Souvenirs d’enfance (E. Renan)/06

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Souvenirs d’enfance (E. Renan)
Revue des Deux Mondes3e période, tome 54 (p. 241-261).
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SOUVENIRS D’ENFANCE ET DE JEUNESSE

VI.[1]
PREMIERS PAS HORS DE SAINT-SULPICE. — L’HOTEL DE MADEMOISELLE CÉLESTE. — LA PENSION DU FAUBOURG SAINT-JACQUES.


I

J’ai dit comment, le 6 octobre 1845, je quittai définitivement le séminaire Saint-Sulpice et allai prendre une chambre à l’hôtel qui occupait alors l’angle de la place, à l’endroit où finit maintenant la station des voitures. Je ne sais pas quel était le nom de cet hôtel ; on l’appelait toujours l’hôtel de Mlle Céleste, du nom de la personne recommandante qui en avait l’administration ou la propriété.

C’était sûrement un hôtel unique dans Paris que celui de Mlle Céleste ; une espèce d’annexé du séminaire, où la règle du séminaire se continuait presque. On n’y était reçu que sur une recommandation de ces messieurs ou de quelque autorité pieuse. C’était le lieu de séjour momentané des élèves, qui, en entrant au séminaire ou en en sortant, avaient besoin de quelques jours libres ; les ecclésiastiques en voyage, les supérieures de couvent qui avaient des affaires à Paris, y trouvaient un asile commode et à bon marché. La transition de l’habit ecclésiastique à l’habit laïque est comme le changement d’état d’une chrysalide ; il y faut un peu d’ombre. Certes, si quelqu’un pouvait nous dire tous les romans silencieux et discrets que couvrit ce vieil hôtel, maintenant disparu, nous aurions d’intéressantes confidences. Il ne faudrait cependant pas que les conjectures des romanciers fissent faute route. Je me rappelle Mlle Céleste ; dans le souvenir reconnaissant que beaucoup d’ecclésiastiques conservaient d’elle, il n’y avait rien qui, au point de vue des canons les plus sévères, ne se pût avouer.

Pendant que j’attendais, chez Mlle Céleste, que ma métamorphose fût achevée, la bonté de M. Carbon ne restait pas inactive. Il avait écrit pour moi à M. l’abbé Gratry, alors directeur du collège Stanislas, et celui-ci me fit offrir un emploi de surveillant dans la division supérieure. Je consultai M. Dupanloup, qui me dit d’accepter : « Ne vous y trompez pas, me dit-il ; M. Gratry est un prêtre distingué, tout, ce qu’il y a de plus distingué. » J’acceptai ; je n’eus qu’à me louer de tout le monde ; mais cela ne dura que quinze jours. Je vis que ma situation nouvelle impliquait encore ce à quoi j’avais voulu mettre fin en sortant du séminaire, je veux dire une profession extérieure avouée de cléricature. Je n’eus ainsi avec M. Gratry que des rapports tout à fait passagers. C’était un homme de cœur, un écrivain assez habile ; mais le fond était nul. Le vague de son esprit ne m’allait pas. M. Carbon et M. Dupanloup lui avaient dit le motif de ma sortie de Saint-Sulpice. Nous eûmes ensemble deux ou trois entretiens, où je lui exposai mes doutes positifs, fondés sur l’examen des textes. Il n’y comprit rien, et son transcendant dut trouver ma précision bien terre à terre. Il n’avait aucune science ecclésiastique, ni exégèse, ni théologie. Tout se bornait à des phrases creuses, à des applications puériles des mathématiques à ce qui est « matière de fait. » L’immense supériorité de la théologie de Saint-Sulpice sur ce pathos, se donnant pour scientifique, me frappa bien vite. Saint-Sulpice sait ce qu’est le christianisme ; l’École polytechnique ne le sait pas. Mais, je le répète, l’honnêteté de M. Gratry était parfaite, et c’était un homme très attachant, un vrai galant homme.

Je me séparai de lui avec regret, mais je le devais. J’avais quitté le premier séminaire du monde pour un autre qui ne le valait pas. La jambe avait été mal remise ; j’eus le courage de la casser de nouveau. Le 2 ou 3 novembre 1845, je franchis le dernier seuil par lequel l’église avait voulu me retenir, et j’allai m’installer dans une institution du quartier Saint-Jacques, relevant du lycée Henri IV, comme répétiteur au pair, c’est-à-dire, selon le langage du quartier latin d’alors, sans appointemens. J’avais une petite chambre, la table avec les élèves, à peine deux heures par jour occupées, beaucoup de temps par conséquent pour travailler. Cela me satisfaisait pleinement.


II

Avec la faculté que j’ai de suffire à mon propre bonheur et d’aimer, par conséquent, la solitude, la petite pension de la rue des Deux-Églises[2] eût été, en effet, pour moi un paradis, sans la crise terrible que traversait ma conscience et le changement d’assise que je devais faire subir à ma vie. Les poissons du lac Baïkal ont mis, dit-on, des milliers d’années à devenir poissons d’eau douce après avoir été poissons d’eau de mer. Je dus faire ma transition en quelques semaines. Comme un cercle enchanté, le catholicisme embrasse la vie entière avec tant de force que, quand on est privé de lui, tout semble fade et triste. J’étais terriblement dépaysé. L’univers me faisait l’effet d’un désert sec et froid. Du moment que le christianisme n’était pas la vérité, le reste me parut indifférent, frivole, à peine digne d’intérêt. L’écroulement de ma vie sur elle-même me laissait un sentiment de vide, comme celui qui suit un accès de fièvre ou un amour brisé. La lutte qui m’avait occupé tout entier avait été si ardente que maintenant je trouvais tout étroit et mesquin. Le monde se montrait à moi médiocre, pauvre en vertu. Ce que je voyais me semblait une chute, une décadence ; je me crus perdu dans une fourmilière de pygmées.

Ma tristesse était redoublée par la douleur que j’avais été obligé de causer à ma mère, J’employai, pour lui arranger les choses de la manière qui pouvait lui être le moins pénible, quelques artifices auxquels j’eus peut-être tort de recourir. Ses lettres me déchiraient le cœur. Elle se figurait ma position encore plus triste qu’elle ne l’était, et, comme en me gâtant, malgré notre pauvreté, elle m’avait rendu très délicat, elle croyait qu’une vie rude et commune ne pourrait jamais m’aller. « Toi qu’une pauvre petite souris empêchait de dormir, m’écrirait-elle, comment vas-tu faire ? .. » Elle passait ses journées à chanter les cantiques de Marseille, qui étaient son livre de prédilection[3], surtout le cantique de Joseph :

: O Joseph, ô mon aimable
: Fils affable,
: Des bêtes t’ont dévoré ;
: Je perds avec toi l’envie
: D’être en vie ;
: Le Seigneur soit adoré !

Quand elle m’écrivait cela, mon cœur était navré. Dans mon enfance, j’avais l’habitude de lui demander dix fois par jour : « Maman, êtes-vous contente de moi ? » Le sentiment d’un déchirement entre elle et moi m’était cruel. Je m’ingéniais alors à inventer des moyens pour lui prouver que j’étais toujours le même fils affable que par le passé. Peu à peu la blessure se cicatrisa. Quand elle me vit rester pour elle aussi bon et aussi tendre que je l’avais jamais été, elle admit volontiers qu’il y a plusieurs manières d’être prêtre et que rien n’était changé en moi que le costume ; et c’était bien la vérité.

Mon ignorance du monde était complète. Tout ce qui n’est pas dans les livres m’était inconnu. Comme, d’ailleurs, je n’ai jamais bien su que ce que j’ai appris à Saint-Sulpice, la conséquence a été qu’en affaires je suis toujours resté un enfant. Je ne fis donc aucun effort pour rendre ma situation aussi bonne que possible. Penser me paraissait l’objet unique de la vie. La carrière de l’instruction publique étant celle qui ressemble le plus à la cléricature, je la choisis presque sans réflexion. Certes il était dur, après avoir touché à la plus haute culture de l’esprit et avoir occupé une place déjà honorée, de descendre au degré le plus humble. Je savais mieux que personne en France, après M. Le Hir, la théorie comparée des langues sémitiques, et ma position était celle du dernier maître d’étude ; j’étais un savant et je n’étais pas bachelier. Mais la satisfaction intime de ma conscience me suffisait. Je n’eus jamais, au sujet de mes résolutions décisives du mois d’octobre 1845, une ombre de regrets.

Une récompense, d’ailleurs, me fut réservée dès le lendemain même de mon entrée dans la pension obscure où je devais occuper durant trois ans et demi la situation la plus chétive. Parmi les élèves, il y en avait un qui, à raison de ses succès et de son avancement, occupait un rang à part dans la maison. Il avait dix-huit ans, et déjà, l’esprit philosophique, l’ardeur concentrée, la passion du vrai, la sagacité d’invention, qui, plus tard, devaient rendre son nom célèbre, étaient visibles pour ceux qui le connaissaient ; je veux parler de M. Berthelot. Ma chambre était contiguë à la sienne, et dès le jour où nous nous connûmes, nous fûmes pris d’une vive amitié l’un pour l’autre. Notre ardeur d’apprendre était égale ; nos cultures avaient été très diverses. Nous mîmes en commun tout ce que nous savions ; il en résulta une petite chaudière où cuisaient ensemble des pièces assez disparates, mais où le bouillonnement était fort intense. Berthelot m’apprit ce qu’on n’enseignait pas au séminaire ; de mon côté, je me mis en devoir de lui apprendre la théologie et l’hébreu. Berthelot acheta une Bible hébraïque, qui doit être encore non coupée dans sa bibliothèque. Je dois dire qu’il n’alla pas beaucoup au-delà des shevas ; le laboratoire me fit bientôt une concurrence victorieuse. Notre honnêteté et notre droiture s’embrassèrent. Berthelot me fit connaître son père, un de ces caractères de médecins accomplis comme Paris sait les produire. M. Berthelot père était chrétien gallican de l’ancienne école et d’opinions politiques très libérales. C’était le premier républicain que j’eusse vu ; une telle apparition m’étonna ; il était quelque chose de plus ; je veux dire homme admirable par la charité et le dévoûment. Il fit la carrière scientifique de son fils en lui permettant de se livrer jusqu’à l’âge de plus de trente ans à ses recherches spéculatives, sans fonction, ni concours, ni école, ni travail rémunérateur. En politique, Berthelot resta fidèle aux principes de son père. C’est là le seul point où nous ne soyons pas toujours d’accord, car, pour moi, je me résignerais volontiers, si l’occasion s’en présentait (je dois dire qu’elle s’éloigne de jour en jour), à servir, pour le plus grand bien de la pauvre humanité, à l’heure qu’il est si désemparée, un tyran philanthrope, instruit, intelligent et libéral.

Nos discussions étaient sans fin, nos conversations toujours renaissantes. Nous passions une partie des nuits à chercher, à travailler ensemble. Au bout de quelque temps, M. Berthelot, ayant achevé ses mathématiques spéciales au lycée Henri IV, retourna chez son père, qui demeurait au pied de la tour Saint-Jacques de la Boucherie. Quand il venait me voir, le soir, à la rue de l’Abbé-de-l’Épée, nous causions pendant des heures ; puis j’allais le reconduire à la tour Saint-Jacques ; mais, comme d’ordinaire la question était loin d’être épuisée quand nous arrivions à sa porte, il me ramenait à Saint-Jacques du Haut-Pas ; puis je le reconduisais, et ce mouvement de va-et-vient se continuait nombre de fois. Il faut que les questions sociales et philosophiques soient bien difficiles à résoudre pour que nous ne les ayons pas résolues dans cet effort désespéré. La crise de 1848 nous émut profondément. Pas plus que nous, cette année terrible ne devait résoudre les problèmes qu’elle posait. Mais elle montra la caducité d’une foule de choses tenues pour solides ; elle fut pour les esprits jeunes et actifs comme la chute d’un rideau de nuages qui dissimulait l’horizon.

Le lien de profonde affection qui s’établit ainsi entre M. Berthelot et moi fut certainement du genre le plus rare et le plus singulier. Le hasard rapprocha en nous deux natures essentiellement objectives, je veux dire aussi dégagées qu’il est possible de l’étroit tourbillon qui fait de la plupart des consciences un petit gouffre égoïste comme le trou conique du formica-leo. Habitués à nous regarder très peu nous-mêmes, nous nous regardions très peu l’un l’autre. Notre amitié consista en ce que nous nous apprenions mutuellement, en une sorte de commune fermentation qu’une remarquable conformité d’organisation intellectuelle produisait en nous devant les mêmes objets. Ce que nous avions vu à deux nous paraissait certain. Quand nous entrâmes en rapports, il me restait un attachement tendre pour le christianisme ; Berthelot tenait aussi de son père un reste de croyances chrétiennes. Quelques mois suffirent pour reléguer pour nous ces vestiges de foi à l’état de souvenir. L’affirmation que tout est d’une même couleur dans le monde, qu’il n’y a pas de surnaturel particulier ni de révélation momentanée, s’imposa d’une façon absolue à notre esprit. La claire vue scientifique d’un univers où n’agit d’une façon appréciable aucune volonté libre supérieure à celle de l’homme devint, depuis les premiers mois de 1846, l’ancre inébranlable sur laquelle nous n’avons jamais chassé. Nous n’y renoncerons que quand il nous sera donné de constater dans la nature un fait spécialement intentionnel ayant sa cause en dehors de la volonté libre de l’homme ou de l’action spontanée des animaux.

Notre amitié fut ainsi quelque chose d’analogue à celle des deux yeux quand ils fixent un même objet et que de deux images résulte au cerveau une seule et même perception. Notre croissance intellectuelle était comme ces phénomènes qui se produisent par une sorte d’action de voisinage et de tacite complicité. M. Berthelot aimait autant que moi ce que je faisais ; j’aimais son œuvre presque autant qu’il l’aimait lui-même. Jamais il n’y eut entre nous, je ne dirai pas une détente morale, mais une simple vulgarité. Nous avons toujours été l’un avec l’autre comme on est avec une femme qu’on respecte. Quand je cherche à me représenter l’unique paire d’amis que nous avons été, je me figure deux prêtres en surplis se donnant le bras. Ce costume ne les gêne pas pour causer des choses supérieures ; mais l’idée ne leur viendrait pas, en un tel habillement, de fumer un cigare ensemble, ou de tenir d’humbles propos, ou de reconnaître les plus légitimes exigences du corps. Ce pauvre Flaubert ne put jamais comprendre ce que Sainte-Beuve raconte, dans son Port-Royal, de ces solitaires qui passaient leur vie dans la même maison en s’appelant monsieur jusqu’à la mort. C’est que Flaubert ne se faisait pas une idée de ce que sont des natures abstraites. Non-seulement M. Berthelot et moi, nous n’avons jamais eu l’un avec l’autre la moindre familiarité ; mais nous rougirions presque de nous demander un service, même un conseil. Nous demander un service serait à nos yeux un acte de corruption, une injustice à l’égard du reste du genre humain ; ce serait au moins reconnaître que nous tenons à quelque chose. Or nous savons si bien que l’ordre temporel est vide, vain, creux et frivole, que nous craignons de donner du corps même à l’amitié. Nous nous estimons trop pour convenir l’un vis-à-vis de l’autre d’une faiblesse. Également convaincus de l’insignifiance des choses passagères, épris du même goût de l’éternel, nous ne pourrions nous résigner à l’aveu d’une distraction consentie vers le fortuit et l’accidentel. Il est certain, en effet, que l’amitié ordinaire suppose qu’on n’est pas trop convaincu que tout est vain.

Dans la suite de la vie, une telle liaison a pu par momens cesser de nous être nécessaire. Elle reprend toute sa vivacité chaque fois que la figure de ce monde, qui change sans cesse, amène quelque tournant nouveau sur lequel nous avons à nous interroger. Celui d’entre nous qui mourra le premier laissera à l’autre un grand vide. Notre amitié me rappelle celle de François de Sales et du président Favre : « Elles passent donc ces années temporelles, monsieur mon frère ; leurs mois se réduisent en semaines, les semaines en jours, les jours en heures et les heures en momens, qui sont ceux-là seuls que nous possédons ; mais nous ne les possédons qu’à mesure qu’ils périssent… » La conviction de l’existence d’un objet éternel, embrassée quand on est jeune, donne à la vie une assiette particulière de solidités. — Que tout cela, direz-vous, est peu humain, peu naturel ! Sans doute, mais on n’est fort qu’en contrariant la nature. L’arbre naturel n’a pas de beaux fruits. L’arbre produit de beaux fruits dès qu’il est en espalier, c’est-à-dire dès qu’il n’est plus un arbre.


III

L’amitié de M. Berthelot et l’approbation ; de ma sœur furent les deux grandes consolations qui me soutinrent dans ce difficile moment où le sentiment d’un devoir abstrait envers la vérité m’imposa de changer à vingt-trois ans la direction d’une vie déjà si fortement engagée. Ce ne fut, en réalité, qu’un changement de domicile et d’extérieur. Le fond resta le même ; la direction morale de ma vie sortit de cette épreuve très peu infléchie ; l’appétit de vérité, qui était le mobile de mon existence, ne fut en rien diminué. Mes habitudes et mes manières se trouvèrent très peu modifiées.

Saint-Sulpice, en effet, avait laissé en moi une si forte trace que, pendant des années, je restai sulpicien, non par la foi, mais par les mœurs. Cette éducation excellente, prolongée jusqu’à vingt-trois ans, qui m’avait montré la perfection de la politesse en M. Gosselin, la perfection de la bonté en M. Carbon, la perfection de la vertu en M. Pinault, M. Le Hir, M. Gottofrey, avait donné à ma nature docile un pli ineffaçable. Mes études, vivement continuées hors du séminaire, me confirmèrent si absolument dans mes présomptions contre la théologie orthodoxe qu’au bout d’un an j’avais peine à comprendre comment autrefois j’avais pu croire. Mais, la foi disparue, la morale reste ; pendant longtemps mon programme fut de lâcher le moins possible du christianisme et d’en garder tout ce qui peut se pratiquer sans la foi au surnaturel. Je fis en quelque sorte le triage des vertus du sulpicien, laissant celles qui tiennent à une croyance positive, retenant celles qu’un philosophe peut approuver. Telle est la force de l’habitude. Le vide fait quelquefois le même effet que le plein. Est pro corde locus. La poule à qui l’on a arraché le cerveau continue néanmoins, sous l’action de certains excitans, à se gratter le nez.

Je m’efforçai donc, en quittant Saint-Sulpice, de rester aussi sulpicien que possible. Les études que j’avais commencées au séminaire m’avaient tellement passionné que je ne songeais qu’à les reprendre. Une seule occupation me parut digne de remplir ma vie, c’était de poursuivre mes recherches critiques sur le christianisme par les moyens beaucoup plus larges que m’offrait la science laïque. Je me figurais toujours en la compagnie de mes maîtres, discutant avec eux les objections et leur prouvant que des pages entières de l’enseignement ecclésiastique sont à réformer. Quelque temps, je continuai de les voir, surtout M. Le Hir. Puis je sentis que les rapports de l’homme de foi avec l’incrédule deviennent vite assez pénibles, et je m’interdis des relations qui ne pouvaient plus avoir d’agrément ni de fruit que pour moi seul.

Dans l’ordre des idées critiques, je cédai également le moins possible, et c’est ce qui fait que, tout en étant rationaliste sans réserve, j’ai néanmoins plus d’une fois paru un conservateur dans les discussions relatives à l’âge et à l’authenticité des textes. La première édition de mon Histoire générale des langues sémitiques contient ainsi, en ce qui concerne l’Ecclésiaste et le Cantique des cantiques, des faiblesses pour les opinions traditionnelles que j’ai depuis successivement éliminées. Dans mes Origines du christianisme, au contraire, cette réserve m’a bien guidé ; car, dans ce travail, je me suis trouvé en présence d’une école exagérée, celle des protestans de Tubingue, esprits sans tact littéraire et sans mesure, auxquels, par la faute des catholiques, les études sur Jésus et l’âge apostolique se sont trouvées presque exclusivement abandonnées. Quand la réaction viendra contre cette école, on trouvera peut-être que ma critique, d’origine catholique et successivement émancipée de la tradition, m’a fait bien voir certaines choses et m’a préservé de plus d’une erreur.

Mais c’est surtout par le caractère que je suis resté essentiellement l’élève de mes anciens maîtres. Ma vie, quand je la repasse, n’a été qu’une application de leurs qualités et de leurs défauts. Seulement, ces qualités et ces défauts, transportés dans le monde, ont amené les dissonances les plus originales. Tout est bien qui finit bien, et, le résultat de l’existence ayant été en somme pour moi très agréable, je m’amuse souvent, comme Marc Aurèle sur les bords du Gran, à supputer ce que je dois aux influences diverses qui ont traversé ma vie et en ont fait le tissu. Eh bien ! Saint-Sulpice m’en apparaît toujours comme le facteur principal. Je parle de tout cela fort à mon aise, car j’y ai peu de mérite. J’ai été bien élevé ; voilà tout. Ma douceur, qui vient souvent d’un fonds d’indifférence, — mon indulgence, qui, elle, est très sincère et tient à ce que je vois clairement combien les hommes sont injustes les uns pour les autres, — mes habitudes consciencieuses, qui sont pour moi un plaisir, — la capacité indéfinie que j’ai de m’ennuyer, venant peut-être d’une inoculation d’ennui tellement forte en ma jeunesse, que j’y suis devenu réfractaire pour le reste de ma vie, — tout cela s’explique par le milieu où j’ai vécu et les impressions profondes que j’ai reçues. Depuis ma sortie de Saint-Sulpice, je n’ai fait que baisser, et pourtant, avec le quart des vertus d’un sulpicien, j’ai encore été, je crois, fort au-dessus de la moyenne. Il me plairait d’expliquer par le détail et de montrer comment la gageure paradoxale de garder les vertus cléricales, sans la foi qui leur sert de base et dans un monde pour lequel elles ne sont pas faites, produisit en ce qui me concerne les rencontres les plus divertissantes. J’aimerais à raconter toutes les aventures que mes vertus sulpiciennes m’amenèrent et les tours singuliers qu’elles m’ont joués. Après soixante ans de vie sérieuse, on a le droit de sourire ; et où trouver une source de rire plus abondante, plus à portée, plus inoffensive qu’en soi-même ? Si jamais un auteur comique voulait amuser le public de mes ridicules, je ne lui demanderais qu’une seule chose, c’est de me prendre pour collaborateur ; je lui conterais des choses vingt fois plus amusantes que celles qu’il pourrait inventer. Mais je m’aperçois que je manque outrageusement à la première règle que mes excellens maîtres m’avaient donnée, qui est de ne jamais parler de soi. Je ne traiterai donc cette dernière partie de mon sujet que tout à fait en raccourci.


IV

Quatre vertus me semblaient résumer l’enseignement moral que me donnèrent, surtout par leurs exemples, les pieux directeurs qui m’entourèrent de leurs soins jusqu’à l’âge de vingt-trois ans : le désintéressement ou la pauvreté, la modestie, la politesse et la règle des mœurs. Je vais m’examiner sur ces quatre points, non pour relever le moins du monde mes propres mérites, mais pour fournir à ceux qui professent la philosophie du doute aimable l’occasion de faire à mes dépens quelques-unes de leurs fines observations.

La pauvreté est celle des vertus de la cléricature que j’ai le mieux gardée. M. Olier avait fait faire dans son église un tableau où saint Sulpice établissait la règle fondamentale de ses clercs : Habentes alimenta et quibus tegamur, his contenti swnus. Voilà bien ma règle. Mon rêve serait d’être logé, nourri, vêtu, chauffé, sans que j’eusse à y penser ; par quelqu’un qui me prendrait à l’entreprise et me laisserait toute ma liberté. Le régime qui s’établit pour moi le jour où j’entrai à la petite pension du faubourg Saint-Jacques « au pair » devait être la base économique de toute ma vie. Une ou deux leçons particulières me permettaient de ne pas toucher aux 1,200 francs de ma sœur. C’était bien la règle que j’avais vue observée par mes maîtres de Tréguier et de Saint-Sulpice : Victum et vestitum, la table, le logement et de quoi s’acheter une soutane par an. Je n’avais jamais désiré autre chose pour moi-même. La petite aisance que j’ai maintenant ne m’est venue que tard et malgré moi. J’envisage le monde comme m’appartenant, mais je n’en prends que l’usufruit. Je quitterai la vie sans avoir possédé d’autres choses que « celles qui se consomment par l’usage, » selon la règle franciscaine. Toutes les fois que j’ai voulu acheter un coin de terre quelconque, une voix intérieure m’en a empêché. Cela m’a semblé lourd, matériel, contraire au principe : Non habemus hic manentem civitatem. Les valeurs sont choses plus légères, plus éthérées, plus fragiles ; elles attachent moins, et on risque plus de les perdre.

Au train que prend maintenant le monde, c’est là un amer contresens, et, quoique la règle que j’ai choisie m’ait mené au bonheur, je ne conseillerais à personne de la suivre. Je suis maintenant trop vieux pour changer, et d’ailleurs je suis content ; mais je croirais duper les jeunes gens en leur disant de faire de même. Tirer de soi toute la mouture qu’on en peut tirer, voilà ce qui devient la règle du monde. L’idée que le noble est celui qui ne gagne pas d’argent, et que toute exploitation commerciale ou industrielle, quelque honnête qu’elle soit, ravale celui qui l’exerce et l’empêche d’être du premier cercle humain, cette idée s’en va de jour en jour. Voilà ce que produit une différence de quarante ans dans les choses humaines. Tout ce que j’ai fait autrefois paraîtrait maintenant acte de folie, et parfois, en regardant autour de moi, je crois vivre dans un monde que je ne reconnais plus.

L’homme voué aux travaux désintéressés est un mineur dans les affaires du monde ; il faut qu’il ait un tuteur. Or notre monde est assez vaste pour que toute place à prendre soit prise ; tout emploi crée en quelque sorte celui qui doit le remplir. Je n’avais jamais pensé que le produit de ma pensée pût avoir une valeur vénale. Toujours j’avais songé à écrire, mais je ne croyais pas que cela pût rapporter un sou. Quel fut mon étonnement le jour où je vis entrer dans ma mansarde un homme à la physionomie intelligente et agréable, qui me fit compliment sur quelques articles que j’avais publiés et m’offrit de les réunir en volumes ! Un papier timbré qu’il avait apporté stipulait des conditions qui me parurent étonnamment généreuses ; si bien que, quand il me demanda si je voulais que tous les écrits que je ferais à l’avenir fussent compris dans le même contrat, je consentis. Il me vint un moment l’idée de faire quelques observations ; mais la vue du timbre m’interdit ; l’idée que cette belle feuille de papier serait perdue m’arrêta. Je fis bien de m’arrêter. M. Michel Lévy avait dû être créé par un décret spécial de la Providence pour être mon éditeur. Un littérateur qui se respecte doit n’écrire que dans un seul journal, dans une seule revue, et n’avoir qu’un seul éditeur. M. Michel Lévy et moi n’eûmes ensemble que les rapports les plus agréables. Plus tard, il me fit remarquer que le contrat qu’il m’avait présenté n’était pas assez avantageux pour moi, et il en substitua un autre plus large encore. Après cela, on me dit que je ne lui ai pas fait faire de mauvaises affaires. J’en suis enchanté. En tout cas, je peux dire que, s’il y avait en moi quelque capital de production littéraire, il était juste qu’il y eût sa large part ; c’est bien lui qui l’avait découvert, je ne m’en étais jamais douté.

Il est très difficile de prouver qu’on est modeste, puisque du moment qu’on dit l’être, on ne l’est plus. Je le répète, nos vieux maîtres chrétiens avaient là-dessus une règle excellente, qui est de ne jamais parler de soi, ni en bien, ni en mal. Voilà le vrai ; mais le public est ici le grand corrupteur. Il encourage au mal. Il induit l’écrivain à des fautes pour lesquelles il se montre ensuite sévère, comme la bourgeoisie réglée d’autrefois applaudissait le comédien et en même temps l’excluait de l’église. « Damne-toi, pourvu que tu m’amuses, » voilà bien souvent le sentiment qu’il y a au fond des invitations, en apparence les plus flatteuses, du public. On réussit surtout par ses défauts. Quand je suis très content de moi, je suis approuvé de dix personnes. Quand je me laisse aller à de périlleux abandons, où ma conscience littéraire hésite et où ma main tremble, des milliers me demandent de continuer.

Eh bien ! malgré tout, et une fois l’indulgence obtenue pour les péchés véniels, oui, j’ai été modeste, et ce n’est pas sur ce point que j’ai manqué à mon programme de sulpicien obstiné. La vanité de l’homme de lettres n’est pas mon fait. Je ne partage pas l’erreur des jugemens littéraires de notre temps. Je sais que jamais un vrai grand homme n’a pensé qu’il fût grand homme, et que, quand on broute sa gloire en herbe de son vivant, on ne la récolte pas en épis après sa mort. Je n’eus quelque temps d’estime pour la littérature que pour complaire à M. Sainte-Beuve, qui avait sur moi beaucoup d’influence. Depuis qu’il est mort, je n’y tiens plus. Je vois très bien que le talent n’a de valeur que parce que le monde est enfantin. Si le public avait la tête assez forte, il se contenterait de la vérité. Ce qu’il aime, ce sont presque toujours des imperfections. Mes adversaires, pour me refuser d’autres qualités qui contrarient leur apologétique, m’accordent si libéralement du talent, que je puis bien accepter un éloge qui dans leur bouche est une critique. Du moins n’ai-je jamais cherché à tirer parti de cette qualité inférieure, qui m’a plus nui comme savant qu’elle ne m’a servi par elle-même. Je n’y ai fait aucun fond. Jamais je n’ai compté sur mon prétendu talent pour vivre ; je ne l’ai nullement fait valoir. Ce pauvre Beulé, qui me regardait avec une sorte de curiosité affectueuse mêlée d’étonnement, ne revenait pas que j’en fisse si peu d’usage. J’ai toujours été le moins littéraire des hommes. Aux momens qui ont décidé de ma vie, je ne me doutais nullement que ma prose aurait jamais le moindre succès.

Ce succès, je n’y ai point aidé. Qu’il me soit permis de le dire : il eût été plus grand si j’avais voulu. Je n’ai nullement cultivé ma veine ; je me suis plutôt appliqué à la dériver. Le public aime qu’on soit absolument ce que l’on est ; il veut qu’on ait sa spécialité ; il n’accorde jamais à un homme des maîtrises opposées. Si j’avais voulu faire un crescendo d’anticléricalisme après la Vie de Jésus, quelle n’eût pas été ma popularité ! La foule aime le style voyant. Il m’eût été loisible de ne pas me retrancher ces pendeloques et ces clinquans qui réussissent chez d’autres et provoquent l’enthousiasme des médiocres connaisseurs, c’est-à-dire de la majorité. J’ai passé un an à éteindre le style de la Vie de Jésus, pensant qu’un tel sujet ne pouvait être traité que de la manière la plus sobre et la plus simple. Or on sait combien la déclamation a d’attrait pour les masses. Je n’ai jamais forcé mes opinions pour me faire écouter. Ce n’est pas ma faute si le mauvais goût du temps a été cause qu’un filet de voix claire a retenti au milieu de notre nuit, comme répercuté par mille échos.

Sur le chapitre de la politesse, je trouverai moins d’objections que sur celui de la modestie ; car, à s’en tenir aux apparences, j’ai été beaucoup plus poli que modeste. La civilité extrême de mes vieux maîtres m’avait laissé une si vif souvenir que je n’ai jamais pu m’en détacher. C’était la vraie civilité française, je veux dire celle qui s’exerce, non-seulement envers des personnes que l’on connaît, mais envers tout le monde sans exception[4]. Une telle politesse implique un parti général sans lequel je ne conçois pas pour la vie d’assiette commode : c’est que toute créature humaine, jusqu’à preuve du contraire, doit être tenue pour bonne et traitée avec bienveillance. Beaucoup de personnes, surtout en certains pays, suivent la règle justement opposée ; ce qui les mène à de grandes injustices. Pour moi, il m’est impossible d’être dur pour quelqu’un a priori. Je suppose que tout homme que je vois pour la première fois doit être un homme de mérite et un homme de bien, sauf à changer d’avis (ce qui m’arrive souvent) si les faits m’y forcent. C’est ici la règle sulpicienne qui, dans le monde, m’a mené aux situations les plus singulières et a fait le plus souvent de moi un être démodé, d’ancien régime, étranger à notre temps. La vieille politesse, en effet, n’est plus guère propre qu’à faire des dupes. Vous donnez, on ne vous rend pas. La bonne règle à table, quand le plat passe, est de se servir toujours très mal, pour éviter la suprême impolitesse d’avoir l’air de laisser à ceux qui viennent après vous ce qu’on a rebuté, — ou mieux peut-être de prendre la part qui est la plus rapprochée de vous, sans la regarder. Celui qui, de nos jours, porterait dans la bataille de la vie une telle délicatesse serait victime sans profit ; son attention ne serait même pas remarquée. « Au premier occupant » est l’affreuse règle de l’égoïsme moderne. Observer, dans un monde qui n’est plus fait pour la civilité, les bonnes règles de l’honnêteté d’autrefois, ce serait jouer le rôle d’un véritable niais, et personne ne vous en saurait gré. Dès qu’on se sent poussé par des personnes qui veulent prendre les devans, le devoir est de se reculer, d’un air qui signifie : Passez, monsieur. Mais il est clair que celui qui tiendrait à cette prescription en omnibus, par exemple, serait victime de sa déférence ; je crois même qu’il manquerait aux règlemens. En chemin de fer, combien y en a-t-il qui sentent que se presser sur le quai pour gagner les autres de vitesse et prendre la meilleure place est une suprême grossièreté ?

En d’autres termes, nos machines démocratiques excluent l’homme poli. J’ai renoncé depuis longtemps à l’omnibus ; les conducteurs arrivaient à me prendre pour un voyageur sans sérieux. En chemin de fer, à moins que je n’aie la protection d’un chef de gare, j’ai toujours la dernière place. J’étais fait pour une société fondée sur le respect, où l’on est salué, classé, placé d’après son costume, où l’on n’a point à se protéger soi-même. Je ne suis à l’aise qu’à l’Institut et au Collège de France, parce que nos employés sont tous des hommes très bien élevés et nous témoignent une haute estime. L’habitude de l’Orient de ne marcher dans les rues que précédé d’un kavas me convenait assez ; car la modestie est relevée par l’appareil de la force. Il est bien d’avoir sous ses ordres un homme armé d’une courbache, qu’on empêche de s’en servir. Je serais assez aise d’avoir le droit de vie et de mort, pour ne pas en user, et j’aimerais fort à posséder des esclaves, pour être extrêmement doux avec eux et m’en faire adorer.

Mes idées cléricales m’ont encore bien plus dominé en tout ce qui touche à la règle des mœurs. Il m’eût semblé qu’il y avait de ma part un manque de bienséance à changer sur ce point mes habitudes austères. Les gens du monde, dans leur ignorance des choses de l’âme, croient en général qu’on ne quitte l’état ecclésiastique que pour échapper à des devoirs trop pesans. Je ne me serais point pardonné de donner raison k des jugemens aussi superficiels. Consciencieux comme je le suis, je voulus être en règle avec moi-même, et je continuai de vivre dans Paris ainsi que j’avais fait au séminaire. Plus tard, je vis bien la vanité de cette vertu comme de toutes les autres ; je reconnus, en particulier, que la nature ne tient pas du tout à ce que l’homme soit chaste. Je n’en persistai pas moins, par convenance, dans la vie que j’avais choisie, et je m’imposai les mœurs d’un pasteur protestant. L’homme ne doit jamais se permettre deux hardiesses à la fois. Le libre penseur doit être réglé en ses mœurs. Je connais dés ministres protestans, très larges d’idées, qui sauvent tout par leur cravate blanche irréprochable. J’ai de même fait passer ce que la médiocrité humaine regarde comme des hardiesses grâce à un style modéré et à des mœurs graves.

Les raisonnemens du monde en ce qui concerne les rapports des deux sexes sont bizarres comme les volontés de la nature elle-même. Le monde, dont les jugemens sont rarement tout à fait faux, voit une aorte de ridicule à être vertueux quand on n’y est pas obligé par un devoir professionnel. Le prêtre, ayant pour état d’être chaste, comme le soldat d’être brave, est, d’après ces idées, presque le seul qui puisse sans ridicule tenir à des principes sur lesquels la morale et la mode se livrent les plus étranges combats. Il est hors de doute qu’en ce point, comme en beaucoup d’autres, mes principes cléricaux conservés dans le siècle m’ont nui aux yeux du monde. Ils ne m’ont pas nui pour le bonheur. Les femmes ont, en général, compris ce que ma réserve affectueuse renfermait de respect et de sympathie pour elles. En somme, j’ai été aimé des quatre femmes dont il m’importait le plus, d’être aimé, ma mère, ma sœur, ma femme et ma fille. Ma part a été bonne et ne me sera pas enlevée, car je, m’imagine souvent que les jugemens qui seront portés sur chacun de nous dans la vallée de Josaphat ne seront autres que les jugemens des femmes, contresignés par l’Éternel.

Ainsi, tout bien pesé, je n’ai manqué presque en rien âmes promesses de cléricature. Je suis sorti de la spiritualité pour rentrer dans l’idéalité. J’ai observé mes engagemens mieux que beaucoup, de prêtres en apparence très réguliers. En m’obstinant à conserver dans le monde des vertus de désintéressement, de politesse, de modestie qui n’y sont pas applicables, j’ai donné la mesure de ma naïveté. Je n’ai jamais cherché le succès ; je dirai presque qu’il m’ennuie. Le plaisir de vivre et de produire me suffit. Ce qu’il y a d’égoïste dans cette façon de jouir du plaisir d’exister est corrigé par les sacrifices que je crois avoir faits au bien public. J’ai toujours été aux ordres de mon pays ; sur un signe, en 1869, je me mis à sa disposition. Peut-être lui aurais-je rendu quelques services ; il ne l’a pas cru ; je suis en règle. Je n’ai jamais flatté les erreurs de l’opinion ; je n’ai jamais manqué une occasion d’exposer ces erreurs jusqu’à paraître aux superficiels un mauvais patriote. On n’est pas obligé au charlatanisme ni au mensonge pour obtenir un mandat dont la première condition est l’indépendance et la sincérité. Dans les malheurs publics qui pourront venir, j’aurai donc ma conscience tout à fait en repos.

Tout pesé, si j’avais à recommencer ma vie, avec le droit d’y faire des ratures, je n’y changerais rien. Les défauts de ma nature et de mon éducation, par suite d’une sorte de providence bienveillante, ont été atténués et réduits à être de peu de conséquence. Un certain manque de franchise dans le commerce de la vie m’est pardonné par mes amis, qui mettent cela sur le compte de mon éducation cléricale. Je l’avoue, dans la première partie de ma vie, je mentais assez souvent, non par intérêt, mais par bonté, par dédain, par la fausse idée qui me porte toujours à présenter les choses à chacun comme il peut les comprendre. Ma sœur me montra très fortement les inconvéniens de cette manière d’agir, et j’y renonçai. Depuis 1851, je ne crois pas avoir fait un seul mensonge, excepté naturellement les mensonges joyeux, de pure eutrapélie, les mensonges officieux et de politesse, que tous les casuistes permettent, et aussi les petits faux-fuyans littéraires exigés en vue d’une vérité supérieure par les nécessités d’une phrase bien équilibrée ou bien pour éviter un plus grand mal, qui est de poignarder un auteur. Un poète, par exemple, vous présente ses vers. Il faut bien dire qu’ils sont admirables, puisque sans cela ce serait dire qu’ils ne valent rien et faire une sanglante injure à un homme qui a eu l’intention de vous faire une politesse.

Il a fallu bien plus d’indulgence à mes amis pour me pardonner un autre défaut : je veux parler d’une certaine froideur, non à les aimer, mais à les servir. Une des choses les plus recommandées au séminaire était d’éviter « les amitiés particulières. » De telles amitiés étaient présentées comme un vol fait à la communauté. Cette règle m’est restée très profondément gravée dans l’esprit. J’ai peu encouragé l’amitié ; j’ai fait peu de chose pour mes amis, et ils ont fait peu de chose pour moi. Une des idées que j’ai le plus souvent à combattre, c’est que l’amitié, comme on l’entend d’ordinaire, est une injustice, une erreur, qui ne vous permet de voir que les qualités d’un seul et vous ferme les yeux sur les qualités d’autres personnes plus dignes peut-être de votre sympathie. Je me dis quelquefois, selon les idées de mes anciens maîtres, que l’amitié est un larcin fait à la société humaine et que, dans un monde supérieur, l’amitié disparaîtrait. Quelquefois même je suis blessé, au nom de la bienveillance générale, de voir l’attachement particulier qui lie deux personnes ; je suis tenté de m’écarter d’elles comme de juges faussés, qui n’ont plus leur impartialité ni leur liberté. Cette société à deux me fait l’effet d’une coterie qui rétrécit l’esprit, nuit à la largeur d’appréciation et constitue la plus lourde chaîne pour l’indépendance. Beulé me plaisantait souvent sur ce travers. Il m’aimait assez et essaya de me rendre service, quoique je n’eusse rien fait pour lui. Dans une circonstance, je votai contre lui pour une personne qui s’était montrée malveillante à mon égard : « Renan, me dit-il, je vais vous faire quelque mauvais trait ; par impartialité, vous voterez pour moi. »

Tout en ayant beaucoup aimé mes amis, je leur ai donc très peu donné. Le public m’a eu autant qu’eux. Voilà pourquoi je reçois un si grand nombre de lettres d’inconnus et d’anonymes ; voilà pourquoi aussi je suis si mauvais correspondant. Il m’est arrivé fréquemment, en écrivant une lettre, de m’arrêter pour tourner en propos général les idées qui me venaient. Je n’ai existé pleinement que pour le public. Il a eu tout de moi ; il n’aura après ma mort aucune surprise ; je n’ai rien réservé pour personne.

Ayant ainsi préféré par instinct tous à quelques-uns, j’ai eu la sympathie de mon siècle, même de mes adversaires, et cependant peu d’amis. Dès qu’un nœud va se former, mon principe sulpicien : « Pas d’amitiés particulières, » vient comme un glaçon empêcher l’agglutination de se faire. À force d’être juste, j’ai été peu serviable. Je vois trop bien que, rendre un bon service à quelqu’un, c’est d’ordinaire en rendre un mauvais à un autre ; que s’intéresser à un compétiteur, c’est le plus souvent commettre un passe-droit envers son rival. L’image de l’inconnu que je lèse vient ainsi m’arrêter tout court dans mon zèle. Je n’ai obligé presque personne ; je n’ai pas su comment l’on réussit à faire donner un bureau de tabac. Cela m’a rendu sans influence en ce monde. Mais cela m’a été bon au point de vue littéraire. Mérimée eût été un homme de premier ordre s’il n’eût pas eu d’amis. Ses amis se l’approprièrent. Comment peut-on écrire des lettres quand on a la facilité de parler à tous ? La personne à qui vous écrivez vous rapetisse ; vous êtes obligé de prendre sa mesure. Le public a l’esprit plus large que n’importe qui. « Tous » renferme beaucoup de sots ; c’est vrai ; mais « tous » renferme les quelques milliers d’hommes ou de femmes d’esprit pour qui seuls le monde existe. Écrivez en vue de ceux-là.


V

Je termine ici ces souvenirs, en demandant pardon au lecteur de la faute insupportable qu’un tel genre fait commettre à chaque ligne. L’amour-propre est si habile en ses calculs secrets que, tout en faisant la critique de soi-même, on est suspect de ne pas y aller de franc jeu. Le danger, en pareil cas, est, par une petite rouerie inconsciente, d’avouer avec une humilité sans grand mérite des défauts légers et tout extérieurs pour s’attribuer par ricochet de grandes qualités. Ah ! le subtil démon que celui de la vanité ! Aurais-je, par hasard, été sa dupe ? Si les gens de goût me reprochent de m’être montré fils de mon siècle en prétendant ne pas l’être, je les prie d’être bien persuadés au moins que cela ne m’arrivera plus.

: : Claudite jam riros, pueri ; sat prata biberunt. 


Il me reste trop de choses à faire pour que je m’amuse désormais à un jeu que plusieurs taxeront de frivole. Ma famille maternelle de Lannion, du côté de laquelle vient mon tempérament, a offert beaucoup de cas de longévité ; mais des troubles persistons me portent à croire que l’hérédité sera dérangée en ce qui me concerne. Dieu soit loué, si c’est pour m’éviter des années de décadence et d’amoindrissement, qui sont la seule chose dont j’aie horreur ! Le temps qui peut me rester à vivre, en tout cas, sera consacré à des recherches de pure vérité objective. Si ces lignes étaient les dernières confidences que j’échange avec le public, qu’il me permette de le remercier de la façon intelligente et sympathique dont il m’a soutenu. Autrefois toute la faveur à laquelle pouvait aspirer l’homme qui maintenait sa personnalité en dehors des routines établies était d’être toléré. Mon siècle et mon pays ont eu pour moi bien plus d’indulgence. Malgré de sensibles défauts, malgré l’humilité de son origine, ce fils de paysans et de pauvres marins, couvert du triple ridicule d’échappé de séminaire, de clerc défroqué, de cuistre endurci, on l’a tout d’abord accueilli, écouté, choyé même, uniquement parce qu’on trouvait dans sa voix des accens sincères. J’ai eu d’ardens adversaires, je n’ai pas eu un ennemi personnel. Les deux seules ambitions que j’aie avouées, l’Institut et le Collège de France, ont été satisfaites. La France m’a fait bénéficier des faveurs qu’elle réserve à tout ce qui est libéral, de sa langue admirable, de sa belle tradition littéraire, de ses règles de tact, de l’audience dont elle jouit dans le monde. L’étranger même m’a aidé dans mon œuvre autant que mon pays ; je mourrai ayant au cœur l’amour de l’Europe autant que l’amour de la France ; je voudrais parfois me mettre à genoux pour la supplier de ne pas se diviser par des jalousies fratricides, de ne pas oublier son devoir, son œuvre commune, qui est la civilisation.

Presque tous les hommes avec lesquels j’ai été en rapport ont été pour moi d’une bienveillance extrême. Au sortir du séminaire, je traversai, ainsi que je l’ai dit, une période de solitude, où je n’eus pour me soutenir, que les lettres de ma sœur et les entretiens de M. Berthelot ; mais bientôt je trouvai de tous côtés des sourires et des encouragemens. M. Egger, dès les premiers mois de 1846, devenait mon ami et mon guide dans l’œuvre difficile de faire tardivement mes preuves dans l’ordre des études classiques. Eugène Burnouf, sur la vue d’un essai bien imparfait que je présentai au concours du prix Volney, en 1847, m’adopta comme son élève. M. et Mme Adolphe Garnier furent pour moi de la plus grande bonté. C’était un couple charmant. Mme Garnier, rayonnante de grâce et de naturel, fut ma première admiration dans un genre de beauté dont la théologie m’avait sevré. M. Victor Le Clerc faisait revivre devant mes yeux toutes les qualités d’étude et de savante application de mes anciens maîtres. Dès mon séjour à Saint-Sulpice, j’avais appris à l’apprécier : c’était le seul laïque dont ces messieurs fissent cas ; ils lui enviaient son extraordinaire érudition ecclésiastique, M. Cousin, quoiqu’il m’ait plus d’une fois témoigné de l’amitié, était trop entouré de disciples pour que j’essayasse de percer cette foule, un peu liée à la parole du maître ; M. Augustin Thierry, au contraire, fut pour moi un vrai père spirituel. Ses conseils me sont tous présens à l’esprit, et c’est à lui que je dois d’avoir évité dans ma manière d’écrire quelques défauts tout à fait choquans, que de moi-même je n’aurais peut-être pas découverts. C’est par lui que je connus la famille Scheffer, à laquelle je dois une compagne qui s’est toujours montrée si parfaitement assortie aux conditions assez serrées de mon programme de vie, que parfois je suis tenté, en réfléchissant à tant d’heureuses coïncidences, de croire à la prédestination.

Ma philosophie, selon laquelle le monde dans son ensemble est plein d’un souffle divin, n’admet pas les volontés particulières dans le gouvernement de l’univers. La providence individuelle, comme on l’entendait autrefois, n’a jamais été prouvée par un fait caractérisé. Sans cela, certainement, je m’inclinerais reconnaissant devant des concours de circonstances où un esprit moins dominé que le mien par les raisonnemens généraux verrait les traces d’une protection particulière de dieux bienveillans. Les hasards qu’il faut pour amener un terne ou un quaterne ne sont rien auprès de ce qu’il a fallu pour que la combinaison dont je touche les fruits ne fût pas dérangée. Si mes origines eussent été moins disgraciées selon le monde, je ne fusse point entré, je n’eusse point persévéré dans cette royale voie de la vie selon l’esprit, à laquelle un vœu de nazaréen m’attacha de bonne heure. Le déplacement d’un atome rompait la chaîne de faits fortuits qui, au fond de la Bretagne, me prépara pour une vie d’élite ; qui me fit venir de Bretagne à Paris ; qui, à Paris, me conduisit dans la maison de France où l’on pouvait recevoir l’éducation la plus sérieuse ; qui, au sortir du séminaire, me fit éviter deux ou trois fautes mortelles, lesquelles m’auraient perdu ; qui, en voyage, me tira de certains dangers où, selon les chances ordinaires, je devais succomber ; qui fit, en particulier, que le docteur Suquet put venir à Amschit me tirer des bras de la mort, où j’étais déjà enserré. Je ne conclus rien de là, sinon que l’effort inconscient vers le bien et le vrai qui est dans l’univers joue son coup de dé par chacun de nous. Tout arrive, les quaternes comme le reste. Nous pouvons déranger le dessein providentiel dont nous sommes l’objet ; nous ne sommes pour presque rien dans sa réussite. Quid habes quod non accepisti ? Le dogme de la grâce est le plus vrai des dogmes chrétiens. Mon expérience de la vie a donc été fort douce, et je ne crois pas qu’il y ait eu, dans la mesure de conscience que comporte maintenant notre planète, beaucoup d’êtres plus heureux que moi. J’ai eu un goût vif de l’univers. Le scepticisme subjectif a pu m’obséder par momens ; il ne m’a jamais fait sérieusement douter de la réalité ; ses objections sont par moi tenues en séquestre dans une sorte de parc d’oubli ; je n’y pense jamais. Ma paix d’esprit est parfaite. D’un autre côté, j’ai trouvé une bonté extrême dans la nature et la société. Par suite de la chance particulière qui s’est étendue à toute ma vie et qui a fait que je n’ai rencontré sur mon chemin que des hommes excellens, je n’ai jamais eu à changer violemment les partis-pris généraux que j’avais adoptés. Une bonne humeur, difficilement altérable, résultat d’une bonne santé morale, résultat elle-même d’une âme bien équilibrée et d’un corps supportable, malgré ses défauts, m’a jusqu’ici maintenu dans une philosophie tranquille, soit qu’elle se traduise en optimisme reconnaissant, soit qu’elle aboutisse à une ironie gaie. Je n’ai jamais beaucoup souffert. Il ne dépendrait que de moi de croire que la nature a plus d’une fois mis des coussins pour m’éviter les chocs trop rudes. Une fois, lors de la mort de ma sœur, elle m’a à la lettre chloroformé pour que je ne fusse pas témoin d’un spectacle qui eût peut-être fait une lésion profonde dans mes sens et nui à la sérénité ultérieure de ma pensée.

Ainsi, sans savoir au juste qui je dois remercier, pourtant je remercie. J’ai tant joui dans cette vie que je n’ai vraiment pas le droit de réclamer une compensation d’outre-tombe ; c’est à un autre point de vue que je me fâche contre la mort ; elle est égalitaire à un degré qui m’irrite ; c’est une démocrate, qui nous traite à coups de dynamite ; elle devrait au moins attendre, prendre notre heure, se mettre à notre disposition. Je reçois plusieurs fois par an une lettre anonyme, contenant ces mots, toujours de la même écriture : « Si pourtant il y avait un enfer ? » Sûrement, la personne pieuse qui m’écrit cela veut le salut de mon âme, et je la remercie. Mais l’enfer est une hypothèse bien peu conforme à ce que nous savons par ailleurs de la bonté divine. D’ailleurs, la main sur la conscience, s’il y en a un, je ne crois pas l’avoir mérité. Un peu de purgatoire serait peut-être juste ; j’en accepterais la chance, puisqu’il y aurait le paradis ensuite, et que de bonnes âmes me gagneraient, j’espère, des indulgences pour m’en tirer. L’infinie bonté que j’ai rencontrée en ce monde m’inspire la conviction que l’éternité est remplie par une bonté non moindre, en qui j’ai une confiance absolue.

Et maintenant, je ne demande plus au bon génie qui m’a tant de fois guidé, conseillé, consolé, qu’une mort douce et subite, pour l’heure qui m’est fixée, proche ou lointaine. Les stoïciens soutenaient qu’on a pu mener la vie bienheureuse dans le ventre du taureau de Phalaris. C’est trop dire. La douleur abaisse, humilie, porte à blasphémer. La seule mort acceptable est la mort noble, qui est non un accident pathologique, mais une fin voulue et précieuse devant l’Éternel. La mort sur le champ de bataille est la plus belle de toutes ; il y en a d’autres illustres. Si parfois j’ai pu désirer d’être sénateur, c’est que j’imagine que, sans tarder peut-être, ce mandat fournira de belles occasions de se faire assommer, fusiller, des formes de trépas, enfin, bien préférables à une longue maladie qui vous tue lentement et par démolitions successives. La volonté de Dieu soit faite ! Désormais, je n’apprendrai plus grand’chose ; je vois bien à peu près ce que l’esprit humain, au moment actuel de son développement, peut apercevoir de la vérité. Je serais désolé de traverser une de ces périodes d’affaiblissement où l’homme qui a eu de la force et de la vertu n’est plus que l’ombre et la ruine de lui-même, et souvent, à la grande joie des sots, s’occupe à détruire la vie qu’il avait laborieusement édifiée. Une telle vieillesse est le pire don que les dieux puissent faire à l’homme. Si un tel sort m’était réservé, je proteste d’avance contre les faiblesses qu’un cerveau ramolli pourrait me faire dire ou signer. C’est Renan sain d’esprit et de cœur, comme je le suis aujourd’hui, ce n’est pas Renan à moitié détruit par la mort et n’étant plus lui-même, comme je le serai si je me décompose lentement, que je veux qu’on croie et qu’on écoute. Je renie les blasphèmes que les défaillances de la dernière heure pourraient me faire prononcer contre l’Éternel. L’existence qui m’a été donnée sans que je l’eusse demandée a été pour moi un bienfait. Si elle m’était offerte, je l’accepterais de nouveau avec reconnaissance. Le siècle où j’ai vécu n’aura probablement pas été le plus grand ; mais il sera tenu sans doute pour le plus amusant des siècles. À moins que mes dernières années ne me réservent des peines bien cruelles, je n’aurai, en disant adieu à la vie, qu’à remercier la cause de tout bien de la charmante promenade qu’il m’a été donné d’accomplir à travers la réalité.


ERNEST RENAN.

  1. Voir la Revue du 15 mars et du 1er décembre 1876, du 1er novembre 1880, du 15 décembre 1881 et du 1er novembre 1882.
  2. Maintenant rue de l’Abbé-de-l’Épée.
  3. Recueil de cantiques du XVIe siècle, de la plus extrême naïveté. J’ai le vieux volume de ma mère ; peut-être le décrirai-je un jour.
  4. J’ajouterai même envers les animaux. Il me serait impossible de manquer d’égards envers un chien, de le traiter rudement et avec un air d’autorité.