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Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI/Saint-Germain et Marly

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CHAPITRE XX

saint-germain et marly

Que Louis, la nature et l’art… Ce riant Marly,
Que Louis, la nature et l’art ont embelli.
C’est là que tout est grand, que l’art n’est point timide.

Delille, les Jardins.


Je me suis promené souvent sous les voûtes obscures de cet antique château de Saint-Germain, ce berceau de la dernière race de nos rois, le lieu de la naissance de Louis XIV, et, depuis cinq cents ans, la demeure de souverains. Ces galeries longues et étroites, ces escaliers placés dans les tours et d’une montée facile, tout offrait les caractères de l’architecture du temps de Charles V, qui fit construire cette demeure en 1370. Quelques vieilles miladys qu’on rencontrait dans ces corridors rappelaient le séjour qu’y avait fait une cour malheureuse, mais qui, dans son malheur, avait trouvé respect, secours et pitié.

Le château de Saint-Germain, abandonné de la cour pour le superbe Versailles, servait de retraite à quelques familles qui, par une sage économie, et à la faveur du bon marché des vivres, rétablissaient leur fortune. Le seul appartement du roi restait vacant.

Quand je visitai Saint-Germain, je vis avec peine tant de vastes pièces livrées aux rats et aux araignées, sans meubles ni décorations. Les amis que j’allais voir occupaient, au château, l’appartement de la reine et celui où était morte la reine d’Angleterre. La salle des Gardes était changée en cuisine, malgré sa haute et splendide cheminée de marbre où je vis le tourne-broche installé. Le salon était l’ancien cabinet de la reine. On y remarquait encore la même tapisserie qu’elle avait découpée elle-même, et qui représentait, sur un papier de la Chine, tous les détails de la culture du thé. Mon ami couchait dans l’alcôve d’Anne d’Autriche. Un vieux tableau de Bassan, placé sur la cheminée, avait vu la naissance de Louis le Grand. Plusieurs petits cabinets avaient leurs fenêtres grillées avec une élégance et une force extraordinaires. Cette fermeture était un effet de la méfiance de Louis XIII, qui voulait ainsi empêcher sa femme de recevoir chez elle les personnes qui la conseillaient. Ces fenêtres donnant sur une galerie découverte, on apercevait, de cette façade du château, les clochers de Saint-Denis ; et ce serait, a-t-on dit, la vue de cette église qui aurait engagé Louis XIV à préférer la marécageuse ville de Versailles au beau plateau de Saint-Germain et à sa magnifique perspective. Les hommes sérieux ne s’arrêteront pas à ce bruit. Louis XIV, dans aucune circonstance n’a paru craindre la mort ; d’ailleurs, il n’est pas d’idée à laquelle on s’accoutume plus aisément qu’à celle de déterminer et de contempler le lieu de sa sépulture.

On pourrait plutôt se demander si la position de Saint-Germain était plus favorable que Versailles à l’érection d’un grand palais. Rien n’est comparable, c’est vrai, à la vue dont on jouit du haut de la terrasse de ce premier endroit ; mais, placé sur le sommet d’une montagne, il eût été impossible de donner à ce château, surtout du côté de Paris, la magnifique entrée qu’on admire à Versailles. Le voisinage de la Seine eût été d’un faible secours pour les eaux : il eût toujours fallu une machine hydraulique très-compliquée pour les amener au haut de la montagne.

Ce qu’on peut encore admirer à Saint-Germain, c’est cette magnifique terrasse de douze cents toises de long, qui borde le parc du côté de la Seine, et qui offre, dans la multitude de bourgs et de villages qu’on aperçoit à l’entour de Paris, dans la fertilité du sol et les bords sinueux de la rivière, le plus beau spectacle qu’il soit possible de rencontrer.

Au bout de la terrasse était le château du Val, au maréchal de Beauvau, et avant lui au malheureux comte de Lally, qui croyait si bien échapper à sa condamnation que, le jour de sa mort, tous les préparatifs furent faits au Val pour l’y recevoir.

Le maréchal de Noailles, gouverneur de Saint-Germain, y avait un magnifique hôtel avec un superbe jardin.

Parmi les nombreuses fabriques qu’on rencontrait dans ce jardin, je citerai un petit fort avec son pont-levis et ses batteries, qui présentait en miniature tous les moyens de défense de l’art de Vauban.

Il y avait aussi un chêne si gros qu’on avait pratiqué à l’intérieur un cabinet, très-bien décoré. On pense bien que cet arbre monstrueux était l’ouvrage de l’art ; mais il était si bien imité que je ne découvris la vérité qu’en mesurant la circonférence de l’arbre, ce qui me fit apercevoir les ferrures de la porte. Un jeune chêne, adroitement joint à celui-là, formait, dans le haut, une grosse branche qui paraissait conserver un reste de végétation.

Cette famille de Noailles se ressentait encore de la grande protection de madame de Maintenon ; elle comptait encore, de mon temps, deux maréchaux de France, cordons bleus, et deux capitaines des gardes décorés de la Toison d’or ; l’importance des bienfaits répandus par le roi dans cette maison aurait pu être évaluée à une somme de deux millions. Il est fâcheux que quelques-uns de ses membres, notamment le prince de Poix, aient pu s’entendre reprocher de n’avoir pas toujours répondu comme ils le devaient à cette protection.

À moitié chemin de Saint-Germain à Versailles, on trouvait, dans le fond d’un vallon, le petit château de Marly. Il est aujourd’hui détruit ; et ce lieu si brillant, que Louis avait embelli, sera rendu sans doute aux oiseaux marécageux auxquels on l’avait enlevé.

En construisant Marly, Louis XIV vainquit la nature et se joua de ses lois ordinaires. Afin de jouir plus tôt, on inventa des machines qui transportaient, avec toutes leurs racines, les arbres les plus gros. On travailla nuit et jour ; on voulait réaliser, en les renouvelant, les prodiges des temps fabuleux.

Pour arriver au château, il fallait descendre une montagne assez rapide. En haut, se trouvaient deux bâtiments circulaires avec les écuries. Le château était un grand pavillon carré entouré d’un perron. Louis XIV, fidèle à sa devise, avait voulu que ce pavillon fut considéré comme le palais du Dieu du jour ; et douze autres pavillons plus petits, placés de chaque côté du parterre, représentaient les douze signes du zodiaque et servaient de demeure aux personnes admises à l’honneur, si recherché sous le grand roi, d’être des voyages de Marly. Les peintures à fresque dont tous ces pavillons étaient revêtus présentaient des allégories en rapport avec cette idée.

Au milieu du grand pavillon était ce fameux salon de Marly, si célèbre dans tous les mémoires du temps de Louis XIV, où se rassemblaient tous ceux qui étaient admis à ces bienheureux voyages. La cour, moins gênée là par le cérémonial, vivait comme les particuliers. On voyait le roi et les princes à toute heure ; on intriguait plus aisément ; on sollicitait avec plus de facilité ; que de motifs pour désirer le voyage de Marly ! Mais bien des fortunes s’y dérangeaient par le jeu excessif qu’on y jouait. Madame de Maintenon, qui s’en plaint dans ses lettres, aussi bien que de l’ennui que lui faisait éprouver le salon de Marly, avait plusieurs fois essayé d’empêcher ces excès et n’avait pu y réussir ; elle y régentait les princesses et la cour.

Sous Louis XVI, Marly avait moins de faveur. D’autres palais s’étaient élevés et avaient obtenu la préférence. Je ne me rappelle qu’un seul voyage à cette maison, mais il fera époque dans l’histoire.

Louis XVI méditait un coup d’éclat. Pour préparer cet acte de vigueur avec plus de secret, il se retira à Marly, sous le prétexte de pleurer son fils. Il emmena sa famille, qui se trouvait ainsi à l’abri des suites de la fameuse séance royale du 21 juin et de la déclaration qu’on y devait faire, pour mettre un terme aux projets subversif des États généraux. Cette résolution montre combien Louis XVI avait l’esprit juste ; il ne lui manquait que les moyens d’exécution, et, au lieu de faibles et perfides conseillers, des hommes hardis et résolus. Le tiers-état, la minorité de la noblesse et le bas clergé virent, par cette déclaration, leurs desseins avorter. Il fallait une opposition énergique pour échapper à l’insuccès et à la ruine du parti ; aussi la résistance fut-elle ouverte ; la conspiration se laissa voir à nu ; le monarque faiblit et la France se vit entraînée à sa perte.

À quelque distance de Marly, était cette fameuse machine hydraulique, conception du chevalier de Ville, exécutée par Rennequin Sualem, laquelle, par une complication de rouages, de pompes et une multitude de tuyaux et d’aqueducs, élevait l’eau à cinq cents pieds de hauteur, aux arcades de Marly, et alimentait les fontaines de la ville de Versailles ainsi que ces bassins du parc qui font l’admiration des étrangers. La mécanique, qui se perfectionne tous les jours, obtiendrait sans doute aujourd’hui les mêmes résultats par des moyens moins compliqués ; mais pour l’époque de sa construction, en 1682, cet ouvrage n’en était pas moins extraordinaire.

Marly fut longtemps le chef-lieu de la première baronnie de France. Le premier baron chrétien, Mathieu de Montmorency, en était seigneur en 1204. Sa forêt était une des plus agréables pour la chasse, étant entourée de murs. En fermant les portes, on était sûr que les cerfs ne s’éloigneraient pas. Aussi c’était là que le roi donnait le plaisir de la chasse aux dames et aux princes étrangers. Près de la forêt était une grande plaine nommée le Trou-d’Enfer, où le roi, tous les quatre ans, passait la revue de sa garde à cheval et des gardes du corps qui arrivaient de leurs garnisons.

Les jardins de Marly où la pluie ne mouillait pas, selon le mot d’un courtisan de Louis XIV, étaient l’ouvrage du génie de Mansard et du crayon de Lebrun. Ils étaient remplis de statues et de fontaines. Au bout du parterre, un grand balcon dominait un abreuvoir et la route de Saint-Germain. On y voyait ces deux beaux chevaux de marbre, travail admirable de Guillaume Coustou, et qu’on a transportés à Paris, à l’entrée des Champs-Élysées. Tous ces bosquets enchantés sont détruit. Ils ont disparu en peu de temps ; mais le souvenir en sera immortel, car ils sont consacrés par ces beaux vers du Virgile français :

Que Louis, la nature… Ce riant Marly,
Que Louis, la nature et l’art ont embelli.
C’est là que tout est grand, que l’art n’est point timide ;
Là tout est enchanté, c’est le palais d’Armide ;
C’est le jardin d’Alcine, ou plutôt d’un héros
Noble dans sa retraite, et grand dans son repos,
Qui cherche encore à vaincre, à dompter les obstacles,
Et ne marche jamais qu’entouré de miracles.
Voyez-vous et les eaux, et la terre, et les bois,
Subjugués à leur tout, obéir à ses lois ?
À ces douze palais, d’élégante structure,
Ces arbres marier leur verte architecture ?
Ces bronzes respirer ? ces fleuves suspendus,
En gros bouillons d’écume à grand bruit descendus,
Tomber, se prolonger dans des canaux superbes,
Là s’épancher en nappe, ici monter en gerbes,
Et dans l’air s’enflammant aux feux d’un soleil pur,
Pleuvoir en gouttes d’or, d’émeraude et d’azur ?
Si j’égare mes pas dans ces bocages sombres,
Des Faunes, des Sylvains en ont peuplé les ombres ;
Et Diane, et Vénus enchantent ces beaux lieux.
Tout bosquet est un temple, et tout marbre est un dieu ;
Et Louis, respirant du fracas des conquêtes,
Semble avoir invité tout l’Olympe à ses fêtes.

Delille, les Jardins, chant I.

III


LES CHOSES