Sourires pincés/I/VIII

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Alphonse Lemerre (p. 19-20).


VIII

LE CAUCHEMAR


Poil-de-Carotte n’aimait pas les amis de la maison. Ils le dérangeaient, lui prenaient son lit et l’obligeaient de coucher avec sa mère. Or, si le jour il avait tous les défauts, la nuit il avait principalement celui de ronfler. Il ronflait exprès, sans aucun doute.

La grande chambre, glaciale même en août, contient deux lits. L’un est celui de M. Lepic, et c’est dans l’autre que Poil-de-Carotte va reposer, à côté de sa mère, au fond.

Avant de s’endormir, il toussote sous le drap, pour déblayer sa gorge. Mais peut-être ronfle-t-il du nez ? Il fait souffler en douceur ses narines afin de s’assurer qu’elles ne sont pas bouchées. Il s’apprend à ne pas respirer trop fort. Mais dès qu’il dort, il ronfle. C’est comme une passion. Aussitôt Mme  Lepic lui entre deux ongles (deux suffisent), jusqu’au sang, dans le plus gras d’une fesse. Elle a fait choix de ce moyen.

Le cri de Poil-de-Carotte réveille brusquement M. Lepic, qui demande :

— « Qu’est-ce que tu as ? »

— « Il a le cauchemar, » — dit Mme  Lepic.

Et elle chantonne, à la manière des nourrices, un air berceur qui semble indien.

Du front, des genoux poussant le mur, comme s’il voulait l’abattre, les mains plaquées sur ses fesses pour parer le pinçon qui va venir au premier appel des vibrations sonores, Poil-de-Carotte se rendort dans le grand lit où il repose, à côté de sa mère, au fond.