Soleils d’Hiver/25

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A. Lemerre (p. 86-87).


LES OURSINS



Dans les bas-fonds, parmi les transparences bleues
Que rayent seulement de l’éclair de leurs queues
Les vifs poissons d’argent fuyant en rangs pressés,
Aux flancs des rochers gris tachés de pâles mousses,
Dans l’échevèlement mouvant des algues rousses

Dorment les oursins hérissés.


Ils dorment renfrognés, combattifs et revêches,
Égratignant le flot de leurs aiguilles sèches,
Châtaignes de la mer au cœur vide et sanglant ;
Ou déplacent parfois leur corps rond et sans tête,
Leur corps étrange, à moitié plante, à moitié bête,

D’un effort insensible et lent.


Et voici que là-haut, sur la surface lisse
De la mer scintillante, une grande ombre glisse…
C’est un canot qui vient, s’arrête et laisse choir
Dans la placidité des eaux immaculées,
Soutenu par deux mains, deux grosses mains hâlées,

En silence, un long roseau noir.


Le roseau meurtrier darde sa pointe mince
Dont le pêcheur a fait une terrible pince,
Droit vers l’oursin dormant son inerte sommeil,
Le saisit d’un seul coup, l’arrache à sa cachette,
Et sur le plancher sec de la barque le jette

Ruisselant et noir, au soleil.


Puis aux marchés, dans les étalages humides,
Les châtaignes de mer, en frêles pyramides,
Attirent le regard du passant inconnu,
Et parmi les blancheurs des nappes, sur les tables,
S’en vont bientôt mourir, humbles et lamentables,

Montrant leur pauvre cœur à nu.