Sonnet de Joachim du Bellay, à P. de Ronsard

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Texte établi par Auguste NoëlDidot (p. 23-24).


SONNET
DE JOACHIM DU BELLAY,
À P. DE RONSARD.


Comme un torrent, qui s’enfle et renouvelle
Par le dégout des hauts sommets chenus,
Froissant et ponts et rivages connus,
Se fait, hautain une trace nouvelle :

Tes vers, Ronsard, qui par source immortelle
Du double mont sont en France venus,
Courent, hardis, par sentiers inconnus,
De même audace, et de carrière telle.

Heureuses sont tes nymphes vagabondes,
Gastine sainte, et heureuses tes ondes,
O petit Loir, honneur du Vendomois !

Ici le luth, qui naguère sur Loire
Soulait répondre au mouvoir de mes doigts,
Sacre le prix de sa plus grande gloire.


Par le dégout : par les eaux qui dégouttent.
Soulait : du latin solere, avait coutume.
Sacre le prix : le dernier vers du tercet n’est pas exempt de quelque obscurité ; il faut l’entendre : consacre le prix de sa plus grande gloire.

Nous ne pouvons mieux faire que de placer en tête du nouveau choix des œuvres poétiques de Ronsard cette pièce dont l’inspiration classique, l’allure harmonieuse et le style hardi donnent un avant-goût si sincère de l’illustre auteur dont elle célèbre le génie.

Gastine : dans le haut Poitou, fait aujourd’hui partie du département des Deux-Sèvres. C’est dans la forêt de Gastine que se trouvait l’abbaye de Croix-Val, où Ronsard se retira après la mort de Charles IX.