Souvenirs d’un demi-siècle/Tome 2/10

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Hachette (Tome 2p. 200-229).
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Deuxième partie

LA DÉFENSE NATIONALE


CHAPITRE IV

LES DERNIERS COMBATS



GAMBETTA ET LA CAPITULATION DE METZ. — LA MISSION RÉGNIER. — LE JACOBINISME. — LE DUEL AU COUTEAU. — LA VICTOIRE DE COULMIERS. — INTERVENTION AMICALE DE L’EMPEREUR ALEXANDRE. — TROIS GOUVERNEMENTS. — LES PROCONSULS. — LA TOURBE DES DÉMAGOGUES. — LA LIGUE DU MIDI. — ON COMBAT PARTOUT. — INFÉRIORITÉ DES FORCES FRANÇAISES. — CHAMPIGNY. — LES PLANS CONTRADICTOIRES. — INVITE À NÉGOCIER. — POURQUOI TROCHU FEINT DE NE PAS COMPRENDRE. — ANNIVERSAIRE DU 2 JANVIER. — ÉTAT DE PARIS. — LE ROI DE PRUSSE PROCLAMÉ EMPEREUR D’ALLEMAGNE. — LE DROIT ET LA FORCE. — LA CONFÉRENCE DE LONDRES. — LE BOMBARDEMENT. — POURQUOI ON LIVRE LE COMBAT DE BUZENVAL. — ÉMEUTE À PARIS. — DÉMISSION DE TROCHU. — JULES FAVRE À VERSAILLES. — ON OUBLIE VOLONTAIREMENT L’ARMÉE DE BOURBAKI. — L’ARMISTICE EST SIGNÉ LE 28 JANVIER 1871.



SI l’armistice n’a pas été conclu et si la paix ne s’en est pas suivie au 31 octobre, il faut en accuser le parti révolutionnaire de Paris et la proclamation furibonde de Gambetta. Celui-ci comprit sa faute, lança une seconde proclamation pour atténuer l’effet de la première, mais le mal était fait et fut irréparable. Ceux qui l’approchaient alors, et j’en ai connu plus d’un, qui l’ont écouté, pendant qu’il fumait des cigares « exquis » en buvant de la bière, savaient que la capitulation de Metz était loin de l’avoir désolé. Il n’est pas le seul qui se soit senti soulagé par ce désastre ; à Paris, on s’en est mystérieusement félicité entre complices. Bazaine passait pour profond, parce qu’il était indécis, et l’on croyait souvent qu’il cachait ses projets, parce qu’il n’en avait pas. Que comptait-il faire ? Pour qui tenait-il ? Pour l’Empire, pour la République, pour lui-même ? Comme nul ne s’en doutait, les suppositions allaient leur train et on lui prêtait les intentions les plus machiavéliques.

Dans son armée, il avait la garde impériale, qui était restée fidèle à Napoléon III ; on le redoutait à Paris aussi bien qu’à Tours, et on s’imaginait que près de lui s’était formé un noyau autour duquel se grouperaient les partisans du régime déchu, que l’on soupçonnait, bien à tort, de vouloir donner l’assaut au gouvernement républicain. Bazaine disparu, son armée disparue, c’était autant d’adversaires de moins avec lesquels on craignait d’avoir à compter. Gambetta était d’autant plus persuadé qu’il se complotait quelque chose de grave entre Bismarck, Bazaine et l’impératrice Eugénie qu’il avait eu connaissance de la mission Régnier, mission des plus étranges ou des plus naïves, et qui reste encore entourée de nuages si impénétrables qu’ils en sont suspects.

Un sieur Régnier avait réussi à traverser les lignes prussiennes et à s’aboucher avec le maréchal Bazaine. Il se donnait comme envoyé par l’impératrice Eugénie. Ses lettres de créance consistaient en une photographie d’Hastings, signée par le Prince impérial. Il demandait que le général Canrobert ou le général Bourbaki se rendît en Angleterre auprès de l’impératrice Eugénie, qui réclamait la présence de l’un d’eux. Canrobert refusa de quitter son corps d’armée ; Bourbaki, commandant en chef de la garde, n’eut point le même scrupule et suivit ce Régnier qui, sans difficulté, le conduisit au-delà des troupes allemandes d’investissement que dirigeait le prince Frédéric-Charles. Bourbaki alla à Hastings, vit l’Impératrice, eut avec elle un entretien qui ne fit naître aucune résolution, revint en Lorraine, ne put obtenir l’autorisation de reprendre son poste à la tête de ses soldats et, désespéré de sa bévue, que l’on pouvait mal interpréter, accourut à Tours se mettre à la disposition de Gambetta.

On ne sait au juste ce qu’était ce Régnier, qui n’était peut-être qu’un aventurier cherchant fortune et mêlant d’importants personnages à une négociation dont son imagination avait fait tous les frais. C’était un homme qui, dit-on, cachait sous des apparences communes une finesse redoutable. Polonais de naissance, agent secret de la Prusse et de la Russie, il eût voulu provoquer une restauration impériale soutenue par Alexandre II, qui ne consentait, sous aucun prétexte, à reconnaître le Gouvernement de la Défense nationale. C’est le 28 septembre qu’il se présenta devant le maréchal Bazaine. Cette date n’est pas sans importance, elle concorde avec la rupture des conversations de Ferrières et correspond à la menace faite par Bismarck à Jules Favre de traiter avec Napoléon III, c’est-à-dire avec la régente, qui représentait le souverain prisonnier[1].

Il m’a été affirmé par un homme considérable resté très dévoué à l’Empire que Bismarck avait mené cette intrigue. Par l’entremise de Régnier, qui était son agent, il avait envoyé Bourbaki en Angleterre, afin d’en ramener l’Impératrice, avec laquelle il aurait directement traité de la paix ; l’armée de Bazaine eût été mise à sa disposition et lui aurait rouvert les portes de Paris. Bourbaki, dont l’intelligence était médiocre, perdit la tête en présence du premier rôle qu’on lui réservait, ne sut rien proposer, mais reconnut qu’il avait affaire à une femme qui tremblait de peur à l’idée de remettre les pieds sur le sol français ; on ne se comprit pas, ou l’on feignit de ne se pas comprendre. La négociation échoua et Bismarck en fut exaspéré. Il traita Régnier d’imbécile et le mit à la porte. Cette version d’une aventure dont on a beaucoup parlé est-elle vraie ? Je la rapporte telle qu’elle m’a été racontée par un homme digne de toute confiance, mais qui la tenait de troisième ou de quatrième main. Il est probable que ni l’Impératrice ni Bourbaki n’ont su le fin des choses ; Bismarck et son agent seuls auraient pu mettre un peu de lumière dans cette obscurité ; ils ont gardé le secret, si secret il y a[2].

Non, certes, Gambetta ne fut point fâché de voir partir, pour la captivité d’Allemagne, ce maréchal qui envoyait ses généraux chez l’Impératrice et cette armée où l’on espérait recruter les « prétoriens » futurs. Ce qu’il savait de la mission Régnier, grossi démesurément par son imagination méridionale, lui avait persuadé qu’il y avait là un danger redoutable ; le danger venait de disparaître, et désormais toute tentative pour restaurer l’Empire restait désarmée. Son indignation n’était donc qu’un éclat rhétorique ; mais il était sincère quand il parlait de porter haut le « drapeau de la Révolution française ». Là il est absolument de bonne foi ; il ne tient compte ni de la différence des temps, ni de la différence des mœurs, ni de la différence de l’armement, ni de la différence des conditions sociales, ni des différences économiques de la propriété. D’un bond en arrière, il est tombé au milieu de la Convention et n’en peut plus sortir ; son ignorance est telle qu’il ne s’aperçoit pas que le souffle jacobin est épuisé par la force même des choses. Il croit à la défroque du Comité de Salut public et des représentants en mission ; il évoque des fantômes, les voit et les prend pour des réalités. Il se démène au milieu d’un théâtre dont la décoration est changée, dont les acteurs sont morts.

Il veut la levée en masse, la fougue des patriotes, la furia francese ; il veut vaincre ou mourir ; il ne meurt pas et n’est pas vainqueur. Il ne s’aperçoit pas que tous les paysans possèdent aujourd’hui ; qu’ils savent, par l’expérience de deux invasions, qu’on ne peut leur enlever leur lopin de terre ; ils savent aussi qu’ils n’ont à redouter ni le retour de la dîme, ni celui des droits féodaux, et qu’ils sont électeurs et même éligibles, comme les « seigneurs ». Ceci a tué la levée en masse. Il ignore qu’il n’y a plus ni fougue, ni attaque à la baïonnette, en face des artilleries modernes qui portent à 7 000 mètres et de la longue trajectoire des fusils à répétition. Un régiment ne peut plus franchir cinq cents pas en courant, sans être foudroyé ; ceci a mis fin à la furia francese. À cette heure, la guerre n’a plus rien de chevaleresque et la valeur individuelle n’y sert plus à rien ; elle est scientifique, et c’est pourquoi elle est si laide.

À partir de la rupture des négociations de Versailles, lorsque la France croit encore généreusement qu’elle finira par vaincre et que l’Allemagne comprend qu’elle n’aura la paix qu’en écrasant son adversaire, la guerre devient implacable. C’est presque une période nouvelle ; c’est comme un duel au couteau ; la France rassemble toutes ses recrues. L’Allemagne, craignant que les 200 000 hommes que la capitulation de Metz a rendus libres ne lui soient pas un renfort suffisant, appelle ses réserves. Elle s’ouvrit bien pour nous, cette troisième phase de la guerre, par une victoire, la seule dont nous puissions nous glorifier sans forfanterie.

Le 9 novembre, le général d’Aurelle de Paladines attaqua les Bavarois de von der Tann devant Orléans ; la lutte fut très dure ; elle continua pendant la journée du 10, sans interruption ; l’avantage nous resta ; Orléans fut repris. C’est la bataille de Coulmiers, où nos soldats, nos conscrits, nos mobiles eurent de l’élan et de la fermeté. Ce n’était point un mince succès, car Orléans en notre pouvoir, c’était la route de Paris ouverte, et si un mouvement d’ensemble avait été combiné entre les meneurs de la guerre, ça pouvait être la délivrance de la ville assiégée. Un ordre mal compris ou mal exécuté par le général Reyau, qui commandait la cavalerie, empêcha la victoire d’être aussi complète qu’elle aurait dû l’être ; néanmoins, elle fut décisive sur le point disputé, puisque l’ennemi fut contraint de battre en retraite.

Par suite de quel hasard, de quel malentendu le résultat fut-il stérile ? On réédita la faute que Bazaine avait commise le 16 août, lorsque, ayant écrasé l’armée du prince Frédéric-Charles, il ne profita pas du chemin qu’il venait de rendre libre pour marcher sur Verdun et rentra sous Metz, où il devait périr. De même, d’Aurelle de Paladines ne sortit pas d’Orléans, qu’un mois plus tard il devait être réduit à évacuer. Pendant les deux journées qui suivirent la bataille de Coulmiers, la route, débarrassée de tout obstacle, conviait à pousser une pointe énergique sur Paris ; on resta immobile et deux jours furent perdus que jamais l’on n’a retrouvés. Lorsque l’occasion s’offre, à la guerre, et qu’on ne la saisit pas, elle s’envole et ne reparaît plus.

Sur qui retombe cette faute capitale, dont les conséquences furent de laisser intact l’investissement de Paris et de décourager les efforts de la province ? Il est difficile de répondre ; chacun a secoué la responsabilité qui lui paraissait lourde et l’a rejetée sur son voisin ; entre les explications données, la contradiction est absolue et nul document irréfutable ne peut jusqu’à présent permettre de formuler une opinion sans réserve. Il est certain cependant que le général d’Aurelle de Paladines a reçu, le 27 octobre, une lettre de Freycinet qui lui prescrivait de prendre Orléans, de s’y établir et d’y faire construire un camp retranché pouvant contenir 150 000 ou 200 000 hommes. Cette lettre est officielle et prouve que la délégation de Tours, c’est-à-dire Gambetta, voulait faire d’Orléans le pivot de ses opérations, beaucoup plus que le point de départ d’une marche sur Paris.

Freycinet a regimbé et a prétendu qu’après la bataille il a engagé d’Aurelle de Paladines à continuer son mouvement. On dit que le général ne s’est pas soucié de se découvrir en rase campagne, avec des troupes mal vêtues, médiocrement armées et sans cohésion suffisante pour tenir tête à l’armée du grand-duc de Mecklembourg et à celle du prince Frédéric-Charles, qui s’avançaient contre lui. Gambetta, qui ne reculait devant aucune exagération pour soutenir le moral des armées de province, annonça l’arrivée prochaine de Trochu à la tête de 160 000 hommes ; on n’avait qu’à les attendre, ils allaient arriver.

Enfin — et ceci est grave — M. L. Louvet a écrit, à propos de la bataille de Coulmiers : « On put croire à un changement de sort. Le général d’Aurelle de Paladines pouvait et voulait — dit-on — marcher vivement sur Paris. Gambetta s’y opposa pour des raisons inexpliquées. Sans doute, il craignait de découvrir la Loire, Tours, le Midi de la France et la délégation départementale du gouvernement. Pendant deux jours, aucune force suffisante n’aurait pu s’opposer à l’arrivée de l’armée de la Loire sur Paris. » Le cas était mauvais ; aussi les intéressés, généraux, dictateur, délégué à la Guerre, l’ont nié. La faute, je crois, résulte de la perturbation même du commandement, qui était exercé simultanément et sans entente préalable par le général en chef, par Freycinet et par Gambetta. Au jour des batailles, sous peine d’être vaincu ou paralysé dans l’action, une seule voix doit se faire entendre et être obéie.

Ce succès devait être isolé ; le 10 novembre n’eut point de lendemain ; partout il va falloir reculer devant la science militaire et le nombre de l’ennemi. On a beau se raidir, crier : courage ! promettre la victoire à des efforts nouveaux, rien ne peut plus conjurer le destin. Il n’est pas jusqu’à Gambetta, toujours vociférant, exalté jusqu’à la démence par cette série de revers, qui ne se voie forcé de quitter Tours, où il n’est plus en sûreté, pour aller se mettre à l’abri derrière la Gironde ; mais, avant de partir vers cette dernière étape, il lâche une bêtise restée célèbre ; l’armée de la Loire ayant été coupée, il s’écrie : « Et maintenant nous avons deux armées, au lieu d’une ! »

Est-ce à dire que nos soldats, nos pauvres recrues que l’on poussait à la guerre ont manqué à leur devoir ? Non pas, ce serait une suprême injustice de les accuser ; ils ont fait tout ce qu’ils ont pu faire, et par eux du moins l’honneur est indemne. Je ne sais s’ils ont été des marcheurs infatigables et d’habiles combattants ; on ne leur avait rien enseigné, ils n’avaient eu le temps de rien apprendre. On les assemblait, on les armait avec des fusils de calibres et de mécanismes différents, on leur mettait sur le dos un havresac et puis : en avant, marche ! et on les menait au feu ; ils y allaient et y tombaient. À l’un de ces enfants qui, pendant un combat, restait immobile et oisif, sans baisser la tête sous les paquets de mitraille, un capitaine dit : « Pourquoi ne fais-tu pas feu ? Est-ce que tu n’as plus de cartouches ? » Le conscrit répondit : « Je ne sais pas comment on charge un fusil » ; et ils étaient plus d’un qui pouvaient en dire autant.

Leur misère fut atroce et la scélératesse des fournisseurs l’augmenta. À l’armée du Nord, commandée par le général Faidherbe, les mobiles reçurent des souliers dont les semelles étaient en carton. Après une heure de marche dans les boues de la Picardie, ils allaient pieds nus. Faidherbe, un homme de bronze, souffrant d’une maladie de foie contractée au Sénégal, dont il fut gouverneur, les aperçut et se mit à pleurer. Si l’on eût pendu ces fournisseurs, la tête en bas, qui donc n’eût applaudi ! Un autre, banquier fort riche, dont la spécialité était de marier ses filles à des princes qui parfois eurent à donner des explications en police correctionnelle, avait obtenu une importante fourniture de drap de troupes. Le vol fut si manifeste que, malgré sa fortune, ses protections, il fut l’objet d’un mandat d’amener, un an après la conclusion de la paix, lorsque l’on commençait à écouter les plaintes et à regarder dans les comptes. Tout ce que l’on put faire, afin d’éviter un scandale, fut de prévenir le coupable qu’il allait être arrêté. Il s’empoisonna, ou on l’empoisonna en famille. Si ce fait devait être nié, on en trouvera les preuves au ministère de la Guerre.

Parmi les petits moblots, beaucoup ont été héroïques ; ici, ce mot dont on a tant abusé n’a rien d’excessif. Que dire de ce 33e régiment, exclusivement composé des mobiles du département de la Sarthe, dont le général Chanzy, qui se connaissait en bravoure, ne pouvait parler sans émotion ! Il me disait : « Ils sortaient du cœur même de la Gaule ; ils me rappelaient cette légion de l’Alouette dont l’armée romaine était si fière ; il n’y avait pas à les haranguer ; on leur disait : « Allons, mes enfants », et ils partaient, toujours les premiers au feu, toujours les derniers à la retraite. » Le général Chanzy n’exagérait pas et, tombé de ses lèvres sévères, un tel éloge est la plus haute des récompenses.

Les beaux gars du Maine ont été admirables et, lorsqu’ils furent sacrifiés, ils acceptèrent le sacrifice d’un cœur résolu. Au combat de Loigny, sans lâcher d’une semelle, ils reçurent le choc de l’armée allemande, qu’ils arrêtèrent pour donner à nos troupes le temps d’opérer leur retraite. Celui qui les enleva pour courir sus à l’ennemi avait refusé de rentrer aux zouaves pontificaux, dans lesquels il avait servi à Rome. C’était le duc de Luynes ; il avait voulu partir avec les paysans de ses terres, comme autrefois les seigneurs à la tête de leurs vassaux ; il était capitaine adjudant-major dans le bataillon où son frère, le duc de Chaulnes, était lieutenant. Pendant les marches, on chantait Le Vieux Sergent de Béranger :

Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes,
Tous à la gloire allaient du même pas.
Le Rhin lui seul peut retremper nos armes !
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !

À Loigny, le duc de Luynes fit un retour offensif et tomba traversé d’une balle ; son frère prit sa place : « En avant ! En avant ! les bons gars ! » Un coup de feu le jeta bas. Là, quatre duchés gisaient côte à côte ; Luynes, Chevreuse, Chaulnes et Picquigny.

Si tous étaient morts ainsi, ils ne seraient pas à plaindre ; « le beau trépas » dont a parlé le chansonnier est enviable ; mais la guerre est moins généreuse qu’on ne le croit, car elle fait mourir bien plus qu’elle ne tue. La balle est mortelle, mais bien plus mortelle encore la maladie, qu’elle soit la variole, le typhus, la dysenterie, la pourriture d’hôpital ou l’excès des fatigues. Combien sont morts obscurs et inconnus, sur le grabat des ambulances ; combien se sont affaissés sur les routes, brisés de lassitude, et ne se sont point relevés ; combien se sont couchés au pied d’un arbre, vaincus par leur faiblesse, par leur épuisement, voulant marcher encore, ne le pouvant plus, et ne se sont jamais réveillés. Ils se sont donnés à la France et sont morts pour elle, sans être utiles à son salut, sans action d’éclat, mais lui offrant d’un cœur filial jusqu’à la dernière pulsation de leur énergie. Dormez en paix, pauvres petits ! Si votre holocauste a été stérile, votre dévouement n’en est pas moins sacré.

Tout était contre nous, car les rigueurs du ciel sont plus dures pour les vaincus que pour les vainqueurs. La température devint cruelle. Par les nuits claires où l’on dormait aux hasards de l’étape, parfois dans un fossé, souvent sur les bruyères, le thermomètre descendit à dix et à quatorze degrés au-dessous de zéro. À Pont-Audemer, après le combat de Buchy, on fit coucher une troupe de mobiles dans l’église, sur de la paille répandue à la hâte ; le lendemain matin, lorsque l’on sonna la diane, dix-sept ne se redressèrent pas ; ils étaient morts de froid pendant la nuit.

On n’ignorait pas, en Europe, au milieu de quelles impossibilités la France cherchait sa voie ; on connaissait la faiblesse de nos ressources militaires, que le nombre d’hommes appelés sous les armes ne parvenait pas à masquer ; on éprouvait un double sentiment de colère et de commisération contre notre persévérance, que l’on qualifiait d’entêtement. La déception avait été profonde lorsque l’on avait appris que les tentatives d’armistice étaient restées sans résultat. Une puissance surtout s’était émue de nos malheurs, c’est la Russie, que son intérêt conviait à ne pas avoir une Allemagne trop forte à ses côtés. L’empereur Alexandre II, tout en professant un culte pour son oncle, le roi de Prusse, crut opportun de faire entendre quelques conseils et, dans le courant du mois de novembre, il envoya à Berlin son grand chambellan, le comte Chreptowitch. Celui-ci dut gagner le quartier général, qui était à Versailles, et, dans une audience particulière qu’il obtint du roi Guillaume, il fit connaître le désir de l’empereur de Russie que deux mots peuvent résumer : « Mettre fin à la guerre, en traitant avec le général Trochu. »

Le roi se déclara prêt à négocier, pourvu qu’il le pût avec certitude, et il renvoya le comte Chreptowitch à Bismarck. Les deux personnages se connaissaient depuis longtemps. D’après ce que Chreptowitch m’a dit, Bismarck, après l’avoir écouté, aurait levé les épaules et répondu : « Que voulez-vous que je fasse ? Dès qu’il s’agit de paix, ou seulement d’armistice, je tombe dans le vide ; Trochu n’exerce aucune autorité ; il y a en France trois gouvernements qui ne sont d’accord sur aucun point ; il y a la délégation de Tours, la Défense nationale et la populace parisienne ; en réalité, c’est cette dernière qui est la maîtresse. Dans ces conditions, il est impossible au roi de déférer au désir dont l’empereur de Russie a bien voulu lui faire transmettre l’expression. »

« Trois gouvernements ! » Bismarck était modeste ; chaque département envahi avait le sien, représenté par ces fonctionnaires d’aventure que l’on avait ramassés à la buvette des Palais de Justice, dans le bureau de rédaction des journaux infimes, dans les brasseries, dans le cabinet des vétérinaires. La curée était scandaleuse, on dépeçait la France agonisante et l’on s’en partageait les lambeaux. Ces fruits secs en tout métier se considéraient comme des proconsuls investis de pleins pouvoirs ; tous ils étaient prêts à monter au Capitole, avant d’avoir « sauvé la patrie » ; tous ils étaient animés du même esprit et voulaient — en temps d’hostilités et d’invasion — faire prédominer l’élément civil sur l’élément militaire ; ils s’en allaient criant : « Plus de césarisme, plus de prétoriens ! » Les mieux férus en humanités disaient : Cedant arma togæ ! C’était un charivari où la bêtise le disputait à la violence.

Les plus intelligents parmi ces fantoches du jacobinisme, Challemel-Lacour[3] à Lyon, Frédéric Morin[4] en Saône-et-Loire, tous deux professeurs de philosophie démissionnaires pour refus de serment après le coup d’État du 2 Décembre, ignoraient les lois, ne connaissaient pas un seul rouage du mécanisme administratif, perdaient la tramontane devant la moindre difficulté et ne se fiaient qu’à leur inspiration, qui toujours les poussait aux sottises. Gambetta maintenait la suprématie de l’autorité civile sur l’autorité militaire, dont, en somme, il ne se souciait pas de relever le prestige. Les attributions bouleversées par le seul fait de la guerre amenaient des conflits qui parfois dégénéraient en émeute. Quelques-uns de ces illuminés d’eux-mêmes n’eurent pas à se louer d’avoir fait acte d’autocratie.

Le général Chanzy, conduisant la retraite de l’armée de la Loire, faisant face à chaque pas, se battant à toute étape, pénétra dans le département de la Mayenne et arriva à Laval. À peine descendu de cheval et installé dans son logis, il reçut la visite du préfet, qui s’appelait Delattre. C’était un ami de Gambetta, avocat de police correctionnelle, grand buveur de chopes, habile au jeu de dominos, braillard d’estaminet, politicien de vingtième catégorie. Depuis lors, il a poursuivi sa route, il a été conseiller municipal à Paris, et il est actuellement (1887) député. Il aborda Chanzy, déclina sa qualité et demanda, sans autre cérémonie, communication des plans du général, parce que, en vertu même de ses fonctions, il devait être mis au courant des opérations militaires dont son département pouvait être le théâtre ; il ajouta qu’il se réservait de faire des observations, s’il y avait lieu. Chanzy l’écouta sans rire et lui répondit qu’il n’avait pas l’habitude de raconter aux préfets qui lui faisaient l’honneur de lui rendre visite les dispositions qu’il croyait devoir adopter.

Delattre ne fut point content et le prit d’assez haut. « Si vous refusez de donner des renseignements au préfet, je vous somme au nom de la discipline militaire de répondre à votre supérieur ; je suis général de division. » Et il tira de sa poche une commission signée Gambetta qui le nommait général de division. Chanzy lut cette paperasse avec un dégoût qu’il ne m’a guère dissimulé, lorsqu’il m’a raconté cette bouffonnerie ; puis, se tournant vers Delattre, il lui dit : « Monsieur le préfet, je vois en effet que vous êtes général de division et, par conséquent, soumis à mon autorité et à ma juridiction ; je suis général en chef. Je vous engage à f… le camp sans vous retourner ; sinon, je vous envoie devant la Cour martiale et je vous fais fusiller… » Le préfet-général de division Delattre ne se le fit pas répéter et détala.

Si ces hommes, plus ridicules encore que méchants, mais toujours funestes, s’étaient consacrés, sans arrière-pensée, à la défense nationale, on pourrait du moins plaider les circonstances atténuantes en leur faveur ; mais il n’en est rien, et beaucoup d’entre eux n’ont vu dans notre défaite que l’occasion de réaliser leurs chimères, de satisfaire leur haine et de ne point refréner leurs convoitises. À Toulouse, à Marseille, on emprisonne les magistrats ; à Grenoble, on ne peut sauver le général Barral qu’en le faisant conduire à la maison d’arrêt, où il arrive meurtri par la foule ; dans le département de la Loire, les sous-préfets de Roanne et de Saint-Étienne conseillent l’expulsion de tous les réactionnaires ; le préfet de la Corrèze réclame la convocation d’une Cour martiale pour condamner les maréchaux et les généraux ; dans l’Ardèche, on exige également des cours martiales, mais contre la réaction seulement ; dans le Cher, on veut faire destituer le général Pothier ; le préfet écrit : « Il n’est que temps de subordonner le militaire au civil. » Dans la Gironde, on déclare que tout est perdu, si l’on n’arrête pas immédiatement Haussmann, Girardin, la maréchale de Saint-Arnaud, Pereire, La Guéronnière et de Parieu[5]. Tous ces gens-là sont pénétrés de la tradition jacobine ; ils voient des traîtres partout et sacrifient la défense du pays à la réalisation de leur rêve politique.

Un écrivain dont les appréciations modérées dénotent un esprit sage, Charles de Mazade, mon confrère à l’Académie française, cherchant la cause persistante de nos désastres, les fait d’abord remonter à l’Empire, puis il ajoute : « Il y a d’autres responsables, ce sont ceux qui ont tout compromis, non pas par absence de patriotisme et de bonne volonté, si l’on veut, mais par présomption, par incapacité, par ignorance. Il y a un autre responsable enfin, c’est cette tourbe de démagogues dont M. de Freycinet ne s’occupait pas, j’en conviens, que M. Gambetta aurait craint de blesser et qui, au moment où la patrie sombrait, passaient leur temps à faire des manifestations loin de l’ennemi, pour réclamer la révocation de tous les généraux, la subordination de l’élément militaire à l’élément civil ; c’est cette bande de fanatiques agitateurs qui, s’il y a une justice au monde, doivent rester à jamais honnis devant la conscience nationale, pour avoir cherché le triomphe de leurs convoitises, de leurs vanités, de leurs intérêts, même de leurs idées, s’ils en ont, lorsque la France, notre mère à tous, était dans le deuil, en proie à l’invasion étrangère[6]. »

Ce n’est pas tout ; on profita de cette heure funèbre pour tenter d’imposer au pays une sorte de démembrement moral. Une partie du territoire occupé par l’ennemi, Paris cerné et bientôt affamé, nos armées ne pouvant plus lutter que par point d’honneur, quelle bonne fortune pour ceux qui n’ont ni cœur ni patrie ! Une ligue se forma pour installer un gouvernement dans le gouvernement, pour créer une France dans la France ; le mot d’ordre, lancé de Lyon et de Marseille, fut entendu, et j’ai honte de dire que treize départements y répondirent. Le Rhône, l’Isère, la Loire, le Vaucluse, la Drôme, le Var, l’Ardèche, l’Hérault, les Basses-Alpes, les Alpes-Maritimes, la Haute-Loire, le Gard, les Bouches-du-Rhône et même l’Algérie se syndiquèrent, nommèrent des délégués, voulurent élire une Convention qui se serait réunie à Lyon, émirent la prétention de lever des armées et de choisir un dictateur, à la fois civil et militaire, chargé de sauver la République, compromise par les trahisons ! De ces élucubrations criminelles devait résulter la Ligue du Midi, qui eût brisé l’unité française.

Un fonctionnaire qui l’a vue de près et qui ne lui a pas toujours été défavorable, Challemel-Lacour, préfet à Lyon à cette époque, a dit : « La Ligue du Midi est donc, selon moi, le fait d’un certain nombre d’hommes voulant constituer une France méridionale, afin d’établir dans le Midi une forteresse du socialisme. » Au milieu de la guerre étrangère qui la ravageait et des discordes intestines qui la paralysaient, en la poussant sur des routes opposées, c’est miracle que la France n’ait point péri ; en ces circonstances où toute autre nation eût trouvé la mort, elle a fait preuve d’une vitalité qui permet de ne pas douter de son avenir.

Pendant que les socialistes, les communistes, les anarchistes, les possibilistes, les internationalistes, les Hébertistes, les Jacobins, les flibustiers et les niais se disputaient le pouvoir dans les départements et dans les communes, pendant que Gambetta se prenait aux cheveux avec Crémieux et Glais-Bizoin, dont il se moquait, pendant que nos généraux, s’épuisant d’efforts, voyaient leurs dispositions contrecarrées, nos pauvres soldats, surmenés, harassés, haussaient leur cœur et faisaient inutilement face à l’ennemi. Au courant du mois de novembre, on avait tâté l’Allemand sur bien des points, partout on l’avait trouvé en nombre supérieur, se déplaçant comme une forteresse mouvante, à laquelle on ne parvenait pas à faire brèche.

Dans l’Orléanais, il avait repris l’offensive, doublé par les renforts qui lui étaient parvenus, à la fois vigoureux et prudent, manœuvrant de façon à couper l’armée de la Loire en deux tronçons. On ne s’épargna point à déjouer son projet ; peine perdue ; nos soldats, nos marins, tout surpris d’être réunis en compagnie de marche, pouvaient, comme le grenadier à Waterloo, dire en tombant : « Ah ! il y en a trop ! »

À la fin du mois de novembre, le général Trochu se décida à agir ; depuis la prise d’Orléans par d’Aurelle de Paladines, c’est-à-dire depuis vingt jours, il n’avait rien tenté pour essayer de percer les lignes d’investissement dans la direction que lui indiquaient les heureux combats de l’armée de la Loire. Faut-il donc un si long espace de temps pour aller d’Asnières à Vincennes ? L’ennemi avait mis ce délai à profit, et quand même nous aurions passé sur le corps des Saxons et des Wurtembergeois qui nous barraient la route, nous nous serions heurtés à l’armée du prince Frédéric-Charles, massée en avant de la forêt de Fontainebleau.

Pendant toute la durée de la guerre, la Prusse nous attaqua ou nous reçut avec deux et même trois corps d’armée échelonnés les uns derrière les autres et maintenus en contact à l’aide de la cavalerie.

À Champigny, après avoir traversé la Marne, nos troupes, auxquelles on avait mêlé quelques détachements de garde nationale, firent face à l’ennemi ; la bataille dura deux jours et fut meurtrière pour les Allemands comme pour nous. Des deux côtés, les artilleries étaient si nombreuses que toute poussée en avant ne pouvait provoquer qu’un massacre inutile. Les Allemands rentrèrent dans leurs lignes et nos soldats rentrèrent dans Paris, où la garde nationale, immobile, comme l’on disait, interrompit sa partie de bouchon pour les injurier.

Échec devant Paris, c’était un malheur qui n’était plus réparable ; d’autres succédèrent coup sur coup et séparèrent définitivement la France de sa capitale. Le 5 décembre, Orléans fut repris, et la retraite menée par le général Chanzy ne fut qu’une série de combats ; on recula, comme le sanglier, en faisant tête ; le 6, Rouen fut occupé sans coup férir, ou à peu près. La situation était lamentable ; Paris avait été forcé de se renfermer derrière ses murs, et la route par laquelle il comptait rejoindre la province était fermée, tandis que le chemin que la province avait tenté de s’ouvrir, pour pénétrer jusqu’à Paris, était au pouvoir de l’Allemagne. L’incohérence des opérations éclate avec une détestable évidence, et tous les efforts se trouvent paralysés, parce qu’ils sont isolés et, pour ainsi dire, se tournent le dos.

Trochu avait son plan, Gambetta avait son plan, lesquels étaient imposés aux généraux, qui ne les acceptaient qu’à contrecœur et les exécutaient peut-être mal, parce qu’ils les trouvaient défectueux. Il est un général que l’on aurait dû consulter et écouter ; c’est Chanzy, dont les Allemands parlent encore avec une déférence qui témoigne des talents qu’il déploya contre eux ; lui aussi, il avait son plan, mais on ne lui permit jamais d’en tenter l’exécution, et cependant Gambetta disait de lui : « C’est le véritable homme de guerre révélé par les événements. » Pourquoi alors avoir dédaigné ses conseils et ne lui avoir pas remis la fortune de la France ? Je crois bien qu’à cette question la politique et l’ambition personnelle pourraient seules répondre.

Ce plan, Chanzy me l’a longuement expliqué ; j’ai négligé d’en prendre note, j’ai oublié les détails et ne me rappelle que les parties principales, mais je me souviens que la ville de Dreux était, dans l’opération projetée, réservée à un rôle important. Il s’agissait de faire sauter le grand parc allemand, qui était établi à Villacoublay. On eût réuni la plus grande quantité de cavalerie possible et on lui eût confié l’action déterminante. Chanzy était convaincu qu’il aurait réussi ; il me disait : « Ça m’aurait coûté 10 000 hommes, mais ce n’était pas trop payé. » L’opération était-elle praticable ? Je n’en sais rien ; mais en admettant que l’on eût pu la mener à bonne fin, elle était décisive ; les Allemands eussent été contraints de lever le siège de Paris.

À cet égard, ce n’est point mon opinion que je me permets de donner, je n’en ai pas et n’en puis avoir ; c’est celle du prince Antoine de Radziwill, du comte Alten, du baron de Loe, tous trois généraux de division ou commandants de corps d’armée. Tous les trois, consultés par moi séparément et à époques différentes, m’ont répondu : « Il eût fallu décamper, quitte à revenir, après avoir refait notre matériel. » Chanzy, auquel j’avais transmis cette réponse, m’a répliqué : « Quand on est parti, on ne revient pas. » En somme, le plan de Trochu a été dédaigné, le plan de Gambetta a produit une série de défaites, le plan de Chanzy n’a même pas été accueilli. On peut avouer que, dans ses opérations militaires, la République ne fut pas plus heureuse que l’Empire.

Après l’inutile tentative de Champigny, notre défaite devant Orléans et la prise de Rouen, l’Allemagne crut que l’heure était enfin venue de traiter et elle fit une démarche détournée — une invite — auprès du général Trochu. Le comte de Moltke lui envoya un officier en parlementaire, pour lui faire savoir que les troupes allemandes s’étaient de nouveau emparées d’Orléans et que l’armée de la Loire battait en retraite. Trochu reçut la communication et congédia le messager, sans prononcer une parole qui pût ressembler à une ouverture pacifique. On ne s’était point mépris cependant. Le général Schmitz, qui était chef d’état-major du gouverneur de Paris, m’a dit : « On nous a tendu la perche, nous n’avons pas voulu la saisir. » Le général de Malroy a demandé à Trochu, qui savait mieux que personne que nous touchions à nos fins, pourquoi il s’était refusé à comprendre dans quelles intentions un message lui avait été adressé. La réponse est singulière : « J’ai mon bon renom à défendre dans l’histoire, et je ne veux pas être accusé, comme Marmont, d’avoir livré Paris. » Pardon, mon général, le duc de Raguse n’a jamais été accusé d’avoir livré Paris. Conjointement avec Mortier, il a signé la capitulation du 30 mars, sur l’ordre exprès du roi Joseph, président du gouvernement de la régence ; son crime, celui qu’on lui a reproché, est d’avoir découvert la route d’Essonnes, ce qui permettait aux Alliés de s’emparer de Napoléon, campé à Fontainebleau.

Après l’affaire de Champigny, M. de Billing, attaché au ministère des Affaires étrangères, et qui n’avait pas été oisif pendant la bataille, alla trouver Jules Favre et lui dit que le résultat de la journée indiquait qu’il fallait ouvrir des négociations ; il ajouta ce mot si cruel dans sa sincérité : « Nos armées inexpérimentées ne sont bonnes qu’à forcer à la paix. » De son air le plus rogue, Jules Favre répondit : « Comme Kossuth, qui s’est retiré jusqu’à Debrezin, comme Juarès qui s’est retiré partout, nous ne traiterons pas et nous continuerons la guerre. S’il le faut, le gouvernement se transportera en Algérie. — Soit, monsieur le vice-président, mais par où passerez-vous ? » À propos de ce même combat de Champigny, Victor Hugo disait : « J’avais de la colère et du mépris pour les Prussiens ; pauvres gens ! après ce qui vient de leur arriver, je n’ai plus que de la pitié. »

L’année finissait et léguait à la France un terrible avenir. Quelques hommes que leur passion aveuglait se félicitèrent d’avoir vu la chute de l’Empire, comme si un tel accident pouvait compenser l’écrasement du pays. La haine sert mal et empoisonne jusqu’aux esprits d’élite. Vitet, qui fut député, membre de l’Académie française, écrivain recommandable, se souvint trop qu’il était inféodé au parti orléaniste, lorsque, dans la Revue des Deux Mondes du 1er  janvier 1871, il dit : « L’Empire est tombé, comme il importait qu’il tombât ; pour n’avoir plus à tenter de renaître. Eh bien ! convenons-en, l’année qui a cet honneur de porter à son compte une telle délivrance, si meurtrière et si fatale qu’elle soit d’ailleurs, n’est pas une année stérile ; il ne faut la maudire qu’à demi et ne lui lancer l’anathème qu’en y mêlant une profonde gratitude. J’entrevois un temps, au milieu de nos tristesses, où, tout compte fait, tout bien pesé, croyez-moi, nous la bénirons. » Ce temps n’est pas encore venu.

Un an après le 2 janvier, après cette aurore qui nous avait promis tant de beaux jours de liberté, de sécurité et de prospérité glorieuses, en être tombé si bas que le souffle de la France ressemblait à un râle ! Paris n’a plus de viande ; il mange des rats, des chats, des chiens, de la charcuterie pourrie et des conserves avariées ; le cheval est devenu un aliment de luxe ; a-t-il encore du blé ? on en peut douter ; le pain est un mélange de son, d’orge, d’avoine, de paille, mal cuit, car voilà le bois qui va manquer. On a coupé les arbres, on a dépecé les bancs des promenades, on arrache les lattes dans les greniers, on brûle les meubles ; on meurt de froid, comme on meurt de faim ; il n’y a plus de charbon pour fabriquer le gaz ; on fait des perquisitions, afin de découvrir et d’enlever les vivres chez les particuliers ; le vin et l’eau-de-vie sont en abondance ; on en triple la distribution ; la populace ne dessoule plus ; les rues sont des cloaques qui servent de déversoirs aux ivrognes ; l’odeur qui domine est celle du vin et de ce qui s’ensuit.

La mort est installée dans Paris, elle fauche. Toute proportion est rompue sur les tables mortuaires. En août 1870, les décès sont au nombre de 4 942 ; c’est une moyenne normale ; dès le mois d’octobre, le total s’élève à 7 543, pour atteindre 8 238 en novembre.

Mais les grandes misères vont commencer, le froid est venu, les vivres se font rares ; on rationne la viande et le pain ; les forces vitales s’affaissent, et décembre se ferme sur 11 885 décès. Bien des gens meurent, faute de pouvoir persister à vivre ; le découragement, l’anémie font leur œuvre ; les faibles ne peuvent lutter et s’en vont ; les vieillards, les femmes, les petits enfants s’éteignent humblement, sans réclamer, comme s’ils s’offraient d’eux-mêmes en victimes expiatoires au Dieu inconnu qui tient la victoire dans ses mains ; en janvier, 19 233 corbillards ont pris le chemin du cimetière. J’en ai vu jusqu’à trente qui se suivaient à la file indienne, marchant au pas et s’en allant vers le lieu du repos. Les amis des défunts ne s’empressaient guère à les accompagner ; et bien des voitures funèbres n’avaient que les « croque-morts » pour escorte. La mortalité ne cessa point avec la guerre, car les causes prolongent leurs effets. Février marque 16 592 au nécromètre, et il faut attendre jusqu’au mois de juin, pour revenir à des listes régulières.

Versailles était en fête, pendant que Paris mourait entre l’alcoolisme et la famine ; du roi de Prusse, de Guillaume le Victorieux, on allait faire un empereur d’Allemagne, malgré la mauvaise humeur de la Bavière et les restrictions de son souverain, pauvre artiste chevaleresque, qui rappelle les personnages de l’Arioste et que la folie devait noyer dans le lac même où il évoquait les héros des vieilles légendes. Ce fut le 16 janvier 1871, à l’heure où nous allions entamer notre dernier morceau de pain, que tous les princes d’Allemagne posèrent la couronne de Barberousse sur le front du Hohenzollern, maison cadette et dénuée, qui doit sa fortune inouïe à la rivalité de la France et de l’Autriche. Un grand repas où l’on porta bien des toasts succéda à la cérémonie ; nulle main mystérieuse ne traça sur la muraille les mots dont Balthazar fut jadis épouvanté ; mais, au cours de ce festin triomphal, donné dans le palais où rayonna Louis XIV, plus d’un souverain allemand évoqua le souvenir de la guerre du Palatinat et de l’incendie du château de Heidelberg.

Je tiens l’anecdote que je vais rapporter du baron Stoffel[7], à qui Bismarck l’a racontée, aux eaux de Kissingen. Le lendemain même de la proclamation de l’Empire, l’empereur Guillaume dit à Bismarck : « Je viens de recevoir une lettre de M. Émile Ollivier, je ne sais que lui répondre ; veuillez lui écrire. » La lettre disait en substance : « Oui, c’est moi qui ai fait déclarer la guerre ; c’était mon devoir ; j’en prends la responsabilité devant Dieu et devant les hommes (toujours le mot de Danton) ; mais Dieu punit les coupables, et le coupable, c’est vous. Vous foulez le droit aux pieds, parce que vous êtes le plus fort ; sachez que le droit finit toujours par triompher. » Quatre pages sur ce ton et de cette logique. Bismarck répondit — je cite textuellement, mais de seconde main : « Quel que soit le nombre d’années que vous ayez à vivre encore, vous ne verserez jamais assez de larmes sur les malheurs que vous avez infligés à votre patrie. » J’ai dit un jour à Ollivier : « Est-il vrai que vous ayez été en correspondance avec l’empereur d’Allemagne pendant la guerre ? » Il m’a répondu négligemment : « Oui, je crois lui avoir écrit une fois[8]. »

Le droit, on en a beaucoup parlé à cette époque, et il a fait dire bien des sornettes ; c’était un lieu commun que l’on répétait à satiété. Gustave Flaubert lui-même m’écrivait, après le 4 Septembre : « La victoire est toujours du côté du droit et le droit est avec nous. » J’en étais arrivé à conclure que la logomachie remplace le raisonnement chez les vaincus. En guerre, il n’y a qu’un droit, celui du plus fort ; il est puéril de l’ignorer. En Étrurie, les barbares disaient : « Le droit, il est attaché au fer de nos lances, tout appartient au plus fort. » Qu’est-ce donc que le droit, si ce n’est la consécration prolongée de la force ? Il ne faut point se payer de mots et invoquer dans la défaite des principes que l’on dédaigne dans la victoire. Aux jours de Napoléon Ier, que pensait la France sur cette question ? « Le temps, l’occasion, l’usage, la prescription, la force font tous les droits. » De qui est cette parole, de quel Attila, de quel Tamerlan ? Elle est de Voltaire. On a reproché à Bismarck d’avoir dit : « La force prime le droit. » On prétend qu’il a nié ce propos ; s’il l’a nié, il a eu tort, car cet aphorisme est inscrit à chaque page des annales de l’humanité. La préface de tout pouvoir légitime est une usurpation ; le prélude de toute possession territoriale est un acte de violence. Émile Ollivier aurait dû le savoir et s’épargner un lieu commun d’avocat à court d’arguments[9].

Avant de se couronner et de se présenter à l’Europe comme un nouveau Charlemagne, « doux empereur à la barbe fleurie », le roi de Prusse eût voulu réduire Paris à capituler et n’y réussit pas. On était irrité à Versailles, on avait cru que tout serait fini vers le 20 décembre et que les fêtes de Noël, si précieuses aux Allemands, seraient célébrées en paix. On trouvait que Paris y mettait de la mauvaise grâce ; Bismarck était d’humeur maussade et ses procédés s’en ressentaient. Une conférence diplomatique s’était réunie à Londres pour reviser le traité de Paris, que la Russie dénonçait, car il paraît que nos défaites de 1870 annulaient nos victoires de 1855 et effaçaient toutes les conséquences de la prise de Sébastopol. Ainsi raisonne la politique, ainsi ne peut raisonner la justice.

Il était naturel, il était même indispensable que la France, qui était la nation victorieuse en Crimée, fût représentée au Conseil où l’on allait discuter la valeur d’un traité imposé par elle. Lord Granville désira que Jules Favre vînt à Londres, et celui-ci écrivit à Bismarck, pour réclamer un sauf-conduit ; le chancelier du roi de Prusse répondit : « Votre Excellence semble supposer que, par suite d’une demande du Cabinet anglais, je tiens à sa disposition un sauf-conduit destiné à sa participation à la conférence de Londres. Cette supposition est erronée. Il m’aurait été impossible de donner suite à une négociation officielle qui aurait pour base la reconnaissance du droit du Gouvernement de la Défense nationale d’agir au nom de la France, sans être préalablement reconnu, au moins par la nation française elle-même[10]. »

La lettre était d’une insolence rare ; elle signifiait à Jules Favre qu’il ne représentait qu’un gouvernement d’occasion et que si on l’admettait à la Conférence de Londres, ce ne pouvait être qu’en dérogation aux usages diplomatiques. Jules Favre se le tint pour dit, et c’est la vraie cause, je crois, qui l’empêcha de profiter du laissez-passer que Bismarck, sous la pression de l’Angleterre et de la Russie, s’était décidé à lui accorder. Quoiqu’on ait fort argumenté alors à ce sujet et que l’on ait blâmé Jules Favre d’être resté à Paris, quand il pouvait aller à Londres plaider en notre faveur, je crois, sans même tenir compte des difficultés soulevées par toute la diplomatie allemande, que sa présence à la Conférence eût été inutile : Paris succombait ; Jules Favre le savait mieux que personne et Bismarck n’en doutait pas.

Le dénouement approchait ; l’armée allemande avait tenté de l’accélérer ; Trochu crut devoir le préparer. Il en résulta deux laides actions. Le 4 janvier, un brouillard épais empêcha d’utiliser de nouvelles batteries, armées de pièces d’énorme calibre, que l’on avait fait venir à grands frais d’Allemagne ; elles furent démasquées le 5 et envoyèrent des projectiles sur la partie Sud de Paris. L’état-major des troupes qui nous investissaient avait mis l’œil au télescope et cherchait partout à voir apparaître le drapeau blanc. Le télescope ne découvrit rien ; Paris ne s’émut guère et, comme il est curieux, il alla regarder éclater les obus. On comptait bien, en Allemagne, sur une solution immédiate : un de ceux que Bismarck soudoie, à l’aide de ce qu’il nomme lui-même « le fonds des reptiles », bava une infamie dans la Gazette de Silésie et déclara que le bombardement allait déterminer « le moment psychologique ». Il en fut pour son venin. En guerre comme en pénalité, tout ce qui est inutile est cruel, et les gros canons du roi de Prusse ne firent pas tomber Paris une minute plus tôt. Jules Favre protesta. À quoi bon ? Pourquoi se plaindre, lorsque l’on sait que la plainte sera stérile ? Paris était ville fortifiée avec enceinte continue et forts détachés ; dès lors, on y était exposé à toute la rigueur des sièges, comme à Dantzig, à Anvers, à Rome, à Sébastopol. Un peu de mémoire eût épargné à Jules Favre une lamentation sans portée.

L’État-Major prussien était bien renseigné sur ce qui se passait à Paris ; on retrouvera aux greffes de l’asile des aliénés de Sainte-Anne et de la prison de la Santé, où je les ai eues en mains, les preuves du fait extraordinaire que je raconte. Les quartiers du Petit-Montrouge, de la Glacière, de la Maison-Blanche, de l’Observatoire étaient sous le feu de quatre batteries, installées entre Bagneux et L’Haÿ. L’objectif était la prison de la Santé, car les détenus, s’échappant à la faveur d’un incendie et se jetant à travers la ville, pouvaient susciter quelques désordres. C’était bien raisonné, et c’est ainsi que l’on combat entre gens civilisés. La préfecture de Police fit alors diriger sur Mazas et sur la Conciergerie les détenus de la Santé, où, à leur place, on mit neuf cent cinquante prisonniers de guerre allemands.

Les dates, les heures sont intéressantes à relever : dans la nuit du 8 au 9 janvier, la Santé entend le sifflement des premiers projectiles ; le 9, quatre obus éclatent dans les cours ; quatre cent vingt-six détenus de droit commun sont évacués en toute hâte. Le 10, les prisonniers allemands sont extraits de la Grande Roquette et conduits à la Santé ; une heure après, le tir des batteries ennemies est modifié et se porte sur l’asile des aliénés de Sainte-Anne, qui, en l’espace de trois jours, reçoit cent cinq obus. Dans l’asile, on avait aménagé une ambulance militaire que protégeait la bannière blanche à croix rouge de la Convention de Genève. Mettre en liberté, à coups de canon, des aliénés, c’est un procédé malpropre, surtout pour des gens qui parlent volontiers et sans modestie de leur moralité. Le général Trochu réclama et se plaignit : « Les armées allemandes ne respectent pas les établissements hospitaliers. » Le comte de Moltke répondit que l’on s’empresserait de rectifier le tir, dès que les batteries se seraient rapprochées de Paris (11-15 janvier 1871).

L’état de la population est curieux à constater ; tandis que la partie saine est calme, résignée, sans espérance, la partie turbulente déclare que jamais la situation n’a été meilleure ; en province, nous avons une armée de 600 000 hommes, avec 240 pièces de canon achetées en Angleterre ; dans le Nord, Faidherbe est vainqueur ; dans le Maine, Chanzy est victorieux, et Bourbaki, à la tête de troupes cosmopolites, mais intrépides, s’est emparé des Vosges et a coupé la communication entre l’Allemagne et la France. Le Gouvernement de la Défense nationale laisse la population se repaître de ces mensonges ; il sait à quoi s’en tenir et connaît, à un kilogramme près, les ressources en vivres dont il dispose ; il constate que les magasins sont vides et que bientôt les dernières réserves auront disparu.

Trois hommes insistent pour que l’on ait pitié de ce peuple languissant qui va mourir ; Jules Favre, Jules Simon, Ernest Picard demandent que l’on traite d’un armistice, ou même d’une capitulation, mais exigent que l’on arrache les femmes, les enfants, les malades, les vieillards, les débiles, dont le nombre se multiplie, aux horreurs de la famine. La réalité est tellement impérieuse, tellement pesante, qu’elle accable ceux mêmes que l’évidence n’a pu convaincre. Certes, il faut en finir ; mais « la rue » ne voudra jamais consentir à mettre bas les armes ; pour lui faire comprendre la nécessité de cesser enfin la lutte, il faut la mener à la bataille.

Dans la séance du 10 janvier, alors que Jules Favre, qui sent que le fardeau des négociations va retomber sur lui, se démène et voudrait que l’on fît « quelque chose », Trochu déclare que le seul moyen de convertir la garde nationale à l’idée d’une capitulation, devenue indispensable, est de la conduire en face des Allemands et de lui faire tuer 25 000 hommes. On se récria, il reprit : « La garde nationale ne consentira à la paix que si elle perd 10 000 hommes. » Le général Le Flô, ministre de la Guerre, ne répondit qu’une parole, mais qui, sur ses lèvres, était significative : « Il n’est pas facile de faire tuer 10 000 gardes nationaux ; je ne m’en chargerais pas. »

Trochu reconnaît que les rapports qui lui ont été transmis sur certains bataillons sont déplorables ; il y a de bons et de mauvais éléments, mais les mauvais paralysent les bons. Clément Thomas, commandant en chef de cette garde nationale, qui devait l’assassiner, le 18 mars, rue des Rosiers, sur les hauteurs de Montmartre, est interrogé et répond : « Il y a beaucoup de charlatanisme dans cet étalage de courage de la garde nationale ; déjà, depuis qu’elle se doute qu’on va l’employer, son enthousiasme s’est bien refroidi ; il ne faut donc pas se faire d’illusion de ce côté. »

On ne se faisait aucune illusion, mais il fallait convaincre, par un argument irrésistible, la garde nationale que l’on n’avait plus qu’à traiter ; c’est pourquoi on livra la bataille de Buzenval, bataille perdue d’avance, au succès de laquelle personne ne crut en conseil du gouvernement, et qui n’avait d’autre but, qui ne pouvait avoir d’autre résultat que de servir de préliminaire à un armistice. Quelle diplomatie, quelle habileté gouvernementale que celle qui, pour se préparer à traiter, n’a d’autre moyen que d’essayer de faire tuer 10 000 hommes dont la mort sera sans utilité ! Aux yeux de l’histoire, le général Trochu se lavera difficilement de ce fait, qui est consigné dans les procès-verbaux des délibérations du Gouvernement de la Défense nationale.

Le 19 janvier, à l’affaire de Buzenval, dont les dispositions semblent avoir été mal conçues et mal exécutées, on ne perdit ni 25 000, ni 10 000, ni même 1 000 gardes nationaux, mais la France perdit Henri Regnault[11] et Gustave Lambert[12] ; ce deuil aurait dû lui être épargné. À Versailles, Jules Favre dit à Bismarck : « À Buzenval, où vingt-cinq bataillons de la garde nationale ont été engagés, il n’y a que « les gens riches » qui se soient battus ; les autres ont fait la soupe et se sont repliés, sans tirer un coup de fusil. » Dès le lendemain, le bruit se répandit à Paris qu’en présence d’un nouvel échec et de l’épuisement des vivres il devenait urgent de conclure un armistice. Dans la journée du 21, la canaille révolutionnaire se concerta, comme si elle eût voulu précipiter l’agonie de la pauvre fille qui mourait de ses misères et de ses blessures.

Le soir, une bande d’émeutiers envahit la prison de Mazas et délivra les détenus du 31 octobre ; Gustave Flourens, qui était au nombre des prisonniers enlevés à la geôle et aux lois, donna ses ordres pour le lendemain. Le 22 janvier, Blanqui et Albert Regnard étaient au « Café de la Garde nationale », situé à l’angle de la place de l’Hôtel-de-Ville ; Delescluze, Arthur Arnould, Cournet, Edmond Levrault étaient rue de Rivoli, chez Lefebvre-Roncier ; Razoua, avec quelques gardes nationaux, se tenait sur la place. Sous prétexte de reprendre les hostilités, de continuer la guerre à outrance et de ne signer la paix qu’à Berlin, en réalité pour s’emparer du pouvoir, les futurs membres de la Commune tentèrent de donner l’assaut à l’Hôtel de Ville. Aux premiers coups de feu tirés contre eux, les insurgés détalèrent, laissant peu de chose sur le pavé[13].

Cette journée eut des résultats lointains qui n’éclatèrent qu’aux dernières heures de la Commune. Le bataillon qui attaqua l’Hôtel de Ville fut le 101e, des environs de la barrière d’Italie ; il avait pour commandant un corroyeur nommé Jean-Baptiste Serizier. Arrêté en flagrant délit d’insurrection, il allait être traduit sur l’heure devant une Cour martiale, réunie par ordre du général de Malroy, lorsque celui-ci fut empêché de donner suite à son projet par le général Le Flô, ministre de la Guerre, qui avait cédé aux prières de Jules Ferry, alors maire de Paris, ou préfet de Police de la Seine[14]. La mort de Serizier, que l’on aurait certainement fusillé, eût épargné bien des victimes, car ce fut lui qui, en compagnie d’Émile Moreau, fit massacrer les Dominicains d’Arcueil.

Le Gouvernement de la Défense nationale respira plus à l’aise ; la garde nationale avait été battue à Buzenval ; l’émeute avait été dispersée sur la place de l’Hôtel-de-Ville ; c’était une double victoire sur l’opinion de « la rue » ; il allait se hâter d’en profiter pour ouvrir des négociations relatives à l’armistice ; une seule difficulté morale se présentait : le général Trochu avait dit, proclamé, placardé : « Le gouverneur de Paris ne capitulera pas » ; grave imprudence, dont l’effet s’accusait cruellement. Entre compères, on s’arrangea ; Vinoy fut nommé général en chef ; Trochu garda la présidence du Conseil et abandonna son titre de gouverneur, parce que — le mot est de lui — « une telle fonction ne correspond pas aux idées républicaines » ; il était bien temps de le faire remarquer. On paraît en veine de démission ; le général Le Flô, ministre de la Guerre, Clément Thomas, commandant supérieur de la garde nationale, tous les membres du Conseil s’en iraient volontiers ; mais le pouvoir leur appartient, puisqu’ils l’ont pris, et l’on décide que chacun restera à son poste.

Le mardi 23 janvier, Jules Favre, muni des instructions du Gouvernement de la Défense nationale, partit pour Versailles, afin de s’aboucher avec Bismarck, ne sachant même pas s’il serait reçu, ou si l’on n’allait pas le forcer à signer, sans observation, un projet de traité de paix libellé d’avance. En parcourant cette route ravagée, se souvint-il de son voyage à Ferrières, lorsque, tout gonflé de son importance et de la foi qu’il avait en lui-même, il se complaisait à répéter sa fameuse phrase : « Pas un pouce de notre territoire, pas une pierre de nos forteresses », alors qu’il croyait encore que la République est une magicienne qui d’un coup de baguette crée des armées de patriotes et disperse les armées monarchiques. Se rappela-t-il son entrevue au pont de Sèvres avec Thiers, qui, poussé par l’énergie de sa clairvoyance, lui criait : « Vous êtes des fous », et qu’il répondait : « Nous ne pouvons contraindre Paris à une paix dont il ne veut pas. » J’imagine que ses réflexions furent douloureuses et que ce n’est pas sans inquiétude qu’il se présenta chez Bismarck, qui l’accueillit sans difficulté et lui dit : « Je vous attendais, monsieur. » Parlant de l’arrivée de Jules Favre à Versailles, Bismarck a dit : « Il m’a fait peine ; il ressemblait à une grande chauve-souris effarouchée. »

C’est un peu après sept heures du soir que Bismarck reçut Jules Favre ; l’entrevue fut courtoise et même assez cordiale. Bismarck disait : « Il a passé par de telles émotions que tout lui est devenu indifférent. » Jules Favre avoua que Paris était à bout de forces ; et, quand le Chancelier demanda pourquoi il n’avait fait une démarche pacifique qu’à la dernière extrémité, il répondit : « Parce que je savais que vous aviez reçu à Lagny quatorze cents voitures de vivres qui nous sont destinées » ; ce qui était vrai. Comme Jules Favre se plaignait de l’esprit de révolte de la population parisienne, Bismarck riposta : « Provoquez donc une émeute pendant que vous avez une armée pour l’étouffer. »

Après avoir rendu compte à l’Empereur de son entretien avec Jules Favre, Bismarck entra dans le salon des aides de camp et, sans dire un mot, siffla la fanfare de l’hallali. Jules Favre coucha à Versailles ; il est inutile de chercher où il prit logement ; on ne le devinerait jamais. Il alla s’installer boulevard du Roi, dans la maison où Stieber, le chef de la police de campagne, avait établi son quartier. Il s’était mis ou se laissa mettre dans le guêpier, avec sa naïveté habituelle. Il y fut reçu et choyé par un bon Suisse de Bâle qui déplorait la guerre, mais qui, en réalité, était un Badois de Waldshut, se nommait Kaltenbach et avait fait métier d’espion en France, depuis l’ouverture des hostilités[15].

Lorsque Jules Favre revint à Paris, près du Conseil, il se loua de la courtoisie de Bismarck, mais les nouvelles qu’il apportait étaient désespérées et prouvaient que l’on pourrait être réduit à merci. Des trois grandes armées qui luttaient en province et dont les chefs avaient obéi aux instructions de Gambetta, pas une n’était plus en état de tenir la campagne ; Chanzy, poursuivi l’épée dans les reins, se retirait sur Rennes, après avoir perdu 10 000 hommes faits prisonniers et avoir vu disparaître 50 000 fuyards ; Faidherbe, battu à Saint-Quentin, cherchait refuge vers le Nord ; Bourbaki était en déroute complète, coupé par deux armées. Fidèle à sa tactique, Bismarck avait terrifié Jules Favre en lui parlant de Napoléon III, du Corps législatif, de l’Empire qu’il conviendrait de rappeler ; et, comme le malheureux avocat disait qu’une seule tentative pour faire accepter une telle combinaison à la France serait le signal d’une révolution nouvelle, le Chancelier répliquait nonchalamment : « La moitié de nos prisonniers est impérialiste, même sans compter la garde impériale ; nous en ferons une armée qui nous servira à mater les mécontents. » Pendant tout le cours des négociations, il joua le même jeu. Il a dit à son confident Bamberger, qui me l’a répété : « Ce pauvre M. Jules Favre, je n’y puis penser sans rire. Lorsqu’il soulevait une difficulté, je lui parlais de Napoléon ; c’était un nom magique ; dès qu’il l’entendait, il se serait fourré dans un trou de souris. »

Les discussions continuaient sur les conditions de l’armistice ; je lis dans les procès-verbaux des délibérations du Conseil : « Elles ont semblé même à plusieurs membres — Favre, Picard, Ferry, Trochu, Simon, Pelletan, Le Flô, Vinoy, Cresson (préfet de Police) — moins cruelles que celles dont on croyait le vainqueur résolu à frapper la France. » Un jour Jules Favre dit à Thiers, qui l’a répété : « Pour me maintenir en esprit de résignation, j’ai relu le texte du traité de Tilsitt, avant de me rendre à Versailles. » Trochu laissait faire, sa force morale semblait n’avoir pas grand succès ; il avoue que, sur 3 000 hommes de garde nationale commandés pour le service du jour, il en est à peine venu trois cents.

Au cours des pourparlers, qui se prolongèrent pendant cinq jours, Bismarck ne recula pas devant une plaisanterie dont l’inconvenance tombe dans l’odieux.

Jules Favre lui avait dit qu’à Paris, le dimanche, sur les boulevards, on voyait les femmes et les enfants se promener. Bismarck, affectant d’être étonné, s’écria : « Des femmes, des enfants ? Je croyais que vous les aviez tous mangés ! » Il y a longtemps que Froissart a dit : « Les Allemands de nature sont rudes et de gros engin. »

À minuit, dans la nuit du 26 au 27, le feu fut suspendu des deux côtés et, pour la première fois depuis plus de quatre mois, les canons furent silencieux. Jules Favre, dans des lettres particulières — destinées au public — gémit, se lamente, n’hésite point à parler de ses larmes et en arrive à déclarer qu’il se méprise. La nécessité était pénible, j’en conviens, mais elle eût été bien moins rigoureuse si le Corps législatif, maintenu en fonctions le 4 Septembre, avait donné une base légale aux négociations que la Russie et l’Angleterre eussent volontiers appuyées, pour nous obtenir des conditions moins sévères.

Bismarck, qui connaissait l’état des esprits à Paris et les menées révolutionnaires, proposa de faire désarmer la garde nationale. Jules Favre refusa avec indignation ; car à aucun prix il ne pouvait consentir à porter atteinte à l’honneur de l’héroïque population parisienne. Il en résulta la Commune. Lorsqu’il fut question de délimiter les terrains que les troupes devaient occuper, un singulier dialogue fut échangé entre les deux plénipotentiaires. Bismarck dit : « Et l’armée de l’Est, nous l’avons oubliée. » Jules Favre répondit : « Elle est intacte ; je n’ai donc pas à stipuler pour elle. — Comment intacte ? mais elle est perdue ». Jules Favre reprit : « Je dois l’ignorer, car nous n’avons aucune nouvelle officielle. — Alors, nous n’en parlons pas ? — Nous n’en parlons pas. »

Mystère bien simple et que Bismarck approfondit d’un coup d’œil. Bourbaki, ancien aide de camp de Napoléon III, commandant en chef de la garde impériale, ne serait-il pas tenté, avec ce qui lui restait de soldats, d’essayer de restaurer l’Empire ? danger peu probable, mais qui disparaissait si, laissé en dehors de l’armistice, il était écrasé par les forces décuples dont il était entouré. Si Jules Favre eût su qu’à cette heure Bourbaki, essayant de se brûler la cervelle, n’avait réussi qu’à se défigurer et poussait vers les refuges de la Suisse les débris de ce qui n’avait jamais été un corps d’armée, il se fût rassuré.

Le 28 janvier 1871, un armistice de trois semaines fut conclu. La paix n’était point signée, mais la guerre était finie.

  1. Le comte de Bernstorff, ambassadeur de Prusse à Londres, était venu, après Sedan, offrir à l’impératrice Eugénie, au nom du comte de Bismarck, de faire la paix moyennant la cession de Strasbourg et de sa banlieue, plus une indemnité de deux milliards. (G. Rotha : « M. de Persigny à Berlin », Revue des Deux Mondes, 15 mai 1889, note de la page 368.)
  2. L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux a publié dans son numéro 503, livraison du 25 avril 1889, les deux notes suivantes sur Régnier ; elles paraissent sincères et émanées de gens qui l’ont personnellement connu.

    I. L’agent Régnier et la capitulation de Metz en 1870. — Ce Régnier n’était nullement un mouchard, mais une sorte d’illuminé très préoccupé de ce qu’il appelait l’automagnétisme ; c’est-à-dire qu’il avait la prétention de se magnétiser lui-même et de se mettre, par ce procédé, en mesure de faire les choses les plus extraordinaires du monde. Il avait de quoi vivre, et était même fort à l’aise, et rien dans sa vie passée n’autorise qui que ce soit à le traiter de mouchard. Au reste, personne ne s’est donné la peine de faire sur lui une enquête sérieuse, et c’est chose inouïe que la facilité avec laquelle on a forgé sur cet homme une légende que dément toute son existence, laquelle n’a rien eu de mystérieux. Déjà Régnier avait fait des siennes en 1848. Venu des Landes, son pays, pour acclamer la République du gouvernement provisoire, il s’en alla tout droit à l’Hôtel de Ville, coiffé du béret rouge béarnais et cerclé d’une belle ceinture de même couleur, qui lui ouvrirent toutes les portes et lui valurent même l’honneur d’être admis dans la salle des délibérations du gouvernement, comme délégué des Landes, et d’y pérorer à ce titre fort longuement. De février à juin, on rencontrait partout Régnier avec ce même accoutrement, dans les cérémonies publiques, dans les clubs, et toujours pérorant. L’insurrection de juin faillit lui être funeste. Il logeait alors près du Petit-Pont. Voyant de sa fenêtre construire une barricade, il descendit pour dissuader les insurgés de cette besogne. Mais sa présence au milieu d’eux avait été signalée par le fameux béret, et, quand la troupe reprit la barricade, elle n’eut rien de plus pressé que de chercher l’homme au béret pour le fusiller. Il put heureusement se réfugier sur le toit d’une maison et se dissimuler derrière une cheminée, après avoir eu soin toutefois de supprimer le béret et la ceinture. Huit jours après, il quittait Paris et s’en allait chez lui planter ses choux.

    Les désastres de 1870 mirent de nouveau sa cervelle en ébullition. Il se crut sérieusement appelé à être le Jean d’Arc de son temps et à sauver la France de l’anarchie facile à prévoir. Son but, qu’il a exposé lui-même dans tous ses entretiens, et dans une brochure que l’on a eu le tort de ne pas prendre assez au sérieux, et qui est même ignorée de bien des gens, était d’obtenir un armistice pendant lequel la France aurait nommé une assemblée chargée de négocier les conditions de la paix. Et ce projet en somme n’avait rien que de très louable, quelque bizarres que soient les moyens auxquels il a eu recours, et qui lui ont prêté une allure si suspecte.

    Effrayé par le rôle de mouchard qu’on lui faisait jouer dans le procès Bazaine, où tout le monde a voulu voir en lui un agent de Bismarck, ce pauvre maniaque n’a plus eu qu’une pensée : se faire oublier. Il a disparu et doit être mort à présent. Mais tout ce qui précède est parfaitement exact. Celui qui écrit ces lignes le tient de bonne source. Néanmoins, la légende est faite et désormais rien ne saurait la détruire : Régnier est un espion, Régnier est un agent prussien ! Personne n’en démordra, car les légendes sont indéracinables, surtout dans ce pays. Aussi est-ce bien par amour de la vérité simplement que je trace cette note, sans m’abuser sur l’accueil qu’on lui réserve. Rien n’est pénible à un Français comme de désapprendre ce qu’il a appris de travers.

    Erasmus.

    II. Régnier était une espèce d’illuminé, de fou même, n’ayant pas attendu les tristes événements de 1870 pour donner des preuves de la plus singulière exaltation. On a beaucoup exagéré le sérieux de son rôle dans ces événements. Il n’était point un émissaire de M. de Bismarck ; mais M. de Bismarck, prompt à s’emparer des moindres circonstances qui pouvaient le servir, s’était prêté à son entrée dans Metz, avec l’arrière-pensée qu’un pareil messager ne pourrait en rien nuire aux assiégeants et qu’il pourrait en revanche — et ce calcul était vrai — troubler et diviser les assiégés. Le seul résultat matériel de l’entrée de Régnier dans la place, ce fut la sortie du brave général Bourbaki, qui fit, quand il s’aperçut qu’on avait trompé sa bonne foi, des efforts désespérés mais inutiles pour y rejoindre ses camarades. C’était déjà trop. Je possède sur Régnier un dossier fort curieux et des renseignements personnels, dont j’espère bien pouvoir tirer parti quelque jour, non pas dans l’intérêt de la réhabilitation ou de la condamnation définitive de ce malheureux qui ne mérite ni cet excès d’honneur, ni cette indignité, mais dans celui de la vérité historique, ignorée jusqu’ici par la plupart de ceux qui se sont occupés de lui. (Intermédiaire des chercheurs et des curieux.)

  3. Challemel-Lacour (1827-1896). Collaborateur au Temps, fondateur de la Revue blanche. Préfet du Rhône en 1870. (N. d. É.)
  4. Morin (Frédéric), 1823-1874. Préfet de Saône-et-Loire (1870-1871). (N. d. É.)
  5. Parieu (Félix Esquirou de), 1815-1886. Membre de la Constituante et de la Législative (1848-1851), ministre de l’Instruction publique (1849-1851), vice-président du Conseil d’État (1855-1870), ministre dans le cabinet du 2 janvier 1870, sénateur de 1877 à 1885. (N. d. É.)
  6. Charles de Mazade, La Guerre de France, Paris, 1872, in-8o, p. 398.
  7. Stoffel (Eugène, baron) 1823-1907. Attaché militaire français à Berlin (1866). Échappé de Sedan, participa à la défense de Paris comme commandant de l’artillerie. Mis à la retraite en 1872 comme bonapartiste. (N. d. É.)
  8. La lettre d’Émile Ollivier, dont je viens de parler, ne doit pas être la seule qu’il ait écrite à l’empereur Guillaume, car on lit dans le Journal du Prince royal de Prusse, à la date du 10 octobre 1870 : « Bismarck raconte que Chambord et Ollivier ont écrit à Sa Majesté. Le premier se déclare prêt à obéir si son peuple l’appelle, mais il ne consentira jamais à une cession de territoire. Ollivier avoue qu’il a poussé à la guerre, mais il déconseille de réclamer des cessions de territoire. L’un ne peut rien, l’autre est cause de tout, et tous les deux osent donner des avis au vainqueur. »
  9. Les faits abondent qui constatent cette vérité ; j’en choisirai un peu connu, car la parole attribuée à Bismarck y a été presque textuellement prononcée. Lorsque, sur l’ordre de Bonaparte, Bernadotte arrêta la légation russe qui sortait de Venise (1797), le chef de la légation, Mordwinow, parla du droit des gens. Bernadotte répondit : « Il n’est pas question de droit ; je suis le plus fort ! » Il s’agissait de s’emparer de d’Entraigues, agent royaliste attaché à la légation russe. (Forneron, Histoire générale des émigrés pendant la Révolution française, Paris, 1884-1890, 3 vol. in-8o, tome II, p. 284.)
  10. Tableau historique de la guerre franco-allemande, 1 vol. in-8o, Berlin, 1871. Annexe : « Pièces diplomatiques. Réponse du comte de Bismarck, Versailles, 16 janvier 1871 », p. 449.

    Cette lettre est cruelle. Après avoir dit à Jules Favre qu’il a, dans Paris, à défendre des intérêts plus importants que l’article II des stipulations de 1856 concernant la mer Noire, Bismarck ajoute : « Ces considérations ne me permettent pas de supposer que, dans la situation critique que vous avez si puissamment contribué à créer, vous voudrez vous priver de la faculté de coopérer à une solution pour laquelle votre responsabilité se trouve engagée. » Au cours de son entrevue à Versailles avec Bismarck, Jules Favre le remercia de cette lettre et lui dit : « Vous m’avez rappelé à mon devoir. » (Voir : Moritz Busch, Le comte de Bismarck et sa suite pendant la guerre de France, 1870-1871, trad. de l’allemand, Paris, 1879, 1 vol. in-18.)

  11. Regnault (Henri), 1843-19 janvier 1871. Peintre, grand prix de Rome en 1866. (N. d. É.)
  12. Lambert (Gustave). Capitaine de la marine marchande, il avait conçu le projet d’une expédition au Pôle Nord. Capitaine de la garde nationale en 1870, il démissionna, s’engagea comme simple soldat au 119e de ligne le 18 décembre 1870, fut fait sergent le 4 janvier 1871 et tomba à Buzenval le 19 janvier 1871. (N. d. É.)
  13. Voir ce que j’en ai dit dans Les Convulsions de Paris.
  14. Il était maire de Paris. (N. d. É.)
  15. Ce dernier fait est à ma connaissance personnelle ; pour les entrevues de Versailles, cf. Moritz Busch, clo. cit.