Soir de caveau (Verhaeren)

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PoèmesSociété du Mercure de France (p. 47-48).
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SOIR DE CAVEAU


Des torchères dont la clarté ne bouge
Brûlent depuis les loins des jours, toujours,
Parmi la cruauté de ce caveau voûté,
D’ébène immense et lambrissé d’or rouge.

Les supplices d’acier et les meurtres d’airain
S’y souviennent : Néron, Procuste et Louis onze,
— Regards de proie, ongles de bronze,
Clous et tenailles dans leur main —

Un luxe vieux de métaux noirs habille
Le solennel granit d’un fût assyrien,

Érigé là, pour ne soutenir rien
Que les siècles et leur douleur indébile.

Soudain, sur ce pilier — ainsi qu’un ostensoir
Lamentable, là-bas, qui s’éclaire lui-même —
Masque de cire en un nuage blême,
Mon front surgit de souffrance et de soir :

— Bouche de cris tordus en muette prière,
Cheveux tristes d’orgueil fauché,
Chair seule, et, par le col tranché,
D’intermittents caillots de sang et de lumière —

Mon front, hélas ! celui si pâle de ma mort
En ces caveaux immobiles d’or rouge,
Où plus jamais — sinon mes yeux — flamme ne bouge
Pour regarder ce faste en fer de ma mort.