Souvenirs d’un Naturaliste/07

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Souvenirs d’un Naturaliste
Revue des Deux Mondes, période initialetome 19 (p. 5-36).
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SOUVENIRS


D'UN NATURALISTE.




LES CÔTES DE SICILE.


V.

L'ETNA.




Depuis notre départ de Milazzo, nous n’avions pour ainsi dire pas perdu de vue le sommet de l’Etna, encore fumant de l’éruption de 1843. A Giardini, nous avions embrassé du regard toute la partie orientale du volcan et rencontré la première coulée de lave, celle qui, trois cent quatre-vingt-seize ans avant l’ère chrétienne[1], vint, à six lieues du cratère, former la pointe de Schiso. Souvent nous avions vu la fumée qui s’échappait du cône refléter, pendant la nuit, la teinte rougeâtre des feux souterrains ; souvent aussi un grondement sourd, mais d’une incroyable puissance, était venu frapper nos oreilles comme une menace ou un appel lointain. En côtoyant, sur une étendue d’environ douze lieues, le rivage qui sépare Taormine de Catane, nous avions à chaque pas reconnu l’action des forces volcaniques. Roches, vases ou sables, tout ce qui forme cette côte n’a pas d’autre origine. Partout arrive, jusqu’à la mer, le tuf de l’Etna, résultant des éruptions qui datent de la période géologique actuelle. Quelques coulées de laves modernes atteignent aussi le rivage, tranchent, par leur teinte noire, sur la couleur grisâtre du fond, et parfois se superposent les unes aux autres, comme à Aci Reale, dont la Scalazza est formée de sept assises distinctes. Parfois aussi des roches éruptives, dont l’origine remonte à des âges géologiques plus reculés, viennent attirer les regards. Les basaltes du capo Mulini, ceux de Castello d’Aci, ceux des Fariglioni ou îles des Cyclopes, sont là pour attester que, de tout temps, cette portion de la Sicile a été le théâtre des plus redoutables phénomènes.

Catane est la digne capitale d’une terre si cruellement privilégiée. Bien que séparée du grand cratère, centre d’action des feux souterrains, par une distance d’environ huit lieues à vol d’oiseau, cette ville semble être un produit immédiat du volcan. Resserrée entre quatre coulées d’âges différens, c’est avec la lave qu’elle a bâti ses maisons et pavé ses rues. C’est dans la lave qu’elle enfonce les fondemens de ses édifices ; c’est en traversant des bancs de lave qu’elle atteint les sources qui l’alimentent. Le feu liquide a comblé ses ports, brûlé ses jardins, enfoncé ses murailles, enseveli des quartiers entiers. Puis les tremblemens de terre ont renversé ce qu’avaient épargné les laves, et toujours Catane s’est relevée du milieu des décombres, élargissant davantage ses grandes rues tirées au cordeau, élevant plus haut encore ses palais, ses couvens et ses églises. Pourtant elle n’a pu faire disparaître entièrement les traces de ces catastrophes, et, en abordant sur ce sol tant de fois bouleversé, nous pûmes commencer sur-le-champ les observations géologiques qui allaient remplacer pendant quelques jours les études de zoologie.

La petite anse qui forme aujourd’hui le port de Catane ne ressemble guère à cette magnifique rade chantée par les poètes de l’antiquité, qui s’enfonçait à près d’une lieue dans les terres, jusqu’aux collines de Licatia, et ouvrait aux navires son large bassin protégé par une île[2]. Le port d’Ulysse n’existe plus depuis bien des siècles. Cent vingt-quatre ans avant notre ère, un courant de lave, sorti de terre à deux lieues de la ville, inonda toute la campagne à l’est de Catane, combla le port, dépassa le rivage et changea cette grève, d’un accès facile et sûr, en une falaise inabordable. Quatorze cents ans après, en 1381, une autre coulée suivit à peu près la même direction, détruisit les riches plantations d’oliviers qui avaient poussé sur la vieille lave, et vint, à une lieue de Catane, étreindre de ses derniers rameaux le petit port d’Ognina. Deux autres coulées, à peu près parallèles aux précédentes, cernent la ville à l’ouest et au nord. L’une remonte à l’année 527 avant l’ère chrétienne. Elle est de peu d’étendue et vient se terminer dans le port même. L’autre remonte seulement à l’année 1669, date bien connue de tout Sicilien et qui rappelle une des plus formidables éruptions dont les hommes aient conservé le souvenir. Cette dernière, après avoir abattu un large pan de mur, a pénétré dans la ville et poussé jusqu’au cœur des quartiers populeux les masses de lave qu’on exploite aujourd’hui comme autant de carrières.

Catane est placée à l’extrémité méridionale du massif qui a pour centre le cône du cratère, et qui occupe presque en entier une vaste plaine à peu près circulaire, bornée à l’est par la mer, au sud par le Piano di Catania, à l’ouest et au nord par de hautes montagnes de grès ou de calcaire. Un rameau détaché de cette chaîne s’avance vers l’Etna et s’enfonce bientôt sous le tuf volcanique. Ce point de partage des eaux pluviales donne naissance à deux petits fleuves, l’Onobola et le Simète, qui contournent la base du volcan, en marquent presque exactement les limites, et, en se jetant dans la mer, transforment en une véritable presqu’île ce foyer toujours brûlant[3]. Seul, isolé au milieu de ses domaines si nettement déterminés, l’Etna présente la forme d’une pyramide de plus de dix mille pieds de hauteur[4], de dix à quinze lieues de diamètre à sa base. Cette vaste étendue, la facilité avec laquelle on embrasse l’ensemble du massif, donnent à l’Etna un aspect bien différent de celui qu’on pourrait attendre. Cet aspect n’a rien de menaçant, rien d’abrupt. En suivant de l’œil ces belles lignes si largement développées, qui semblent s’élever en pentes douces jusqu’au point culminant, on se demande si c’est bien là le profil de cet Etna que Pindare appelait la colonne du ciel. On traite de mensonges les récits des voyageurs ; on se promet d’atteindre sans fatigue ce sommet si peu élevé en apparence au-dessus de l’horizon, et l’expérience est réellement nécessaire pour rectifier cette erreur[5].

Les pentes dont nous parlons sont d’ailleurs variables, et la ligne qui en résulte présente par conséquent des brisures faciles à reconnaître même à la vue simple. M. de Beaumont a le premier appelé l’attention des géologues sur ce fait très important à connaître pour quiconque veut se rendre compte de la formation de l’Etna. Le pourtour du volcan forme un cercle irrégulier de trente-huit lieues d’étendue environ. Une falaise plus ou moins prononcée le sépare presque partout de la plaine environnante. Au-dessus de cette falaise, qui marque les limites propres du volcan, s’étend une sorte de plateau ou de terre-plein bombé qui s’élève de tous côtés vers la montagne par une pente insensible de deux à trois degrés. Cette espèce de socle porte un cône surbaissé qui forme les talus latéraux de l’Etna, et dont la pente assez régulière est de sept à huit degrés. Ces talus latéraux aboutissent à la gibbosité centrale, au Mongibello des Siciliens, dont la partie la plus élevée se termine par un petit plateau incliné appelé le Piano del Lago, qui lui-même est dominé par le cône terminal où est creusé le grand cratère. Du Piano del Lago se détachent à l’est deux crêtes étroites presque tranchantes qui font partie de la gibbosité centrale et embrassent comme deux bras une grande vallée connue sous le nom de Val del Bore. Les parois intérieures de cette vallée sont souvent taillées à pic. Les parois extérieures présentent une inclinaison d’environ trente-deux degrés. Telles sont les diverses parties que la science moderne distingue dans le massif de l’Etna ; mais il est une autre division depuis long-temps adoptée qui se prête plus commodément au récit d’un voyage, et due nous suivrons d’abord. Celle-ci admet l’existence de trois zones ou régions concentriques et bien faciles à distinguer. La première comprend le terre-plein bombé ; on l’appelle la région cultivée, regione colta, regione piemontese. Elle est célèbre par la fertilité du sol, par la beauté du ciel et la salubrité du climat. Depuis les premiers temps historiques jusqu’à nos jours, de nombreux et riches cultivateurs n’ont cessé de se presser sur cette partie du sol. On compte sur cet étroit espace soixante-cinq villes ou villages, renfermant une population d’environ trois cent mille ames[6]. La seconde zone porte le nom de région boisée, il bosco, regione sylvosa. Elle a dû son nom aux épaisses forêts qui l’ont autrefois couverte et qui ombragent encore aujourd’hui quelques-unes de ses parties. La région boisée comprend les talus latéraux et une portion de la gibbosité centrale de l’Etna. Enfin, à partir du Bosco, s’étend jusqu’au sommet la troisième zone connue sous le nom de région déserte, regione deserta, regione netta. Cette dernière n’est en effet qu’un vaste désert où luttent sans cesse le feu qui couve sous les rochers de la montagne et la neige qui pendant presque toute l’année en couvre le sommet et les flancs[7].

Plus de deux cents éminences coniques de hauteurs variables, la plupart de forme très régulière, et creusées dans leur intérieur d’une cavité en entonnoir, sont disséminées depuis les limites extrêmes de la région cultivée jusqu’au Piano del Lago. Ces cônes parasites sont autant de soupiraux par où les feux souterrains se sont fait jour à diverses époques. L’origine du plus grand nombre se perd dans la nuit des temps anté-historiques, mais tous appartiennent à l’époque géologique actuelle et semblent être uniquement formés de cendres et de scories. La plupart sont répartis dans la région boisée et élèvent bien au-dessus des arbres leur cime tantôt verdoyante, tantôt nue, selon que leur formation remonte à une époque plus ou moins reculée. Ces volcans secondaires deviennent plus rares à mesure qu’on s’élève davantage, et un très petit nombre seulement se sont formés près du sommet. Ce mode de répartition des cônes parasites concorde pleinement avec ce qu’on observe pendant les éruptions. Il est assez rare de voir le grand cratère entrer seul en action. En s’élevant pour atteindre à l’embouchure de ce gigantesque gueulard, la lave agit sur les flancs et les voûtes de la montagne à la façon d’une presse hydraulique, et d’ordinaire sous cet effort d’une incalculable puissance la terre se fend ou s’entr’ouvre. Le torrent enflammé s’échappe par cette issue en même temps que des émanations gazeuses entraînent et lancent dans les airs les débris du sol, qui, retombant autour du nouveau volcan, le revêtent bientôt d’un nouveau cône, éternel monument de son existence passagère. Sur quatre vingts éruptions dont la date est plus ou moins certaine, vingt-deux seulement sont regardées comme appartenant au grand cratère, et le plus souvent alors il n’est sorti de la montagne que des cendres et des pierres. Après avoir exploré Catane et ses environs immédiats, après avoir recueilli des faits sur lesquels nous aurons à revenir plus loin, nous songeâmes à visiter le volcan lui-même. Il signor Abate, notre maître d’hôtel et la providence des voyageurs qui viennent tenter l’ascension, fut chargé des préparatifs. On distribua sur les trois mules qui devaient nous servir de montures des manteaux, des capes de voyage, des provisions de bouche. Ces précautions, qui d’abord, nous semblaient exagérées, sont loin, d’être inutiles. L’ascension du Vésuve est une promenade, celle du Stromboli une course fatigante, celle de l’Etna un voyage court, mais toujours pénible, et qui peut avoir ses dangers. Sur ces pentes élevées, où la glace ne fond jamais entièrement, des tempêtes violentes, des bourrasques de grêle et de neige, assaillent souvent à l’improviste le touriste ou le savant partis sur la foi d’un ciel serein. D’ailleurs, en quittant Catane pour atteindre le sommet de l’Etna, on subit des variations très considérables dans la température et dans la pression atmosphérique. Le thermomètre, qui pendant le jour et dans la plaine a marqué quarante degrés à l’ombre ou environ soixante au soleil, descend souvent au-dessous de zéro pendant la nuit qu’il faut passer au pied du cône. Par suite du poids de l’atmosphère, un homme de taille moyenne supporte au niveau de la mer une pression de 10 330 kilogrammes ; arrivé aux bords du, cratère, cette pression n’est plus que de 7 013 kilogrammes environ. Ainsi, pendant le double trajet, parcouru ordinairement dans l’espace de quarante-huit heures, le voyageur doit supporter deux fois une variation de température d’au moins soixante degrés et une variation de pression de 3 317 kilogrammes.

Nous sortîmes de Catane au point du jour, et, par une route qu’on peut parcourir en voiture, nous traversâmes la région cultivée. Ces premiers versans de l’Etna présentent un coup d’œil à la fois riant et triste. Partout on foule une terre féconde couverte de moissons et de plantations d’oliviers. On traverse des villages où tout annonce l’aisance. On salue des bords de la route des cottages charmans ou de petites fermes aux murs blanchis à la chaux à demi cachées sous les pampres de vignes et les bosquets d’arbres fruitiers. Mais cette terre, c’est de la cendre volcanique ; ces moissons, ces cerisiers chargés de fruits, ces grenadiers, ces orangers en fleur, poussent sur des laves à peine broyées par l’action lente des siècles. Ces villages, ces maisons de campagne, sont construits en lave et cimentés en pouzzolane. Souvent c’est dans la bouche même de quelque vieux cratère qu’est bâtie l’habitation riante qui attire vos regards. Puis à chaque pas le chemin traverse ou longe quelque coulée plus récente dont la cheire[8] aride et boule versée recouvre des champs jadis aussi fertiles que ceux qu’elle coupe aujourd’hui comme une immense chaussée noire. Partout à côté du bonheur et de la richesse présente se dresse un passé de désolation et de misère qui fait trembler pour l’avenir.

On éprouve surtout ce sentiment, lorsque, après avoir dépassé le petit hameau de Massannonziata, on voit s’élever derrière les maisons de Nicolosi la double cime des Monti-Bossi. C’est ce cratère qui, en 1669, ensevelit sous une pluie de cendres toute la contrée voisine, et menaça d’une destruction complète Catane, distante de près de quatre lieues en ligne droite. Échancré par la violence même de l’éruption qui l’avait formé, il a conservé la forme de deux cônes juxtaposés de 300 mètres de hauteur, et dont les scories tranchent par leur teinte rouge sombre sur tous les objets environnans. Du pied de cette montagne part un fleuve de scories gigantesques qui se dirige vers le sud, atteint sur plusieurs points une largeur de plus d’une lieue, et se jette dans la mer au sud-ouest de Catane. Dans tout ce trajet, la cheire présente l’aridité la plus absolue. De ces énormes blocs refroidis depuis près de deux siècles, pas un ne semble encore avoir ressenti l’action du temps. Tous présentent à l’œil une teinte noire aussi foncée, des arêtes et des pointes aussi vives que s’ils étaient figés et rompus de la veille. Pas un brin d’herbe n’a pu encore pousser sur cette roche qui semble repousser toute végétation, et c’est à peine si quelques rares lichens étalent sur ses flancs leurs plaques étiolées[9].

Arrivés à Nicolosi, nous fûmes reçus par le docteur Mario Gemellaro, un de ces trois frères qui, non contens d’avoir voué à l’Etna un culte de famille et d’avoir consacré leur vie à en observer les phénomènes, ont su faciliter à tous les voyageurs l’accès et l’étude de leur montagne chérie[10]. Avant eux, le touriste ou le savant qui visitaient l’Etna étaient obligés de coucher à mi-côte sous une vieille lave, dans une cavité fort mal close appelée la grotte des chèvres. Pour atteindre le sommet du cône avant le lever du soleil, il fallait gravir pendant la plus grande partie de la nuit les pentes les plus abruptes, les plus dangereuses de la montagne. En 1804, les frères Gemellaro firent construire à leurs frais une petite maison sur les bords du Piano del Lago ; ils la meublèrent, et la clé en fut confiée à M. Mario Gemellaro. Cette première casina, détruite en 1806, fut bientôt remplacée par une seconde, qui prit le nom de Gratissima. Cinq ans après, en 1811, un tremblement de terre renversa en partie cette dernière et détruisit le mobilier. Sans se rebuter, les trois frères résolurent de la remplacer par un édifice plus considérable où pourraient loger non-seulement les voyageurs, mais encore leurs montures. Ils choisirent pour emplacement, non loin de la Gratissima, un monticule couvert de lapilli[11], abrité du côté du volcan par les bords à pic des laves de 1754 ; mais, à l’exception de la pierre, tous les matériaux devaient être apportés à dos de mulet d’une distance considérable, et les frais de l’entreprise auraient dépassé de beaucoup la modeste fortune de nos savans. Ils eurent l’idée de s’adresser à lord Forbes, commandant de l’armée anglaise qui occupait alors la Sicile. Une souscription fut ouverte, et bientôt, sous la direction de M. Mario Gemellaro, s’éleva une véritable maison, qui jusqu’à ce jour a été épargnée par le volcan.

Toutefois la persévérance des frères Gemellaro devait subir bien d’autres épreuves. La maison une fois construite, ils l’avaient proprement meublée et y avaient transporté une provision de combustible. Attirés par ce butin, les pâtres de l’Etna forcèrent la porte et enlevèrent tout le mobilier. Ces dégâts bientôt réparés se reproduisirent à deux autres reprises. Enfin, en 1820, à l’époque de l’occupation autrichienne, quelques officiers en garnison à Catane voulurent visiter le volcan. En leur qualité d’hommes du Nord, ils crurent pouvoir se passer de toute précaution et dédaignèrent de demander les clés de la casa Gemellaro ; mais, arrivés au sommet de la montagne et saisis par le froid, ils enfoncèrent les portes et brûlèrent les meubles. Pour cette fois, les Gemellaro durent céder à la destinée, et, contens d’avoir assuré un abri aux voyageurs, ils ne firent transporter à la casa que des meubles incapables de tenter la cupidité ou que leur bas prix permet de remplacer à peu de frais.

Nous venons de désigner la maison de l’Etna sous le nom de casa Genaellaro : n’est-ce pas là simple justice ? Pourtant elle est trop souvent nommée la casa Inglese, la maison anglaise. Bien plus, une inscription placée au-dessus de l’entrée porte ces mots : AEtnam perlustrantibus has aedes Britanni in Sicilia, anno salutis 1811[12]. De ceux qui eurent toute l’initiative, de ceux qui élevèrent les premières casine, de ceux qui, encore aujourd’hui, consacrent leur fortune à l’entretien de la casa, pas un seul mot ! Pour avoir complété la mise de fonds nécessaire, lord Forbes et ses lieutenans ont cru pouvoir confisquer tout l’honneur.

Après avoir reçu de M. Gemellaro tous les renseignemens nécessaires et nous être entendus avec le guide qu’il désigna, nous reprîmes notre voyage. Nicolosi marque la limite de la région cultivée sur ce versant de l’Etna. Les dernières maisons du village touchent à une colline de sable noir et mobile où s’élèvent seulement d’espace en espace de grands genêts arborescens aux corolles d’un jaune d’or ; puis on traverse un large plateau de, laves entièrement nues. Ici commencèrent nos fatigues. Le chirocco soufflait, et déjà, chez M. Gemellaro, le thermomètre marquait près de quarante degrés à l’ombre. Brûlés à la fois par les rayons directs du soleil et par la réverbération de ces masses de pierre, nous hâtâmes la marche allanguie de nos mules pour atteindre plus vite la région boisée, dont la verdure sombre semblait nous promettre de loin de l’ombre et de la fraîcheur. Mais quel fut notre désappointement, lorsqu’en arrivant à cette lisière tant désirée, nous ne trouvâmes qu’un tapis de fougère parsemé çà et là de quelques vieux troncs de chênes ébranchés ! L’Etna méridional présente partout le même spectacle. Dans cette vaste étendue couverte autrefois de forêts séculaires, il ne reste pas aujourd’hui un seul arbre que n’aient entamé le fer ou le feu. Un procès pendant depuis une quinzaine d’années entre le prince de Paterno et les communes co-propriétaires est cause de cette dévastation. Toute surveillance a cessé depuis cette époque. Les montagnards en ont profité pour cerner les arbres à coups de hache ou les brûler par le bas, afin de les faire périr et de pouvoir se les approprier ensuite comme bois mort, et, grace à leur imprévoyante avidité, la forêt a presque entièrement disparu.

Nous continuâmes donc à monter sous les rayons d’un soleil ardent. Le sentier, de plus en plus rapide, serpentait dans une terre légère presque entièrement formée de laves décomposées, gravissait parfois une coulée découverte ou contournait le pied de quelque antique cratère envahi aujourd’hui par la végétation et qui se dessinait nettement comme une pyramide de verdure. La fécondité du Bosco est remarquable, et partout la flore etnéenne, si riche en espèces végétales, semble disputer le terrain au volcan qui la menace sans cesse. De là résultent des contrastes frappans. La stérilité la plus absolue touche souvent à la plus riche végétation. Cette portion du trajet nous en offrait un exemple remarquable. Tous les versans placés à gauche de la route disparaissaient sous un épais tapis vert, dominé çà et là par des arbres souvent tenus comme en équilibre sur leurs racines dénudées. Quelques pâtres, suivis de nombreux troupeaux, animaient cette partie du paysage et.nous regardaient passer avec une curiosité nonchalante. Les bas-fonds placés à droite présentaient un aspect aussi riant, mais au-dessus d’eux se montraient, comme autant de torrens et de cascades pétrifiées, les laves énormes sorties des Bocarelle del Fuoco, cratères jumeaux qui, en 1766, détruisirent, au dire de Gemellaro, plus d’un million de chênes dans cette partie de la forêt.

Après deux heures de marche, nous atteignîmes la lisière des bois et la Casa del Bosco, petite hutte bâtie en face de la grotte des chèvres. Il était midi passé, et pourtant la chaleur était plus supportable. Nous étions arrivés à une hauteur de 1900 mètres au-dessus de notre point de départ[13]. Pour atteindre la casa Gemellaro, il ne restait plus qu’un millier de mètres à gravir ; mais c’était la plus rude part du voyage, et, pour reprendre des forces, on fit halte. Le panier aux provisions fut ouvert. Voyageurs et muletiers s’assirent sur un gazon fin et serré comme celui de toutes les hautes montagnes, et, après un repas qu’as saisonnait la fatigue, s’endormirent au pied d’un chêne couvert d’un reste de feuillage.

Après une courte sieste, nous reprîmes notre ascension et entrâmes dans la région déserte. Ici la végétation décroît tout à coup au point de sembler disparaître. Les quatre cent soixante-dix-sept espèces végétales qui se disputent le terrain du Bosco se réduisent à quatre-vingts environ ; encore faut-il compter dans ce nombre plus de trente espèces de lichens[14]. Pas un arbre, pas un arbuste ne s’élève dans ces solitudes. La faune de l’Etna n’y compte d’autres représentans que des plantes basses dispersées par touffes dans les crevasses du rocher ou sur quelques pentes formées d’antiques lapilli. Aussi rien de plus désolé que cette partie de la montagne. Notre œil se fatiguait à errer sur ces talus uniformément couverts de vieilles laves ou de cendres grisâtres dont l’ensemble produit l’effet d’un immense éboulement. Le sentier n’était plus qu’une trace à peine distincte, et les mules, malgré la sûreté de leurs pieds, trébuchaient à chaque pas sur ce terrain à la fois si mouvant et si raide. Cependant nous montions toujours, et la température baissait sensiblement. Au pied de la Montagnuola, un des cônes secondaires les plus considérables de l’Etna, le guide nous montra les glaciers de Catane, consistant en de vastes amas de neige régulièrement disposés sous une mince couche de sable. Un peu plus haut, la neige se montra à découvert[15]. Il fallut endosser capes et manteaux. Bientôt ces vêtemens devinrent insuffisans contre le froid. Pour conserver un reste de chaleur, nous fûmes contraints de quitter nos montures et de gravir à pied les dernières rampes qui nous séparaient de la casa.

Au moment de notre arrivée, le soleil, prêt à se cacher derrière l’extrémité occidentale de l’île, projetait l’ombre de l’Etna sur la mer ionienne et effleurait de ses derniers rayons les campagnes de Catane et d’Aderno. Nous admirâmes un instant ce panorama magnifique, brusquement interrompu vers le nord par le cône du grand cratère, qui s’élevait au centre du Piano del Lago à plus de mille pieds au-dessus de nos têtes ; mais le froid ne nous permit pas même d’attendre qu’il fût nuit close. Le thermomètre était tombé au-dessous de zéro, et nous entrâmes à la casa en bénissant le nom de ces trois frères qui ont su créer aux voyageurs, sur ce plateau élevé de deux mille neuf cent vingt quatre mètres[16] au-dessus du niveau de la mer, un abri contre la bise qui nous glaçait jusqu’au cœur. Moins heureux que nous, les muletiers durent regagner le bas de la Montagnuola, et remplacer par quelque grotte l’écurie encore encombrée de glace et de neige. Le guide seul resta pour nous servir. En un clin d’œil, une plaque mince de lave, transformée en brasero, se couvrit d’un feu de charbon que nous entourâmes avec jouissance. Les lampes furent allumées, les provisions étalées sur une table grossière, mais propre. Pendant que nous mangions, le guide balayait le lit de camp et couvrait d’une paillasse assez mince ces planches quelque peu raboteuses. Après avoir renouvelé le brasero et fait autant que possible provision de chaleur, nous gagnâmes cette couche, bien préférable au plancher de lave de la grotte des chèvres. Couverts de nos capes et de nos manteaux, serrés l’un contre l’autre, nous ne tardâmes pas à nous endormir, malgré les courans d’air froid que le sol pris de glace nous envoyait à travers les planches mal jointes de notre lit.

À deux heures après minuit, le guide nous éveilla, nous fit choisir dans un faisceau de bâtons solides, et nous prîmes, au clair de lune, la route du cratère. Nous traversâmes avec quelque peine la coulée de lave qui, en 1838, est venue se bifurquer au pied du monticule qui porte la casa, puis un banc de neige qui craquait sous nos pieds, puis enfin une pente douce couverte de scories. Nous nous trouvâmes alors à la base du cône et commençâmes une ascension d’abord aussi pénible que celle du Stromboli. Les pierres, les sables mobiles fuyaient à chaque instant sous nos pieds ; mais, dirigés par le guide, nous atteignîmes une coulée placée vers l’ouest, et la montée devint moins fatigante. Enfin nous atteignîmes la crête et restâmes immobiles à l’aspect du tableau qui se déroulait devant nous. À nos pieds s’ouvrait le grand cratère. Ce n’était plus ici un simple cône renversé, un entonnoir presque régulier comme nous en avions observé sur tous les cônes parasites, comme on le voit au sommet du Vésuve lui-même. Ce n’était plus ce noir uniforme des roches et des cendres du Stromboli. Encore bouleversé par l’éruption de l’année précédente, le cratère de l’Etna se présentait comme une véritable vallée, coudée, profonde, inégale, avec ses redans et ses caps, formés par des talus abruptes, irréguliers, hérissés d’énormes, scories, de blocs de lave entassés, roulés, tordus de mille manières par la puissance du volcan ou les hasards de leur chute. C’étaient partout des couleurs bleuâtres, verdâtres, blanchâtres, semées çà et là de larges taches noires ou de plaques d’un rouge cru qui faisaient ressortir les teintes livides de l’ensemble. Un silence de mort régnait sur ce chaos. Des milliers de fumaroles laissaient échapper sans bruit de longues traînées de vapeurs blanches qui rampaient lentement sur les flancs du cratère et portaient jusqu’à nous des émanations suffocantes d’acide sulfureux ou chlorhydrique. Enfin la clarté blafarde de la lune jointe au crépuscule, naissant éclairait dignement cette scène sauvage dont aucune langue humaine ne saurait exprimer le caractère grandiose et vraiment infernal.

Le sol que nous foulions, entièrement composé de cendres et de scories, était humide, chaud, et semblait couvert de gelée blanche. Mais cette humidité, c’était de l’acide qui eut bientôt mouillé et corrodé nos chaussures ; cette couche argentée où miroitaient quelques cristaux, c’était du soufre sublimé par le volcan, des sels formés par les réactions chimiques qui se passent sans cesse dans ce redoutable laboratoire[17]. En suivant l’arête étroite qui borde le cratère au midi, nous atteignîmes à l’extrémité orientale la pointe la plus élevée. Alors un spectacle indescriptible s’offrit à nos regards. Le ciel était d’une pureté parfaite, l’air d’une entière limpidité, et, grace à la brièveté du crépuscule, l’horizon, déjà vivement éclairé, semblait n’avoir d’autres bornes que celles qui résultent de la courbure même du globe terrestre. Du haut de notre piédestal, nous dominions de quatre à cinq mille pieds les pics les plus élevés des Pelores et des Madonies. La Sicile entière était étendue devant nous comme une carte de géographie. A l’ouest seulement, l’œil s’égarait au milieu des cimes de Corleone à demi cachées par les vapeurs qui nous dérobaient le mont Eryx. En-deçà de cette limite, partout nous rencontrions la mer comme cadre du tableau, et nous pouvions parcourir du regard la route tracée depuis quatre mois autour de l’île par la Santa-Rosalia. Au nord, nous apercevions les montagnes de Palerme, nous voyions nettement Milazzo, les îles de Vulcain, la pyramide noire et régulière du Stromboli. Le détroit de Mes sine, la côte de Calabre, nous laissaient distinguer jusqu’aux accidens du terrain. Plus près encore, le massif même de l’Etna nous montrait ses trois zones concentriques parfaitement accusées et ses soixante-cinq villes ou villages, avec leurs riches campagnes, sillonnées de traînées de laves qui divergent du centre comme autant de noirs rayons. Au midi, l’œil embrassait à la fois Augusta, Syracuse et le Capo-Passaro, autour duquel la côte semblait se replier pour revenir sur elle-même et aller se perdre dans la brume du côté de Girgenti. Muets d’admiration, nous promenions nos regards d’une extrémité à l’autre de ce cercle immense, quand tout à coup le guide s’écria : — Ecco lo ! — C’était lui en effet, c’était le soleil qui se levait sanglant en face de nous, lavait de pourpre la terre, la mer et le ciel, et projetait jusqu’aux limites de l’horizon, à travers l’île entière, l’ombre gigantesque de l’Etna que nous voyions se raccourcir et devenir plus distincte à mesure que l’astre s’élevait davantage au-dessus de la mer d’Ionie.

Cependant de légères vapeurs sortaient partout de la terre échauffée par le soleil levant. Comme une gaze de plus en plus épaisse, elles envahissaient et rétrécissaient rapidement l’horizon. Nous jetâmes un dernier regard dans la vallée du cratère, et, abandonnant notre observatoire, nous descendîmes vers la base de ce mamelon. Bientôt le guide nous arrêta près d’une rampe étroite et rapide qui, nettement détachée des bords arrondis du cône, aboutissait à un précipice taillé à quelque cent pas au-dessous. Là nous le vîmes rouler la manche de sa veste et l’appliquer sur sa bouche en nous engageant à l’imiter. Puis il s’élança droit en travers du talus en s’écriant : — Fate presto ! — Sans hésiter, nous le suivîmes et arrivâmes sur les bords de la bouche qui, en 1842, avait vomi ses laves dans le Val del Bove, et qui, rouverte par l’éruption de 1843, semblait encore menacer la contrée voisine. C’était d’elle que sortait la fumée que nous avions vue de Giardini ; c’était au fond de ses abîmes que grondait par instans la foudre souterraine. Ici toute description devient absolument impossible. Une vaste enceinte irrégulièrement circulaire, formée de parois à pic, s’élevait autour du gouffre. À gauche, au pied de l’escarpement, s’ouvrait un large soupirail d’où s’élançait par tourbillons une fumée rouge de feu. Au centre, à droite, partout c’étaient d’énormes blocs de lave éclatés, fendus, déchirés, les uns noirs, les autres d’un rouge sombre, tous montrant au fond de leurs moindres crevasses les teintes plus vives de la lave qui les portait. Mille jets de fumée blanche ou grise se croisaient en tout sens avec un bruit assourdissant et des sifflemens semblables à ceux d’une locomotive qui laisse échapper sa vapeur. Malheureusement nous ne pûmes que jeter un coup d’œil sur cette étrange et effroyable scène. L’acide chlorhydrique nous prenait à la gorge et pénétrait dans les dernières ramifications des bronches. À la hâte et comme ivres, nous regagnâmes le talus protecteur, et respirâmes plus à l’aise ; puis, appuyés sur nos bâtons, nous nous lançâmes en bondissant sur la pente uniquement composée de débris mobiles, et en cinq minutes nous étions au bas de ce cône que nous avions mis plus d’une heure à gravir.

Les mules nous attendaient à la casa. En un clin d’œil, notre mobilier temporaire fut installé sur leur dos, et, tandis qu’elles descendaient droit devant elles, nous prîmes à gauche pour visiter au moins des yeux le Val del Bove. Cette excursion fut peut-être la plus pénible partie du voyage. Le vent du nord-est s’était levé, et en quelques minutes était devenu une véritable tempête. Son souffle glacé soulevait des tour billons de sable et de graviers qui piquaient la figure et les mains comme autant d’aiguilles. Nous eûmes beaucoup de peine à gagner la Torre del Philosopho, petit monument antique, aujourd’hui en ruine, où les légendes siciliennes ont fixé l’habitation d’Empédocle, mais qui n’est probablement qu’un tombeau dont la date remonte seulement au temps des empereurs romains. La Torre del Philosophe touche presque à l’escarpement des Serre del Solfizio, qui borne le Val del Bove du côté du volcan. Placés sur ces roches à pic, nous admirâmes cet immense cirque de deux lieues et quart de long sur plus d’une lieue et quart de large, dont les parois presque partout perpendiculaires ; formées d’amas de lave plus vieilles que le genre humain, s’élèvent souvent à plus de mille pieds au-dessus du fond presque entièrement formé de cheires modernes superposées les unes aux autres ; mais l’ouragan, qui redoublait de violence, nous chassa bientôt de ce poste, et fuyant, pour ainsi dire, devant lui, nous passâmes, sans presque nous arrêter, devant la Cisterna, énorme éboulement en forme de cône renversé qui s’est ou vert au milieu du Piano del Lago. Nous trouvâmes enfin derrière la Montagnuola un abri et les mules qui nous attendaient. Trois heures après, nous étions à Nicolosi, et, tout en remerciant le docteur Gemellaro, nous mettions nos signatures sur son registre au-dessous des noms de Léopold de Buch, d’Elie de Beamont, de Constant Prévost, d’Adrien de Jussieu. Le soir, nous nous reposions chez Abate, et, devant la table la mieux servie qu’on rencontre en Sicile, nous oubliions nos fatigues pour ne songer qu’aux grands spectacles qui leur avaient servi de ré compense.

Quand on a visité l’Etna, on comprend l’énorme puissance des forces mises en jeu dans ce coin du globe ; on ne regarde plus comme exagérés les récits de ces éruptions qui ébranlent parfois la Sicile tout entière et font sentir leurs effets jusqu’à Malte et dans les Calabres. Nous allons essayer d’en donner une idée en traçant, d’après Recupero, l’histoire de l’éruption de 1669[18]. Indépendamment de l’intérêt propre que présente cet événement désastreux, nous aurons par là occasion de rappeler quelques faits attestés par une foule de témoins oculaires, et qu’on a peut-être trop oubliés. En parcourant ces pages naïvement écrites par quelque moine ignorant, par quelque curé de village, on est tout surpris de les voir réfuter sans y songer des erreurs accréditées jusque chez les savans de nos capitales, et qui ont trouvé place dans des ouvrages techniques d’ailleurs justement estimés.

Le 8 mars 1669, au point du jour, un ouragan terrible s’éleva tout à coup, souffla pendant une demi-heure environ, ébranla toutes les maisons de Nicolosi, et servit de précurseur aux désastres qui allaient dévaster la contrée. La nuit suivante, la terre se mit à trembler. Les secousses augmentèrent peu à peu de force, et le dimanche les murs commencèrent à crouler. La population de Nicolosi, frappée de terreur, chercha un refuge dans la campagne. Pendant la nuit du lundi, une secousse formidable jeta par terre toutes les maisons du bourg. Le tremblement de terre devenait d’heure en heure plus violent. Les arbres et les quelques cabanes restées debout oscillaient comme autant de morceaux de bois flottans à la surface d’une mer agitée, et les hommes eux-mêmes, ne pouvant conserver l’équilibre sur ce sol mouvant, trébuchaient et tombaient à chaque ondulation. A ce moment, la terre se fendit sur une longueur de quatre lieues du Piano di San-Lio jusqu’au mont Frumento, un des cônes parasites les plus rapprochés du sommet de l’Etna. Cette fente, dirigée du sud-ouest au nord-est, avait de quatre à six pieds de large ; malgré bien des tentatives, on ne put en sonder exactement la profondeur.

Enfin les flammes de l’Etna s’ouvrirent un passage au travers de ce sol battu et rebattu. Une première bouche s’ouvrit à l’ouest du mont Nucilla et lança dans les airs une colonne de sable et de fumée que les habitans de Catane estimèrent s’être élevée à une hauteur de douze cents pieds. Dans l’espace de deux heures, six autres bouches s’ouvrirent, toutes placées à la file l’une de l’autre et dans la même direction que la fente dont nous avons parlé. Une fumée noire et épaisse sortit avec un horrible fracas par ces soupiraux. De nouveaux cratères se formèrent dans le courant de la journée, et, le mardi matin, apparut tout à coup celui qui devait donner naissance aux Monti-Rossi. Il vomit d’abord une épaisse fumée mêlée de scories brûlantes ; puis, au bout de quelques heures, on vit sortir de sa bouche une immense quantité de laves qui, formant un courant de près d’une lieue de large sur une hauteur d’environ dix pieds, se dirigèrent droit vers le midi et allèrent heurter le pied du Monpilieri, antique cratère alors tout couvert d’arbres et de gazon. Le fleuve embrasé pénétra ce sol peu solide, se fraya un passage au travers de la montagne et coula pendant quelque temps dans cet aqueduc improvisé ; mais bientôt le Monpilieri s’écroula en partie, et la lave, refluant autour de lui, l’entoura comme une île de verdure perdue au milieu des flammes. Sept bouches secondaires s’ouvrirent en même temps autour du cratère principal. D’abord isolées, elles lancèrent dans les airs une énorme quantité de pierres embrasées qui se heurtaient en retombant et joignaient le fracas de leur chute aux effroyables canonnades du volcan. Au bout de trois jours, elles se réunirent en un vaste et horrible gouffre d’environ deux mille cinq cents pieds de circonférence qui, du il mars jusqu’au 15 juillet, ne cessa de tonner, de rugir, de lancer des cendres et des scories, de vomir des flots de lave.

Jusqu’à ce moment de l’éruption, le grand cratère était resté aussi complètement inactif que si ses cavernes n’eussent eu aucune communication avec celles du nouveau volcan, quand tout à coup, le 15 mars, vers les dix heures du soir, la montagne entière parut s’ébranler : une gigantesque colonne de fumée noire et de matières ignées s’élança du sommet ; puis, avec un bruit effroyable, la cime s’éboula pièce à pièce dans les abîmes du volcan. Le lendemain, quatre hardis montagnards osèrent tenter l’ascension. Ils trouvèrent la surface du sol déprimée tout autour du cratère. Toutes les crêtes qui l’entouraient auparavant étaient englouties, et l’orifice, dont la circonférence ne dépassait pas d’a bord une lieue, avait atteint deux lieues de tour[19].

Cependant le torrent de lave sorti des Monti-Rossi continuait sa course en se dirigeant vers le sud. Ses divers rameaux occupaient une largeur d’une lieue et quart. Chaque jour, de nouvelles ondées de feu liquide venaient recouvrir les matières à demi figées de la veille, élargissaient le lit de ces courans d’abord séparés, et envahissaient les îlots de terrain momentanément épargnés. Déjà les villages de Belpasso, de San Pietro, de Camporotundo, de Misterbianco, étaient presque entièrement détruits ; déjà leurs riches territoires avaient disparu sous ces masses incandescentes. Le 4 avril, la lave se montra en vue des murs de Catane et s’étendit dans la campagne des Albanelli. Là, comme pour montrer sa puissance, elle souleva et transporta à une assez grande distance une colline argileuse couverte de champs de blé, puis une vigne qui flotta quelque temps sur les vagues embrasées. Après avoir nivelé quelques inégalités de terrain et détruit plusieurs vignobles, la lave atteignit enfin une vallée large et profonde, appelée la Gurna di Niceto. Dès-lors, les Catanais se crurent sauvés, car ils pensaient que le volcan aurait épuisé ses forces avant d’avoir pu remplir ce vaste bassin. Aussi quelle dut être leur terreur, lorsque, dans le court espace de six heures, ils virent le vallon comblé, et la lave, marchant droit à eux, s’arrêter à un jet de pierre des murailles comme un ennemi qui plante ses tentes devant la forteresse qu’il vient assiéger !

Le 12 avril faillit voir la ruine de Catane. Une coulée de lave, large de près d’une demi-lieue et haute de plus de trente pieds, s’avança directement vers la ville. Heureusement heurtée dans son trajet par un autre courant qui portait à l’ouest, elle se détourna, et, côtoyant les remparts à portée de pistolet, elle dépassa le port et atteignit enfin la mer le 23 avril. Alors commença entre l’eau et le feu un combat dont chacun peut se faire une idée, mais que semblent renoncer à décrire ceux-là même qui furent témoins de ces terribles scènes. La lave, refroidie à sa base par le contact de l’eau, présentait un front perpendiculaire de quatorze à quinze cents mètres d’étendue, de trente à quarante pieds d’élévation, et s’avançait lentement, charriant comme autant de glaçons d’énormes blocs solidifiés, mais encore rouges de feu. En atteignant l’extrémité de cette espèce de chaussée mobile, ces blocs tombaient dans la mer, la comblaient peu à peu, et la masse fluide avançait d’autant. À ce contact brûlant, « énormes masses d’eau, ré duites en vapeur, s’élevaient avec d’affreux sifflemens, cachaient le soleil sous d’épais nuages et retombaient en pluie salée sur toute la contrée voisine. En quelques jours, la lave avait reculé d’environ trois cents mètres les limites de la plage.

Cependant de nouveaux affluens venaient continuellement grossir le fleuve embrasé, dont le courant sans cesse élargi avait atteint les remparts de Catane. Le flot montait chaque jour et touchait au sommet des murailles. Celles-ci ne purent supporter long-temps cette énorme pression. Le 30 avril, quarante mètres de mur environ furent renversés, et la lave entra par cette brèche[20]. Les quartiers envahis étaient les plus élevés, et Catane semblait vouée à une destruction inévitable, quand elle fut sauvée par l’énergie de trois hommes, qui tentèrent de lutter contre le volcan. Le docteur Saverio Musmeci et le peintre Giacinto Platania eurent l’idée de construire des murs en pierres sèches, qui, placés obliquement en avant du courant, devaient en changer la direction. Ce moyen réussit, en partie ; mais le frère don Diego Pappalardo en imagina un autre, dont l’exécution devait avoir un résultat plus sûr encore. Les coulées de laves s’encaissent d’elles-mêmes dans une sorte de canal solide, formé de blocs refroidis et soudés les uns aux autres. La matière fondue, protégée par cette espèce d’enveloppe, conserve sa fluidité et va au loin porter ses ravages. Don Pappalardo pensa qu’en abattant ces digues naturelles sur un point bien choisi, il ouvrirait une voie nouvelle aux flots embrasés et tarirait le torrent à sa source même. Suivi d’une centaine d’hommes alertes et vigoureux, il attaqua la coulée, non loin du cratère, à coups de marteau, de massue… La chaleur était si violente, que chaque travailleur pouvait à peine frapper deux ou trois coups de suite et s’écartait aussitôt pour respirer. Cependant, en s’aidant de crampons en fer, ils parvinrent à démolir une portion de la digue, et, conformément aux prévisions de Pappalardo, la lave s’épancha par cette ouverture. Mais le nouveau courant se portait sur Paterno. Les habitans de cette dernière ville, craignant de voir détourner sur eux le fléau qui menaçait Catane, marchèrent en armes contre Pappalardo et le contraignirent à fuir avec ses braves ouvriers. Toutefois, grace à l’heureuse diversion déjà opérée, la lave n’avait pu envahir toute la ville, et, le 8 mai, elle s’arrêta, après avoir brûlé trois cents maisons, quelques palais, quelques églises et le jardin des bénédictins[21]. Le 13 du même mois, un petit torrent franchit le rempart au sud de la ville, près de l’église della Palma. Un mur en pierres sèches, construit à la hâte, suffit pour l’arrêter. Les Catanais furent moins heureux quelques jours après. Un nouveau courant envahit le château, combla ses fossés et atteignit bientôt le niveau des remparts. Une digue fut aussitôt construite pour l’arrêter ; mais, le 11 juin, la lave franchit la muraille et se dirigea, à travers la ville, vers le couvent des pères di Monte-Santo. Là, on lui opposa une nouvelle barrière qui réussit à l’arrêter, et préserva ainsi un des plus beaux quartiers de Catane. A dater de cette époque, les laves ne menacèrent plus la cité et allèrent se jeter directement dans la mer. L’éruption continua quelque temps encore, et le comte de Winchelsea nous apprend que les cendres tombaient à Catane et dans la mer à dix lieues de distance, au point qu’il en avait mal aux yeux. Toutefois la violence du volcan s’épuisait. Après le 15 juillet, il paraît s’être borné à rejeter les cendres, les scories et les fragmens de lave qui obstruèrent bientôt le fond du cratère et fermèrent les bouches qui, pendant quatre mois et demi, avaient vomi la terreur et la dévastation.

Telle fut cette éruption si tristement célèbre, qui couvrit cinq à six lieues carrées d’une couche de lave épaisse sur certains points de près de cent pieds, qui menaça d’anéantir Catane et détruisit les habitations de vingt-sept mille personnes[22]. On retrouve encore aujourd’hui à la surface du sol la trace de ces terribles phénomènes accomplis depuis près de deux siècles. Nous avons essayé plus haut de décrire la cheire qui part des Monti-Rossi. Si le temps nous l’eût permis, nous aurions pu retrouver encore, comme l’avait fait Recupero, les quinze bouches accessoires qui,jalonnent sur un espace d’environ quatorze cents mètres la direction des forces souterraines ; nous aurions pu pénétrer dans la partie supérieure de cette fente formidable d’où sortit l’énorme quantité de sable qui ensevelit près d’une lieue carrée sous une couche de trois à quatre pieds de haut, et sema la stérilité jusque dans les Calabres ; nous aurions pu descendre dans cette grotta dei Palombi que, grace à M. Mario Gemellaro, on peut aujourd’hui explorer jusqu’à une profondeur de plus de deux cents pieds, et contempler dans cette crevasse un des orifices encore béans produits par le disloquement des antiques couches ; mais, sans quitter l’enceinte de Catane, nous avons constaté la puissance du volcan. Au nord et à l’ouest de la ville, nous avons vu ces laves, qui en avaient renversé et franchi les remparts ; nous avons retrouvé, au midi, ces ondées qui se déversèrent par-dessus les murs construits par Charles-Quint. Nous avons pu juger de l’épaisseur effrayante de cette couche en descendant les escaliers du Pozzo di Vela, sorte de puits creusé en suivant ce même mur à l’extérieur, et au fond duquel le prince Biscari a retrouvé le fleuve Amenano[23], perdu depuis cette époque fatale. Nous avons parcouru, au-delà du port, cette cheire qui avance dans la mer en forme de promontoire, et dont la surface ressemble à celle d’un fleuve en débâcle, dont les glaçons, immobiles et noirs, auraient quelquefois plusieurs centaines de pieds carrés en surface sur quinze à vingt pieds d’épaisseur.

En parcourant des lieux dont l’aspect seul impressionne si profondément, en songeant aux scènes terribles dont ils ont été, dont ils peuvent à chaque instant devenir le théâtre, en réfléchissant aux effrayans phénomènes dont ils sont le siège permanent, l’esprit humain ne pouvait s’en tenir à une tranquille et froide observation. Aussi a-t-il voulu de tout temps se rendre compte de ce qui se passe au sein de la redoutable montagne, et pendant des siècles, faute de pouvoir mieux faire, il eut recours aux explications surnaturelles. Pour les peuples de l’antiquité, Encelade foudroyé gémit sous le mont qui l’écrase ; ces flammes dévorantes sont le souffle qui sort de sa poitrine ; ces tremblemens de terre sont dus aux efforts convulsifs du géant, qui secoue la Sicile entière. Pour les chrétiens du moyen-âge, l’Etna devient un des soupiraux de l’enfer, et aujourd’hui encore plus d’un montagnard entend sortir de ses entrailles les cris de désespoir des damnés, mêlés aux rugissemens des démons. La science moderne aborde à son tour le problème, et, toujours appuyée sur l’expérience et l’observation, elle semble bien près de l’avoir résolu[24].

En voyant l’Etna vomir à chaque éruption des quantités si considérables de laves, de cendres, de scories, on a dû être conduit à regarder son massif tout entier comme n’ayant pas d’autre origine que l’accumulation successive de ces matériaux. Cette théorie, dont on trouve des traces jusque chez les philosophes grecs, a long-temps régné sans partage et compte encore aujourd’hui parmi les géologues des défenseurs d’un grand mérite. Cependant l’aspect seul de la montagne devait à lui seul faire naître des doutes sur la vérité de cette explication. Les talus formés par l’entassement de matériaux mobiles, obéissant librement aux lois de la pesanteur, présentent tous dans leurs contours des lignes droites et régulières. Les talus latéraux, le cône terminal de l’Etna, les cônes parasites, si nombreux sur les flancs de cette montagne, possèdent à un haut degré ce caractère de régularité. Chez les plus anciens de ces cônes, chez ceux que depuis des siècles les agens atmosphériques et surtout les pluies torrentielles tendent sans cesse à dégrader, les pentes ont pu diminuer, surtout à la base ; mais elles sont restées régulières, et leurs contours se raccordent-au plan qui les porte par des courbes toujours continues. Au contraire, le caractère essentiel du profil de l’Etna, considéré dans son ensemble, est la discontinuité des lignes. Entre les parties que nous avons désignées sous les noms de talus latéraux et de gibbosité centrale, il existe une bri sure très sensible. Il en est de même entre la gibbosité centrale et le cône terminal. Ces faits semblent à eux seuls assigner à ces diverses parties des origines différentes, et ont fait dire justement à M. de Beaumont que la connaissance approfondie des lignes de l’Etna était à elle seule presque toute une théorie.

L’examen des coulées nous conduit au même résultat. Rappelons d’abord quelques-unes des lois qui règlent leurs mouvemens. On comprend sans peine qu’une masse liquide ou de consistance visqueuse ne se comporte pas de la même manière sur des plans diversement inclinés. Rapidement entraînée sur une pente considérable, elle ne peut jamais acquérir sur cette pente l’épaisseur qu’elle atteindra sur une surface presque horizontale. Partout où la pente diminuera, la coulée s’épaissira ; partout où la pente augmentera, la coulée s’amincira. Par conséquent, pour qu’une coulée de lave présente sur une étendue considérable une épaisseur égale, il est nécessaire qu’elle coule sur une pente uniforme. Lorsqu’on examine les laves dont on connaît l’origine, on trouve toujours l’observation pleinement d’accord avec la théorie. Ces coulées ne laissent sur les pentes très inclinées qu’une traînée étroite et mince presque entièrement composée de scories, c’est-à-dire de portions déjà en partie solidifiées par le contact de l’air, tandis qu’elles s’accumulent en atteignant des talus à pentes douces, et y forment des couches épaisses et compactes. Ces faits très simples peuvent être vérifiés sur les coulées modernes qui sillonnent en tout sens le massif de l’Etna, et on en rencontre des exemples très fréquens sur la route de Nicolosi au cratère, un peu au-dessus de la Casa del Bosco.

Mais il n’en est plus de même lorsqu’on pénètre dans le Val del Bove, dans cette étrange et célèbre vallée qui porte écrite en caractères ineffaçables l’histoire de la formation du volcan. Ses escarpemens intérieurs se composent de plusieurs centaines d’assises alternativement formées par des bancs de roches et des couches de matières fragmentaires ou pulvérulentes. Ces substances, à peu près semblables, au premier coup d’œil, aux laves de l’époque géologique actuelle, présentent pourtant en général une teinte grisâtre, sur laquelle les coulées modernes se dessinent en noir. D’ailleurs elles sont, comme ces dernières, des roches de fusion, de véritables laves. Toutes ces assises sont parfaitement régulières. D’une extrémité à l’autre du val, c’est-à-dire sur une longueur de deux lieues environ, leurs bords présentent un parallélisme parfait, sans renflemens, sans étranglemens. Pour expliquer ce résultat, il faut nécessairement admettre qu’en sortant de terre à l’état liquide, ces laves se sont épanchées sur une surface plane et à peu près : horizontale, où elles ont pu se refroidir et se solidifier à loisir. Et pourtant aujourd’hui leurs couches sont fortement inclinées. Des bords du Piano del Lago, elles s’abaissent et viennent s’enfoncer sous le tuf de l’Etna, non loin du village de Milo. Bien plus, dans ce long trajet, elles présentent des ondulations, des différences d’inclinaison très fortes. Presque horizontales à la Recta del Solfizio, elles prennent sous la Montagnuola une pente de 17 degrés ; elles se rapprochent de l’horizontale sur les flancs du mont Zoccolaro, qui forme l’enceinte méridionale du val, pour s’infléchir brusquement et prendre une forte inclinaison près de la Porta di Callana, une des issues orientales du Val del Bove. Sur quelques points, cette inclinaison des couches atteint jusqu’à 99 et 30 degrés. Si les laves dont elles sont formées eussent coulé sur des surfaces aussi accidentées, elles devraient nécessairement présenter elle-même et dans leur mode d’agrégation et dans leur épaisseur des variations considérables. Or, nous l’avons dit plus haut, la régularité, le parallélisme de leurs couches ne se dément jamais. Toutes ces assises s’élèvent ou s’abaissent à la fois, comme le feraient les feuillets d’un cahier qu’on plierait en même temps. On est donc conduit à admettre qu’à l’époque de leur formation, le sol présentait une configuration très différente de celle qu’on observe aujourd’hui.

Un fait plus frappant encore vient confirmer cette conclusion. Les parois du Val de Bove ne sont pas formées seulement par ces longues assises dont nous avons parlé : un nombre immense de filons, d’un dia mètre variable, les coupe de bas en haut, sous des angles très divers. Ces filons sont composés de la même roche que les assises, et plusieurs d’entre eux, en s’articulant A se continuant avec ces dernières, nous indiquent clairement quelle est leur nature propre. Il est évident que, ce sont autant de fentes par où les laves s’échappaient jadis, et qui sont restées remplies par la matière qu’elles dégorgaient au dehors. Eh bien ! lorsqu’on examine un de ces filons aboutissant à une coulée sur le milieu d’une pente même très rapide, on voit que la coulée se continue au-dessus aussi bien qu’au-dessous du point par où s’épanchait la matière liquide, sans présenter la moindre irrégularité. Quel que soit le nombre de ces filons, les assises ne sont pas plus épaisses dans le bas : de la vallée qu’au niveau des Serre del Solftzio. Il suit de là que si, à l’époque de la formation de ces assises, le sol avait présenté les accidens qu’on y voit aujourd’hui, la lave, au lieu de s’écouler tout entière vers la base du volcan, serait en partie remontée vers le sommet, contrairement aux lois de la pesanteur, conséquence qu’il est inutile de réfuter. Tous ces faits, au contraire, s’expliquent très naturellement, en admet, tant, comme nous l’avons fait plus haut, qu’au moment de l’émission de ces laves, la surface du sol était horizontale, et que par conséquent les matières fondues pouvaient s’épancher librement en tout sens.

Dans ce qui précède, nous n’avons tenu compte que des matières liquéfiées qui sont entrées dans la composition des parois du Val del Bove. L’examen des couches formées par des cendres et des scories nous conduirait au même résultat. Si, au mordent de leur émission, ces fragmens lancés dans les airs par une bouche unique, à la manière des lapilli modernes, étaient retombés sur des plans inclinés et accidentés, ils se seraient nécessairement comportés comme une masse de sable et moellons qu’on renverserait le long d’un escalier. Ils auraient régularisé les talus en s’accumulant sur les points les moins déclives, en ne couvrant les pentes les plus rapides que d’une couche très mince. C’est là un fait que nous voyons se reproduire à chaque éruption sur les cônes parasites et sur les talus latéraux. Or, ces fragmens conservent dans leur stratification ce parallélisme caractéristique dont nous avons parlé, parallélisme qui s’explique seulement en supposant qu’ils ont été répartis d’une manière uniforme sur elles surfaces au moins à très peu près horizontales.

Ainsi, en examinant les profils de l’Etna, nous avons vu les pentes régulières du cône terminal et des talus latéraux brusquement interrompues par celles de la gibbosité centrale dont le Val del Bove n’est qu’une portion. Nous en avons conclu que cette gibbosité ne pouvait être formée par le même procédé qui a donné naissance au cône et aux talus latéraux. L’étude des coulées nous conduit à la même conclusion. De plus, cette étude nous apprend que les assises du Val del Bove ont dû se solidifier sur un terrain horizontal. Pour expliquer comment une montagne de dix mille pieds de hauteur a pris ici la place d’une plaine, et coin ment nous rencontrons jusqu’au Piano del Lago ces mêmes couches qui viennent plonger sous les campagnes de Milo, il faut bien admettre qu’une force quelconque a soulevé cette portion de la croûte terrestre. Telle est en effet la conséquence à laquelle arrive M. de Beaumont. Pour lui, la gibbosité centrale est le noyau primitif de l’Etna, et ce noyau s’est formé par soulèvement[25].

Nous pouvons maintenant nous faire une idée assez complète des phénomènes successifs qui ont donné à l’Etna sa forme et ses proportions actuelles. La place où s’élève aujourd’hui la gibbosité centrale a été primitivement une plaine à peu près horizontale dont le sol, fendu par l’action des feux souterrains, a livré passage, à diverses époques, à des courans de lave très fluide. Ces laves se sont étendues en nappes minces et uniformes tout autour de ces soupiraux ; elles se sont solidifiées et ont formé des bancs de roches plus ou moins compactes selon leur épaisseur. Comme dans les éruptions actuelles, l’émission des matières fondues était accompagnée d’un dégagement violent de fluides élastiques qui entraînaient de grandes quantités de cendres, de scories et de lapilli. Ces matériaux, déjà solides, sortant par toute l’étendue des fentes et retombant en pluie sur le bain de lave, ont formé ces assises fragmentaires uniformes qui alternent avec les bancs de roche.

Pendant bien des siècles peut-être les choses se sont passées comme nous venons de le dire ; mais un moment est venu où l’agent intérieur, qui tant de fois s’était fait jour à travers le terrain, a déployé une énergie extraordinaire, peut-être même à raison de la résistance toujours croissante qui opposaient à son action ces couches, de plus en plus nombreuses et solides. Ne pouvant plus les fendre, il les a soulevées. Ce mouvement violent les a nécessairement rompues, et une large communication s’est trouvée établie entre les entrailles du globe et l’atmosphère. Avant cet événement, selon M. de Beaumont, il y avait dans ce lieu une multitude de volcans éphémères ; depuis cette époque, ils ont été remplacés par un volcan permanent.

Mais on sait que dans les éruptions toutes les matières vomies sont loin d’être solides ou liquides. La quantité de substances gazeuses qui s’échappent par les cratères dépasse de beaucoup en volume les laves et les scories. On comprend donc sans peine que l’énorme voûte formée par le soulèvement de l’Etna a dû bientôt manquer de soutien. Toute disloquée d’ailleurs par l’effort même qui lui avait donné naissance, elle s’est éboulée en grande partie dans les abîmes qu’elle recouvrait, et c’est précisément cet effondrement qui a donné naissance au Val del Bove. Cette origine une fois admise, on s’explique sans peine le rapport frappant des crêtes qui entourent cette vallée avec celle qui porte le volcan. Ces crêtes sont évidemment la continuation les unes des autres. Leur ensemble formait le pourtour de l’espèce d’ampoule soulevée à la surface du sol. La voûte, en s’écroulant, n’a fait que laisser à nu sur les escarpemens du val la tranche des couches dont elles sont toutes également composées et qu’on retrouve sur le Piano del Lago, dans l’intérieur de l’effondrement partiel que nous avons appelé la Citerne[26].

Ainsi il a été une époque où le noyau primitif de l’Etna s’élevait seul au milieu de la plaine, dominant toute la Sicile de ses crêtes abruptes et irrégulières ; mais bientôt cet état de choses a dû se modifier. À dater de l’époque géologique actuelle, les éruptions qui ont eu lieu sur les flancs et tout autour de la gibbosité centrale ont remblayé la base de la montagne et donné naissance aux talus latéraux dont les pentes et l’aspect trahissent sans peine l’origine. Ces laves, ces cendres, ces scories, étaient comme une sorte de vêtement moderne sous lequel le volcan cachait ses formes premières et voilait son origine. Les vents, la pluie, les torrens, ont transporté dans la plaine une masse énorme de ces matériaux mobiles, et formé ainsi peu à peu le terre-plein bombé. On voit que ces causes secondaires tendent sans cesse à exhausser la base, à niveler les plans. C’est à elles qu’il faut attribuer surtout ce caractère d’aplatissement que présente l’ensemble du massif, malgré son relief considérable. Peut-être avec l’aide des siècles parviendront-elles à exhausser les terres de manière à ensevelir en quelque sorte la plus grande partie de l’Etna sous ses propres produits. Pourtant il n’est guère probable que le noyau primitif disparaisse jamais en entier. La quantité de matières vomies par le cratère terminal est tellement petite, qu’elle suffit à peine à recouvrir la surface très peu inclinée du Piano del Lago, et que, sur les pentes plus prononcées, ces matières s’accumulent seulement dans les crevasses et les ravins, comme pourrait le faire une légère couche de neige balayée par le vent.

Ce fait presque incroyable au premier abord, et si-opposé à bien des opinions vulgaires, est pourtant bien facile à prouver. La Torre del Philosopho n’est séparée du cône terminal que par une distance de 1.00 mètres. Ce monument compte près de deux mille ans d’existence, et pourtant les produits volcaniques accumulés autour de sa base n’avaient acquis en 1807 qu’une épaisseur de 2 mètres 75 centimètres au plus[27]. Le Piano del Lago, situé immédiatement au pied du grand cratère, ne s’élève donc chaque année en moyenne que d’un milli mètre environ par suite de l’entassement des déjections directes du volcan et des matières que les agens atmosphériques peuvent arracher au cône pour les répandre sur ce plan presque horizontal. Ici se pré sente une comparaison curieuse. Le limon du Nil exhausse tous les ans de plus d’un millimètre et quart le sol qu’il fertilise. Ainsi, dit M. de Beaumont, le Nil travaille plus efficacement à ensevelir sous ses alluvions les monumens de Thèbes et de Memphis que l’Etna à couvrir de ses cendres la Torre del Philosopho.

Toutefois il est un fait qui semble d’abord en contradiction avec ce qui précède. Le cône terminal de l’Etna se forme assez rapidement, car à diverses reprises, comme nous l’avons vu plus haut, il s’abîme dans les gouffres du volcan, et quelques éruptions suffisent pour lui rendre à peu près ses dimensions premières. En 1702, le Piano del Lago présentait l’aspect d’un plateau au centre duquel s’ouvrait un gigantesque entonnoir. C’était le cratère très agrandi et dont l’orifice était béant à fleur de terre comme celui d’un puits sans parapet. Le cône actuel n’a donc guère plus d’un siècle d’existence. Cependant, en 1834, il avait 425 mètres de hauteur sur 4 788 mètres de circonférence à la base[28]. Les déjections du volcan ont-elles seules travaillé à son érection ? S’il en était ainsi, il serait très difficile d’expliquer comment, depuis près de vingt siècles, le Piano del Lago n’a jamais été complètement envahi par le cône, et surtout comment ces déjections si abondantes auraient couvert de quelques pieds à peine les murs de la Torre del Philosopho.

Aussi M. de Beaumont admet-il que les phénomènes de soulèvement qui donnèrent jadis naissance à la montagne se reproduisent de nos jours, quoique avec une moindre intensité. Il croit que bien des cônes, et en particulier le cône terminal, possèdent probablement un noyau solide formé par soulèvement, et que leur forme extérieure est due au manteau de déjections qui vient en déguiser les inégalités et en régulariser les talus. Enfin, selon M. de Beaumont, l’Etna n’a pas encore cessé de grandir, et chaque éruption nouvelle, tendant à le soulever, peut augmenter sa hauteur d’une quantité appréciable.

Cette manière d’envisager les éruptions efface la contradiction apparente que nous signalions tout à l’heure, et les faits ne manquent pas pour justifier cette extension de la théorie. Dans un très grand nombre d’éruptions, la lave liquide est arrivée jusqu’au sommet de l’orifice et s est déversée par-dessus les bords du grand cratère. Cette lave ne pouvait atteindre à cette hauteur sans être soulevée par une puissance énorme dont l’action ne se bornait certainement pas au tube vertical du cratère, mais s’exerçait souvent sur le massif tout entier. Aussi a-t-on vu plusieurs fois des fentes se former et l’Etna présenter une sorte d’étoilement dont les rayons convergeaient vers le cratère. L’éruption passée, plusieurs de ces fentes ont présenté des bords dont le niveau n’était plus le même. Le terrain s’était donc ou élevé d’un côté ou abaissé de l’autre. Bien d’autres phénomènes pourrirent encore être invoqués pour prou ver que jusque dans les parties les plus élevées du volcan l’agent intérieur qui pousse de bas en haut peut produire des phénomènes de soulèvement, mais nous nous bornerons à citer un exemple positif emprunté au récit d’un témoin oculaire. Lors de l’éruption de 1688, selon le père Massa, il se forma dans la région élevée du volcan une grande coupole de neige parfaitement blanche qui le disputait pour l’étendue aux dômes des plus vastes basiliques, et pour l’éclat aux marbres de Paros et de Carrare. Recupero ajoute avec raison que cette coupole résultait de quelque violente poussée du feu souterrain qui avait soulevé et courbé les couches superficielles du sol alors couvertes de neige[29]. Remarquons de plus que ces couches devaient avoir une épaisseur bien considérable, puisqu’elles protégeaient la neige contre la chaleur du foyer qui les avait ainsi soulevées.

Sans avoir vu les forces volcaniques déployer toute leur puissance, nous avons pu observer la plupart de ces phénomènes si controversés, et cela dans des circonstances qui nous permettaient l’appréciation des moindres particularités. A notre retour de Sicile, M. Blanchard et moi montâmes sur le Vésuve. Déjà, dans le cours de cette ascension si facile, nous avions reconnu combien est vraie l’observation de Spallanzani, qui, après avoir vu l’Etna, appelait le Vésuve un volcan de cabinet. Comme s’il eût voulu justifier en tout l’appréciation du célèbre naturaliste, le Vésuve nous rendit témoins d’une éruption en miniature, véritable expérience de laboratoire dont nous pûmes suivre à loisir toutes les phases, tous les détails.

Depuis deux ans environ, ce volcan travaillait à combler son cratère, et semblait près d’atteindre ce but. A quarante ou cinquante pieds au dessous de l’orifice s’étendait une croûte de lave noire et spongieuse semblable à un pavé d’asphalte irrégulier, parsemée de gros blocs de lave, et qu’entouraient comme un mur circulaire les parois intérieures du cratère. Au milieu de ce cirque d’environ cinq ou six cents pieds de diamètre s’élevait un petit cône de trente-cinq à quarante pieds de hauteur dont la bouche lançait sans cesse, avec un bruit assez fort de mousquetades, des tourbillons de fumée rouge de feu mêlés de cendres et de scories. Tous les jours, quelque ouverture se faisait au plancher de laves. La matière liquide s’épanchait à la surface et se solidifiait. Puis de nouvelles couches venaient se former au-dessus des anciennes qui se fondaient de nouveau et rentraient dans la masse commune. Ainsi, à l’époque de notre visite, le cratère du Vésuve était rempli presque jusqu’au bord de lave liquide recouverte d’une croûte solide. C’était comme un bassin plein d’eau dont la surface est gelée. Aussi n’hésitâmes-nous pas un instant à imiter les patineurs. Nous descendîmes sans trop de peine dans l’intérieur du cratère, et ce fut sur un large bloc placé à dix pas du petit cône que nous nous installâmes pour manger un poulet froid arrosé de vin de Capri.

En arrivant aux bords du cirque, nous avions aperçu, malgré l’éclat du jour, les teintes rouges de la lave à travers quelques fentes ; nous avions vu quelques blocs s’ébranler, comme sous les efforts d’une main invisible. Parfois aussi, une détonation sourde se faisait entendre dans les flancs de la montagne. Pendant notre dîner, les clartés devinrent plus nombreuses, plus vives, vers le bord oriental du cratère, à environ cinquante pas de nous. Évidemment quelque chose se préparait. Les détonations qui partaient sous nos pieds étaient plus fréquentes et plus fortes ; les scories lancées par le petit volcan s’élevaient plus haut, et dans leur chute, dépassaient quelquefois le pourtour du cône. La croûte solide qui nous portait faisait entendre des craquemens, et quelques blocs mal assis se renversaient. À ce moment, le sol commença à élever à une quarantaine de pas de nous. Au bout d’une heure environ, au lieu de présenter une surface à peu près horizontale, comme au moment de notre arrivée, il formait, contre le bord oriental du cratère, un talus arrondi de dix à douze pieds de hauteur. Plusieurs ouvertures se firent sur cette pente ; mais bientôt elles se réduisirent à trois, puis à une seule. Une lave parfaitement liquide sortit par cet orifice et se dirigea droit vers nous. À son origine, ce ruisseau embrasé pouvait avoir quatre ou cinq pieds de large tout au plus, et sa teinte était d’un beau blanc éblouissant ; mais il s’élargissait considérablement dans sa course et prenait une couleur rouge foncé. Au bout de deux heures environ, il nous avait atteints et nous reculions pas à pas devant lui. En même temps le cratère tout entier semblait se réveiller. Toutes les fentes s’éclairaient ; le bloc qui nous avait servi de table se teignait à sa base d’une teinte rougeâtre. La chaleur devenait de plus en plus forte. C’était une véritable débâcle, occasionnée par l’afflux des matières liquides qui s’élevaient des abîmes du volcan. Il fallut songer à la retraite. Quand nous regagnâmes le bord, un sixième au moins de cette surface, naguère solide, était en fusion, et évidemment les blocs mêmes où nous marchions, encore soudés les uns aux autres, ne formaient qu’un simple plancher porté par ce lac de feu, comme un glaçon qui tient encore au rivage.

Certes, il y a loin de ce qui précède aux grandes éruptions de l’Etna, cependant la différence est plus apparente que réelle. Les phénomènes sont au fond les mêmes, et ne diffèrent que par le plus ou moins d’intensité. Le petit cône de quarante pieds de haut, tout comme la montagne de dix mille pieds, servait de soupirail à l’agent intérieur, et lançait dans les airs des gaz rougis par le feu, de la fumée, du sable, des scories. Chaque déjection était accompagnée d’un bruit proportionné à l’énergie assez faible des feux souterrains. Le ruisseau de lave a devant nous tantôt redressé et renversé des blocs solides qui se trouvaient sur son passage, tantôt soulevé et emporté ces fragmens qui flottaient à la surface comme autant de glaçons. En présence de cette concordance parfaite, il est bien permis de penser que les redressemens de couches, les soulèvemens qui se sont passés sous nos yeux dans le cratère du Vésuve, doivent se reproduire sur des proportions bien plus considérables dans les éruptions en général, dans celles de l’Etna en particulier. La gibbosité centrale, le cône terminal, formés de couches soulevées, par conséquent fracturées dans bien des points, et de matériaux mobiles simplement tassés, ne peuvent avoir une stabilité bien grande. Les effondremens qui se passent sur les bords du cratère, sur le Piano del Lago et sur bien d’autres points, prouvent assez combien est peu solide cette espèce d’échafaudage. Lorsque les fourneaux souterrains s’allument, fondent les roches et dégagent une énorme quantité de gaz, il faut bien qu’une issue se fasse en un point quelconque. Et si le cratère tarde à s’ouvrir, si les canaux se trouvent fermés, pourquoi la lave bouillonnante ne soulèverait-elle pas cette voûte de hasard qui la renferme, comme la lave du Vésuve, agissant seule et sans secousses aucunes, a, sous nos yeux, soulevé un monticule de plusieurs pieds de haut[30] ?

La différence d’épaisseur des couches ne saurait, ce nous semble, être ici invoquée pour combattre ces déductions. La croûte qui nous porte et dans laquelle est creusé le bassin des mers est-elle donc en réalité si solide ? Voyez plutôt. Des provinces entières tantôt s’exhaussent graduellement et d’une manière continue, comme une portion de la Scandinavie, tantôt se trouvent brusquement élevées au-dessus du niveau primitif comme l’ont été en 1822 les territoires de Valparaiso et de Quintero. Des îles considérables, sortant du fond de la mer, tantôt ne font que se montrer et disparaître comme ces îles des mers d’Islande et des Açores qui s’élèvent, jettent des flammes et s’enfoncent dans les abîmes d’où elles étaient sorties, comme l’île Julia, qui, en 4831, surgit dans les mers de Sicile, et dont il ne reste plus de traces, tantôt s’affermissent et accroissent d’autant leur archipel, comme à Santorin, aux îles Aléoutiennes, aux Açores, où en 1757 il se forma en moins d’un an neuf îles nouvelles. Ici, en une seule nuit, des plaines sont soulevées et se hérissent de cônes volcaniques, comme on l’a vu dans le Méchoachan lors de la formation du volcan de Jorullo, en 1759 ; là elles s’abîment dans les entrailles du globe, comme à Sorca, où quarante villages disparurent avec le terrain qui les portait. Des montagnes s’écroulent et sont remplacées par des lacs ; d’autres au contraire surgissent de terre, barrent le cours des fleuves ou remplacent une baie par un cap. Les tremblemens de terre font onduler nos champs comme une mer agitée, renversent et engloutissent nos cités et ébranlent parfois en même temps les deux hémisphères. On le voit, tout nous apprend combien ce que nous appelons terre ferme est en réalité peu digne de ce nom, combien est encore mince et fragile cette pellicule qui enveloppe la partie fluide du globe, combien elle serait sans doute promptement détruite, si cinq cent cinquante-neuf volcans distribués à sa surface comme autant de soupapes de sûreté ne présentaient une issue toujours plus ou moins libre à l’action des feux souterrains[31].

L’homme petit et faible, mais plein d’orgue il se prend toujours lui même pour terme de comparaison, pour unité. Il mesure à sa taille le globe et le monde, à ses forces les puissances infinies de la nature. Pour lui l’Etna, cette boursouflure à peine perceptible sur notre planète de neuf mille lieues de tour, est une montagne gigantesque, et il recule devant l’effort qu’il a fallu pour le soulever. Il n’est pourtant pas très difficile de se convaincre que dans ces phénomènes volcaniques l’énergie de la cause est pleinement en harmonie avec la grandeur des effets. Prenons un terme de comparaison : cherchons quel rapport existe entre les forces employées aujourd’hui par la science industrielle et celles qui dorment au fond du cratère de l’Etna. Pour cela, supposons, ce qui n’est certainement pas exagéré, que ce cratère a 500 mètres de diamètre et qu’il s’enfonce sous terre d’une profondeur égale à la hauteur de la montagne.

Les belles machines à vapeur qui font le vide au chemin de fer atmosphérique de Saint-Germain sont de la force de 1100 chevaux : elles fonctionnent sous une pression de 6 atmosphères, et leurs pistons ont un peu plus de 3’mètres carrés de superficie. Dans des calculs approximatifs comme celui-ci, la pression d’une atmosphère sur une surface dont on connaît l’étendue peut être regardée comme égale au poids d’une colonne d’eau de même base et de dix mètres et demi de hauteur. Par conséquent, l’effort brut produit par les machines de Saint-Germain peut être représenté par un poids d’environ 200 000 kilogrammes.

Une colonne d’eau élevée du niveau de la mer au sommet de l’Etna exercerait une pression de 300 atmosphères ; mais la lave liquide est à peu près trois fois plus pesante que l’eau. Par conséquent, lorsque cette lave se déverse par-dessus les bords du cône terminal, elle presse au niveau de la plaine avec une force égale à 900 atmosphères, et au fond du cratère lui-même avec une force égale à 1 800 atmosphères. Évaluée en poids sur chaque mètre carré de surface, cette pression est représentée par 56 700 000 kilogrammes. Or, on sait que la pression des liquides s’exerce à la fois en tout sens. Par conséquent, chaque mètre carré des voûtes qui portent le volcan est soumis à une action agissant de bas en haut, et 283 fois plus considérable que celle des machines de Saint-Germain. Dans le cratère seul, la force totale employée uniquement à soutenir la colonne de lave au niveau de l’orifice est égale à 53 262 500 fois celle de ces mêmes machines. C’est une force de plus de 21 milliards de chevaux.

Jusqu’ici nous avons supposé que la machine à vapeur fonctionnait sans encombre, que la lave s’élevait paisiblement des abîmes sans fond du volcan jusqu’à la marge du cratère ; mais, on ne le sait que trop, les choses ne se passent pas toujours ainsi. Dans la machine, les soupapes s’engorgent et ne jouent pas au moment voulu ; mille causes, dont plusieurs sont encore inconnues, amènent la vaporisation subite d’une trop grande quantité d’eau. Alors les chaudières éclatent, broient les murs les plus solides, et en dispersent au loin les débris. On a vu en pareil cas des masses de fonte ou de fer pesant 2 000 kilogrammes être pro jetées à 250 mètres de distance. Eh bien ! les volcans aussi ont leurs explosions, on, pour mieux dire, leurs éruptions ne sont en quelque sorte qu’une explosion continue. Qu’on juge d’après ce qui précède quelle doit en être la violence. Pour apprécier complètement les forces qui entrent alors en jeu, il faudrait ajouter aux pressions calculées plus haut le dégagement tumultueux des vapeurs et des gaz, et l’effrayante tension que donne à ces fluides élastiques une température capable de liquéfier les roches les plus réfractaires ; il faudrait multiplier la poussée résultant de ces forces combinées, non plus par la sur face du cratère seulement, mais par l’étendue d’une base embrassant peut-être la gibbosité centrale tout entière. Alors on obtiendrait des nombres représentant une action dont rien ne pourrait nous donner une idée, si la montagne elle-même n’était là comme un monument de cette effroyable puissance.


A. DE QUATREFAGES.

  1. Historical and topographical map of the eruptions of Etna from the era, of the Sicani to the present time (1824), by Joseph Gemellaro. — Ce plan est accompagné d’une légende écrite en anglais et en italien.
  2. Portus ab accessu ventorum immotus et ingens
    Ipse, sed horrificis juxta tonat a AEtna ruinis. (VIRGLE.)
    On trouve tous les jours encore, des preuves de l’existence de cette ancienne plage. Dans toute la banlieue placée à l’orient de Catane, dans toute a partie de la ville comprise entre le Bourg, et le quartier de la Cité, les puits traversent une épaisse couche de lave et atteignent un banc d’argile ou de sable parfois mélangé de galets, où l’on rencontre un grand nombre de coquilles appartenant aux mêmes mollusques qui vivent encore aujourd’hui dans le port et la long des rivages voisins. On y a même découvert des fragmens de bois.
  3. Le point de partage des eaux du Simète et de l’Onobala est élevé de 2832 pieds au-dessus du niveau de la mer. Geognostische Beobachtungen gesammelt auf einer Reise durch Italien und Sicilien, in den Jahren 1830, bis 1832, von Friedrich Hoffmann. (Archiv fur Minéralogie,Geognosie… 1839.)
  4. La hauteur absolue de l’Etna varie avec celle du cône qui le termine, et, comme celui-ci est modifié à chaque éruption, on voit qu’il est nécessaire de prendre à chaque fois de nouvelles mesures. Deux savans anglais, employant des moyens très différens, ont obtenu, pour la hauteur de la cime la plus élevée avant 1832, des chiffres qui ne diffèrent que d’une seule unité. M. Smyth, par des opérations trigonométriques, a trouvé 3314 mètres ; M. Herschel, par des observations barométriques, 3313 mètres. On voit que la moyenne des deux résultats serait 3313,5 mètres, ou environ 10219 pieds ; mais le sommet qui a donné ces résultats n’existe plus aujourd’hui, et l’on peut croire que la hauteur actuelle égale tout au plus celle d’un autre point du cratère qui, mesurée par les mêmes savans, s’était trouvée de 14 mètres moins élevée que la première. Ainsi la hauteur de l’Etna au moment de notre ascension devait être à peu près de 3300 mètres (10175 pieds environ).
  5. M. Élie de Beaumont a fidèlement reproduit cet aspect dans les planches qui accompagnent un travail auquel nous ferons de nombreux emprunts, et dans le plan en relief si curieux qu’il a modelé d’après ses propres observations. On retrouve aussi ce caractère général de l’Etna dans les livraisons déjà parues du magnifique ouvrage de M. Sartorius de Waltershausen, géologue allemand, qui a consacré six années entières à l’étude de ce volcan, et qui publie en ce moment une carte minutieusement détaillée, accompagnée de dessins d’une grande fidélité. La différence qui existe pour les pentes entre la réalité et l’estimation ; faite même par l’œil le plus exercé, tient à une illusion d’optique. Nous nous exagérons toujours l’inclinaison des talus que nous avons à gravir. M. de Beaumont, dans son mémoire, a mis ce fait en évidence en dressant le tableau d’un grand nombre de pentes mesurées exactement. Nous ne citerons ici que quelques exemples propres à donner au lecteur une idée de ces résultats. La rue de la Montagne Sainte Geneviève, la plus escarpée peut-être de tout Paris, n’a que 6 degrés de pente dans les passages les plus rapides. Les chemins de 10 degrés et demi deviennent impraticables pour les charrettes. Les mulets chargés ne peuvent gravir une pente de plus de 29 degrés. Les moutons ne peuvent plus atteindre les gazons inclinés de 50 degrés, et une pente de 55 de grés est absolument inaccessible. (Recherches sur la structure et sur l’origine de l’Etna, par M. L. Élie de Beaumont, ingénieur en chef des mines.)
  6. G. Gemellaro.
  7. Scit nivibus servare fidem, pariterque favillis. (CLAUDIEN.)
    Summo cana judo cohibet, mirabile dictu,
    Vicinam flammis glaciem, aeternoque rigore
    Ardentes horrent scopuli. (SILIUS ITALICUS.)
  8. On appelle cheire, en sicilien schiarra, la surface d’une coulée de lave qui s’est refroidie sur des pentes peu inclinées, de manière à se revêtir de blocs plus ou moins considérables.
  9. Dans ses Lettres sur la Sicile, de Borch prétend que les laves de 1669 sont couvertes d’un pouce de terreau. C’est là une erreur d’observation bien difficile à expliquer, et qui a déjà été relevée par Spallanzani. (Voyage dans les Deux Siciles, t. Ier.) De nos jours encore, la cheire de 1662 ne possède d’autre terre que celle qu’on y a transportée.
  10. La famille Gemellaro a compté à la fois trois frères, tous trois savans distingués. L’un d’eux, Giuseppe Gemellaro, auteur du plan de l’Etna, est mort depuis quelques années. Un second, Carlo Gemellaro, est encore aujourd’hui professeur à l’université de Catane. Mario Gemellaro, médecin à Nicolosi, naturaliste aussi instruit que modeste, a publié sur la météorologie, la botanique et la géologie de l’Etna, plusieurs mémoires du plus grand intérêt pour l’histoire de cette montagne.
  11. On appelle lapilli des fragmens de scories légères dont la grosseur moyenne est à peu près celle d’une noix. Les mêmes matières réduites au volume de grains de sable ou finement pulvérisées forment, à proprement parler, la cendre volcanique, qui ne ressemble en rien à celle de nos foyers ou même à celle de nos feux de forge.
  12. « Les Anglais qui se trouvaient en Sicile en 1811 ont construit cette maison, destinée à ceux qui parcourent l’Etna. »
  13. Environ 5 800 pieds.
  14. Chloris AEtnensis o le quattro forule dell’ AEtna, del sig. C.-S. Rafinesque Schmaltz.
  15. M. Hoffmann, géologue allemand qui visita l’Etna en 1830, a fait sur la région déserte des observations intéressantes que nous indiquons dans le tableau ci-joint :
    Limite de la région boisée sur le chemin de Nicolosi au cratère : 5 470 pieds.
    Limite extrême de la végétation : 8 628
    Limite de la végétation des astragales : 7 429
    Limite de la végétation des berberis : 7 110
    Limite de la végétation du pteris aquilina : 5 619
    Limite de la neige sous la Montagnuola (19 octobre) : 7 909
    (Archiv. fur Mineralogie, Geognosie…, etc., 1839.)
    Il est à remarquer que plusieurs des plantes indiquées par M. Hoffmann s’élèvent sur l’Etna à une hauteur bien plus considérable que sur toute autre montagne située sous la même latitude.
  16. Environ 9 016 pieds.
  17. Ces sels, d’après M. Elie de Beaumont, sont principalement des sulfates.
  18. Storia naturale e generale dell’ Etna del canonico Giuseppe Recupero arrischita di moltissime interressanti annotazioni dal suo nepote tresoriere Agatino Recupero. Catane, 1815. — Cet ouvrage, trop peu connu en France, renferme un grand nombre de documens originaux extraits principalement des archives de diverses villes et de plusieurs couvens. Les renseignemens relatifs à l’éruption de 1669 ont été extraits surtout d’un manuscrit conservé à Nicolosi, et dû à un certain don Vincenzo Macri, Capellano della chiesa maggiore di questa terra di Nicolosi. L’auteur raconte dans le plus grand détail et avec un cachet irrécusable de véracité les événemens qu’il a vus et dont il a failli être victime. Recupero a consulté en outre les écrits de onze savans siciliens, une relation laissée par le comte de Winchelsea, ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, une autre due au célèbre Borelli. Il a joint ses propres recherches au témoignage de ces auteurs, tous témoins oculaires de ce qu’ils racontaient. Aussi les faits consignés dans son ouvrage nous paraissent-ils offrir toutes les garanties désirables. On comprend d’ailleurs que nous abrégerons le récit de notre chanoine.
  19. Il y a probablement un peu d’exagération dans ces mesures données par Recupero.
  20. Ici nous croyons devoir citer le texte de l’auteur : « Resistettero infatti le mura al fuoco e al pese del torrente, ma un tale ostacolo non servi che a gonfiarlo, fintantoche prevalendo col suo peso alla forza resistente di esse mura, venne finalmente il giorno 30 di aprile a rovesciare venticinque canne di muro, a sulle ore sedici comincio ad introdursi nella citta per quelle braccia. (Rom. Agatino cité par Recupero dans l’Histoire générale de l’Etna.)
  21. « Frattanto pero, agli otto di maggio si estiva affatto il torrente, che si era introdotto nella citta dopo di avere bruciate trecento case, pochi palagi, alcune chiese, ed il giardino dei Benedettini, ed avendo pure investito le muro del mônastero e della chiesa. » (Recupero, Histoire générale de l’Etna.) Le jardin actuel des bénédictins a été planté sur des terres apportées à grands frais pour couvrir cette lave, qui s’élève aujourd’hui comme un mur irrégulier, à quelques pieds seulement des murs de ce monastère, sans contredit le plus beau monument de Catane.
  22. Relation du comte de Xinchelsea, citée par Recupero.
  23. Le fleuve Amenanus des anciens. Cette partie de la ville est très curieuse à étudier. Précisément parce que les laves arrivées au niveau du parapet ne l’ont franchi qu’en très faible quantité, on voit très bien comment les choses se sont passées. La lave n’a pas coulé le long du mur à la manière d’un liquide même visqueux ; elle a formé une sorte de pyramide irrégulière dont la base s’appuie contre le mur, et dont les talus latéraux ont une inclinaison marquée par celle d’un escalier assez rapide. Par conséquent, la lave s’est comportée à peu près, comme l’eût fait un éboulement de matières solides. C’est dans la cour de la maison Rapisardi que M. Edwards et moi avons observé ces détails, très faciles à vérifier. Non loin de ce point, la lave a déposé sur le parapet même un gros bloc qui est resté entièrement isolé. Ces faits s’accordent assez mal avec les idées qu’on se fait généralement sur la nature des laves, surtout sur leur cohésion. Il est très rare qu’elles conservent long-temps une liquidité parfaite. Au contact de l’air, leur surface se prend presque immédiatement et devient très résistante, alors même qu’elles continuent à couler avec assez de rapidité. Nous avons pu avec M. Blanchard constater par nous-mêmes ce fait dans le cratère du Vésuve. En jetant de toutes nos forces des pierres poreuses sur un courant de lave qui venait de sortir à quelques pas de nous, et qui coulait en présentant une superficie encore tout unie, nous les avons vues rebondir ou se briser à la surface de cette coulée en apparence si liquide. Au reste, ce sont là des particularités que savent très bien tous ceux qui ont contemplé de leurs yeux ces terribles phénomènes. Cette propriété des laves nous explique comment quelques hardis voyageurs, entre autres le chevalier Hamilton et le marquis Galliani, ont pu traverser des coulées en mouvement sans éprouver d’autre inconvénient qu’une forte chaleur aux pieds et aux jambes. A Messine, on m’a assuré que les laves, parvenues à quelque distance du cratère, marchaient quelquefois en présentant un front presque perpendiculaire et d’une hauteur de vingt à quarante pieds. Des blocs de lave figée qui couvrent l’extérieur de la coulée tombent sans cesse du haut de cet escarpement en avant de la masse liquide qui les reprend et les refond en passant sur eux. Ajoutons à ces faits que les matières pierreuses sont de très mauvais conducteurs pour le calorique, et nous comprendrons très bien, d’une part, la lenteur de la marche des laves, et d’autre part, le temps considérable qu’elles mettent parfois à se solidifier entièrement et à se refroidir. Nous avons vu que le fleuve de feu sorti des Monti-Rossi avait mis quarante-six jours pour atteindre les bords de la mer, éloignés d’environ quatre lieues. Ici la masse énorme de matières ignées vomies par le volcan accélérait le mouvement. Dans l’éruption qui dura pendant dix ans, de 1614 à 1624, le courant de lave sans cesse alimenté parcourut seulement dix milles siciliens (trois lieues et un tiers environ). En revanche, la lave de 1819 avançait encore d’environ un mètre par jour neuf mois après que l’éruption avait cessé. Spallanzani vit son bâton de voyage fumer et s’enflammer quelques instans après l’avoir introduit dans une fente encore rouge de la coulée de 1787, solidifiée depuis onze mois. Enfin les cheires de l’éruption que nous venons de décrire fumaient encore et dégageaient une chaleur sensible huit ans après que la lavé était sortie des Monti-Rossi.
  24. La théorie de l’Etna a soulevé de vives controverses parmi les savans qui se sont occupés de cette question géologique. Nous suivrons ici les idées que M. Élie de Beaumont a émises dans le mémoire déjà cité. Ce choix est facile à justifier. M. de Beaumont a le premier reconnu un grand nombre de faits importuns qui résultent de l’examen de l’Etna, et qui avaient échappé à ses prédécesseurs. Ce que nous avons vu concorde pleinement avec les observations de ce géologue, avec les déductions qu’il en a tirées. Enfin l’ouvrage de M. Sartorius de Waltershausen vient encore confirmer l’exactitude de ces observations, et justifier par conséquent les théories qui seules jusqu’à ce moment ont pu rendre compte de l’ensemble des phénomènes.
  25. On comprend que, dans l’exposé succinct des faits qui justifient cette conclusion, nous nous sommes borné aux plus saillans. Nous engageons ceux de nos lecteurs qui pourraient conserver des doutes à consulter le mémoire original de M. Élie de Beaumont. Les cartes, les dessins qui accompagnent le texte, lèveront bien des objections. Nous les engageons surtout à étudier le plan en relief dressé par ce géologue, et dont un exemplaire est exposé dans les collections de l’école des mines.
  26. On est naturellement conduit à se demander à quelle époque ont pu se passer les phénomènes dont nous essayons de donner une idée. M. de Beaumont regarde le soulèvement de l’Etna comme ayant précédé immédiatement l’époque géologique actuelle. Il croit que l’épanchement des laves anciennes du Val del Bove est contemporain de la formation des chaînes de l’Atlas, dont l’ensemble forme une ligne bornée à l’ouest par les Canaries et le volcan de Ténériffe, à l’est par la Sicile et l’Etna. Ces déterminations résultent de la Théorie générale des soulèvemens et des conséquences que M. Elie de Beaumont en : a tirées pour l’âge relatif des chaînes de montagnes.
  27. Environ huit pieds trois pouces. Ces mesures ont été prises par M. Mario Gemellaro et confirmées par M. Agatino Recupero.
  28. Environ treize cent pieds de hauteur sur près d’une lieue et quart de circonférence.
  29. « Se’ duelli reciprochi di questi due contrarii, fuoco e neve, si viddero varii scherzi della natura ingegnera, specialmente una vastissima cupola di bianchissima neye lavorata dal fuoco, che metteva invidia nella vastita della mole alle cupole delle maggiori basiliche, e nella candidezza della materia ai marmi di Pario e di Carrara. » (P. Massa.) -« Quella gran cupola di neve, che allora si vede, sara stata effetto di qualche valida arietazione fatta dal fuoco sotterraneo alla superficie del monte per un moto verticale, dal quale rialzatisi gli strati superiori en forma d’arco, sollevasi pure la neve sovrapposta, e venne a formarsi una protuberanza rappresentante la divisita cupola. » (Recupero, Storia dell Etna.)
  30. Pendant tout le temps que M. Blanchard et moi avons passé dans le cratère, c’est-à-dire pendant plus de trois heures, nous n’avons rien ressenti qui ressemblât à un tremblement de terre. C’est même cette absence de secousse qui nous laissa toute notre sécurité et nous permit d’observer sans la moindre inquiétude cette jolie éruption, qui semblait faite pour l’étude.
  31. Le tableau suivant présente le résumé du nombre et de la distribution géographique des volcans et des solfatares (volcans à demi éteints) dont on a reconnu l’existence :
    Parties du monde Volcans des continens Volcans des îles TOTAL
    Europe 4 18 22
    Asie 55 71 126
    Afrique 13 12 25
    Amérique 114 90 204
    Océanie » 182 182
    TOTAL 186 373 559


    (Nouveau cours élémentaire de Géologie, par J.-J.-N. Huot.)