Soliloques sceptiques/Soliloque IV

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QUATRIÉME SOLILOQUE.


I
l n’y a perſonne qui ne reſſente je ne ſçai quoi de penible dans ſon eſprit, lorſqu’il commence à raiſonner ſur les choſes du Ciel, où il ne trouve pas que ſa Logique & ſes principes s’accordent avec ce qu’il avoit receu pour bon aveuglement juſques là, ſans rien examiner. Horace exprime cela dans vne de ſes Odes[1] en ces termes :

Parcus Deorum cultor & infrequens,
Inſanientis dum ſapientiæ
Conſultus erro, nunc retrorſum

Vela dare, atque iterare curſus
Cogor relictos.

La ſecte de Democrite, la Cyrenaïque, & celle d’Épicure, lui avoient donné de mauvaiſes opinions de la Providence, comme ſi les choſes d’ici-bas eſtoient indifférentes à Dieu, parce qu’elles paroiſſoient à ces philoſophes indignes de ſon occupation. La ſyndereſe & vn remors de conſcience fait qu’Horace nomme à bon droit cette penſée inſanientem ſapientiam, vne folle ſageſſe. Et Lucrece plus ancien que lui apprehendoit de parler mal des choſes divines, ſur ces meſmes fondemens contraires à toute ſorte de Religions : ce qui lui fait dire à ſon Lecteur :

Illud in his rebus vereor ne fortè rearis
Impia te rationis inire elementa, viamque
Endogredi ſceleris.

Tout le monde eſt touché de cette crainte, ſi Dieu ne l’a tout-à-fait abandonné à vn ſens reprouvé. Il n’y a que la Foi qui dans la vraie Religion nous empeſche de deferer aus tentations que l’ennemi de noſtre repos, & de noſtre ſalut nous ſuggere ſur ce qui regarde le Ciel. Il a bien-toſt ſeduit les plus groſſiers, parce que ſelon le mot de l’Eccleſiaſtique les ſimples ſe rendent aux premieres apparences trompeuſes d’vn dangereux diſcours, & ſont auſſi faciles à perſuader, qu’vn enfant eſt aiſément fait pleurer, à facie verbi parturit fatuus, tanquam gemitus partus infantis. Certes l’on ſe doit bien garder de ſouſmettre les veritez conſtantes de la vraie Religion, qui nous ont eſté revelées d’enhaut, au raiſonnement humain, parce que ſi vous penſez accommoder la foi au diſcours qu’on peut former ſur ce qu’elle enſeigne, chacun pretendra avoir droit d’en penſer à ſa mode, n’y aiant rien de ſi divers que l’eſprit de l’homme ; & ainſi cette foi ne ſera plus vne comme elle doit eſtre. Il faut avaler ſans maſcher ce qu’elle preſcrit, comme vne medecine ſalutaire qui guerit au dedans ſi on ne la rejette point, ce qui arrive à ceux qui la veulent trop ſavourer. Si vous voulez l’accorder de tout point avec les ſciences humaines, vous la ruinez abſolument, parce que ſelon le mot de l’Eſchole, poſita ſcientia tollitur fides, ſicut poſita fruitione tollitur ſpes. En effet on ne croit pas les choſes qu’on ſçait, ce qui donna lieu à Pomponace de ſe délivrer des mains de l’Inquiſition où il eſtoit, pour avoir dit nettement dans ſa chaire de Profeſſeur en Philoſophie, qu’il ne croioit pas l’immortalité de l’ame. Ne pouvant pas nier d’avoir ainſi parlé, à cauſe qu’on lui produiſoit des teſmoins irreprochables, il s’aviſa d’interpreter ſon dire en l’avoüant, avec cette ſolution, qu’il ſçavoit & enſeignoit demonſtrativement que nos ames eſtoient immortelles ; ce qui faiſoit qu’il ne tenoit pas cela de la foi, par cette raiſon d’Albert le Grand, emploiée meſme par lui contre Auguſtinus Niphus[2], quòd credita cum ſcitis non conveniunt, & principia fidei cum principiis naturalibus. Un ſerviteur nommé Chalinus ſe ſert de cette raiſon dans la Caſſine de Plaute[3], avec ces propres termes : At pol ego haud credo, ſed certo ſcio ; voulant dire qu’on ne croit pas les choſes que l’on ſçait. Auſſi y a-t-il grande difference entre ſçavoir, & croire, ſelon que Saint Thomas definit ce dernier : Credere eſt actus intellectus aſſentientis divinæ voluntati, ex imperio voluntatis à Deo motæ per gratiam. La foi donc qui regle noſtre creance, eſt tout autrement ſeure que la ſcience humaine, où tout eſt incertain ; d’où vient la determination du Concile de Nicée[4], Dubius in fide, infidelis eſt. On ne ſçauroit ſans crime ſuſpendre tant ſoit peu ſa creance en ce qui touche la foi, ni revoquer en doute le moindre de ſes articles ſans pecher.

☙❧
  1. l. 1. Carm. ode 34.
  2. In defenſorio, c. 27. circa fin.
  3. Act. 2, ſc. 26.
  4. Baron. tom. II.