Souvenirs de 93, écrits en 1821 ou la Vérité opposée à des mensonges/Texte

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SOUVENIRS DE 93
ÉCRITS EN 1821
OU
LA VÉRITÉ OPPOSÉE À DES MENSONGES

Armand Charles Tuffin, Marquis de la Royrie, né à Fougères, le 13 avril 1751, était fils de Messire Armand Joseph Jacques Tuffin, Marquis de la Royrie, et de Dame Thérèse de la Bélinaye. Il fut, en 1792, nommé par les princes, frères du Roi, chef de la Conjuration Bretonne. Il avait dans les Côtes-du-Nord plusieurs asiles, un entre autres à la Guyomarais chez Mr et Mme de la Motte.

La Guyomarais est retirée dans les terres, entourée de bois ; à cette époque, le chemin pour y arriver était assez mauvais. Elle est séparée de la forêt de la Hunaudaye par une prairie et un champ, mais pour un proscrit de la Convention, jeune et dispos, comme l’était le Marquis, à la moindre alerte, en trois ou quatre minutes, il eut été dans la Hunaudaye, forêt très mal percée ; mais en 93, elle lui offrait pour refuge des taillis magnifiques, avec des fourrés impénétrables, même à des chasseurs n’ayant pas l’habitude des « gaulis, surtout celle de brosser. »

Le Marquis de la Royrie, sous le nom de Gasselin, venait assez souvent se reposer de ses fatigues à la Guyomarais. Il savait qu’il était sous le toit d’un ami dévoué comme lui à la cause du roi. La Guyomarais n’était pas le lieu de rendez-vous des Conjurés. Le Marquis n’y passait jamais plus de deux jours de suite. Le 17 ou 18 janvier 93, par une sombre et pluvieuse soirée, le Marquis de la Royrie, Loisel, son secrétaire, Saint-Pierre, son domestique, arrivèrent à la Guyomarais.

Le Marquis était mouillé, couvert de boue, tout meurtri ; son cheval s’était abattu ; il avait roulé avec lui dans un fossé plein d’eau.

Le lendemain, il se plaint d’un grand mal de tête, d’un point de côté. Les médecins, Taburel, de Lamballe, Masson, de Saint-Servan, Morel, chirurgien à Plancoët, appelés près de lui, reconnaissent une fluxion de poitrine. Cependant leurs soins et ceux d’une amitié dévouée semblaient avoir arrêté la gravité de la maladie.

Le Marquis de la Royrie avait fait la connaissance, à Paris, d’un médecin nommé La Touche-Cheftel, breton des environs de Fougères, ayant des parents habitant Saint-Malo. La Touche-Cheftel avait donné des soins, à Paris, au Marquis qui, à son tour, lui amena une belle et riche clientelle. Ce médecin avait à Paris une vie de luxe et de plaisirs ; pour la soutenir il lui fallait beaucoup d’or. Cet homme, sans foi ni honneur, a prouvé qu’il ne reculait devant rien pour s’en procurer. Il vint en 1792 à Saint-Malo, chez ses parents, et retrouva le Marquis en Bretagne. Cheftel, souple, faux, rusé, sut s’emparer de sa confiance, et pour mieux le tromper et connaître ses secrets, Cheftel s’engagea sous ses ordres. Le Marquis, cœur loyal et incapable de tromper, vit en lui un ami dévoué, là où il n’y avait qu’un traître ! M. de la Royrie présenta Cheftel à M. Désilles, caissier de la Conjuration, comme étant son ami, et faisant partie des Conjurés Bretons. Il le présenta même dans une de leurs assemblées et lui confia parfois des missions pour les princes et pour leurs représentants.

Lorsque Cheftel eut appris les principaux asiles du Marquis, le nom des Conjurés des Côtes-du-Nord, il partit pour Paris. Il va trouver Danton, ministre de la Convention, et, pour de l’or, il lui livre les asiles du Marquis, les noms des Conjurés qu’il connaît ; il s’engage même à livrer celui qu’il appelle son ami ! Il revint en Bretagne pour mieux le surveiller.

À la demande de Mme de La Guyomarais, Cheftel n’accompagnait jamais le Marquis lorsqu’il venait à la Guyomarais. Cheftel n’en savait pas moins que c’était l’endroit où il se réfugiait le plus souvent. Il sut en prévenir la police.

Le 24 janvier, M. de La Guyomarais, voyant un mieux chez le Marquis, descendit, il vint rejoindre sa femme et la plus jeune de ses filles qui étaient dans un salon dont la fenêtre ouvre sur le jardin. Il pouvait être huit heures du soir.

Peu d’instants après l’arrivée au salon de M. de La Guyomarais, une voix étrangère fait entendre, près de la fenêtre, ces mots dits assez haut, pour être entendus de la chambre occupée par le Marquis, dont l’ouverture est aussi sur le jardin. « Si vous avez quelque chose à cacher, pressez-vous, une fouille sera faite cette nuit[1]. »

Le Marquis, ayant entendu l’avertissement, demande M. de La Guyomarais, il lui dit : — Vous venez, mon ami, d’entendre mon arrêt de mort, le vôtre, et peut-être celui de votre famille, si l’on me trouve chez vous. Faites-moi transporter dans la forêt, dans une hutte abandonnée par les charbonniers. — Mais ce serait vous tuer, dit M. de La Guyomarais. — Alors, reprit le Marquis, quittez votre maison, afin que l’on n’y trouve que moi ! — Pensez-vous, Marquis, que j’abandonnerai un ami malade ? — Votre dévouement, mon cher Guyomarais, est sublime ! Puisse-t-il n’être pas la cause de votre perte. Qu’allez-vous faire ? — Je vais vous faire transporter chez de braves et honnêtes fermiers que je connais, vous y passerez la nuit, après la fouille, au cas où elle soit faite, on vous rapportera ici ; ce voyage ne sera que de quelques minutes, et j’espère qu’il ne vous fatiguera pas par trop. — Le Marquis fut transporté à la ferme de la Gourhandais, chez les époux Pierre Lemasson, couché dans un de ces lits de ferme bretonne, carré, tout en bois, touchant presqu’au plafond, n’ayant qu’une petite ouverture se fermant avec des volets mobiles. La fermière s’installa sa garde-malade.

Les Patriotes de Lamballe arrivèrent entre quatre et cinq heures du matin à la Guyomarais ; la fouille n’ayant produit rien de suspect, ils continuèrent leur route sur Plancoët, sachant que de ce côté le Marquis y avait aussi des amis. La ferme où avait été transporté M. de la Royrie, étant située sur leur chemin, voulant boire et fumer, ils y entrent. La fermière, en les voyant dans la cour fut, comme elle le dit après, inspirée par le bon Dieu ; elle prend son chapelet, se met à genoux sur un banc très élevé, à l’ouverture du lit, elle s’y penche, empêchant ainsi le jour d’y entrer ; elle prévient le Marquis de ne pas dire un mot ni faire un mouvement. La fatigue du voyage, surtout le peu d’air que le Marquis respirait dans ce lit, avaient augmenté la pâleur de son visage. Les patriotes demandent à boire et du feu pour allumer leurs pipes. La fermière, sans changer de position, dit au chef de la bande : Allez dans la cuisine, ma fille y est, dites-lui de venir me parler, je ne puis quitter mon pauvre frère Jacques, il est à mourir, il ne parle plus, il est si pâle que l’on dirait qu’il est mort.

Après le départ des patriotes, le Marquis de la Royrie fut rapporté à la Guyomarais[2].

MM. Georges de Fontevieux, le major Chafner (américain), amis dévoués l’un et l’autre du Marquis, et servant sous ses ordres, arrivèrent à la Guyomarais le soir du 26 janvier ; ils voulaient savoir où ils pourraient trouver leur chef.

Fontevieux était chargé, par les princes, d’une mission de confiance pour le Marquis ; le major revenait d’Angleterre pour lui faire une communication. M. de La Guyomarais apprend à ces Messieurs la maladie du Marquis, l’espoir que conservent les médecins de le sauver, si rien ne vient compliquer la fluxion de poitrine. Il leur fait part de la fouille qui a été faite à la Guyomarais, ne comprenant pas, dit-il, ce qui a pu donner l’éveil à la police.

Le major Chafner dit alors qu’il revenait d’Angleterre, pour apprendre au Marquis que l’on savait à Londres qu’il se réfugiait souvent dans une maison, près d’une forêt, non loin de Lamballe, et qu’il paraissait qu’il y avait parmi les Conjurés un traître. Ces Messieurs convinrent qu’il fallait attendre la guérison du Marquis, pour lui faire part de ces derniers faits.

La mort du roi était connue depuis deux ou trois jours de M. de La Guyomarais. Redoutant pour le Marquis l’impression qu’il en éprouverait, surtout dans l’état où il était, sous prétexte que, de lire ou entendre lire, fatiguerait le malade, M. de La Guyomarais s’était chargé, chaque fois que la Gazette arriverait, de lui rendre compte des faits politiques. Le 27 janvier, dans l’après-midi, le journal fut, comme d’habitude, porté dans la chambre du Marquis.

MM. de La Guyomarais, de Fontevieux et le major Chafner, ne s’y trouvaient pas pour le moment. Le Marquis étant toujours occupé du roi et des moyens de le délivrer, dit à son domestique de lui lire le journal. Vit-il une impression sur le visage de cet homme, on ne l’a jamais su. Va me chercher à boire, lui dit-il, à ton retour tu liras.

Saint-Pierre oublie que M. de La Guyomarais lui a recommandé, qu’en son absence, il ne doit jamais laisser la Gazette à la portée de son maître ; il pose le journal sur la table de nuit et descend.

Le Marquis prend la Gazette, il y voit des détails sur la mort du roi ; une fièvre cérébrale, un délire effrayant se déclarent à l’instant. Il demandait son cheval, ses armes, disant que le roi l’appelait à son secours ; il poussait des cris de rage et de douleur ; il fallait le maintenir de force dans son lit. Tous les remèdes furent employés, rien ne parvint à arrêter les progrès de la maladie.

Le Marquis de la Royrie mourut dans la nuit du 29 au 30 janvier 1793, à 4 heures du matin, âgé de 42 ans, après onze jours de maladie. Le procès-verbal de sa mort fut signé par MM. de La Guyomarais, le major Chafner, de Fontevieux, qui avaient tenu à assister aux derniers moments de leur général, et à lui rendre les derniers devoirs. Un des médecins signa aussi le procès-verbal.

Dans la crainte d’une nouvelle fouille, il fallut s’occuper de faire disparaître le corps du Marquis ; il était aussi compromettant mort, que s’il avait été vivant ; on parla de l’enterrer dans la forêt. Dans ce moment il y avait des gendarmes au bourg de Saint-Denoual, ce qui empêcha de le porter au cimetière.

M. de La Guyomarais fit observer que les loups étaient nombreux dans la Hunaudaye et qu’ils pourraient déterrer le corps du Marquis. Il avait aussi l’espoir, qu’en des temps meilleurs, il pourrait faire rapporter les restes de son ami à Saint-Denoual, dans l’enfeu de la famille.

Il décida qu’il serait enterré dans un petit bois taillis, qui n’est séparé du jardin de la Guyomarais que par une large douve et une allée plantée de hêtres. Pour reconnaître plus facilement l’endroit du dépôt qu’il fallait confier à la terre, il le choisit lui-même.

Par un singulier hasard, dans ce taillis se trouvaient, et s’y trouvent encore, quatre chênes de haute futaie, placés en carré, assez près les uns des autres, pour former un dôme, et ce fut sous cette voûte de verdure que la tombe du Marquis fut creusée. Le corps y fut déposé dans la nuit du 30 au 31 janvier 1793, vers les 10 ou 11 heures du soir, au milieu de chaux vive, pour en hâter la destruction.

Au moment de la mort du Marquis de la Royrie, M. de La Guyomarais n’avait près de lui que son plus jeune fils Casimir, son précepteur, M. Thébaut La Chauvinais, son cocher Julien David, depuis peu de temps à son service, et François Perrin, son jardinier, dans lequel il avait confiance.

Craignant que son jeune fils ou son cocher ne fussent indiscrets, ce fut Perrin qu’il chargea d’aider M. Thébaut à creuser la tombe du Marquis. Pour Saint-Pierre il était si désolé de la mort de son maître, disant que c’était lui qui l’avait tué, qu’il était incapable de rien faire.

Avant sa maladie, le Marquis avait donné à Cheftel une mission pour un représentant des princes en Angleterre. Cheftel revint par Paris afin de rendre compte à la Convention de la mission dont il avait été chargé, et de la réponse qu’il apportait au Marquis. À son retour en Bretagne, Cheftel ne savait où trouver M. de la Royrie.

N’osant se présenter à la Guyomarais, il va à la Fosse-Hingant[3] chez M. Désilles, qui voyait en Cheftel un Conjuré et un ami du Marquis. Ce fut donc sans aucune défiance qu’il répond à sa demande : où est le Marquis ? — Mais il est mort ! Ne le saviez-vous pas ? — Mort ! répétait Cheftel d’un air consterné, mais, où est-il mort ? — À la Guyomarais, dit M. Désilles.

Cheftel aperçoit alors Saint-Pierre, qui venait de remettre à M. Désilles, de la part de M. de La Guyomarais, les papiers que le Marquis portait toujours sur lui, et qui concernaient la Conjuration ; car, après la mort du Marquis de la Royrie, Fontevieux et le major Chafner avaient quitté la Guyomarais. Georges de Fontevieux pour aller apprendre aux princes la mort du Marquis, le major pour en prévenir les Conjurés.

Loisel, le secrétaire du Marquis, avait aussi quitté la Guyomarais, il n’y restait plus que Saint-Pierre, qui fut bien connu de M. Désilles. Ce fut donc à lui que M. de La Guyomarais confia l’argent et les papiers laissés par son maître, en lui disant de lui en rapporter un reçu. À son retour, Saint-Pierre répéta à M. de La Guyomarais la conversation de M. Désilles avec Cheftel, ajoutant que ce dernier avait voulu savoir tous les détails de la maladie de son pauvre ami, quelles étaient les personnes qui l’avaient soigné, celles présentes à sa mort, qui avaient creusé la tombe, et où cette tombe avait été placée. J’ai répondu à toutes ces questions, non pour la tombe, je ne sais pas où elle est (je ne veux pas même le savoir). M. Cheftel a eu l’air content lorsque j’ai dit que c’était M. La Chauvinais et Perrin qui l’avaient creusée. Alors, a-t-il dit, nous pouvons être tranquilles, la Convention ne saura pas où notre chef et ami est mort, car M. Thébaut ni Perrin ne nous trahiront pas. J’ai dit, non pour M. La Chauvinais, mais Monsieur, je ne puis m’empêcher de vous dire aussi à vous, que si on faisait boire Perrin, j’aurais peur qu’il ne dit tout ce qu’il sait.

En entendant toutes les questions faites par Cheftel à Saint-Pierre, M. de La Guyomarais n’en eut pas plus de défiance que M. Désilles qui les entendait adresser au domestique. Cheftel, cet infâme traître, ayant eu l’espoir de livrer à la Convention le Marquis vivant, voyant son projet échouer, en fut désolé : cet air triste et malheureux trompa M. Désilles et Saint-Pierre.

Ces renseignements obtenus, Cheftel s’empressa de les faire connaître à la Convention, qui montra que, vivant ou mort, elle tenait à découvrir le Marquis.

Le 25 février 1793, les commissaires de la Convention, Lalligant-Morillon, Barthe, son collègue, accompagnés du Juge de paix de Plédéliac, du district et des gendarmes de Lamballe, de volontaires et patriotes de cette ville et du maire de Saint-Denoual, arrivèrent à la Guyomarais au petit jour. Mr, Mme de La Guyomarais, leur jeune fille Agathe, leurs deux fils Amaury et Casimir, M. Thébaut La Chauvinais, précepteur de Casimir, sont arrêtés. Julien David, cocher, François Perrin, jardinier, le sont aussi. Maîtres et domestiques sont interrogés, pressés de questions, menacés, tous refusent d’avouer avoir vu le Marquis de la Royrie à la Guyomarais et qu’il y soit mort.

Le 26, voyant que l’on n’obtenait rien, le commissaire Barthe demande du vin et de l’eau-de-vie, il fait boire Perrin et lui montre une bourse remplie d’or. Il lui promet en plus cent louis, s’il veut les conduire sur la tombe de M. de la Royrie, et, nouveau Judas, Perrin vend pour de l’or le secret de son maître et le livre à l’échafaud !

Après avoir enivré Perrin et fait briller de l’or à ses yeux, celui-ci conduisit les commissaires avec une partie de leur escorte sur la tombe du Marquis de la Royrie, elle fut ouverte ! La chaux, dont le corps avait été couvert, n’avait fait aucun effet ; la figure du Marquis était parfaitement reconnaissable, sa barbe et ses cheveux n’avaient pas changé. Le commissaire Lalligant-Morillon fait couper la tête du Marquis, les patriotes de Lamballe la mettent au bout d’une baïonnette. Fiers de ce triste trophée, ils arrivent dans le salon où la famille de La Guyomarais est gardée à vue. Ils font rouler la tête du Marquis aux pieds de Mme de La Guyomarais, en lui disant : tiens, citoyenne, nie maintenant que ce n’est pas la tête du ci-devant Marquis de la Royrie ! — Il n’y a plus à nier, dit M. de La Guyomarais, je la reconnais cette noble tête, qui si longtemps vous a tous fait trembler. Vous n’êtes que des lâches ! des monstres ! L’action que vous venez de faire le prouve assez.

Avant d’emmener leurs prisonniers, les commissaires, sachant, par un volontaire, frère et ami, que M. et Mme de La Guyomarais avaient une soixantaine de couverts en argent, voulurent les emporter avec eux. La maison fut fouillée, livrée au pillage ; meubles, linge, etc., etc., tout fut chargé dans des charrettes et conduit à Lamballe, pour être vendu sur la place quelques jours après. L’argenterie ne se trouvait pas ; la fouille allait être abandonnée. Le volontaire qui avait annoncé l’argenterie prend le fusil d’un gendarme, donne un grand coup de crosse dans le fond d’une armoire d’attache, en disant : si on veut trouver, c’est ainsi que l’on cherche. On entendit un son argentin.

Les patriotes de Lamballe jetèrent la tête du Marquis de la Royrie dans un carré du jardin. Mlles de La Guyomarais, n’ayant pas été emmenées avec leurs parents à Paris, une nuit, aidées d’un domestique, soulevèrent une dalle sous l’autel de la chapelle de la Guyomarais, la tête du Marquis fut mise dessous.

À leur retour à la Guyomarais, depuis des années, la chapelle était en ruines, elles firent des recherches sous les décombres, elles ne retrouvèrent plus la tête du Marquis[4].

Mr, Mme de La Guyomarais, leurs deux fils Amaury et Casimir, M. Thébaut, Julien David, Perrin, le dénonciateur, sont conduits à Lamballe. Mme de La Guyomarais dans une charrette, ces Messieurs enchaînés. Leurs chevaux et voitures menaient à Lamballe les braves patriotes.

De Rennes à Paris le voyage se fit dans des chariots ; ils furent conduits à l’Abbaye. Après plus de trois mois de captivité, Mr, Mme de La Guyomarais, M. Thébaut La Chauvinais, furent jugés, condamnés, exécutés, le 18 juin 1793, avec les autres Conjurés Bretons, victimes eux aussi de l’infâme traître Cheftel. M. et Mme de La Guyomarais et leurs amis montèrent à l’échafaud au cri de « vive le roi. »

Amaury et son frère, Casimir de La Guyomarais, furent jugés après leurs parents. Amaury fut acquitté comme n’étant pas complice de ses parents. Il n’était pas à la Guyomarais pendant la maladie ni à la mort du Marquis[5].

Casimir, qui dans son interrogatoire avait nié énergiquement avoir vu le Marquis chez son père, sur six voix, il en eut trois pour la mort.

Mais, pour être guillotiné, il fallait avoir 16 ans, le district de Lamballe mit âgé de 15 ans et demi[6]. Malgré l’acquittement des deux frères, par le tribunal révolutionnaire, ils furent mis à la prison de Sainte-Pélagie. Amaury y passa peu de temps, il fut incorporé dans le 15e régiment de chasseurs à cheval. Casimir ne fut mis en liberté que le 23 décembre 1793 ; lui aussi fut incorporé dans le 15e chasseurs, cantonné sur les bords de la Loire.

Les deux frères convinrent que la première fois qu’ils iraient tous deux baigner leurs chevaux, ils les feraient traverser le fleuve ; qu’ils iraient dans la Vendée rejoindre l’armée de Charette. Amaury, plus âgé de cinq ans que Casimir, habitué chez son père à monter à cheval, parvint un jour à mettre le sien à la nage et à gagner l’autre rive. Il fut dans la Vendée, s’engagea dans l’armée du général de Charette, où il fut tué dans une des premières batailles, peu de mois après son arrivée. Malgré les efforts de Casimir pour mettre son cheval à la nage il ne put y parvenir[7].

M. et Mme de La Guyomarais avaient trois autres fils et deux filles. L’aîné de tous, Joseph, était lieutenant de vaisseau ; il émigra en 1791 ; il était lieutenant dans le régiment d’Hector. Il faisait partie du débarquement des émigrés à Quibéron, et, comme tant d’autres, il y fut fusillé.

Le second, Édouard, était enseigne de vaisseau ; lui aussi émigra, il servait à l’armée des princes, il est chevalier de Saint-Louis. Il a épousé Mlle Victoire de Bertho.

Le quatrième, Félix, avait été nommé page de la maison du prince de Condé ; il n’eut pas le temps d’y entrer ; il émigra, s’engagea dans Loyal émigrant, et mourut à Nieuport.

L’aînée des filles a épousé M. Coupé des Essarts ; la seconde est mariée à M. Joseph de La Motterouge, capitaine dans la Garde royale.

Georges de Fontevieux n’était pas en France au moment de l’arrestation des Conjurés Bretons. C’était une victime de moins pour Cheftel ; mais l’infâme traître sut y rappeler le loyal jeune homme, et le livra ensuite à l’échafaud.

Perrin, le dénonciateur de ses maîtres, ne fut pas remis en liberté, il fut emprisonné à la Force, et ne reçut pas les cent louis, prix du sang de M. et de Mme de La Guyomarais. Furieux, il organisa une révolte parmi les détenus. Quelques mois après ses victimes il fut guillotiné.

Julien David fut acquitté par le tribunal révolutionnaire ; il habite la Bretagne. Les enfants de M. et de Mme de La Guyomarais n’oublient pas que les menaces et offres d’argent pour le faire dénoncer leur père et leur mère, échouèrent contre l’honnêteté du bon serviteur. Lui non plus n’a pas oublié ce douloureux drame de la Guyomarais.

Les quelques mois que j’ai passés avec Amaury de La Guyomarais, mon frère, m’ont appris des détails que je ne connaissais pas sur le Marquis de la Royrie, et son indigne dénonciateur, Cheftel, ce traître qui a livré à l’échafaud tant de nobles têtes bretonnes !

Amaury avait près de 22 ans, il faisait partie des Conjurés. Il ne paraissait pas encore dans leurs assemblées, mais le Marquis de la Royrie l’employait pour ses correspondances avec les Conjurés des côtés de Hénon, Quessouët, et des environs de Plancoët. Bientôt il devait partager, avec Georges de Fontevieux, le titre de courrier du Marquis. C’est donc ses souvenirs et les miens que je viens d’écrire. Je veux que mon fils n’oublie jamais le dévouement de ses grands parents, celui de ses oncles, ainsi que leur fidélité à la cause de leurs roi et princes légitimes. J’ai tenu à lui faire connaître la vérité sur cette page de 93, afin que si un jour on voulait la ternir, mes enfants soient à même de relever les erreurs et les calomnies entachant la mémoire de leur grand-père.


La Guyomarais, le 19 août 1821.


Casimir de la Motte de La Guyomarais.

  1. La famille de La Guyomarais a pensé que c’était un vieux gendarme, habitant Saint-Denoual, qui, reconnaissant d’un service que M. de La Guyomarais lui avait rendu, voulait à son tour lui témoigner sa reconnaissance. — C. de La Guyomarais.
  2. C’est lui-même qui raconta ce fait à M. de La Guyomarais : J’ai admiré, disait-il, le sang-froid de cette femme qui m’a sauvé de la guillotine ; mais je me sentais mourir, faute de pouvoir respirer dans ce lit, je n’ai jamais autant souffert. — C. de La Guyomarais.

    Il y a 6 à 7 ans que ce fait m’était répété par la petite-fille de cette fermière. — Mde de La Guyomarais.

  3. La Fosse-Ingant est dans la commune de Saint-Coulom, près de Saint-Malo. — Mde de La Guyomarais.
  4. En nivelant, en 1877, l’endroit où avait été cette chapelle, la tête entière du Marquis de la Royrie fut retrouvée. En l’enlevant de la terre, elle tomba en cendres, il n’en resta qu’un petit fragment de l’os frontal, qui est conservé. — Mde de La Guyomarais.
  5. Cheftel et Perrin ignoraient que sous le prétexte de faire des visites aux amis et voisins de son père, Amaury leur portait des messages du Marquis. — C. de La Guyomarais.
  6. Ce ne fut qu’à l’époque de son mariage, avec Mlle de La Goublaye de Nantois, qu’il sut qu’il était né le 11 juin 1776, et qu’au moment de son jugement, il avait 17 ans passés. — C. de La Guyomarais.
  7. Le 28 janvier 1795, Casimir passa aux chouans, dans le Morbihan, avec 7 chasseurs. Il servait comme lieutenant, sous les ordres du Cte de Silz. Il revint dans les Côtes-du-Nord, comme capitaine, sous les ordres de M. de Boishardy. Après la mort de ce chef, il fut nommé chef de Canton, sous les ordres de M. La Roche-le-Veneur, où il servit jusqu’à la reddition. Il fut arrêté le 28 mai 1797, conduit au château de Brest ; en 1799, il vint rejoindre M. le Vicomte, commandant par intérim la légion royaliste de Lamballe. En 1815, il fut nommé chef de bataillon dans la même légion, sous les ordres de M. de Courson ; en 1818, le roi le nomma Chevalier de la Légion d’honneur, pour prendre rang dans l’ordre à compter du 20 février 1816. — Mde de La Guyomarais.