Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux/L’Entre-deux-guerres/Chapitre VII

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CHAPITRE VII


Les à-côté du drame de Panama. — Tristesse de Lockroy.
L’inquiétude de Naquet. — Barbe, Titard,
Emmanuel Arène, Antonin Proust et quelques autres.
Le trop bon Georges Lefèvre. — Le duel Déroulède-Clemenceau.
Une Journée Parlementaire. — Un souper chez Barrès.
Burdeau. — Lockroy et la marine de guerre. — L’amiral Bienaimé.
Le commandant Campion. — Michel pacha.



À distance, étant donné ce que nous avons vu depuis, le scandale du Panama a perdu de son importance. Il est même malaisé de comprendre comment ces histoires de chèques — une berquinade à côté de ce que j’ai révélé dans l’Avant-Guerre — ont pu passionner à ce point l’opinion publique. Pendant toute la fin de l’année 1892 et une grande partie de l’année 1893, il ne fut pourtant question que de cela. Allié alors à la famille Hugo, sur laquelle pesait Édouard Lockroy, membre influent du parti radical, j’ai observé les choses de près et je puis en parler savamment.

J’ai assisté aux séances de la Chambre qu’a décrites Barrès dans Leurs figures. Ce récit est un chef-d’œuvre. Il n’y a rien à y ajouter. Les non compromis suivaient ces débats, avec la curiosité passionnée et animale de spectateurs de courses de taureaux. Les compromis figuraient les taureaux. Mais on ne les tuait pas et, quelques années plus tard, les principaux d’entre eux reformaient leurs manades et recommençaient leurs incursions.

Le plus touché mondainement fut Antonin Proust qui, après avoir essayé de la piteuse explication : « Je revenais de Copenhague », se tut, se terra et disparut. Ce n’était pas un méchant homme. C’était un faible, et il visait au monsieur chic, ce qui l’entraînait à des dépenses trop fortes pour sa bourse. Le papa Gustave Dreyfus et Karl furent affligés de ce naufrage. Lockroy s’en réjouit en secret, car les manières doucereuses d’Antonin Proust lui tapaient sur les nerfs.

— Allons, allons, — criait Allain-Targé — il y a longtemps que nous le considérions comme une fripouille.

Celui-là était un honnête homme et d’une grande loyauté. Il ne se gênait pas pour exprimer son avis et ses coups de boutoir étaient célèbres.

— Pourquoi — lui disait Constans — quand je vous tends la main, gardez-vous la vôtre dans votre poche ?

— À cause de mon porte-monnaie, » répliquait Targé en riant, s’ébrouant et caressant son énorme barbe de fleuve.

On racontait qu’Antonin Proust, habitué de l’Opéra, avait subi les condoléances de Pedro Gailhard, colosse velu et indulgent aux faiblesses humaines : « Qu’est-ce que c’est que ça, mon pauvrrrâmi ! Il y a des honnêtes gens qui ont fait cent fois pirre… »

Emmanuel Arène, opprobre de la belle et honnête Corse, essaya de se rebiffer. C’était un cynique de la pire espèce, un portant beau, un affronteur. Fier de son torse mince et cambré, il tournait et virait en tous sens une petite tête fate et cruelle aux yeux trop aigus, en forme de robinet de bain. On lui prêtait de l’esprit, alors qu’il n’avait que du bagout. Il aurait, comme dit le peuple, vendu son père. Son chèque panamiste était certainement la plus légitime et la plus innocente de ses opérations politiques et financières. Il fut stupéfait de voir l’importance que prenait la révélation de cette petite blague de rien du tout. Quelques années plus tard, la camaraderie de Calmette le faisait entrer au Figaro, et tenir, bien médiocrement, l’emploi de critique dramatique. Mais, à je ne sais plus quelle première, comme il causait du scandale à l’orchestre, la salle lui cria en cadence : « À la porte. Arène… À la porte… Panama ! » Il en devint pâle de stupeur et de rage. Il croyait tout cela oublié.

J’ai vu Rouvier dans les couloirs de la Chambre le jour de l’accusation Delahaye et je l’ai vu, treize ans plus tard, au même endroit, lors de l’alerte de Tanger. Je dois reconnaître qu’il était plus ému la seconde fois. Homme d’argent, il ne comprenait certainement pas qu’une faute d’argent pût entraîner le déshonneur, au lieu que la perspective de la guerre l’épouvantait. Je crois d’ailleurs que c’est le scandale du Panama qui l’a mis dans la main des financiers allemands. La pente de la corruption est savonneuse.

Pendant ce temps, Lockroy se frottait les mains. Il considérait Rouvier comme un ennemi personnel et il affirmait que l’incendie se limiterait aux bancs de l’opportunisme. Quand le doigt vengeur de Paul Déroulède eut désigné publiquement Clemenceau ainsi que l’homme lige de Cornélius Herz, Lockroy fut pris entre sa haine de Clemenceau — dont il enviait la carrière brillante — et sa solidarité radicale. Celle-ci l’emporta. Comme je riais des mines observées par moi au cours de cette séance tragique, Lockroy, offensé dans sa dignité d’élu du Onzième, sortit de table. Paul Ménard et Georges Périn, amis personnels de Clemenceau et ses témoins contre Déroulède, essayèrent ensuite de quelques remontrances, qui ne firent qu’augmenter mon hilarité. Le fait est que l’élément comique dépassa bien vite l’élément tragique et l’on n’imagine guère comédie plus bouffe que la terreur des compromissions, à laquelle étaient en proie ces messieurs, devant les attaques de Delahaye et d’Andrieux et les révélations de la Libre Parole.

Alfred Naquet, l’épouvantable bossu des Mille et une Nuits, n’avait pas trempé dans le Panama, mais il était l’intime du financier marron Arton, son compatriote, qui entretint Burdeau. D’autre part, Lockroy avait alors à sa solde un agent louche du nom de Titard, qui courait les milieux policiers, financiers et politiques, et lui apportait les nouvelles. Chaque jour, sur le coup de une heure après-midi, Titard essoufflé arrivait chez Lockroy, qui l’entraînait dans son atelier et recevait ses horribles détails. Un quart d’heure après débarquait Naquet, bouclé quant à la tignasse comme un dromadaire de grande maison, en sueur, accablé : « Eh ! que dit Titard ? » demandait-il avec angoisse. Lockroy secouait la tête, moitié tic, moitié navrement : « Hum, hum, hum, cher ami, ça va mal, mal, c’est grave.

— Hier cependant Arton vint et m’affirma qu’il sortirait indemne de l’impasse. »

Car Naquet, quand il craint, usurpe l’accent méridional, je ne sais en vertu de quel réflexe des ghettos de Carpentras.

— Arton va être arrêté d’une minute à l’autre, déclarait Lockroy en mâchonnant ses londrecitos.

— Diable ! je suis persuadé néanmoins qu’il est innocent.

Lockroy levait au ciel les tremblotantes allumettes de ses bras. Naquet sortait en gémissant. Le hideux Titard repartait en courses. Quelques années plus tard, il mourut d’un bout de parapluie, qu’une fille insultée par lui, place de la Bourse, à une heure du matin, lui avait plongé dans l’œil. Ce trépas lui alla comme un gant. Lockroy avait là un drôle d’indicateur.

Autre visiteur de Lockroy, l’énorme Barbe, parlementaire rouge et jovial qui travaillait dans les explosifs. Il explosa à la suite d’une imprudence sexuelle, commise après un bon déjeuner. Il s’efforçait de rassurer Naquet sur le sort de son cher Arton, mais lui-même, à mesure que l’instruction avançait, n’avait pas l’air confortable dans sa peau.

Certains étaient inquiétés qui n’étaient nullement coupables, qui n’avaient péché que par naïveté. Ce fut le cas du bon Georges Lefèvre, ami de Bourgeois et de Vacquerie, lequel se chargea de je ne sais plus quelle sotte commission compromettante, qui lui fut violemment reprochée. D’autant plus violemment que ce charmant poète, auteur de la meilleure traduction de Roméo et Juliette, jouée à l’Odéon, était innocent et inoffensif comme une bête à bon Dieu. Il n’empêche que je le vis pleurer de désespoir à l’idée qu’il avait encouru le soupçon de s’être mêlé au terrible « Panama ».

Un des plus gravement touchés fut mon ancien maître Burdeau et je pus m’en rendre compte dans une circonstance tragique. Il assistait à une répétition générale aux Français, le soir où sortit, dans les journaux, l’histoire du pourboire que lui avait consenti Arton, le fameux Arton de Naquet. Je le vois encore, assis sur le devant de sa première loge, distinguant avec stupeur les manchettes où son nom s’étalait en toutes lettres. Il devint pâle, puis en quelques instants se tacheta de jaune et de gris. Les gens chuchotaient en se le montrant. Il se leva et alla s’asseoir dans le petit couloir du fond, où des amis aux mines longues vinrent bientôt le rejoindre. Qui aurait cru que la Critique de la Raison pratique le mènerait là ?

C’était pourtant ainsi. Lauréat en philosophie, à Louis-le-Grand, d’un prix au concours général, distingué à cette occasion par le financier lyonnais Donon, engagé comme collaborateur au journal le Globe, dudit Donon, Burdeau avait trouvé dans ces honneurs le point de départ de son futur déshonneur. Il est l’exemple d’une belle intelligence, dévoyée par la métaphysique de la Bourse. Son impératif catégorique l’avait aiguillé vers Arton. Ici, par exemple, je ne riais plus, car j’avais gardé pour Burdeau une amitié mêlée d’admiration et je songeais : « Quelle dégringolade ! » Il faudrait, en épigraphe de sa lamentable biographie, le mot profond du Comte de Paris : « Les institutions ont corrompu les hommes ».

Quand on apprit l’imminence du duel au pistolet entre Déroulède et Clemenceau, tout le monde crut que Déroulède serait tué. Sa notice nécrologique était déjà sur le marbre dans maints journaux. À la stupeur générale, les six balles des affaires sérieuses furent échangées sans résultat et il en devait être de même, quelques années plus tard, des six balles échangées avec Drumont. Ce fut le crépuscule de la réputation de tireur de Clemenceau. Sa légende de duelliste redoutable ayant disparu, ses camarades s’empressèrent de lui faire une réputation d’homme d’esprit. Il ne manque pas d’ailleurs — quand il n’écrit pas — d’une certaine drôlerie acerbe et spontanée, mais il ne va à la cheville ni d’un Barrès, ni d’un Degas, ni d’un Forain. Par exemple, ce mongol vendéen a du sang-froid. Ses amis le trouvaient, au matin de ces âpres journées, goguenard et les pommettes en bataille, époussetant ses bibelots japonais, affectant de parler d’autre chose.

Dans la pièce intitulée : Une Journée parlementaire, qu’il fit représenter chez Antoine sur ce sujet brûlant. Barrès rendit avec exactitude l’atmosphère d’alors. Les dessins aigus de Forain au Figaro constituent aussi de bons documents sur cette époque amère et grotesque, ainsi que les articles en acier sombre de Drumont. Le juge d’instruction était devenu le fléau des politiciens. Le professeur Brouardel ayant franchi la Manche et déclaré, après examen, Cornelius Herz intransportable, s’attira l’animosité des étudiants. En effet, si certains redoutaient à bon droit l’interrogatoire de cet électricien maître chanteur, on ne voyait pas bien en revanche l’inconvénient qu’eût présenté l’aggravation de son diabète. Brouardel était avant tout un fonctionnaire et il obéissait à la raison d’État.

Le suicide de Jacques de Reinach, concurrent et ennemi de Cornelius Herz, plongea les douze tribus dans la consternation. Les juifs, en s’abordant, parlaient bas et allaient chuchoter par grappes dans les coins, à quelque distance de la curiosité des goys. Connaissant mes sentiments à leur endroit, que je ne dissimulais guère, ils étaient gênés par ma présence et ma gaieté les horripilait, comme elle horripilait Lockroy. Je m’amusais aussi à leur offrir mes condoléances, quand je les savais amis du défunt ou de son assassin, et leurs trognes embarrassées m’enchantaient.

Après la première représentation de Une Journée parlementaire, un souper réunit les amis de Barrès. Il habitait alors rue Caroline, aux Batignolles, un petit hôtel entouré de jardins. C’est là que je fis la connaissance de Jules Delahaye, « l’Accusateur », — comme disait Barrès, — la grande vedette de l’affaire du Panama. Ce « suppôt des jésuites » — au dire des panamistes — était robuste, bien pris dans son frac, noir de barbe et de cheveux comme l’Érèbe et d’une charmante cordialité. Son énergie était inscrite dans sa bouche, ou mieux dans sa mâchoire inférieure, arquée, dure et tenace ainsi qu’une enclume courbe, sur laquelle il martelait les mots. L’éclair du regard accompagnait, projetait mainte inflexion pénétrante, acérée. Au dessert il y alla d’un petit speech fort bien tourné : « Nous avons vu ensemble, mon cher Barrès, de vilaines choses et de vilaines gens ». — « Ah ! certes, oui ! » dit fortement Barrès, et tous les soupeurs, Magnard en tête, furent enchantés. Mais qui ne fut pas enchanté, le lendemain, quand il lut dans les journaux le récit de cette petite fête, ce fut Lockroy. Mauvais gendre, j’avais compromis sa situation dans le Onzième. Sa dent contre moi allongea de plusieurs centimètres, et l’on me rapporta les doléances qu’il faisait à mon sujet auprès des « vieux amis de la famille ». J’appris ainsi qu’un certain ancien magistrat, du nom de Bouchet-Cadart, que je n’ai jamais vu et dont j’ignorais l’existence, était indigné de mon attitude peu républicaine. Qu’est-ce que le digne homme penserait maintenant ?

Dès cette époque, Lockroy, rapporteur du budget de la Marine et dégoûté du portefeuille secondaire du Commerce, guignait le ministère de la rue Royale. Il faut avoir connu l’ignorance et la légèreté phénoménales de cet ancien vaudevilliste, pour saisir toute l’intense bouffonnerie d’une semblable prétention. Lockroy ne fréquentait alors en fait de navire que le petit « courrier » qui fait le service hebdomadairement entre Cherbourg et Guernesey, et c’est de la contemplation à distance de « quelques-unes de nos unités de la flotte du Nord » que lui était venue cette idée falote. Sans connaître un seul mot de grec ni de latin, sans autre instruction qu’un frottement superficiel d’enfant de la balle, des coulisses et des salles de rédaction, il avait bien été bombardé grand-maître de l’Université quelques années auparavant ; il avait harangué les professeurs en Sorbonne et les chers élèves au concours général. Pourquoi ne haranguerait-il pas les amiraux ? Alphonse Daudet disait : « Il doit mettre des cailloux dans ses poches et dans les basques de sa redingote, pour être sûr de ne pas s’envoler ».

Quatre personnes firent son éducation technique ; ce furent, en remontant la hiérarchie : deux lieutenants de vaisseau, d’ailleurs fort intelligents, mais imbus tous deux des doctrines exclusives de l’amiral Aube, MM. Bérard et Fontin ; le commandant Campion, gendre de l’amiral Aube ; et enfin le commandant Bienaimé, qui fut ensuite préfet maritime de Toulon, puis député de Paris. De sorte que Lockroy ne jurait que par l’amiral Aube, déclarait que les cuirassés étaient inutiles et même nuisibles dans la composition d’une escadre, et célébrait partout, d’un air entendu, la nécessité de construire uniquement des torpilleurs et des contre-torpilleurs. Les profanes, ébaubis des leçons qu’il récitait sans trop se tromper, grâce à son excellente mémoire, faisaient « oui, oui, mais certainement oui ! » et ne poussaient pas leur enquête plus loin. Quand Lockroy manquait d’auditeurs, il se rabattait sur Payelle, son secrétaire, ou sur moi, et déplorait l’incroyable aveuglement des adversaires de ce qu’on a appelé depuis « la poussière navale ».

Tel est le pire travers des ministres ignorants et incompétents. Ils adoptent aisément les marottes de ceux qui ont su entrer dans leur confiance, et ensuite, la vanité aidant, ils n’en démordent plus. Une certaine façon de voir, qui n’est pas toujours la bonne, loin de là, s’impose à eux comme une vérité intangible, comme un dogme. Je me rappelle les imprécations de Lockroy contre l’amiral Gervais, coupable, paraît-il, de trop peu d’enthousiasme pour les torpilleurs, et les serments farouches qu’il proférait de mettre au pas ce sacrilège. Cette oscillation entre les capacités de Duvert et Lauzanne et les aspirations de Colbert faisaient, je l’avoue, mon bonheur. Quand on est jeune, on est séduit par l’ironie des choses, et je trouvais impayable que notre avenir maritime fût suspendu aux engouements de l’auteur du Zouave est en bas et de l’historien d’Ahmed le boucher. Plus tard, le danger de ces formations incomplètes m’est apparu. Une flotte de guerre n’est pas un joujou pour enfants politico-journalistes de cinquante ans.

Dans la cabine de son cuirassé, le commandant Campion, que j’ai vu plusieurs fois en compagnie de Lockroy, m’a laissé une forte impression. C’était, — car malheureusement il est mort, — un homme robuste, à la voix ironique et ardente, au geste vif, tout emporté par son sujet. Il montrait sur la rade deux cuirassés du vieux modèle, inutilisables paraît-il : « J’appelle cela des chiens mouillés. À quoi sert de construire de nouveaux chiens mouillés ? »

Lockroy, docilement, répétait ensuite devant ses collègues de la Chambre et du Sénat : « Quant aux cuirassés de haut bord, messieurs, je les qualifie d’un mot : ce sont des chiens mouillés. Ils n’auraient pas d’autre rôle que de rester mélancoliquement à l’attache ». On riait, on disait : « Ce Lockroy est un sauteur, mais il a bien de l’esprit ; et quelle fantaisie dans ses définitions ! » L’amiral Bienaimé avait infiniment moins de saveur que le commandant Campion. Aimable, vide et prévenant, il ne demandait qu’à être de l’avis de son futur ministre. Le malheur était que son futur ministre n’avait aucun avis. De sorte que chacun d’eux commençait sa partie de dialogue par cette formule dubitative : « Ne pensez-vous pas que ?… » Lockroy, à son tour de réplique, faisait une moue vague : « Hum, hum, mais certainement, mais comment donc, cher ami ! » ou éclatait d’un rire intempestif, destiné à masquer sa gêne ou son ignorance.

Le seigneur de Carabas de Tamaris, où nous habitions, était un vieux bonhomme, à tête de paysan finaud, que l’on disait vingt fois millionnaire, auquel ses avatars avaient valu le surnom de Michel pacha. Lockroy tenait essentiellement à épater Michel pacha. Dès qu’il l’apercevait, il allait à lui et commençait un cours de haute politique maritime, que le bonhomme écoutait en clignant, avec cette préoccupation visible : « Va-t-il, pour finir, m’emprunter cinq louis ? » Il ne s’agissait certes de rien de tel, mais Lockroy avait hâte de replacer son érudition toute chaude et de prouver au vieux Crésus qu’il saurait à l’occasion manier le trident de Neptune, ce « spectre du monde ». Au bout d’une heure, Michel pacha, ne voyant décidément rien venir, s’assoupissait les deux mains sur sa canne, et Lockroy continuait à déblatérer, devant cet innocent richard endormi, contre l’amiral Duperré et l’amiral Gervais, à jurer qu’il les dresserait.