Souvenirs de prison/Chapitre 2

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II

L’arrivée.

La prison de Québec, extérieurement, n’offre rien de remarquable. N’étaient les barreaux de fer qui s’entrecroisent aux fenêtres, on dirait tout aussi bien d’un hospice ou d’un couvent. J’ai vu, depuis, dans l’autre Tarascon, l’antique château du roi René, qui sert aujourd’hui de prison à la ville. C’est infiniment plus intéressant.

Mais on ne peut pas tout avoir, et il est permis aux Québecquois de se consoler : si leur prison n’est pas la plus belle du monde, ils ont au moins le plus beau des geôliers, après avoir eu le plus beau des shérifs.

Au reste, je n’étais pas encore descendu de voiture, que je ne pensais plus guère à contempler la façade du monument. L’intérieur me préoccupait bien davantage.

Ce fût le geôlier (en style cellulaire le gouverneur) qui se chargea de m’y conduire.

M. Morin (tel est son nom) n’était pas précisément un inconnu pour moi. J’avais eu l’avantage de causer avec lui, quelque deux semaines plus tôt, au moment où je rendais visite à mon confrère Asselin, qui pour lors moisissait au fond des cachots…

Cette fois-là le gouverneur s’était montré pour moi d’une amabilité touchante. « Ah c’est vous, c’est vous, monsieur Jules Fournier ?… me répétait-il avec insistance. Que je suis heureux de vous voir ! Depuis le temps… » Et il n’achevait plus de me vouloir prodiguer ses embrassements.

Je me rappelais tout cela, et aussi comme il avait ri de bon cœur lorsqu’à cette question : « Mais que venez-vous faire ici ? », j’avais répondu, prévoyant le sort qui m’attendait : « Je suis venu choisir ma cellule… »

Maintenant…

Maintenant, hélas, « quantum mutatus ab illo ! »

Ah ! il n’avait plus envie de rire, le gouverneur !

Immobile et rigide comme la statue du Commandeur, il se tenait tout d’une pièce sur le haut du perron. Étonnantes variations d’un cœur de geôlier ! croiriez-vous bien qu’il ne me dit seulement pas : « Bonjour, monsieur » ? Je vis qu’il jetait sur moi, comme je descendais de voiture, des yeux chargés d’un immense mépris. J’en demeurai presque confondu.

Pour la première fois depuis le début de mes tribulations, je me demandai si je n’étais point coupable. Ma conscience disait non, mais l’œil du geôlier disait oui. Enfin, je m’arcboutai comme je pus contre ce regard accablant, et je montai rapidement le perron. Alors, tandis qu’un garde, portant un énorme trousseau de clefs, ouvrait la première porte de fer, le gouverneur fit deux pas vers moi, et, d’un geste rude, m’indiqua le chemin fatal.