Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 1/Combat des Droits de l’Homme en 1797

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Baie d’Audierne. — Combat du Vaisseau
les Droits de l’Homme 1797.

Il est des victoires qui n’honorent pas… c’est, quand le vainqueur mettant son épée dans le plateau de la balance, fait rendre gorge à son adversaire, victime de trahisons, vaincu par les éléments… par nombre… Væ Victis… un sentiment de haine persiste, et un jour ce sentiment réveillera les morts de leur repos sanglant… Il le comprenait bien, Alfred de Musset, sa strophe patriotique flagelle comme un coup de fouet, et le groupe Gloria Victis de Mercié ne reproduit pas cette ironie amère : Musset répond aux forfanteries du poëte allemand Wieland.

Si vous avez le Rhin allemand.
Lavez-y donc votre livrée,
Et parlez-en moins fièrement,
Combien au jour de la curée,
Étiez-vous de corbeaux, contre l’aigle expirant.

Il est aussi, des défaites honorables. Le souvenir de Léonidas aux Thermopyles a traversé les siècles. On cite toujours la garde meurt et ne se rend pas ; on se rappellera de Reischoffen, du mot sublime du colonel de Septeuil auquel on donne ordre de charger, simplement il répond… mais c’est la mort pour tous ? Le salut de l’armée en dépend… Enfants, crie-t-il, en avant, et il prend la tête. Ne se souviendra-t-on pas toujours de cette infanterie de marine chargeant sous la mitraille ? arrachant à Guillaume vainqueur, cet aveu qui restera à jamais leur gloire… Oh ! les braves gens.

Nous aussi, souvenons-nous avec orgueil du combat du vaisseau les Droits de l’Homme, 15 nivôse 1797… Dans deux ans se présentera le centenaire, et nous retrouverons Monsieur le Maire de Plozévet, dont le patriotisme nous réunira tous sur la plage… Il me le disait encore aujourd’hui 26 mai 1895… Hier aussi, je retrouvais un riverain qui me disait… mon grand père a laissé dans la famille un souvenir oral… « J’étais là, et la tempête faisait rage » un menhir monument historique existe sur la plage de Plozévet, et nous devons à M. Lucien Le Bail, un discours patriotique.

Rappelons sommairement les faits… En Bretagne, l’anglais n’a jamais été connu, comme un ami loyal de la France, sur les malheurs de laquelle, il n’a su verser que des larmes de crocodile.

En 1796, le Directoire soupçonnant à juste titre, que le cabinet anglais travaillait de nouveau, à coaliser contre la France, résolut de l’en punir, il donna quelque retentissement à la formation d’une armée d’Angleterre, d’un projet de descente, dont l’exécution devait être confiée à Bonaparte, déjà redouté par eux. L’alarme de la nation anglaise fut grande, elle rassembla ses flottes à l’embouchure de la Tamise. Le Directoire envoie en secret le général Humbert en Irlande avec des troupes de débarquement. La première division de l’escadre mit à terre un millier d’hommes, quelques succès furent suivis de revers, et général et troupes furent contraints de se rendre. La seconde division fut surprise au mouillage par l’escadre anglaise qui vint l’attaquer ; elle était trois fois plus nombreuse.

Un vaisseau français sauta dans l’action, trois autres furent obligés d’amener leur pavillon. Ainsi échoua l’expédition mal conçue.

Le vaisseau, les Droits de l’Homme, devait faire partie de l’expédition ; il sortait de Brest avec 650 hommes d’équipage, et 580 soldats de la légion des francs… La tempête le sépara du reste de l’expédition, et pendant quatre jours il resta au mouillage dans la baie de Berntry, où il perdit deux ancres.

Devenu en quelque sorte le jouet des flots, incertain, il erra pendant plusieurs jours, et se retrouva aux environs des roches de Penmarc’h, entrée de la baie d’Audierne. À travers une brume épaisse, il aperçoit au large, une voile, puis encore une seconde. Donnons de suite les noms des trois navires et des trois commandants :

Droits de l’Homme, capitaine Lacrosse.
L’Anglais indéfatigable, capitaine Pellew.
Frégate Amazône, capitaine Reynolds.

Lacrosse se tint prêt, quand il prévit l’attaque.

L’indéfatigable, vaisseau rasé, le rejoignit le premier ; quand une portée de canon les sépare, l’anglais envoie une bordée et la lutte commence. Par une bordée, le Français riposte, et la soutient par un feu roulant de mousqueterie.

Lacrosse ordonne d’ouvrir la batterie basse… Malheur ! la mer qui entre à plein sabords oblige à le fermer.

L’Anglais essaie de passer sur l’avant, mais le Français prompt à prévoir la manœuvre, envoie à l’ennemi la bordée qu’il lui destinait dans la première position… La lutte continue jusqu’à six heures du soir, quand l’Amazône, nouvel ennemi, apparaît : la frégate se place prudemment devant le Français, canonne les Droits de l’Homme, impunément jusqu’à ce que Lacrosse réussît à mettre les deux adversaires par son travers. À 7 heures 1/2, le feu du Français avait été assez nourri (bien qu’il ne pût faire usage de la batterie basse pour forcer les deux adversaires à se retirer pour réparer leurs avaries.

Lacrosse fait rafraîchir ses hommes, reprend la lutte.

Le but de l’Anglais est de détruire les mâts du français, qui lui, vise aux batteries.

Lacrosse blessé au genou à deux heures du matin, confie le commandement à Prévost-Lacroix, second ; mais en lui disant : « Assurez l’équipage qu’on n’amènera pas »… Vive la République, fut la réponse de l’équipage… À 6 heures 1/2, le cri Terre retentit.

Lacrosse porté sur le pont, contempla tristement son navire.

Deux bas mâts hachés ne peuvent plus supporter de voilures. Il faut faire cesser la lutte, et l’Amazône est échouée depuis une demi heure, pendant que l’Indéfatigable gagne le large.

La lutte avait duré 13 heures ; continue, acharnée, quand les Droits de l’homme s’enfonce dans le sable. Il a tiré 1,750 coups de canon.

Maintenant il va avoir affaire à un ennemi plus redoutable, la tempête, le vent d’Ouest souffle avec violence, et à l’est il y a une chaîne de rochers.

Derrière ceux-ci, ô honte pour eux, il y a des riverains qui ne voient dans ces malheureux combattants, que victimes à dépouiller, et qu’ils repoussent au lieu de tendre en compatriotes une main secourable.

Un premier naufragé parvenu au rivage, poussé par la faim, pénètre dans un village. Des animaux fraichement tués, sont là, suspendus, soit pour une noce, soit pour un festin.

Le naufragé ne comprend pas la gravité de ses paroles : « D’autres hommes, dit-il, vont atterrir, à bord ; ils sont affamés, en grâce qu’on ait pitié d’eux. » Oui, je comprends dit le paysan qui se dirige vers le lieu du sinistre. Un câble vient d’être tendu, et fixé à un rocher. Vingt hommes et plus y sont raccrochés, suprême espérance, ils vont gagner la terre… Chose horrible à révéler : un coup de hache coupe le câble, et la grappe humaine est engloutie dans les lames furieuses… Dieu soit loué… le nom du paysan riverain n’a pas été connu et on ne saurait que le maudire. (il y a cent ans).

Ce ne fut que le prélude ; diverses embarcations sont jetées à la mer… Les malheureux entassés, et parmi eux deux femmes et six enfants, anglais. capturés sur le vaisseau ennemi Calypso.

On compte aussi, Châtelain, lieutenant de vaisseau blessé au bras droit ; Joubert et Müller, enseignes ; Tonnerre, maître d’équipage, tous ils furent brisés sur les rochers.

Enfin une heureuse saute de vent survient, et le cutter l’Aiguille et la canonnière l’Arrogante partent d’Audierne pour sauver les survivants.

Dans le rapport de Lacrosse, je relève ceci. Un homme dans le naufrage m’ayant dit : « Mieux valait se rendre que périr ainsi. » — « Non, mon ami, puisque j’ai l’espoir de vous sauver tous. » — Vous aviez raison, dit l’équipage, il ne fallait pas rendre les Droits de l’Homme.

Quarante ans plus tard, avait lieu à Plozévet une touchante cérémonie. Des naufragés survivants, ayant à leur tête le major Pipon étaient réunis pour rendre grâce à la Providence de les avoir sauvés. Sur la plage, là où se trouve le Menhir. Alors fut gravée une inscription ainsi conçue… et cette inscription qui de nous ne l’a pas lue ?

Autour de cette pierre druidique sont inhumés environ 600 naufragés des Droits de l’Homme, brisés par la tempête le 14 janvier 1797. Le major, Pipon, né à Jersey, miraculeusement échappé à ce désastre, est revenu sur cette plage le 21 janvier 1840, et dûment autorisé a fait graver sur cette pierre, ce durable témoignage de sa reconnaissance. A Deo Vita, Spes in Deo… L’inscription fut gravée par M. Godec de Pont-Croix.

En 1882, une nouvelle cérémonie réunissait une nombreuse assistance. La réunion était provoquée par M. Le Bail, maire de Plozévet qui recevait les félicitations de tous.

L’inscription suivante peut se lire au-dessous de la première : « Cette pierre doublement consacrée par le temps et par l’histoire, a été sauvée de la destruction, l’an 1882, et classée parmi les monuments historiques : Jules Grévy, Président de la Republiquo Française ; Lagrange de Langre, Prefet et Le Bail, Maire.

Le 10 mars 1887, M. Le Bail, profitant d’une marée d’équinoxe a été heureux de retirer trois canons, enfouis, à 1m30.

Nous étions nombreux là encore. Ils étaient couverts de rouille, et rongés par les sels de mer. M. Le Bail, doit les faire transporter aux pieds du Menhir, situé non loin de l’endroit, où on les a trouvés… M. Le Bail animé d’un sentiment vrai, nous dit et nous l’approuvons… « Ainsi réunis à la pierre qui après le combat fut le point de mire, pour atterrir, des survivants des Droits de l’Homme, et à laquelle les premiers naufragés ayant pris terre vinrent fixer un câble pour mieux aider au salut des autres survivants, parmi lesquels, 50 prisonniers, dont le major Pipon ; le monument recevra le caractère d’une double consécration. »

Le chiffre généralement admis des pertes est de 400, des survivants de 950. Ceux-ci furent conduits à Audierne. De la pointe du Môle, presque de la montagne on peut apercevoir ce champ de lutte et de mort. Plusieurs touristes se font conduire au Menhir de Canté, sous Plozévet, à gauche, à deux kilomètres de la route qui mène du Pont-l’Abbé à Audierne.

M. Lacrosse, de Brest, sénateur de l’Empire qụe beaucoup parmi nous ont connu, était fils du Héros, commandant les Droits de l’Homme.

Au lieu dit Feunteunigou, en Plouhinec, presqu’en face du rocher la gamelle, et un peu partout sur les falaises opposées au Môle d’Audierne, que des milliers de touristes fréquentent chaque année, on trouvait il y a deux ans, on 1893, des ossements blanchis par l’action réunie et du temps et du sable… Il y eût grand émoi dans la contrée, car la tradition orale n’avait laissé aucune trace, ou du moins elles étaient vagues.

Quand par suite de défrichements on les mit au jour, comme toujours de nombreux racontars eurent lieu… C’était des ossements de géants, etc. Il est si facile d’agiter la crédulité populaire… Je dus à l’obligeance de M. Piriou, Maire de Plouhinec, d’avoir pu copier dans les archives du 25 nivôse 1797, les documents qui m’ont permis de reconstituer l’histoire des cadavres, et cela sans nul doute possible. Les journaux de la grande presse, se sont emparés de l’article qui a parcouru la France. C’étaient les ossements des marins anglais du vaisseau Amazône.

Un hasard m’a fait me rencontrer avec un riverain instruit et bien renseigné, du crime commis par le paysan dont on maudirait le nom s’il était connu. Une noce avait lieu, au village de Kérislin, près la chapelle de St-Demmet, un des convives craignit que des malheureux affamés ne vinssent dévorer, le fricot, déranger la noce de St-Demmet. Ce fut la cause du crime.