Souvenirs d’un fantôme/Le Contrat retrouvé
Le Contrat retrouvé.
Le comte de Thézan, l’un des plus grands seigneurs de la province du Languedoc, était fort aimé de ses vassaux ; ses vertus et sa bienfaisance lui gagnaient tous les cœurs. Un de ses voisins, le marquis de Seissac, lui intenta tout à coup un procès pour une terre dont ce dernier voulait s’approprier la meilleure partie. M. de Thézan, certain de son bon droit, ne se tourmenta guère de l’attaque qui lui était adressée, et laissa entamer l’instance ; mais, lorsque son avocat lui eut demandé communication des titres sur lesquels il se fondait pour tenir la terre, on eut beau les chercher, on ne les retrouva plus. Le chartrier fut en vain mis sens dessus dessous, les maudits papiers échappèrent à toute investigation. Or, de leur production, dépendait le gain ou la perte du procès ; le comte était désolé.
Ses vassaux, instruits de ce qui lui arrivait, demandèrent à leur curé des prières de quarante heures, et, dans chacune de ses seigneuries, on pria Dieu pour que les titres se retrouvassent. Une nuit que le marquis dormait profondément, il fut réveillé par une figure extraordinaire qui lui dit : Le contrat de vente de la terre que te dispute le marquis de Seissac n’a jamais été dans tes archives, il est demeuré dans les donations de Jean-Joseph Ferrier, notaire de Narbonne ; or c’est moi qui ai passé ce contrat il y a cent quarante-trois ans ; celui qui a mes registres aujourd’hui et que je viens de nommer te les donnera ; rends grâce au bien que tu as fait à tes vassaux, tu lui dois le miracle qui se fait en ta faveur. » Le fantôme disparut.
M. le comte de Thézan, surpris de ce qui venait de se passer et ne pouvant l’attribuer à un songe, appela ses gens, se fit apporter de la lumière, écrivit sur-le-champ, sa mémoire étant encore fraîche, les renseignements qu’on lui avait donnés si extraordinairement. Le lendemain, il alla à Narbonne dont il était peu éloigné, et s’étant présenté dans l’étude de M. Ferrier, celui-ci lui dit en le voyant : « Je sais, monsieur le comte, pourquoi vous venez, c’est pour un contrat passé il a cent quarante-trois ans par mon prédécesseur de cette époque ; il est venu lui-même m’en instruire cette nuit. » M. le comte de Thézan, encore plus surpris de cette aventure que de la sienne, raconta au notaire ce qui lui était arrivé, prit ensuite une expédition du contrat et gagna son procès.