Souvenirs (Tocqueville)/03/04

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Texte établi par Christian de Tocqueville, Calmann Lévy (p. 356-410).

IV

Affaires étrangères.

Je n’ai pas voulu interrompre le récit de nos misères intérieures pour parler des embarras que nous rencontrions au dehors et dont je supportais plus qu’aucun autre le poids. Je retourne maintenant sur mes pas et je reviens à cette partie de mon sujet.

Quand je fus installé au ministère des affaires étrangères et qu’on m’eut mis sous les yeux l’état des affaires, je fus effrayé du nombre et de la grandeur des difficultés que j’apercevais ; mais ce qui me donnait plus d’inquiétude que tout le reste, c’était moi-même.

J’ai naturellement grande défiance de moi-même. Les neuf années que j’avais consumées assez misérablement dans les dernières Assemblées de la monarchie avaient fort augmenté cette infirmité naturelle, et, bien que la manière dont je venais de supporter l’épreuve de la révolution de Février m’eût un peu accrédité à mes propres yeux, cependant je n’avais accepté une si grande charge, dans de pareils temps, qu’avec beaucoup d’hésitation, et je n’y entrais qu’avec beaucoup de crainte.

Je ne tardai pas à faire un certain nombre de remarques qui me tranquillisèrent, si elles ne me rassurèrent pas entièrement. J’observai d’abord que les affaires ne devenaient pas toujours plus difficiles en devenant plus grandes, ainsi que cela apparaît volontiers de loin ; c’est plutôt le contraire qui est le vrai. Leurs complications ne croissent point avec leur importance ; il arrive même souvent qu’elles prennent un aspect plus simple, à mesure que leurs conséquences peuvent être plus étendues et plus redoutables. Celui d’ailleurs, dont la volonté influe sur la destinée de tout un peuple, trouve toujours sous sa main plus d’hommes en état de l’éclairer, de l’aider, de le décharger des détails, plus disposés à l’encourager, à le défendre, qu’on ne saurait en rencontrer dans les œuvres secondaires et dans les rangs subalternes. Enfin, la grandeur même de l’objet qu’on poursuit surexcite à un tel point toutes les forces de l’âme que, si la tâche est un peu plus difficile, l’ouvrier est beaucoup plus fort.

Je m’étais senti perplexe, plein de soucis, de découragement et d’agitations désordonnées, en présence de responsabilités petites. J’éprouvai une tranquillité d’esprit et un calme singulier quand je me vis en face des plus grandes. Le sentiment de l’importance des choses que je faisais alors m’éleva sur-le-champ à leur niveau et m’y retint. L’idée d’un échec m’avait paru jusque-là insupportable ; la perspective d’une chute éclatante sur un des plus grands théâtres du monde où j’étais monté, ne me troublait point, ce qui me fit bien voir que mon faible n’était pas la timidité, mais l’orgueil. Je ne tardai pas non plus à m’apercevoir qu’en politique, comme en beaucoup d’autres matières, en toutes peut-être, la vivacité des impressions reçues n’était pas en raison de l’importance du fait qui la produisait, mais de la répétition plus ou moins fréquente de celui-ci. Tel qui se trouble et s’émeut dans le maniement d’une petite affaire, la seule dont il se soit par hasard chargé, finit par trouver son aplomb au milieu des plus grandes, si celles-là reviennent tous les jours ; leur fréquence en rend l’effet comme insensible. J’ai dit combien je m’étais fait autrefois d’ennemis en me tenant à l’écart de gens qui n’attiraient mon attention par aucun mérite, et comme on avait pris souvent pour de la hauteur l’ennui qu’on me causait, je redoutais fort pour moi cet écueil dans le grand voyage que j’allais entreprendre. Mais je remarquai bientôt que, si l’insolence croît chez certaines personnes en proportion exacte du progrès de la fortune, il en était autrement pour moi, et qu’il m’était beaucoup plus aisé de me montrer prévenant et même empressé quand je me sentais hors de pair, que dans la foule. Cela vient de ce qu’étant ministre, je n’avais plus la peine d’aller chercher les gens, ni la crainte d’en être froidement reçu, les hommes se faisant un besoin d’aborder d’eux-mêmes ceux qui occupent ces sortes de places, et étant assez simples pour attacher une grande importance à leurs moindres mots. Cela vient encore de ce que, comme ministre, je n’avais plus seulement affaire aux idées des sots, mais à leurs intérêts, qui fournissent toujours un sujet de conversation tout trouvé et facile.

Je vis donc que j’étais moins impropre que je ne l’avais craint, au rôle que j’avais entrepris de jouer ; cette expérience m’enhardit, non seulement pour le moment présent, mais pour le reste de ma vie ; et, si l’on me demande ce que j’ai gagné dans ce ministère, si troublé, si traversé et si court que je n’ai pu qu’y commencer les affaires sans en finir aucune, je répondrai que j’y ai gagné un grand bien, le plus grand peut-être des biens de ce monde, la confiance en moi-même.

Au dehors comme au dedans, nos plus grands obstacles venaient moins de la difficulté des affaires que de ceux qui devaient les conduire avec nous ; je le vis tout d’abord. La plupart de nos agents, créatures de la monarchie, détestaient furieusement, au fond de leur cœur, le gouvernement qu’ils servaient ; et, au nom de la France démocratique et républicaine, ils préconisaient la restauration des vieilles aristocraties et travaillaient secrètement au rétablissement de toutes les monarchies absolues de l’Europe. D’autres, que la révolution de Février avait tirés d’une obscurité où ils auraient dû toujours vivre, appuyaient au contraire, sous main, les partis démagogiques que le gouvernement français combattait ; mais le vice du plus grand nombre était la timidité. La plupart de nos ambassadeurs craignaient de s’attacher à aucune politique dans le pays où ils nous représentaient et redoutaient même de manifester à leur propre gouvernement des opinions dont on eût pu plus tard leur faire un crime. Ils avaient donc soin de se tenir cachés et bien à couvert dans un fouillis de petits faits, dont ils remplissaient leurs correspondances (car en diplomatie, il faut toujours écrire, ne sût-on rien ou ne voulût-on rien dire) ; ils se gardaient bien d’y montrer ce qu’ils pensaient des événements dont ils faisaient le récit, et encore moins d’indiquer ce que nous devions en conclure.

Cette nullité volontaire, à laquelle se réduisaient nos agents et qui, à la vérité, chez la plupart d’entre eux, n’était qu’un perfectionnement artificiel de la nature, me porta, dès que je l’eus reconnue, à employer dans les grandes cours des hommes nouveaux.

J’aurais bien voulu pouvoir me débarrasser de même des chefs de la majorité, mais ne le pouvant, j’entrepris de vivre en bonne intelligence avec eux, et je ne désespérai même pas de leur plaire, tout en restant indépendant de leur influence ; entreprise difficile, dans laquelle je réussis pourtant, car je fus, de tout le cabinet, le ministre qui contrariait le plus leur politique, et le seul qui restait néanmoins dans leurs bonnes grâces. Mon secret, puisqu’il faut que je le dise, consista à flatter leur amour-propre, en même temps que je négligeais leurs avis.

J’avais fait, dans les petites affaires, une remarque que je jugeais très applicable aux grandes : j’avais trouvé que c’est avec la vanité des hommes qu’on peut entretenir le négoce le plus avantageux, car on obtient souvent d’elle des choses très substantielles, en donnant en retour fort peu de substance ; on fera toujours de moins bonnes affaires avec leur ambition ou leur cupidité ; mais il est vrai que pour traiter avantageusement avec la vanité des autres, il faut mettre entièrement de côté la sienne propre, et ne s’occuper que du succès de ses desseins ; c’est ce qui rendra toujours ce genre de commerce difficile. Je le pratiquai très heureusement dans cette circonstance et y fis de grands profits. Trois hommes, par le rang qu’ils avaient occupé jadis, se croyaient surtout en droit de diriger notre politique étrangère : c’étaient M. de Broglie, M. Molé et M. Thiers. Je les accablai tous les trois de déférence ; je les fis venir souvent chez moi, et me rendis quelquefois chez eux pour les consulter et leur demander, avec une sorte de modestie, des conseils dont je ne profitai presque jamais ; ce qui n’empêcha pas que ces grands hommes ne se montrassent très satisfaits. Je leur agréais davantage en leur demandant leur avis sans le suivre, que si je l’avais suivi sans le leur demander. Ce fut surtout avec M. Thiers que ce manège me réussit merveilleusement. Rémusat, qui, sans prétentions personnelles, désirait sincèrement la durée du cabinet, et qu’une pratique de vingt-cinq ans avait familiarisé avec tous les faibles de M. Thiers, m’avait dit un jour : « Le monde connaît mal M. Thiers ; il a bien plus de vanité que d’ambition ; il tient aux égards plus encore qu’à l’obéissance, et aux apparences du pouvoir qu’au pouvoir même. Consultez-le beaucoup et faites ensuite comme il vous plaira. Il tiendra plus de compte de votre déférence que de vos actes. » Ainsi fis-je, et avec grand succès. Dans les deux principales affaires que j’eus à traiter pendant mon ministère, celle du Piémont et celle de la Turquie, je fis précisément le contraire de ce que voulait M. Thiers, et nous n’en restâmes pas moins jusqu’à la fin bons amis.

Quant au président, c’est surtout dans le maniement des affaires étrangères qu’il faisait voir combien il était encore mal préparé au grand rôle que l’aveugle fortune lui avait donné. Je ne tardai pas à m’apercevoir que cet homme, dont l’orgueil aspirait à tout conduire, n’avait encore su prendre aucune mesure pour être au courant de rien. Ce fut moi qui lui proposai de faire faire chaque jour une analyse de toutes les dépêches, et de la faire passer sous ses yeux. Auparavant, il ne connaissait ce qui se passait dans le monde que par ouï-dire, et ne savait que ce que le ministre des affaires étrangères voulait bien lui apprendre. Le terrain solide des faits manquait donc toujours aux opérations de son esprit, et il était facile de s’en apercevoir à toutes les rêveries dont celui-ci était plein. J’étais quelquefois effrayé en apercevant ce qu’il y avait de vaste, de chimérique, de peu scrupuleux et de confus dans ses desseins ; il est vrai qu’en lui expliquant l’état vrai des choses, je le faisais facilement convenir des difficultés qu’elles présentaient, car le débat n’était pas son fort. Il se taisait, mais ne se rendait pas. L’une de ses chimères était une alliance contractée avec l’une des deux grandes puissances de l’Allemagne, dont il comptait s’aider pour refaire la carte d’Europe et y effacer les limites que les traités de 1815 avaient tracées à la France. Comme il vit que je ne croyais point qu’on pût trouver ni l’une ni l’autre de ces puissances disposée à faire une telle alliance et à lui donner un semblable objet, il prit le parti de sonder lui-même leurs ambassadeurs à Paris. L’un d’eux vint un jour, tout ému, me dire que le président de la république lui avait demandé si, moyennant quelques équivalents, sa cour ne consentirait pas à ce que la France s’emparât de la Savoie. Une autre fois, il conçut l’idée d’envoyer un agent particulier, un homme à lui, comme il l’appelait, pour s’entendre directement avec les princes d’Allemagne. Il choisit Persigny, en me priant de l’accréditer ; ce que je fis, sachant bien qu’il ne pouvait rien résulter d’une négociation semblable. Je crois que Persigny avait une double mission : il s’agissait de faciliter l’usurpation au dedans et un agrandissement de territoire au dehors. Il se rendit d’abord à Berlin et ensuite à Vienne ; comme je m’y attendais, il fut bien reçu, fêté et éconduit.

Mais c’est assez m’occuper des personnes ; venons aux affaires.

Au moment où j’entrai au ministère, l’Europe était comme en feu, bien que l’incendie fût déjà éteint en certains pays.

La Sicile était vaincue et soumise ; les Napolitains étaient rentrés dans l’obéissance et même dans la servitude ; la bataille de Novare venait d’être livrée et perdue ; les Autrichiens vainqueurs négociaient avec le fils de Charles-Albert, devenu roi de Piémont par l’abdication de son père ; leurs armées, sortant des limites de la Lombardie, occupaient une partie des États de l’Église, Parme, Plaisance, la même Toscane où elles étaient entrées sans être appelées, et malgré que le grand-duc eût été restauré par ses sujets, bien mal payés, depuis, de leur fidélité et de leur zèle. Mais Venise tenait encore, et Rome, après avoir repoussé notre première attaque, appelait à son aide tous les démagogues de l’Italie et agitait l’Europe entière de ses clameurs. Jamais peut-être, depuis Février, l’Allemagne n’avait paru plus divisée ni plus troublée. Quoique la chimère de l’unité allemande se fût évanouie, la réalité de l’ancienne organisation germanique n’avait pas encore repris sa place. L’Assemblée nationale, qui avait essayé jusque-là de créer cette unité, réduite à un petit nombre de membres, fuyait Francfort, promenant de place en place son impuissance et le spectacle de ses fureurs ridicules. Mais sa chute ne rétablissait pas l’ordre ; elle laissait, au contraire, un champ plus libre à l’anarchie.

Les révolutionnaires modérés, et on peut dire innocents, qui s’étaient flattés de pouvoir amener paisiblement, par des raisonnements et des décrets, les peuples et les princes de l’Allemagne à se soumettre à un gouvernement unitaire, ayant échoué et se retirant découragés de l’arène, laissaient la place aux révolutionnaires violents, qui avaient toujours assuré que l’Allemagne ne pouvait être conduite à l’unité que par la ruine complète de tous ses anciens gouvernements et l’abolition entière du vieil ordre social. Aux discussions parlementaires succédaient donc de toutes parts des émeutes. Les rivalités politiques tournaient en guerre de classes ; les haines et les jalousies naturelles du pauvre contre le riche devenaient des théories socialistes en beaucoup d’endroits, mais surtout dans les petits États de l’Allemagne centrale et dans la grande vallée du Rhin. Le Wurtemberg était agité ; la Saxe venait d’avoir une insurrection terrible, dont on n’avait pu triompher qu’à l’aide des secours de la Prusse ; d’autres insurrections avaient troublé la Westphalie ; le Palatinat était en pleine révolte et les Badois venaient de chasser leur grand-duc et de nommer un gouvernement provisoire. Et pourtant la victoire définitive des princes, que j’avais présagée un mois auparavant, quand je traversais l’Allemagne, n’était plus douteuse ; ces violences mêmes la précipitaient. Les grandes monarchies avaient reconquis leurs capitales et leurs armées. Leurs chefs avaient encore des difficultés à vaincre, mais plus de périls ; et maîtres chez eux, ou sur le point de l’être, ils ne pouvaient manquer de le devenir bientôt dans les États secondaires. En troublant ainsi violemment l’ordre public, on leur donnait le désir, l’occasion et le droit d’intervenir.

La Prusse avait déjà commencé à le faire ; les Prussiens venaient de réprimer, les armes à la main, l’insurrection de la Saxe : ils entraient dans le Palatinat du Rhin, offraient leur intervention au Wurtemberg et allaient envahir le grand-duché de Bade, occupant ainsi par leurs soldats ou leur influence presque toute l’Allemagne.

L’Autriche était sortie de la crise terrible qui avait menacé son existence, mais elle était encore en grand travail. Ses armées victorieuses en Italie étaient battues en Hongrie.

Désespérant de venir seule à bout de ses sujets, elle avait appelé la Russie à son aide et le tsar, par un manifeste du 13 mai, venait d’annoncer à l’Europe qu’il marchait contre les Hongrois. L’empereur Nicolas était jusque-là resté tranquille dans sa puissance incontestée. Il avait vu de loin avec sécurité, mais non avec indifférence, les agitations des peuples. Seul désormais parmi les grands gouvernements, il représentait la vieille société et l’ancien principe traditionnel de l’autorité en Europe. Il n’en était pas seulement le représentant, il s’en considérait comme le champion. Ses théories politiques, ses croyances religieuses, son ambition et sa conscience le poussaient également à prendre ce rôle. Il s’était donc fait de la cause de l’autorité dans le monde, comme un second empire plus vaste encore que le premier, encourageant par ses lettres et récompensant par des honneurs tous ceux qui, dans un coin quelconque de l’Europe, remportaient des victoires sur l’anarchie et même sur la liberté, comme s’ils avaient été ses sujets et eussent contribué à affermir son propre pouvoir. C’est ainsi qu’il venait d’envoyer vers l’extrémité méridionale de l’Europe un de ses ordres à Filangieri, vainqueur des Siciliens, et qu’il lui écrivait une lettre autographe pour lui témoigner qu’il était satisfait de la conduite que ce général avait tenue. De la région supérieure qu’il occupait, et d’où il considérait en paix les divers incidents de la lutte qui agitait l’Europe, l’empereur jugeait librement et suivait avec un certain dédain tranquille non seulement les folies des révolutionnaires qu’il poursuivait, mais encore les vices et les fautes des partis et des princes auxquels il venait en aide ; il s’exprimait à ce sujet simplement, suivant l’occasion, sans s’empresser de produire sa pensée ni se soucier de la cacher.

« Le tsar m’a dit ce matin, m’écrivait le 11 août 1849 Lamoricière dans une dépêche secrète : « Vous croyez, général, que vos partis dynastiques seraient capables de s’unir aux radicaux pour renverser une dynastie qui leur déplairait, dans l’espoir de faire arriver la leur à la place ; et moi j’en suis sûr. Votre parti légitimiste surtout n’y manquerait pas. Il y a longtemps que je pense que ce sont les légitimistes qui rendent la branche aînée de Bourbon impossible. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai reconnu la république, et aussi parce que je trouve qu’il y a dans votre nation un certain bon sens qui manque aux Allemands. » Plus loin, l’empereur m’a dit aussi : « Le roi de Prusse, mon beau-frère, avec lequel j’étais étroitement lié d’amitié, n’a tenu aucun compte de mes conseils. Nos relations politiques s’en sont singulièrement refroidies, à ce point qu’elles ont réagi même sur mes relations de famille. Voyez quelle a été sa conduite : ne s’est-il pas mis à la tête de ces fous qui rêvent l’unité de l’Allemagne ! à présent qu’il a rompu avec le parlement de Francfort, ne vient-il pas de s’engager à combattre besoin, lui-même, les troupes des duchés de Schleswig et Holstein qui s’étaient organisées sous son patronage ! Est-il possible d’imaginer rien de plus honteux ? Et maintenant, qui sait où il va avec ses projets de constitution ? » Il a ajouté : « Ne croyez pas que parce que j’interviens en Hongrie, je veuille justifier la conduite de l’Autriche dans cette affaire. Elle a accumulé les unes sur les autres les fautes les plus graves, les folies les plus grandes, mais, en fin de compte, elle avait laissé envahir le pays par des doctrines subversives ; le gouvernement y était tombé aux mains des hommes de désordre. Cela ne se pouvait souffrir. » Parlant des affaires d’Italie : « Nous autres gens, dit-il, nous ne concevons rien à ces fonctions temporelles remplies à Rome par des ecclésiastiques, mais peu nous importe la manière dont ces calotins s’arrangent, pourvu qu’on fasse là quelque chose qui tienne et que vous y constituiez le pouvoir de manière qu’il puisse se maintenir. » Et comme Lamoricière, blessé de ce ton léger qui sentait un peu l’autocrate et laissait voir une sorte de rivalité de pape à pape, défendait les institutions du catholicisme : « C’est bien, c’est bien ! disait l’empereur en finissant, que la France soit catholique tant qu’elle voudra, mais qu’elle se défende des théories et des passions insensées des novateurs. »

Austère et dur dans l’exercice de sa puissance, le tsar était simple et presque bourgeois dans ses mœurs, ne gardant du souverain pouvoir que la substance et en repoussant la pompe et la gêne. « L’empereur est ici, m’écrivait l’envoyé français à Saint-Pétersbourg le 17 juillet ; il y est arrivé de Varsovie sans aucune suite et sur une charrette de poste (sa voiture s’étant cassée à soixante lieues d’ici), afin d’assister à la fête de l’impératrice qui vient d’avoir lieu. Il a fait le voyage en deux jours et demi avec une vitesse extraordinaire, et repart demain (21). On est touché ici de ce contraste de simplicité et de puissance, à la vue de ce souverain, qui, après avoir lancé cent vingt mille hommes sur un champ de bataille, parcourt les routes comme un feld-jäger, pour ne pas manquer la fête de sa femme. Rien n’est plus conforme à l’esprit des Slaves chez lesquels on peut dire que le principal élément de la civilisation est l’esprit de famille. »

On aurait bien tort, en effet, de croire que l’immense pouvoir du tsar ne fût basé que sur la force. Il était surtout fondé sur les volontés et les ardentes sympathies des Russes. Car le principe de la souveraineté du peuple réside au fond de tous les gouvernements, quoi qu’on en dise, et se cache sous les institutions les moins libres. La noblesse russe avait adopté les principes et surtout les vices de l’Europe ; mais le peuple était sans contact avec notre Occident et l’esprit nouveau qui l’anime. Il voyait dans l’empereur non seulement le prince légitime, mais l’envoyé de Dieu et presque Dieu même.

Au milieu de cette Europe, que je viens de peindre, la situation de la France était embarrassée et faible. Nulle part la révolution n’avait réussi à fonder une liberté régulière et stable. Partout les anciens pouvoirs étaient en voie de se relever du milieu des ruines qu’elle avait faite, non pas, il est vrai, tels qu’ils étaient tombés, mais fort semblables. Nous ne pouvions aider ceux-ci à se raffermir, ni assurer leur victoire, car le régime qu’ils rétablissaient était antipathique, je ne dirai pas seulement aux institutions que la révolution de Février avait créées, mais au fond même de nos idées, à ce qu’il y a de plus permanent et de plus invincible dans nos nouvelles mœurs. De leur côté, ils se défiaient de nous et avec raison. Le grand rôle de restaurateurs de l’ordre général en Europe nous était donc interdit. Ce rôle d’ailleurs était déjà pris par un autre ; il appartenait de droit à la Russie, le second seul nous fût resté. Quant à placer la France à la tête des novateurs, il fallait encore moins y songer par deux raisons : la première, qu’il eût été absolument impossible de conseiller ceux-ci et de se flatter de les conduire à cause de leur extravagance et de leur détestable impéritie ; la seconde, qu’on ne pouvait les soutenir au dehors sans tomber sous leurs coups au dedans. Le contact de leurs passions et de leurs doctrines eût bientôt mis la France en feu, les questions de révolution dominant alors toutes les autres. Ainsi nous ne pouvions nous unir aux peuples qui nous accusaient de les avoir soulevés et trahis, ni aux princes qui nous reprochaient de les avoir ébranlés. Nous en étions réduits au bon vouloir stérile des Anglais ; c’était le même isolement qu’avant Février avec le continent plus ennemi et l’Angleterre plus tiède. Il fallait donc, comme alors, se réduire à vivre petitement, au jour le jour ; mais cela même était difficile. La nation française, qui avait fait et qui faisait encore à certains égards une si grande figure dans le monde, regimbait contre cette nécessité du temps ; elle était restée superbe en cessant d’être prépondérante, elle craignait d’agir et voulait parler haut et demandait aussi à son gouvernement d’être fier, sans pourtant lui permettre les hasards d’un pareil rôle.

Jamais les regards n’avaient été attachés avec plus d’anxiété sur la France qu’au moment où le cabinet venait de se former. La victoire si facile et si complète que nous remportâmes le 13 juin dans Paris, eut des contre-coups extraordinaires dans toute l’Europe. On était généralement dans l’attente d’une nouvelle insurrection en France. Les révolutionnaires, à moitié détruits, ne comptaient plus que sur cet événement pour se rétablir, et ils redoublaient d’efforts afin d’être en état d’en profiter. Les gouvernements à demi vainqueurs, craignant d’être surpris par cette crise, s’arrêtaient avant de frapper leurs derniers coups. La journée du 13 juin fit pousser des cris de douleur et de joie d’un bout du continent à l’autre. Elle décida tout à coup la fortune, et la précipita du côté du Rhin.

L’armée prussienne, déjà maîtresse du Palatinat, pénétra aussitôt dans le Grand-Duché de Bade, dispersa les insurgés et occupa tout le pays à l’exception de Rastadt qui tint quelques semaines[1].

Les révolutionnaires du Grand-Duché de Bade se réfugièrent en Suisse. Il en venait alors dans ce même pays d’Italie, de France et, à vrai dire, de tous les coins de l’Europe, car toute l’Europe, moins la Russie, venait d’être ou était en révolution. Leur nombre s’éleva bientôt à dix ou douze mille. C’était une armée toujours prête à tomber sur les États voisins. Tous les cabinets s’émurent.

L’Autriche et surtout la Prusse, qui avaient déjà eu à se plaindre de la Confédération, la Russie même, que cela ne regardait guère, parlaient d’envahir à main armée le territoire helvétique, et d’y venir faire la police au nom de tous les gouvernements menacés. C’est ce que nous ne pouvions souffrir.

J’essayai d’abord de faire entendre raison aux Suisses et de leur persuader de ne point attendre qu’on les menaçât, mais de chasser eux-mêmes de leur territoire, comme le droit des gens les y obligeait, tous les principaux meneurs qui menaçaient ouvertement la tranquillité des peuples voisins. « Si vous allez ainsi au-devant de ce qu’on peut vous demander de juste, répétai-je sans cesse au représentant de la Confédération à Paris, comptez sur la France pour vous défendre contre toutes les prétentions, injustes ou exagérées des cours. Nous risquerons plutôt la guerre que de vous laisser opprimer ou humilier par elles. Mais si vous ne mettez pas la raison pour vous, ne comptez que sur vous-mêmes, et défendez-vous seuls contre toute l’Europe. » Ce langage avait peu d’effet, car rien n’égale l’orgueil et la présomption des Suisses. Il n’y a pas un de ces paysans qui ne croie fermement que son pays est en état de braver tous les princes et tous les peuples de la terre. Je m’y pris alors d’une autre façon, qui me réussit mieux. Ce fut de conseiller aux gouvernements étrangers, qui n’y étaient du reste que trop disposés, de n’accorder, pendant quelque temps, aucune amnistie à ceux de leurs sujets qui s’étaient réfugiés en Suisse, et de leur refuser à tous, quelle que fût leur culpabilité, la permission de revenir dans leur patrie. De notre côté nous fermâmes nos frontières à tous ceux qui, après s’être réfugiés en Suisse, voulaient traverser la France pour se rendre en Angleterre et en Amérique, à la foule des réfugiés inoffensifs aussi bien qu’aux meneurs. Toutes les issues étant ainsi bien closes, la Suisse resta encombrée de ces dix ou douze mille aventuriers, gens les plus remuants et les moins ordonnés qui fussent en Europe. Il fallut les nourrir, les héberger et même les solder afin qu’ils ne missent pas le pays à contribution. Cela éclaira tout à coup les Suisses sur les inconvénients du droit d’asile. Ils se fussent bien arrangés de conserver indéfiniment parmi eux les chefs illustres malgré le danger que ceux-ci faisaient courir aux voisins, mais l’armée révolutionnaire les incommodait fort. Les cantons les plus radicaux demandèrent les premiers à grands cris qu’on les débarrassât au plus vite de ces hôtes incommodes et coûteux. Et comme il était impossible d’obtenir des gouvernements étrangers d’ouvrir leur territoire à la foule des réfugiés inoffensifs qui pouvaient et voulaient quitter la Suisse, sans avoir préalablement chassé les chefs qui eussent trouvé bon d’y rester, on finit par expulser ceux-ci. Après avoir failli s’attirer toute l’Europe sur les bras plutôt que d’éloigner ces hommes de leur territoire, les Suisses les en chassèrent volontairement afin d’éviter une gêne momentanée et une médiocre dépense. Jamais on ne vit mieux le naturel des démocraties, lesquelles n’ont, le plus souvent, que des idées très confuses ou très erronées sur les affaires extérieures, et ne résolvent guère les questions du dehors que par des raisons du dedans.

Pendant que ces choses se passaient en Suisse, les affaires générales d’Allemagne changeaient d’aspect. À la lutte des peuples contre les gouvernements succédaient les querelles des princes entre eux. Je suivis d’un regard très attentif et d’un esprit perplexe cette phase nouvelle de la révolution.

La révolution en Allemagne n’aurait pas procédé d’une cause simple, comme dans le reste de l’Europe. Elle aurait été produite à la fois par l’esprit général du temps et par les idées unitaires, particulières aux Allemands. Aujourd’hui la démagogie était vaincue, mais la pensée de l’unité de l’Allemagne n’était pas détruite ; les besoins, les souvenirs, les passions qui l’avaient inspirée, subsistaient encore. Le roi de Prusse avait entrepris de se l’approprier et de s’en servir. Ce prince, homme d’esprit, mais de peu de sens, flottait depuis un an entre la peur que lui causait la révolution et l’envie qu’il avait d’en tirer parti. Il luttait autant qu’il le pouvait contre l’esprit libéral et démocratique du siècle ; mais il favorisait l’esprit unitaire de l’Allemagne, jeu de brouillon, dans lequel, s’il eût osé aller jusqu’au bout de ses désirs, il eût risqué sa couronne et sa vie. Car, pour briser les résistances que ne pouvaient manquer d’opposer à l’établissement d’un pouvoir central les institutions existantes et l’intérêt des princes, il eût fallu appeler à son aide les passions révolutionnaires des peuples, dont Frédéric-Guillaume n’aurait pu se servir sans être bientôt détruit lui-même par elles.

Tant que le parlement de Francfort conserva son prestige et son pouvoir, le roi de Prusse le ménagea et s’efforça de se faire mettre par lui à la tête du nouvel empire. Quand ce parlement fut tombé dans le discrédit et dans l’impuissance, le roi changea de conduite sans changer de dessein. Il essaya d’hériter de cette assemblée et de réaliser, pour combattre la révolution, la chimère de l’unité allemande, dont les démocrates s’étaient servis pour ébranler tous les trônes. À cet effet il invita tous les princes allemands à s’entendre avec lui pour former une confédération nouvelle et plus serrée que celle de 1815, et à lui en donner le gouvernement. À ce prix il se chargeait de les établir ou de les raffermir dans leurs États. Ces princes, qui détestaient la Prusse, mais qui tremblaient devant la révolution, acceptèrent pour la plupart le marché usuraire qu’on leur proposait. L’Autriche, qui se serait trouvée par le succès de cette entreprise chassée de l’Allemagne, protesta, ne pouvant encore mieux faire. Les deux monarchies principales du midi, la Bavière et le Wurtemberg, imitèrent son exemple, mais tout le nord et tout le centre de l’Allemagne entrèrent dans cette confédération éphémère, qui fut conclue le 26 mai 1849 et qui prend dans l’histoire le nom de l’union des trois rois.

La Prusse devint ainsi tout à coup dominante dans une vaste contrée, qui s’étendait depuis Memel jusqu’à Bâle, et vit un moment marcher sous ses ordres vingt-six ou vingt-sept millions d’Allemands. Tout ceci achevait de s’accomplir peu après mon arrivée aux affaires.

Je confesse qu’à la vue de ce singulier spectacle, d’étranges idées me traversèrent l’esprit et que je fus un moment tenté de croire que le président n’était pas aussi fou dans sa politique étrangère qu’il m’avait paru l’être d’abord. Cette union des grandes cours du Nord, qui avait si longtemps pesé sur nous, était brisée. Deux des grandes monarchies du continent, la Prusse et l’Autriche, étaient en querelle et presque en guerre. Le moment n’était-il pas venu pour nous de contracter une de ces alliances intimes et puissantes, qui depuis soixante ans nous manquaient, et peut-être de réparer en partie nos désastres de 1815 ? La France, en aidant froidement Guillaume dans ses entreprises, que l’Angleterre ne contrariait pas, pouvait partager l’Europe et susciter une de ces grandes crises qui amènent le remaniement des territoires.

Le temps semblait si bien se prêter à de telles idées, qu’elles remplissaient l’imagination de plusieurs des princes allemands eux-mêmes. Les plus puissants ne rêvaient que changements de frontières et accroissement de pouvoir aux dépens de leurs voisins. La maladie révolutionnaire des peuples semblait avoir gagné les gouvernements. — « Il n’y a pas de confédération possible avec trente-huit États, disait le ministre de Bavière, M. Von der Pfordten, à notre ambassadeur. Il est nécessaire d’en médiatiser un grand nombre. Comment, par exemple, espérer de jamais rétablir l’ordre dans un pays comme le Grand-Duché de Bade, à moins de le partager entre des souverains assez forts pour s’y faire obéir ? Le cas échéant, ajoutait-il, la vallée du Neckar nous reviendrait naturellement[2] »

Quant à moi, je ne tardai pas à rejeter de mon esprit, comme des chimères, toute pensée de cette espèce.

Je reconnus bientôt que la Prusse ne pouvait et ne voulait rien nous donner de considérable en retour de nos bons offices ; que son pouvoir sur les autres États germaniques était très précaire et serait éphémère ; qu’on ne devait faire aucun fondement sur son roi qui, au premier obstacle, nous eût manqué en se manquant à lui-même, et surtout que de si grands et si larges desseins ne convenaient pas à une société aussi mal assise, à des temps aussi troublés et aussi périlleux que les nôtres, ni à des pouvoirs passagers, comme celui qui se trouvait par hasard dans mes mains.

Une question plus sérieuse que je me posai fut celle-ci : je la rappelle ici parce qu’elle doit se représenter sans cesse : L’intérêt de la France est-il que le lien de la Confédération germanique se resserre ou se relâche ? En d’autres termes, devons-nous désirer que l’Allemagne devienne à certains égards une seule nation, ou reste une agrégation mal jointe de peuples et de princes désunis ? C’est une ancienne tradition de notre diplomatie qu’il faut tendre à ce que l’Allemagne reste divisée entre un grand nombre de puissances indépendantes ; et cela était évident, en effet, quand derrière l’Allemagne ne se trouvaient encore que la Pologne et une Russie à moitié barbare ; mais en est-il de même de nos jours ? La réponse qu’on fera à cette question dépend de la réponse qu’on fera à cette autre : quel est au vrai, de nos jours, le péril que fait courir la Russie à l’indépendance de l’Europe ? Quant à moi, qui pense que notre occident est menacé de tomber tôt ou tard sous le joug ou du moins sous l’influence directe et irrésistible des tsars, je juge que notre premier intérêt est de favoriser l’union de toutes les races germaniques, afin de l’opposer à ceux-ci. L’état du monde est nouveau ; il nous faut changer nos vieilles maximes et ne pas craindre de fortifier nos voisins pour qu’ils soient en état de repousser un jour avec nous l’ennemi commun.

L’empereur de Russie voit bien de son côté quel obstacle lui opposerait une Allemagne unitaire. Lamoricière dans une de ses lettres particulières me mandait qu’un jour l’empereur lui dit avec sa franchise et sa hauteur ordinaire : « Si l’unité de l’Allemagne, que vous ne désirez sans doute pas plus que moi, venait à se faire, il faudrait encore pour la manier un homme capable de ce que Napoléon lui-même n’a pu exécuter, et, si cet homme se rencontrait, si cette masse en armes devenait menaçante, ce serait notre affaire à vous et à moi. »

Mais quand je me posais ces questions, le temps n’était pas venu de les résoudre ni même de les débattre, car l’Allemagne retournait d’elle-même et irrésistiblement vers sa constitution ancienne et l’ancienne anarchie de ses pouvoirs. La tentative unitaire de l’assemblée de Francfort avait échoué. Celle du roi de Prusse allait avoir le même sort.

C’était la peur de la révolution qui seule avait poussé les princes allemands dans les bras de Frédéric-Guillaume ; à mesure que, grâce aux efforts des Prussiens, la révolution comprimée partout cessait de se faire craindre, les alliés (on pourrait presque dire les nouveaux sujets) de la Prusse aspiraient à ressaisir leur indépendance. L’entreprise du roi de Prusse était de cette espèce malheureuse où les succès mêmes nuisent au triomphe, et, si je voulais comparer les grandes choses aux moindres, je dirais que son histoire était un peu la nôtre, et, comme nous, il devait échouer lorsqu’il aurait rétabli l’ordre et parce qu’il l’aurait rétabli. Les princes, qui avaient adhéré à ce qu’on appelait l’hégémonie prussienne, ne tardèrent donc point à chercher une occasion d’y renoncer. L’Autriche la leur fournit, dès que, victorieuse des Hongrois, elle put reparaître sur le théâtre des affaires allemandes avec sa puissance matérielle et celle des souvenirs qui s’attachent à son nom. C’est ce qui arriva dans le courant de septembre 1849. Quand le roi de Prusse se revit en face de ce puissant rival, derrière lequel il apercevait la Russie, le cœur lui manqua tout à coup, comme je m’y étais attendu, et il rentra dans son ancien rôle. La constitution germanique de 1815 reprit son empire, la diète ses séances ; et bientôt de tout ce grand mouvement de 1848 il ne resta plus en Allemagne que deux traces visibles : une dépendance plus grande des petits États à l’égard des grandes monarchies, une atteinte irréparable portée à tout ce qui restait des institutions féodales ; leur ruine, consommée par les peuples, fut sanctionnée par les princes. D’un bout de l’Allemagne à l’autre la perpétuité des rentes foncières, les dîmes seigneuriales, les corvées, les droits de mutation, de chasse, de justice, qui constituaient une grande partie de la richesse des nobles restèrent abolis[3]. Les rois étaient restaurés, mais les aristocraties ne se relevèrent pas[4].

M’étant convaincu de bonne heure que nous n’avions aucun rôle à jouer dans cette crise intérieure de l’Allemagne, je ne m’appliquai qu’à vivre en bonne intelligence avec les différentes parties contondantes. J’entretins surtout des rapports d’amitié avec l’Autriche, dont le concours nous était nécessaire, ainsi que je le dirai plus loin, dans l’affaire de Rome. Je m’efforçai d’abord d’amener à bon terme les négociations depuis longtemps pendantes entre elle et le Piémont ; j’y mettais d’autant plus de soin que j’étais persuadé que tant qu’une paix solide ne serait pas établie de ce côté-là, l’Europe n’était point rassise et pouvait être rejetée à chaque instant dans de grands hasards.

Le Piémont négociait inutilement avec elle depuis la bataille de Novare. L’Autriche avait d’abord voulu imposer des conditions inacceptables. Le Piémont de son côté conservait des prétentions que n’autorisait plus sa fortune. Les négociations, plusieurs fois interrompues, venaient d’être reprises quand j’arrivai aux affaires. Nous avions plusieurs raisons très fortes de désirer que cette paix se fît sans retard. La guerre générale pouvait, à chaque instant, sortir de ce petit coin du continent. Le Piémont d’ailleurs était trop près de nous, pour que nous pussions souffrir qu’il perdît ni son indépendance qui le séparait de l’Autriche, ni les institutions constitutionnelles, nouvellement acquises, qui le rapprochaient de nous ; deux biens qui couraient pourtant les plus grands hasards, si l’on avait encore recours aux armes.

Je m’entremis donc très ardemment, au nom de la France, entre les deux parties, tenant à chacune d’elles le langage que je croyais le plus propre à convaincre.

À l’Autriche je faisais remarquer combien il était pressant d’assurer la paix générale de l’Europe par cette paix particulière, et je m’efforçais de lui montrer ce qu’il y avait d’excessif dans ses demandes.

Au Piémont, j’indiquais les points sur lesquels il me paraissait que l’honneur et l’intérêt lui permettaient de céder. Je m’attachais surtout à donner d’avance à son gouvernement des idées nettes et précises sur ce qu’il pouvait attendre de nous, afin qu’il ne lui fût pas permis de concevoir ou de feindre avoir conçu des illusions dangereuses[5]. Je n’entrerai pas dans le détail des conditions débattues, point sans intérêt aujourd’hui ; je me bornerai à dire qu’à la fin on parut prêt à s’entendre, et l’on ne différa plus guère que sur une question d’argent. On en était là, et l’Autriche nous faisait assurer par son ambassadeur à Paris de dispositions conciliantes ; je croyais déjà la paix faite, lorsque j’appris tout à coup que le plénipotentiaire autrichien changeant soudainement d’attitude et de langage, avait posé, le 19 juillet, dans les termes les plus durs un ultimatum très rigoureux et n’avait laissé que quatre jours pour y répondre. Au bout de ces quatre jours l’armistice devait être dénoncé et la guerre reprise. Déjà le maréchal Radetsky concentrait son armée et se préparait à entrer de nouveau en campagne. Ces nouvelles, contraires aux assurances pacifiques qui nous étaient données, me surprirent étrangement et m’indignèrent. Des demandes si exagérées, présentées avec des formes si hautaines et si violentes, semblaient annoncer que la paix n’était pas le seul but de l’Autriche, mais que c’était à l’indépendance du Piémont qu’on en voulait, et peut-être à ses institutions représentatives ; car tant que la liberté se montre dans un coin de l’Italie, l’Autriche se sent mal assise dans tout le reste.

Je pensai sur-le-champ qu’à aucun prix il ne fallait laisser opprimer un voisin si proche, livrer aux armées autrichiennes un territoire qui couvrait nos frontières, ni souffrir qu’on abolît la liberté politique dans le seul pays où, depuis 1848, elle se fût montrée modérée. Je trouvai de plus que le procédé de l’Autriche à notre égard indiquait soit l’intention de nous tromper, soit l’envie de prouver jusqu’où pouvait aller notre tolérance, ou, comme on dit communément, de nous tâter.

Je vis que c’était là une de ces circonstances extrêmes que j’avais envisagées d’avance où il convenait de risquer non seulement mon portefeuille, ce qui, il est vrai, n’était pas risquer grand’chose, mais le sort de la France. Je me rendis au Conseil ; j’exposai l’affaire.

Le président et tous mes collègues furent unanimes pour penser qu’il fallait agir. On expédia aussitôt par le télégraphe des ordres pour concentrer l’armée de Lyon au pied des Alpes, et, rentré chez moi, j’écrivis moi-même (car le style flasque de la diplomatie ne convenait pas à la circonstance) la lettre suivante[6] :

« Si le gouvernement autrichien persistait dans les exigences qu’indique votre dépêche télégraphique d’hier, si, sortant du cercle des discussions diplomatiques, il dénonçait l’armistice et entreprenait, comme il le dit, d’aller dicter la paix à Turin, le Piémont pourrait être assuré que nous ne l’abandonnerions pas. La situation ne serait plus la même que celle dans laquelle il s’était mis avant la bataille de Novare quand il reprenait spontanément les armes et recommençait la guerre malgré nos conseils. Ici, ce serait l’Autriche qui prendrait elle-même l’initiative sans y être provoquée ; la nature de ses exigences et la violence de ses procédés nous donneraient lieu de croire qu’elle n’agit point seulement en vue de la paix, mais qu’elle menace l’intégrité du territoire piémontais ou, tout au moins, l’indépendance du gouvernement sarde.

» Nous ne laisserons pas, à nos portes, accomplir de tels desseins. Si, dans ces conditions, le Piémont est attaqué, nous le défendrons. »

Je crus, de plus, devoir faire venir chez moi le représentant de l’Autriche (petit diplomate très semblable au renard par la mine et aussi par le naturel), et, persuadé que dans le parti que nous prenions l’emportement était prudence, je profitai de ce que les habitudes de la réserve diplomatique devaient m’être encore peu familières pour lui exprimer notre surprise et notre mécontentement en termes si rudes qu’il m’avoua depuis que jamais il n’avait été si mal reçu de sa vie.

Avant que la dépêche dont je viens de citer quelques mots fût parvenue à Turin, l’accord entre les deux puissances avait eu lieu. On s’était entendu sur la question d’argent, qui fut réglée à peu près dans les termes qui avaient été indiqués antérieurement par nous.

Le gouvernement autrichien n’avait voulu que précipiter les négociations en faisant peur ; il se montra très facile sur les conditions.

Le prince de Schwarzemberg me fit donner toutes sortes d’explications et d’excuses, et la paix fut définitivement signée le 6 août ; paix inespérée pour le Piémont après tant de fautes et de malheurs, puisqu’elle lui assura plus d’avantages qu’il n’avait osé d’abord en réclamer.

Cette affaire mit très en relief les habitudes de la diplomatie anglaise, et, en particulier, celle de lord Palmerston qui la dirigeait ; le trait mérite d’être cité. Depuis le commencement de la négociation, le gouvernement anglais n’avait cessé de montrer beaucoup d’animosité contre l’Autriche et d’encourager hautement les Piémontais à ne point se soumettre aux conditions que celle-ci leur voulait imposer ; ce qui l’avait fait bien venir à Turin. Mon premier soin, après avoir pris les résolutions que je viens d’indiquer, fut de les faire connaître à l’Angleterre et de chercher à l’engager dans la même voie. J’envoyai donc à Drouyn de Lhuys, qui était alors ambassadeur à Londres, copie de ma dépêche, et je lui enjoignis d’en donner lecture à lord Palmerston et de savoir quelles étaient les intentions de ce ministre. — « Pendant que j’instruisais lord Palmerston de vos résolutions et de vos instructions que vous aviez transmises à M. de Boislecomte, me répondit Drouyn de Lhuys[7] » il m’écoutait avec les signes les plus vifs d’assentiment, mais quand je lui dis : « Vous voyez, mylord, jusqu’où nous voulons aller ; pouvez-vous m’apprendre jusqu’où vous irez vous-même ? » lord Palmerston me répondit sur-le-champ : « Le gouvernement britannique, dont l’intérêt dans cette affaire n’est pas égal au vôtre, ne prêtera au gouvernement piémontais qu’une assistance diplomatique et un appui moral. » N’est-ce point caractéristique ?

L’Angleterre, à l’abri de la maladie révolutionnaire des peuples par la sagesse de ses lois et la force de ses anciennes mœurs, de la colère des princes par sa puissance et son isolement au milieu de nous, joue volontiers, dans les affaires intérieures du continent, le rôle d’avocat de la liberté et de la justice. Elle aime à censurer et même à insulter les forts, à justifier et à encourager les faibles, mais il semble qu’il ne s’agisse pour elle que de prendre un bon air et de discuter une théorie honnête. Ses protégés viennent-ils à avoir besoin d’elle, elle offre son appui moral.

J’ajoute, pour terminer sur ce chapitre, que cela lui réussit fort bien. Les Piémontais restèrent convaincus que l’Angleterre les avait seule défendus, et que nous les avions presque abandonnés. Elle demeura fort populaire à Turin, et la France fort suspectée. Car les nations sont comme les hommes, elles aiment encore mieux ce qui flatte leurs passions que ce qui sert leurs intérêts.

À peine sortis de ce mauvais pas, nous tombâmes dans un pire. Nous avions vu avec regret et avec crainte ce qui se passait en Hongrie. Les malheurs de ce peuple infortuné excitaient nos sympathies. L’intervention des Russes, qui subordonnait pour un temps l’Autriche au tsar et faisait pénétrer de plus en plus la main de celui-ci dans le maniement des affaires générales de l’Europe, ne pouvait nous plaire. Mais tous ces événements se passaient hors de notre portée, et nous n’y pouvions rien. « Je n’ai pas besoin de vous dire, écrivais-je dans les instructions données à Lamoricière, avec quel vif et douloureux intérêt nous suivons les événements de Hongrie. Malheureusement, dans cette question, notre rôle ne peut, quant à présent, qu’être passif. La lettre et l’esprit des traités ne nous ouvrent aucun droit d’intervention. D’ailleurs, l’éloignement où nous nous trouvons du théâtre de la guerre imposerait seul, dans l’état actuel de nos affaires et de celles de l’Europe, une certaine réserve. Ne pouvant parler et agir avec efficacité, il est de notre propre dignité de ne point montrer, à l’égard de cette question, une agitation stérile et un bon vouloir impuissant. Notre devoir, quant aux événements de Hongrie, doit donc se borner à bien observer ce qui se passe et à rechercher ce qui va avoir lieu. »

On sait qu’accablés sous le nombre, les Hongrois furent vaincus ou se rendirent, et que leurs principaux chefs, ainsi qu’un certain nombre de généraux polonais qui s’étaient associés à leur cause passèrent le Danube, vers la fin du mois d’août, et vinrent à Widdin se jeter dans les bras des Turcs. De là, les deux principaux d’entre eux, Dembiski et Kossuth, écrivirent à notre ambassadeur à Constantinople[8]. Les habitudes et l’esprit particulier de ces deux hommes se révélaient dans leurs lettres. Celle de l’homme de guerre était courte et simple ; celle de l’avocat et de l’orateur était longue et ornée. Je me rappelle, entre autres, une de ses phrases, où il disait : « J’ai choisi comme un bon chrétien l’inexprimable douleur de l’exil au lieu de la tranquillité de la mort. » Toutes deux finissaient par réclamer la protection de la France.

Pendant que les proscrits imploraient notre appui, les ambassadeurs d’Autriche et de Russie se présentaient devant le Divan pour demander qu’on les leur livrât. L’Autriche fondait sa demande sur le traité de Belgrade, qui n’établissait nullement son droit ; et la Russie la sienne sur le traité de Kaïnardji (10 juillet 1774), dont le sens était au moins fort obscur. Mais au fond ce n’était pas à un droit international qu’on en appelait, mais à un droit mieux connu et plus pratiqué, celui du plus fort. Il y parut bien par les actes et le langage. Les deux ambassades firent entendre, dès le premier jour, qu’il s’agissait d’une question de paix ou de guerre. Sans consentir à discuter, ils exigeaient une réponse par oui ou par non, déclarant que si cette réponse était négative, ils cesseraient aussitôt toute relation diplomatique avec la Turquie.

À ces violences les ministres turcs répondaient avec douceur que la Turquie était un pays neutre ; que le droit des gens leur défendait de livrer les proscrits qui s’étaient réfugiés sur leur territoire ; que souvent les Autrichiens et les Russes leur avaient opposé le même droit lorsque des Musulmans rebelles étaient venus chercher un asile en Hongrie, en Transylvanie et en Bessarabie. Ils représentaient modestement que ce qui était permis sur la rive gauche du Danube, semblait devoir l’être sur la rive droite. Ils assuraient enfin que ce qu’on leur demandait, était contraire à leur honneur et à leur religion, qu’ils se chargeraient volontiers d’interner les réfugiés et de les mettre dans des lieux où ils ne pourraient nuire, mais qu’ils ne pouvaient consentir à les livrer au bourreau.

Le jeune sultan, me mandait notre ambassadeur, à répondu hier à l’envoyé d’Autriche, que tout en désavouant ce qu’avaient fait les rebelles hongrois, il ne pouvait plus voir en eux que des malheureux cherchant à échapper à la mort, et que l’humanité lui défendait de les livrer. De son côté, le grand vizir Rechid-Pacha, ajoutait notre ministre, m’a dit : « Si je perds le pouvoir pour ceci, j’en serai fier », et il ajoutait d’un air pénétré : « Dans notre religion tout homme qui demande merci doit l’obtenir. » C’était parler comme des gens civilisés et des chrétiens. Les ambassadeurs se bornèrent à répondre en vrais Turcs, qu’il fallait livrer les fugitifs, ou subir les conséquences d’une rupture, qui irait probablement jusqu’à la guerre.

La population musulmane, elle-même, était émue ; elle approuvait et soutenait son gouvernement ; et le muphti vint remercier notre ambassadeur de l’appui qu’il prêtait à la cause de l’humanité et du bon droit.

Dès l’origine du débat le Divan s’était adressé aux ambassadeurs de France et d’Angleterre. Il en avait appelé à l’opinion publique des deux grands pays qu’ils représentaient, demandé leur conseil et réclamé leur secours, dans le cas où les puissances du nord exécuteraient leurs menaces. Les ambassadeurs avaient répondu sur-le-champ qu’à leur avis l’Autriche et la Russie dépassaient leur droit ; et ils avaient encouragé le gouvernement turc dans sa résistance.

Sur ces entrefaites parut à Constantinople un aide de camp du tsar ; il apportait une lettre que ce prince s’était donné la peine d’écrire de sa main au sultan, pour réclamer l’extradition des Polonais qui avaient servi pendant la guerre de Hongrie, six mois avant, contre l’armée russe. Cette démarche paraîtra bien étrange si l’on ne pénètre les raisons particulières qui firent agir le tsar en cette circonstance. Ce passage d’une lettre de Lamoricière les indique avec beaucoup de sagacité, et montre à quel point l’opinion publique est redoutée dans cette extrémité de l’Europe, où elle semble n’avoir ni organe ni pouvoir.

« La guerre de Hongrie, vous le savez, m’écrivait-il[9], faite pour soutenir l’Autriche que l’on hait comme peuple et que l’on n’estime pas comme gouvernement, était très impopulaire ; elle n’a rien rapporté, elle a coûté quatre-vingt-quatre millions de francs. Les Russes espéraient, pour prix des sacrifices de la campagne, ramener Bem, Dembiski et les autres Polonais prisonniers en Pologne. Il y a dans l’armée surtout une véritable rage contre ces hommes. Le désir de cette satisfaction d’amour-propre national, quelque peu sauvage, était exalté chez les soldats et le peuple. L’empereur, malgré sa toute-puissance, est obligé de tenir grand compte de l’esprit des masses sur lequel il s’appuie, et qui fait sa véritable force. Ce n’est pas ici simplement une question d’amour-propre individuel : le sentiment national du pays et de l’armée est en jeu. »

Ce furent, sans nul doute, ces considérations qui portèrent le tsar à la démarche hasardée dont je viens de parler. Le prince Radziwill présenta sa lettre et n’obtint rien. Il partit aussitôt, en refusant avec hauteur une nouvelle audience, qu’on lui offrait pour prendre congé ; et les ambassadeurs de Russie et d’Autriche déclarèrent officiellement que tous rapports diplomatiques avaient cessé entre leurs maîtres et le Divan.

Celui-ci agit, en cette circonstance critique, avec une fermeté et une tenue, qui eussent fait honneur aux cabinets les plus expérimentés de l’Europe. En même temps que le sultan refusait de se rendre aux demandes, ou plutôt aux ordres des deux empereurs, il écrivait au tsar pour lui dire qu’il ne voulait pas discuter avec lui la question de droit, que soulevait l’interprétation des traités, mais qu’il s’adressait à son amitié et s’en rapportait à son honneur, le priant de trouver bon que le gouvernement turc ne prît pas une mesure qui le perdrait dans l’estime du monde. Il offrait, du reste, de nouveau, de mettre lui-même les réfugiés hors d’état de nuire. Abdul-Medjid chargea l’un des hommes les plus sages et les plus habiles qui fussent dans son empire, Fuad-Effendi, d’apporter cette lettre à Saint-Pétersbourg. Une lettre analogue fut écrite à Vienne, mais celle-ci dut être remise à l’empereur d’Autriche par l’envoyé turc qui résidait dans cette cour, ce qui marquait par une nuance très visible, le prix différent qu’on attachait à l’assentiment des deux princes. Ces nouvelles me parvinrent vers la fin de septembre. Mon premier soin fut de les faire parvenir en Angleterre. J’écrivis en même temps[10] à notre ambassadeur une lettre particulière où je lui disais :

« La conduite que va tenir l’Angleterre, plus intéressée que nous dans cette affaire et moins exposée dans le conflit qui en peut sortir, doit avoir une grande influence sur la nôtre. Il faut que le cabinet anglais dise clairement et catégoriquement jusqu’où il entend aller. Je n’ai point oublié l’affaire du Piémont. Si l’on veut de nous, qu’on mette les points sur les i. Il est possible qu’alors on nous trouve très résolus ; sinon, non. Il est bien important aussi que vous vous assuriez des dispositions dans lesquelles ces événements trouveraient les tories de différentes nuances ; car, dans un gouvernement parlementaire, par conséquent mobile, l’appui du parti dominant n’est pas toujours une suffisante garantie. »

Malgré la gravité des circonstances, les ministres anglais, alors dispersés à cause des vacances du parlement, furent assez longs à se réunir, car, en ce pays, le seul dans le monde où l’aristocratie gouverne encore, la plupart des ministres sont en même temps de grands propriétaires et, d’ordinaire, de grands seigneurs. Ils se délassaient, en ce moment, dans leurs terres des fatigues et des ennuis des affaires ; ils ne se pressèrent pas de les quitter. Pendant cet intervalle, toute la presse anglaise, sans distinction de parti, prit feu. Elle s’emporta contre les deux empereurs et enflamma l’opinion publique en faveur de la Turquie. Le gouvernement anglais, ainsi chauffé, prit aussitôt son parti. Cette fois il n’hésitait point, car il s’agissait, comme il le disait lui-même, non seulement du sultan, mais de l’influence de l’Angleterre dans le monde[11]. Il décida donc : 1o qu’on ferait des représentations à la Russie et à l’Autriche ; 2o que l’escadre anglaise de la Méditerranée se rendrait devant les Dardanelles, pour donner confiance au sultan et défendre, au besoin, Constantinople. On nous invita à faire de même et à agir en commun. Le soir même, l’ordre de faire marcher la flotte anglaise fut expédié.

La nouvelle de ces résolutions décisives me jeta dans une grande perplexité ; je n’hésitais pas à penser qu’il fallait approuver la conduite généreuse qu’avait tenue notre ambassadeur et venir en aide au sultan[12], mais quant à l’attitude belliqueuse, je ne pensais pas qu’il fût encore sage de la prendre. Les Anglais nous conviaient à agir comme eux ; mais notre position ne ressemblait guère à la leur. En défendant les armes à la main la Turquie, l’Angleterre risquait sa flotte et nous notre existence. Les ministres anglais pouvaient compter qu’en cette extrémité le parlement et la nation les soutiendraient, nous étions à peu près sûrs d’être abandonnés par l’Assemblée et même par le pays, si les choses en venaient jusqu’à la guerre. Car les misères et les périls du dedans rendaient en ce moment les esprits insensibles à tout le reste. J’étais convaincu, de plus, qu’ici, la menace, au lieu de servir à l’accomplissement de nos desseins, était de nature à lui nuire. Si la Russie, car c’était d’elle seule au fond qu’il s’agissait, voulait par hasard ouvrir la question du partage de l’Orient par l’envahissement de la Turquie, ce que j’avais peine à croire, l’envoi de nos flottes n’empêcherait pas cette crise : et s’il ne s’agissait réellement, comme cela était vraisemblable, que de se venger des Polonais, il l’aggravait, en rendant la retraite du tsar difficile et en mettant sa vanité au secours de son ressentiment. J’allai dans ces dispositions au Conseil. Je m’aperçus sur-le-champ que le président était déjà décidé et même engagé, comme il nous le déclara lui-même. Cette résolution lui avait été inspirée par l’ambassadeur anglais, lord Normanby, diplomate à la manière du xviiie siècle, lequel s’était fort établi dans les bonnes grâces de Louis Napoléon… La plupart de mes collègues pensèrent comme lui, qu’il fallait entrer sans hésitations dans l’action commune à laquelle nous conviaient les Anglais, et envoyer comme eux notre flotte aux Dardanelles.

N’ayant pu faire ajourner une mesure que je trouvais prématurée, je demandai du moins qu’avant de l’exécuter on consultât Falloux que l’état de sa santé avait forcé de quitter momentanément Paris et de se retirer à la campagne. Lanjuinais se rendit à cet effet près de lui, lui exposa l’affaire, et revint nous exposer que Falloux avait été, sans hésitation, d’avis de faire partir la flotte. L’ordre fut expédié sur-le-champ. Cependant Falloux avait agi sans consulter les chefs de la majorité et ses amis, et même sans se bien rendre compte des suites de l’acte ; il avait cédé à un mouvement irréfléchi, ce qui lui arrivait quelquefois ; car la nature l’avait fait léger et étourdi, avant que l’éducation et l’habitude l’eussent rendu calculé jusqu’à la duplicité. Il est probable qu’après avoir parlé à Lanjuinais, il reçut des conseils ou fit de lui-même des réflexions, contraires à l’avis qu’il avait exprimé. Il m’écrivit donc une lettre fort longue et très embrouillée[13] dans laquelle il prétendait n’avoir pas bien compris Lanjuinais (ce qui n’était pas possible, Lanjuinais étant le plus clair et le plus net de tous les hommes dans ses paroles comme dans ses actes.) Il revenait sur son opinion et cherchait à couvrir sa responsabilité ; je répondis aussitôt par ce billet :

« Cher collègue, la résolution du Conseil est prise et, à l’heure qu’il est, il n’y a plus rien à faire qu’à attendre les événements ; du reste, en cette matière, la responsabilité de tout le Conseil est une. Il n’y en a pas d’individuelle. Je n’étais pas d’avis de la mesure, mais la mesure prise, je suis prêt à la défendre envers et contre tous[14]. »

Tout en donnant une leçon à Falloux, je n’en étais pas moins inquiet et fort embarrassé de mon rôle. Je ne me troublais guère de ce qui allait se passer à Vienne, car je n’assignais dans cette affaire à l’Autriche d’autre position que celle de satellite. Mais qu’allait faire le tsar, qui s’était engagé si inconsidérément et en apparence si irrévocablement vis-à-vis du sultan, et dont l’orgueil était mis à une si rude épreuve par nos menaces ? Heureusement, j’avais alors à Saint-Pétersbourg et à Vienne deux agents habiles, avec lesquels je pouvais m’expliquer à cœur ouvert. « Engagez l’affaire très doucement, leur mandai-je[15], gardez de mettre contre nous l’amour-propre de nos adversaires, évitez une trop grande et trop ostensible intimité avec les ambassadeurs anglais, dont le gouvernement est abhorré dans les cours où vous êtes, tout en conservant pourtant avec ces ambassadeurs de bons rapports. Pour arriver au succès, prenez le ton de l’amitié, et ne cherchez pas à faire peur. Montrez notre situation au vrai ; nous ne voulons pas la guerre ; nous la détestons ; nous la craignons ; mais nous ne pouvons nous déshonorer. Nous ne pouvons conseiller à la Porte, qui nous demande avis, de faire une lâcheté ; et, lorsque le courage qu’elle a montré et que nous avons approuvé lui attirera des périls, nous ne pouvons, non plus, lui refuser une aide qu’elle réclame. Il faut donc qu’on nous prépare un moyen de sortir d’affaire. La peau de Kossuth vaut-elle la guerre générale ? Est-ce l’intérêt des puissances que la question d’Orient s’ouvre en ce moment et de cette façon ? Ne peut-on trouver un biais qui ménage l’honneur de tout le monde ? Que veut-on enfin ? Ne veut-on que se faire livrer quelques pauvres diables ? Cela ne mérite pas assurément de si grandes querelles ; mais si c’était un prétexte, si au fond de cette affaire se trouvait l’envie de porter, en effet, la main sur l’empire ottoman, ce serait alors décidément la guerre générale qu’on voudrait ; car, tout ultra-pacifiques que nous sommes, nous ne laisserions jamais tomber Constantinople sans tirer l’épée. »

L’affaire était heureusement terminée quand ces instructions arrivèrent à Saint-Pétersbourg. Lamoricière s’y était conformé sans les connaître. Il avait agi, dans cette circonstance, avec une prudence et une mesure qui surprirent ceux qui ne le connaissaient pas, mais qui ne m’étonnèrent point. Je savais que son tempérament était impétueux, mais que son esprit formé à l’école de la diplomatie arabe, la plus savante de toutes les diplomaties, était circonspect et fin jusqu’à l’artifice.

Lamoricière, dès que le bruit de la querelle lui fut arrivé par la voie directe de la Russie, se hâta d’exprimer très vivement, quoique sur un ton amical, qu’il blâmait ce qui venait de se passer à Constantinople ; mais il se garda de faire des représentations officielles et surtout menaçantes. Tout en se concertant avec l’ambassadeur d’Angleterre, il évita soigneusement de se compromettre avec lui dans des démarches communes ; et quand Fuad-Effendi, chargé de la lettre d’Abdul-Medjid, arriva, il lui fit dire secrètement qu’il n’irait pas le voir, afin de ne pas compromettre le succès de la négociation, mais que la Turquie pouvait compter sur la France.

Il fut merveilleusement aidé par cet envoyé du Grand Seigneur, qui, sous sa peau de Turc, cachait une intelligence très prompte et très déliée. Quoique le sultan eût réclamé l’appui de la France et de l’Angleterre, Fuad en arrivant à Saint-Pétersbourg, ne voulut pas même rendre visite aux représentants de ces deux puissances. Il refusa de voir personne avant d’avoir parlé au tsar de la volonté libre duquel il attendait seulement, disait-il, le succès de sa mission.

Celui-ci dut éprouver un amer déplaisir en voyant le peu de succès qu’avaient eu ses menaces et le tour imprévu que prenaient les choses, mais il eut la force de se contenir. Au fond, il ne voulait pas ouvrir la question d’Orient, bien que, peu de temps auparavant, il se fût laissé aller à dire : « L’empire ottoman est mort ; il ne reste plus qu’à régler l’ordre de ses funérailles. »

Faire la guerre pour forcer le sultan à violer le droit des gens était bien difficile. Il eût été aidé en cela par les passions sauvages de son peuple, mais repoussé par l’opinion de tout le monde civilisé. Il savait déjà ce qui se passait en Angleterre et en France. Il résolut de céder avant qu’on le menaçât. Le grand empereur recula donc, à la profonde surprise de ses sujets et même des étrangers. Il reçut Fuad et se désista de la demande qu’il avait faite au sultan. L’Autriche se hâta de suivre son exemple. Quand la note de lord Palmerston arriva à Saint-Pétersbourg, tout était fini. Le mieux eût été de ne plus rien dire, mais tandis que dans cette affaire nous n’avions visé qu’au succès, le cabinet anglais avait, de plus, cherché le bruit. Il en avait besoin pour répondre à l’irritation du pays. L’ambassadeur anglais lord Bloomfield, le lendemain même que la résolution de l’empereur eût été connue, se présenta donc chez le comte de Nesselrode, qui le reçut fort sèchement[16], et il lui lut la note, par laquelle lord Palmerston demandait d’une façon polie, mais péremptoire, qu’on ne forçât pas le sultan à rendre les réfugiés. — Le Russe répliqua qu’il ne concevait ni le but ni l’objet de cette demande ; que l’affaire dont, sans doute, on voulait parler était arrangée, et que, d’ailleurs, l’Angleterre n’avait rien à y voir. Lord Bloomfield demanda où en étaient les choses. Le comte de Nesselrode refusa avec hauteur de lui donner aucune explication ; parce que ce serait, dit-il, reconnaître le droit de l’Angleterre de s’immiscer dans une affaire qui ne la regarde point. Et comme l’ambassadeur anglais insistait pour laisser du moins copie de la note dans les mains du comte de Nesselrode, celui-ci après s’y être d’abord refusé, reçut enfin la pièce de mauvaise grâce et le congédia en disant nonchalamment, qu’il allait répondre à cette note, qu’elle était terriblement longue et que ce serait fort ennuyeux. « La France, ajouta le chancelier, m’a déjà fait dire les mêmes choses ; mais elle les a fait dire plus tôt et mieux. »

Au moment où nous apprenions la fin de cette dangereuse querelle, le cabinet, après avoir ainsi vu se terminer heureusement les deux grandes affaires extérieures, qui tenaient encore en suspens la paix du monde, la guerre du Piémont et celle de Hongrie, le cabinet allait tomber.


  1. Rien de plus misérable que la conduite de ces révolutionnaires. Les soldats, qui au commencement de l’insurrection, avaient chassé ou tué leurs officiers, lâchaient pied devant les Prussiens. Les meneurs ne surent que se disputer et se diffamer au lieu de se défendre, et se réfugièrent en Suisse après avoir pillé les caisses publiques et rançonné leur propre pays.

    Tant que dura la lutte, nous tînmes très fortement la main à ce que les insurgés ne reçussent aucun secours de la France. Ceux d’entre eux qui, en très grand nombre, passèrent le Rhin, reçurent de nous l’asile, mais furent désarmés et internés. Les vainqueurs, comme il était facile de le prévoir, abusèrent aussitôt de la victoire. Beaucoup de prisonniers furent mis à mort, toutes les libertés furent suspendues indéfiniment, le gouvernement même qu’on venait de restaurer fut tenu très étroitement en tutelle. Je m’aperçus bientôt que le représentant de la France dans le Grand-Duché de Bade non seulement ne cherchait pas à modérer ces violences, mais trouvait très bon qu’on s’y livrât. Je lui écrivis aussitôt : « Monsieur, il me revient que beaucoup d’exécutions militaires ont eu lieu, et que beaucoup d’autres sont annoncées. Je ne comprends pas que ces faits n’aient pas été signalés par vous, et que vous n’ayez pas cherché à y mettre obstacle, sans même attendre notre direction. Nous avons contribué autant que nous pouvions le faire sans entrer dans la lutte, à la répression de l’insurrection ; raison de plus pour désirer que la victoire à laquelle nous avons aidé ne soit pas souillée par des actes de violence, que la France réprouve et que nous jugeons tout à la fois odieux et impolitiques. Il y a un autre point qui nous préoccupe beaucoup et qui ne paraît pas exciter au même degré votre sollicitude. Je veux parler des institutions politiques du Grand-Duché. N’oubliez pas que le but du gouvernement de la République a été d’aider, dans ce pays, à la répression de l’anarchie, mais non à la destruction de la liberté : Nous ne pouvons en aucune manière prêter les mains à une restauration antilibérale. La royauté constitutionnelle avait besoin de créer ou de maintenir autour de la France des États libres. La république y est plus obligée encore. Le gouvernement demande donc à tous ses agents et exige impérieusement de chacun d’eux de se conformer fidèlement à ces nécessités de notre situation. Voyez le grand-duc et faites-lui bien comprendre quels sont les désirs de la France. Nous ne laisserons certainement jamais établir à côté de nous ni une province prussienne, ni un gouvernement absolu à la place d’une monarchie indépendante et constitutionnelle. »

    Au bout de peu de temps, les exécutions cessèrent. Le grand-duc protesta de son attachement aux formes constitutionnelles et de sa résolution de la maintenir. C’était, pour le moment, tout ce qu’il pouvait faire, car il ne régnait plus que de nom. Les Prussiens étaient les vrais maîtres.

  2. Dépêche du 7 septembre 1849.
  3. Lettre particulière de Baumont de Vienne, du 10 octobre 1849. — Dépêche de M. Lefèbre de Munich, 23 juillet 1849.
  4. J’avais prévu dès l’origine que l’Autriche et la Prusse rentreraient bientôt dans leur ancienne sphère et retomberaient l’une et l’autre sous l’influence de la Russie. Je retrouve ces prévisions dans les instructions que je donnai le 24 juillet, c’est-à-dire avant les événements que je viens de raconter, à l’un de nos ambassadeurs qui se rendait en Allemagne. Ces instructions sont rédigées par moi-même, comme toutes mes dépêches principales, j’y lis :

    « Je sais que la maladie qui travaille toutes les vieilles sociétés européennes est incurable, qu’en changeant de symptôme elle ne change pas de nature et que tous les anciens pouvoirs sont plus ou moins menacés d’être modifiés ou détruits. Mais je ne serais pas éloigné de croire que l’événement prochain soit le raffermissement de l’autorité dans toute l’Europe. Il ne serait pas impossible que sous la pression d’un instinct commun de défense et sous l’influence commune de faits récents, la Russie ne voulût et ne pût ramener l’accord entre le nord et le midi de l’Allemagne, rapprocher l’Autriche et la Prusse, et que tout ce grand mouvement n’aboutit encore qu’à une nouvelle alliance de principes entre les trois monarchies aux dépens des gouvernements secondaires et de la liberté des citoyens. Considérez lu situation à ce point de vue et rendez moi compte de vos observations. »

  5. Dépêche du 4 juillet 1849, à M. Boislecomte :

    « Les conditions qui sont faites au Piémont par Sa Majesté l’empereur d’Autriche sont rigoureuses sans doute, mais cependant elles ne menacent pas ce royaume dans l’intégrité de son territoire, ni dans son honneur. Elles ne lui enlèvent point la force qu’il doit conserver, ni la juste influence qu’il est appelé à exercer sur la politique générale de l’Europe et en particulier sur les affaires d’Italie. Le traité qu’on lui propose de signer est fâcheux sans doute, mais il n’est pas désastreux, et, après que le sort des armes a prononcé, il ne dépasse pas ce qui était naturellement à craindre.

    » La France n’a négligé et ne néglige aucun effort pour obtenir que ce projet soit modifié ; elle insistera pour obtenir du gouvernement autrichien les changements qu’elle croit conformes non seulement aux intérêts du Piémont, mais au maintien facile et durable de la paix générale ; elle usera pour atteindre ce résultat de tous les moyens que la diplomatie peut lui fournir, mais son intention n’est pas d’aller au delà. Elle ne croit pas que, dans les limites où la question se pose et dans les degrés ou les intérêts du Piémont sont engagés, il soit opportun de faire plus. Ayant cette opinion ferme et mûrie, elle n’hésite point à la faire connaître. Laisser croire même par son silence, à des résolutions extrêmes qu’on n’a pas prises, suggérer des espérances qu’on n’est pas certain de vouloir réaliser, pousser indirectement par des paroles à une action qu’on ne croit pas devoir appuyer par des actes ; engager, en un mot, les autres, sans s’engager soi-même ou s’engager sans le savoir, plus qu’on ne croit et ne veut ; c’est là, de la part du gouvernement comme des particuliers une manière d’agir qui ne me paraît ni prudente ni honnête.

    » Vous pouvez compter, monsieur, que tant que j’occuperai le poste où la confiance de M. le président m’a placé, le gouvernement de la république n’encourra pas un tel reproche ; il n’annoncera rien qu’il ne soit résolu à exécuter ; il ne promettra rien qu’il ne soit décidé à tenir ; et il mettra autant son honneur à dire d’avance ce qu’il ne veut pas faire, qu’à exécuter avec promptitude et avec vigueur ce qu’il aura dit qu’il ferait.

    » Vous voudrez bien lire cette dépêche à M. d’Azeglio. »

  6. Lettre à M. de Boislecomte, du 25 juillet 1849.
  7. Dépêches des 25 et 26 juillet 1849.
  8. Lettres des 22 et 24 août 1849.
  9. Dépêches des 11 et 25 octobre 1849.
  10. Lettre particulière du 1er octobre 1849.
  11. Lettre particulière de M. Drouyn de Lhuys, du 2 octobre 1849.
  12. Lettres particulières à Lamoricière et à Beaumont, 5 et 9 octobre 1849.
  13. Lettre de Falloux du 11 octobre 1849.
  14. Lettre à Falloux du 12 octobre 1849.
  15. Lettres particulières à Lamoricière et à Beaumont, 5 et 9 octobre 1849.
  16. Lettre de Lamoricière du 19 octobre 1849.