la grandeur que peut permettre la modestie. On ne connoist point en ses escrits la corruption de la langue de son siecle, la foiblesse de l' expression humaine, la misere et l' infirmité de l' esprit de l' homme. Il ne se vit jamais tant d' ordre dans la multitude ; plus de force avec plus de subtilité, plus d' oeconomie avec plus de pompe : jamais JesusChrist ne fut servi avec une telle magnificence : et si cét ancien profane qui pilloit l' eglise, eust vescu quelque temps plus qu' il ne fit ; s' il eust veû l' esclat et les richesses, l' or et les pierreries qui m' ont esblouï, il se fust escrié encore une fois, quoy qu' en un autre sens que la premiere, ô que les vases sont precieux dans lesquels on sert le fils de Marie ! Voila le jugement que Socrate fit dans la galerie, de l' esprit et de l' eloquence de Sainct Chrysostome. Sur tout il en estimoit la douceur et la netteté, et prenoit plaisir à nous les faire considerer sous differentes figures : il avoit tousjours des images agreables, pour nous representer le merite de cette bienheureuse facilité. Il est clair, disoit-il, fust-ce dans la region des tenebres, et au pays des cimmeriens : il est aisé, dans l' embarras mesme de sa matiere, dans les destours, dans les labyrinthes des plus difficiles questions de la theologie. Avec un commentaire de deux syllabes ; avec un petit mot, qui tempere la rigueur des choses ; avec une particule de charité, qui adoucit les menaces de la justice, il défriche les plus dures et les plus sauvages expressions. Il console et rasseure les esprits que le texte de Sainct Paul avoit effrayez. Par tout où il passe, il laisse des traces de blancheur, et une impression de lumiere qui change la nature des lieux où il a passé. Auparavant c' estoient des precipices, c' estoient des cachots ; apres luy ce sont des jardins de fleurs ; ce sont des cabinets de crystal. Il se trouva un homme en la compagnie, venu de Paris depuis peu de jours, qui ayant escouté Socrate avec beaucoup d' attention, nous surprit tous par ce langage qu' il luy tint. Je n' ay point fait comme vous de voyage en Grece : mais je suis fort trompé, ou j' ay veû nouvellement au lieu d' où je viens, celuy dont vous nous contez de si grandes choses. Je ne connois point vostre Sainct Jean Chrysostome ; mais vous ne dites rien de luy, qui ne se verifie en nostre Monsieur L' Abbé De Rais ; l' eloquence avec laquelle il explique les mysteres du christianisme, n' est point inferieure à celle que vous nous avez figurée : elle n' instruit pas moins, et ne plaist pas moins. On y remarque la mesme beauté, la mesme douceur, la mesme force. Car il tonne et il foudroye quelquefois : mais les orages de ses figures ne gastent point la pureté de sa diction : dans ses sermons, le calme subsiste avec la tempeste, aussi bien que dans les homilies de S Chrysostome. Ainsi vous ne pensiez faire qu' un eloge, et vous en avez fait deux : ce sont des coups de Socrate : en loüant l' antiquité, vous avez obligé nostre siecle : et s' il se trouve quelque Platon, qui publie un jour vos entretiens, la France vous remerciera de tout ce que vous avez dit à la gloire de la Grece.