Socrate - Les Témoins - En Novembre...

La bibliothèque libre.
Poésies
Vega

Revue des Deux Mondes tome 54, 1909


POÉSIES


SOCRATE


La nef sacrée était enfin rentrée au port ;
De beaux enfans, heureux de revoir leur patrie,
Dansaient vêtus de blanc sous la treille fleurie
Où l’arôme du myrte errait, suave et fort.

Jour de fête ! et pourtant, des hommes sur le bord
Du Céphise, en pleurant marchaient par la prairie,
Une femme frappait sa poitrine meurtrie,
Et le cygne au vallon chantait un chant de mort.

L’Hymette se couvrait d’ardentes violettes,
Le soleil fugitif, s’attardant sur les crêtes
Du mont Parnès, ensanglantait tout l’horizon.

Mais une aube plus haut se levait solennelle,
Car ce soir-là, Socrate, ayant bu le poison,
Montait plein d’espérance à la vie éternelle.


LES TÉMOINS


Soldats qui reposez dans les sillons, tandis
Que les clairons joyeux proclament la victoire
Sans réchauffer vos cœurs à jamais refroidis,

Que vos noms doivent luire aux pages de l’histoire
Ou sombrer dans l’oubli, pour vous sonne le glas ;
Vous êtes la rançon, l’offrande expiatoire.


D’autres obtiendront seuls le prix de vos combats :
Le peuple émerveillé, les routes pavoisées,
La patrie en émoi, vous ne les verrez pas,

O braves endormis sur vos armes brisées,
Fronts sanglans recouverts par le jeune gazon,
Pleurés chaque matin par les blanches rosées !

Et vous dont le génie éclaire l’horizon,
Navigateurs luttant contre flots, vents et nues,
Pour agrandir un peu notre étroite prison,

Vous dont la mer cruelle aux rives inconnues,
But de vos longs efforts, a jeté sans honneur
Les vaisseaux éventres et les dépouilles nues ;

Vous tous que le destin a frustrés du bonheur
Pour lequel vous aviez immolé votre vie :
Vous qui vous consumez dans un ingrat labeur,

Qui tombez épuisés et l’âme inassouvie,
Laissant sur le chemin pour ceux qui vous suivront
Le fruit de vos travaux, l’objet de votre envie ;

Sages à la parole ardente, au regard prompt,
Qui réveilliez le peuple assoupi dans les fêtes,
Et qu’ont récompensés plus d’un sanglant affront !

Nobles héros brisés par d’injustes défaites,
Voyans qui, dans la nuit étouffant vos sanglots,
Criiez : Le jour va poindre !… On vous raillait, prophètes,

Veilleurs qui signaliez le phare aux matelots :
A l’heure dite, elle a paru, l’aube annoncée,
Mais son premier rayon a lui sur vos yeux clos.

J’écoute vos soupirs, vous hantez ma pensée,
Humbles martyrs dont nul n’a sondé les douleurs,
Dont la foi généreuse en vain s’est dépensée ;


Vous fûtes les plus purs des saints et les meilleurs
Peut-être, vous dont tous ignorent le supplice,
Dont les tombeaux cachés n’ont ni palmes ni fleurs,

Je vous proclame heureux pour votre sacrifice,
Accompli dans l’angoisse et dans l’obscurité,
Je vous salue au nom divin de la justice,

Vaincus d’un jour, témoins de l’immortalité !


EN NOVEMBRE


Au cloître Notre-Dame et sur les quais du Louvre,
Le feuillage qui tremble a la couleur de l’or ;
Que m’importent le ciel éteint, le vent qui mord
Et le brouillard dont l’eau fugitive se couvre ?

Voici déjà les fins cristaux que le gel ouvre
Sur les gazons flétris. L’été splendide est mort,
Mais comme un martinet rapide, au prompt essor,
Mon âme vole et devant moi l’horizon s’ouvre…

L’Orient refleurit : au-dessus des palmiers,
S’élève palpitant un essaim de ramiers,
Lys ailés tournoyant dans l’air aromatique.

Je vais loin de la nuit brumeuse de l’hiver,
Entre les hauts piliers d’un temple au blanc portique,
Contempler le sourire infini de la mer.


L’ADIEU


Le soir viendra, soir de ma vie ardente et brève ;
Malgré le beau soleil, déjà je le pressens :
Il me faudra bientôt m’éveiller de mon rêve.

La brume sur les flots monte comme un encens ;
Vous remplissez mon cœur d’une secrète angoisse,
Charmes des bois jaunis et des jours finissans.

Se peut-il que déjà l’ombre effrayante croisse ?
Une étrange splendeur plane dans l’air plus frais,
L’herbe sèche frémit sous mon pied qui la froisse.


Je veux jouir encor de vous, plaines, forêts
Où magnifiquement l’été chante ses psaumes,
Blonds coteaux couronnés de pins et de cyprès ;

Je veux que les jardins me versent tous leurs baumes,
Et que mes sens joyeux s’exaltent, embrasés
Par le feu des couleurs vives, des forts arômes.

Vous avez consolé mon cœur des vains baisers,
Souffles subtils venus des hauts sommets, haleines
Des vergers mûrissans sous les cieux apaisés !

Vous qui fûtes témoins de mes vœux, de mes peines,
Printemps épanouis dans les chemins déserts,
Sources pures tendant vers moi vos coupes pleines,

Rendez jusqu’à la fin mes regrets moins amers.
De vous j’attends la joie encor, ô nuits clémentes
Aurores et couchans qui jouez sur les mers !

Que de fois, clairs vallons où fleurissent les menthes,
J’ai cherché votre asile ! Avec vous j’ai frémi,
Vagues et rocs géans fouettés par les tourmentes,

Et mon sommeil fut doux près d’un lac endormi ;
Astres pleins de pitié, chants de l’onde, vous êtes
Pour moi le regard même et la voix d’un ami

Il me faudra pourtant vous délaisser, retraites
Des bois et des ravins. O changeantes saisons,
Je n’assisterai plus éblouie à vos fêtes !

Mais quand mon corps, au temps des belles floraisons,
Redeviendra poussière et que mon âme libre
Aura fui pour jamais vers d’autres horizons,

O vous à qui mon cœur tenait par chaque fibre,
N’effacez point mes pas, pleurez mes yeux fermés,
Que longuement en vous mon dernier adieu vibre,

Souvenez-vous de moi qui vous ai tant aimés !



TRÉSORS ENSEVELIS


Au sein de la forêt profonde, pleine d’ombre,
Dans l’Océan plaintif, les lacs silencieux,
Des trésors inouïs, des richesses sans nombre,
Des joyaux purs et précieux
Reposent loin de tous les yeux.

Connaissons-nous, malgré nos peines et nos courses,
Chaque herbe salutaire au philtre exquis et fort,
Le nombre et le pouvoir mystérieux des sources,
La fleur d’espérance qui dort
Sous les feuilles de l’été mort ?

Lorsque la mer splendide à nos pieds se déroule,
Songeons-nous, enivrés de soleil et de vent,
Aux biens vite engloutis qu’abandonne à la houle
Le vaisseau qui va dérivant,
Perdu sur le gouffre mouvant ?

Savons-nous ce qui gît sous le voile de l’onde,
Cloches d’argent, galions d’or, perles sans prix,
Flottes, palais, cités où vécut tout un monde,
Jardins où des récifs fleuris
Veillent autour de corps meurtris ?

Une nuit seulement, à Noël, chaque année,
Les mystères du sol, des vagues et des bois
Resplendissent soudain dans l’ombre illuminée
Pour celui qui chante à mi-voix
Une prière d’autrefois.

Sous la flamme des yeux, le sourire des bouches,
Cachant tant de désirs, d’indicibles regrets,
Les cœurs sont plus profonds encore et plus farouches,
Ils recèlent d’autres secrets
Que l’Océan et les forêts.


Combien de beaux espoirs, de douleurs magnanimes,
D’héroïques amours, de souvenirs joyeux
Sont enfouis dans leurs insondables abîmes,
Spectres muets, mystérieux,
Attendant un rayon des cieux !

Que ne sais-je le chant qui dissipe les ombres
Pour voir s’illuminer en vous chaque repli
Sous la clarté divine, âmes riches et sombres,
O cœurs fermés où dans l’oubli
Un trésor est enseveli !


L’EAU VIVE


J’ai découvert sur les sommets, dans la bruyère
Et l’herbe, l’eau qui chante, intarissable, et luit ;
Je l’ai prise, contrainte à traverser la nuit,
Et j’entendais gronder sa force prisonnière.

Maintenant, au sortir de l’aqueduc de pierre,
Elle jaillit limpide avec un joyeux bruit
Sur la route qui loin de la montagne fuit,
Sur le sol altéré qui s’effrite en poussière.

Ainsi fait le poète : il va par les hauteurs
Conquérir le trésor que Dieu donne aux chanteurs ;
Il y trouve l’idée errante, il la captive.

O voyageur, bénis en buvant dans ta main
Celui dont le labeur capta la source vive
Qui brille fraîche et claire au soleil du chemin.


MÉTAMORPHOSES


Amoureuse Biblis qui te fondis en pleurs,
Voici les premières chaleurs,
Et près de ta source, je rêve :
La brise dans les pins murmure un nouveau chant,
L’or du couchant
Luit sur la grève.


Tu chantes aussi, toi, belle eau vive, et tu ris ;
Tes maux anciens sont-ils guéris
Par une espérance divine ?
Le fier laurier qui fut Daphné fleurit vermeil
Quand le soleil
Vers lui s’incline.

Écho dans les rochers, Syrinx dans les roseaux,
Entonnent avec les oiseaux
Un hymne de jeune allégresse ;
La saison vient où les amantes d’autrefois
Trouvent des voix
Pleines d’ivresse.

Les vœux déçus sont transformés en frais parfums,
En brume les regrets défunts,
Les lèvres closes en corolles ;
Ce sont partout soupirs ardens, furtifs frissons,
Folles chansons,
Tendres paroles.

Et moi, lorsque l’amour profond, silencieux,
Qui n’a resplendi qu’en mes yeux,
Dans l’ombre m’aura consumée,
Serai-je cygne blanc, source aux limpides pleurs,
Rosier en fleurs,
Vaine fumée ?

Palpiterai-je encor d’un mal délicieux,
M’exhalerai-je vers les cieux,
Grain d’encens ou goutte de baume ?
Près de celui qui me fut cher, reviendra-t-il
Errer subtil,
Mon doux fantôme ?

Comme un souffle, un arôme, un rayon passager,
Pourrai-je fuir d’un vol léger
Vers lui, sans mériter nul blâme,
Et sur sa bouche harmonieuse enfin poser
Dans un baiser
Toute mon âme ?


VEGA.