Sonnets gaillards et priapiques/Avant-Propos
AVANT-PROPOS
De tous les recueils manuscrits de Conrart, un des plus copieux, des plus riches tant pour la variété des textes qu’il présente que parce qu’il intéresse particulièrement les laborieux d’histoire littéraire et les amateurs de vieille poésie française, est sans nul doute le tome XVIII de la collection in-4o, portant à la Bibliothèque de l’Arsenal le numéro 4123[1]. Feuilleté incessamment, il ne paraît pas avoir divulgué tous ses trésors ; nous y avons découvert des pages inédites. C’est, indiquons-le sommairement, un volume fort épais où des poésies connues jusqu’à la banalité, voisinent avec des pièces qu’on ne saurait retrouver dans aucun ouvrage du temps. On y lit, tout à la fois, des vers libres touchant la vie et les mœurs de personnages notoires, des stances, des quatrains, des rondeaux, des métamorphoses et autres productions galantes ou érotiques. Il semble qu’en faisant transcrire en plein XVIIe siècle, la plupart des morceaux qui le composent, Conrart ait eu à dessein de former une sorte de galerie luxurieuse et satyrique.
Voici au début un quatrain anonyme fort audacieux, contre la Duchesse de Beaufort expirante, puis un madrigal « envoyé à M. de Villarceaux au nom de Mademoiselle de Maintenon », des stances de Madame de Villarceaux à Mademoiselle Testu, des priapées italiennes, des épigrammes lascives, parmi lesquelles il en est de Marc de Maillet[2] et d’une foule de poétereaux impertinents. L’ordre chronologique inquiéta peu le copiste chargé de les réunir, puisqu’il accueillit indifféremment — mais non sans variantes, — un sonnet de Mathurin Régnier[3], des œuvres légères de Malleville et de Voiture, la Rome Ridicule, la Pétarade au Rondeau, de Saint Amant, la Satyre de la Pauvreté des Poètes, par Boissières, des sonnets de Saint Pavin, des énigmes de Vion Dalibray et de Cotin, des fantaisies burlesques de Scarron. Tout cela se suit sans ordre systématique, ni chronologique, sans méthode, parfois sans signature, mais les pièces trahissent souvent l’anonymat, malgré l’uniformité d’une jolie écriture, ronde et précieuse.
C’est un fatras pour quiconque n’est point familier avec la littérature des XVIe et XVIIe siècles, mais que de trouvailles il autorise ! Aussi bien, est-ce parmi ces pages surannées que nous avons découvert une série de sonnets qu’on nous saura gré de publier ici. Ils forment une minorité dans ce recueil de près de treize cents pages, mais ils ne laissent pas que d’attirer l’attention du chercheur le moins avisé, et nous demeurons surpris qu’aucun, parmi les derniers éditeurs du Parnasse et du Cabinet satyrique, ne les ait connus et tirés de l’oubli.
Leur nombre est restreint, mais leur mérite — tout érotisme mis à part — est loin du vulgaire. Nous en avons compté XLVIII, parmi lesquels il en est XXIX d’inédits[4].
Les autres, se retrouvent pour la plupart soit dans les Muses inconnues de 1604, soit dans le Cabinet satyrique (1618), le Parnasse satyrique (1623), le Nouveau Parnasse satyrique (1684), ou la plus récente édition des œuvres de Théophile (Paris, Jannet, 1856).
Aucune note, pas plus en marge et en bas de page qu’à la table, ne décèle leur véritable auteur, mais si l’on observe attentivement leur forme, et qu’on tienne compte du cynisme de leur invention, ils paraissent avoir été composés par divers poètes du groupe de Mathurin Régnier, de Sigognes et de Théophile. Des noms nous viennent en évoquant la lubrique éloquence des écrivains qui participèrent aux recueils satyriques du commencement du XVIIe siècle, mais aucune preuve — sauf en ce qui concerne une pièce appartenant à Sigognes et publiée dans le Cabinet satyrique, — n’est venue justifier notre opinion.
Quelques recherches que nous ayons faites jusqu’à présent pour leur établir une paternité certaine, ils offrent en dépit même des allusions qu’ils contiennent, une sorte d’énigme littéraire qu’on ne parviendra sans doute jamais à déchiffrer.
Qu’importe d’ailleurs, le mystère qui les entoure, ils n’en demeurent pas moins un témoignage précis des mœurs et de l’esprit d’une époque curieuse de notre histoire.
Note de l’Éditeur. — Ainsi qu’on le remarquera, le copiste de Conrart altéra parfois le texte des vers qu’il recueillit, en leur imposant une orthographe postérieure à leur création. Quoique opposés par principe à ce travestissement, nous nous sommes gardés d’en rien changer. Dans bien des cas d’ailleurs, la version du manuscrit où nous avons puisé, doit être considérée comme originale, sinon définitive.
- ↑ Pour le dépouillement de ce tome, consulter le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal, par Henry Martin, tome IV, pp. 210 et ss., Paris, Plon, 1888, in-8o.
- ↑ Nous en cueillons une fort caractéristique :
De Maillet à une Dame qui vouloit estre fort respectée.Votre grandeur m’est bien connüe
Aussi vous respecté-je en tout,
Mon v. même, quand il vous fout
Ne vous fout que la tête nue. - ↑ A. du Montier, excellent peintre.
SONNET
Hé bien ! mon Du Monstier comment vous portez-vous ?
(Cette pièce n’a point été recueillie par les éditeurs de Mathurin Régnier).
- ↑ Sur ces XLVIII pièces, nous n’avons cru devoir en
accueillir que XXXVII, l’intérêt de la présente plaquette
nous ayant obligé à écarter en même temps que VIII pièces
assez faibles d’invention, ou renfermant des allusions politiques
et religieuses trop peu appréciables, trois autres pièces,
l’une de Théophile :
Philis tout est foutu, je meurs de la verole, publiée dans l’édition de ses œuvres de 1856, les deux autres de Mathurin Régnier :
Hé bien ! mon Du Monstier comment vous portez-vous ? et de Motin :
Vous voulez dites-vous estre religieuse,
se retrouvant, avec variantes, dans l’édition récente des Poètes satyriques des XVIe et XVIIe siècles (Paris, Biblioth. intern. d’édit., 1903, in-18).
Les sonnets que nous publions ici, occupent dans le manuscrit Conrart, t. XVIII, les feuillets 209 à 217, 221 à 225, 227, 229 à 231, 233 à 236, 297, 301, 309 à 312, 349, 361 à 633, 365 à 369 inclus.