Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI/Cordons-bleus

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CHAPITRE X

cordons-bleus

Comme la noblesse est la plus glorieuse récompense que les rois ayent accoustumé de donner aux hommes vertueux, l’ordre de chevalerie est un degré plus éminent.
La Colombière, Théâtre d’honneur.


Le timide et voluptueux Henri III, passant successivement de la débauche aux pratiques de dévotion, institua l’ordre du Saint-Esprit pour calmer les remords qui, souvent, s’élevaient dans son âme. Cet ordre, le premier en dignité de l’ancienne monarchie, s’est soutenu dans toute sa splendeur jusqu’aux dernières années de la troisième race. Toujours composé des plus grands seigneurs du royaume, il était plus honorifique que lucratif ; néanmoins, il était si recherché que toutes les places vacantes étaient aussitôt remplies. Le roi tenait par an trois chapitres de cet ordre, et recevait ensuite les chevaliers promus au chapitre précédent. Ces trois époques étaient les jours de l’an, de la Purification et de la Pentecôte. Tous les chevaliers, dont le nombre n’excédait jamais cent, se rendaient au lever du roi en habit de cérémonie. Cet habit était de velours noir avec une veste et des parements de satin vert brodé de flammes d’or, le cordon bleu par dessus. Le manteau était pareil à l’habit et s’attachait sur le grand collier de l’ordre, composé de trophées en émail et des chiffres de Henri III ; au bas pendait l’étoile à huit pointes qui, sur le manteau, était brodée en argent.

Après le lever du roi, le chapitre se tenait dans la salle du conseil, et l’huissier de l’ordre proclamait les noms des nouveaux chevaliers. La procession commençait ensuite, et se rendait à la chapelle en traversant les grands appartements. La marche s’ouvrait par les huissiers et les officiers de l’ordre. Ensuite arrivaient les novices, dans le costume du temps du fondateur, c’est-à-dire avec les chausses retroussées, le pantalon de soie blanche, les souliers de velours noir, le pourpoint en moire d’argent garni de dentelles, le petit manteau de damas noir et la toque retroussée par un diamant avec une plume de héron. Ce costume de mignon, qui pouvait aller à des jeunes gens, était souvent ridicule sur le dos des vieillards ; madame de Sévigné nous a conservé des détails très-plaisants sur l’embarras des récipiendaires à la fameuse et nombreuse promotion de 1688, et surtout sur celui de MM. de Montchevreuil et de Villars, dont les dentelles d’argent se trouvèrent tellement mêlées qu’on ne put jamais les séparer, ce qui compromit quelque peu la gravité de la cérémonie, aussi bien que le peu d’ampleur des chausses du maréchal d’Hocquincourt[1].

Après les novices venaient tous les chevaliers, deux à deux, par ordre de réception. La marche était terminée par les princes et le roi suivi de toute sa maison.

La famille des Rohan, d’après ses prétentions à vouloir être traitée comme souveraine, refusait le cordon bleu, parce que les seigneurs de ce nom voulaient marcher avec les princes du sang, et non leur rang de réception.

Après la messe, célébrée par un prélat, commandeur de l’ordre, le roi montait sur un trône de velours vert semé de flammes d’or, et placé du côté de l’évangile. Le récipiendaire était amené par les maîtres de cérémonies entre deux parrains choisis parmi les anciens chevaliers. Après de nombreuses révérences, faites non pas en s’inclinant, mais en ployant les genoux, comme les femmes, ils s’approchaient du trône. Le novice, aux pieds du roi, prononçait le serment prescrit par les statuts de l’ordre, et recevait ensuite le collier et le grand manteau de velours noir semé de flammes d’or, avec la doublure et le chaperon de satin orange. On lui remettait également le chapelet et un livre du petit office du Saint-Esprit, avec injonction de le réciter tous les jours. Je crois que bien des chevaliers oubliaient facilement cette obligation ; mais Louis XVI était très-exact à remplir ce devoir, qui, du reste, ne demandait pas plus d’un quart d’heure chaque jour.

Après la cérémonie, le roi était reconduit dans son appartement dans le même ordre qu’il en était sorti.

Il fallait avoir trente ans pour être reçu chevalier de l’ordre. Les princes du sang l’étaient après leur première communion, et les fils du roi le jour de leur naissance. J’ai vu recevoir les enfants de M. le comte d’Artois, ceux du duc d’Orléans et le duc d’Enghien.

L’ancien ordre de Saint-Michel, institué par Louis XI et répandu à profusion, fut, après l’institution de celui du Saint-Esprit, destiné aux artistes et aux savants. La distinction était un large ruban noir, et c’était un chevalier du Sainte-Esprit qui faisait la réception dans l’église du grand couvent des Cordeliers, à Paris. Mais tous les cordons-bleus recevaient aussi celui de Saint-Michel, d’où ils étaient qualifiés chevaliers des ordres du roi.

L’ordre de Saint-Louis, destiné à récompenser la bravoure militaire, tenait son chapitre le jour de la saint-Louis. Tous les chevaliers, les grand’croix et les commandeurs assistaient à la messe avec l’habit de leurs grades militaires. La distinction était, pour les grand’croix, un large ruban rouge et la plaque en or brodée sur l’habit, et pour les commandeurs le ruban sans la plaque. Les princes du sang ne recevaient cette croix qu’après avoir fait une campagne.

Le roi portait habituellement, outre le cordon bleu, la petite croix de Saint-Louis et la Toison d’or que le roi d’Espagne lui envoyait en échange du cordon bleu.

Il y avait encore en France l’ordre de Saint-Lazare ou de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, ordres d’abord distincts, qui avaient été réunis. Le premier fut créé par Henri IV, tandis que l’autre remontait au temps des croisades. Le roi en nommait le grand maître, et de mon temps c’était Monsieur qui possédât cette charge. Il allait, trois fois par an, en tenir un chapitre à l’École militaire, à Paris. La marque de l’ordre était une croix d’émail suspendue au col par un ruban moiré vert, et la même croix brodée sur l’habit. La petite croix se donnait seulement aux élèves de l’École militaire qui se distinguaient par leur conduite et leur application. Ils la portaient à la boutonnière, attachée par un ruban lie de vin.

L’ordre du Saint-Esprit fut supprimé en 1791 par un décret de l’Assemblée nationale, qui ne conserva que la croix de Saint-Louis.

  1. Madame de Sévigné, Lettre du 3 janvier 1689.