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Souvenirs et Réflexions/Méditations, oraisons

La bibliothèque libre.
Les éditions du Nant d’Enfer (p. 57-84).


iv

Méditations, oraisons


Dans bien des cas les critiques formulées sur autrui renferment des louanges implicites pour soi-même.


« La création ne s’est pas faite seule », disent les uns. Mais alors qui a fait le Créateur ? objectent les autres. Eh bien, il n’est pas plus extravagant de croire que Dieu EST de toute éternité, et qu’il a créé le monde, que d’affirmer que la matière EST de toute éternité ou qu’elle est née de rien. La première affirmation a sur l’autre l’avantage d’être plus logique. L’ordre, la beauté, l’harmonie ne sont-ils pas visibles en ce monde ? Est-ce que cela ne suffit pas à prouver une intelligence directrice ?

Le monde peut-il sortir de zéro ? et le néant engendrer ?


Je ne sais rien, mais je me rends bien compte que je sais l’essentiel. Je sais que Dieu est au milieu de nous et en nous. Si Dieu est en nous, il nous parle ; écoutons-le. Très peu prêtent l’oreille à cette voix intérieure, d’ailleurs souvent gênante. On se laisse distraire par d’autres voix qui cherchent à étouffer la divine inspiration. Comment reconnaître la bonne parole ? À ceci : elle ne se contredit jamais. Elle met dans notre âme une certitude, une sérénité, une joie, une ardeur sans mélange. Les voix de la terre sont orageuses, troublantes, contradictoires. Parfois un peu de vérité se glisse en leurs insinuations ; vérité confuse et mêlée d’obscurités. La science ne sait rien, nos yeux ne voient rien. Est-ce à dire qu’il ne faut pas chercher ? Mais si, il faut pousser aussi loin que possible les investigations, sachant qu’on n’atteindra jamais la vérité totale. Oui, le désir d’arracher ses secrets à la terre est noble et légitime.


Ce n’est pas sous la forme du vice que l’esprit du mal est le plus redoutable. L’homme sera toujours forcé de reconnaître que l’immoralité, quelle qu’elle soit, est mortelle à l’espèce humaine en société.


Le grand danger suprême c’est le procédé qui consiste à prendre en l’homme tout ce qu’il a de beaux sentiments, de principes les plus élevés, et de les faire dévier de leur véritable objet. Par exemple, l’homme ayant repoussé Dieu, mais sentant en lui le besoin du divin, se proclamera dieu lui-même. Et sous couvert d’humanitarisme il commettra les crimes les plus féroces. L’histoire nous offrira tous les exemples possibles d’une pareille aberration, mais il suffit de remonter jusqu’à la fin du 18e siècle et de voir à quoi ont abouti les divagations d’un Rousseau avec les pitreries d’un Voltaire.

Si l’on veut voir quelle forme revêtira le besoin d’adorer, on se rappellera le culte scandaleux offert à la déesse Raison, logiquement représentée sous les traits d’une prostituée.

Oui, ce sera bien la fin de tout ; l’homme s’adorant lui-même en l’humanité, proclamant la Nature seule déesse, puisant en elle les éléments directeurs de sa conduite, aboutissant logiquement à un égoïsme féroce capable des pires excès. Il semble bien qu’aujourd’hui nous descendons tout doucement dans ce bas fond.

Mon Dieu ! ayez pitié de ceux que j’aime… et des autres.


La véritable ardeur ne se traduit pas par des gestes désordonnés ni des paroles haletantes. Elle est tout en effusions intimes, en actes spontanés dans la sérénité d’un paisible amour. C’est une flamme intérieure non accompagnée d’expansions bruyantes ; c’est un parfum en vase clos. Les âmes vraiment ardentes ne sont pas quêteuses d’approbations, mendiantes d’admiration, parce qu’elles rapportent tout à Dieu de qui elles tiennent tout. Les âmes mercenaires, parce qu’elles s’agitent éperdument — prenant le mouvement pour l’action — se donnent l’illusion d’une vie intense alors qu’elles ne sont que marionnettes articulées.


La nostalgie dont nous sommes étreints, même dans la possession des réalités les plus belles et les plus enivrantes, vient de ce sentiment confus que la beauté n’est qu’un pâle reflet du divin, terme de nos aspirations. De là cette sensation poignante de l’inassouvi. Dieu nous amorce pour nous attirer à Lui ; il nous déçoit pour que les « ombres de ce qui est » ne nous retiennent pas dans leurs enchantements illusoires.


Dieu a mis à notre portée tous les éléments d’un bonheur terrestre. Mais le fait de vivre en société implique l’échange, l’entraide entre les humains qui se dérobent, hélas ! De là l’infinie misère de vivre qui n’est supportable que grâce au grand espoir d’au-delà.

L’homme malheureux, ou se croyant tel, accuse la Divinité, montre le poing à la Providence : « Toi qui es toute puissante, pourquoi permettre que je sois accablé de maux ? » Et il nie que Dieu soit infiniment bon. Ce qu’il demande, c’est la permission de bouleverser impunément l’ordre établi. L’univers est régi par des lois ; l’harmonie, l’ordre, la beauté règnent visiblement en ce monde. Et l’homme se plaint amèrement de ce qui fait sa sécurité. Car les lois ne se retournent contre lui que parce qu’il en fausse l’économie (je voudrais un autre mot). Imaginez un Dieu paterne disant à la créature humaine : « Sois légère, folle, débauchée. Ne suis-je pas tout-puissant ? Dérange, bouleverse mets tout en pièces pour tes brèves satisfactions. Je saurai remettre chaque chose à sa place. J’aurai recours au miracle pour t’être agréable. Mais je maintiendrai l’application de la loi dans la mesure où elle cesse de t’opprimer. Le principe de solidarité dans le bien ne te gêne pas ; il ne t’est pas désagréable de tirer profit des avantages de l’hérédité, par exemple, ou de ceux dus à l’industrie des hommes. Et l’intelligence, la bonté ?… C’est parfois bien gênant. Il me faudra donc supprimer ce qui déplait à chaque individu isolément. Je suis à ton service ; use de moi à ta fantaisie ».

N’est-ce pas là le Dieu de tes caprices, ô homme misérable et inconséquent ?

Oser se trouver malheureux parce que les exigences de la vie se sont opposées et s’opposent très légitimement à l’épanouissement de nos mauvais instincts : paresse, sensualité, orgueil, besoin d’indépendance (pouvant aller jusqu’à la révolte la moins justifiée), c’est un désordre moral qu’on ne saurait trop réprouver.

Il faut absolument chercher à se connaître et ne pas se complaire dans les tares d’une nature déchue ; cela peut aller jusqu’à l’admiration de soi, là où l’on devrait se frapper la poitrine. Combien, au lieu de faire leur mea culpa se contentent de dire : « Je suis ainsi »… Ils ajouteraient volontiers « et je m’en félicite » ! !


Qu’est-ce que la vérité ? comme dirait Pilate sans attendre la réponse de la Vérité elle-même. La vérité est donnée à celui qui la cherche avec persévérance, mais elle ne peut qu’être dosée à la mesure de l’intelligence humaine laquelle n’est qu’une toute petite lueur comparée au soleil. Le sauvage regardant les points d’or brillant dans la nuit les prend pour de petites flammes allumées par des mains invisibles ; eh bien, c’est tout de même la vérité, si rudimentaire soit-elle. Et cette vérité, jamais un animal, parmi les plus intelligents, ne l’a cherchée. Que le scepticisme est donc le signe d’un esprit étroit, mesquin et sans amour ! Eh quoi, nous sommes environnés de mystère, submergés de toutes parts en lui et nous osons dire : tel fait est impossible, parce que nous ne savons pas le « comment » de ce fait ! Un être extraordinaire est venu nous dire le pourquoi des choses ; devant témoins il a accompli des merveilles. Il a prouvé son incommensurable supériorité dans tous les domaines ; à l’aide d’une doctrine qui tient en quelques pages, il a transformé le monde ! Tout ce qu’il a annoncé s’est réalisé : « mes paroles ne passeront pas » ! Et elles ne passent pas, en dépit des obstacles amoncelés par l’ignorance, la vanité, l’orgueil, le vice, en un mot la bêtise humaine ! Et il se trouve encore nombre de « Pilates » pour déclarer avec dédain : Qu’est-ce que la vérité ?…


Une bonne action est un être vivant qui engendre ; une mauvaise action est comme une maladie ; c’est un germe de mort et c’est contagieux.


« Portons le fardeau les uns des autres ». Je cueille cette belle phrase dans Saint-Paul. Qui ne sait que l’effort à donner pour rendre service est souvent en disproportion du service rendu. Le moindre coup d’épaule, un geste, un mot dit à propos peuvent parfois suffire pour tirer d’affaire des gens dans l’embarras, sauver une ou des vies. Portons-le de bon cœur ce fardeau léger en proportion de la peine qu’il dissipe.


Tout ce que nous avons de bon est un obstacle à notre besoin de tranquillité et de vie paisible. Donc si l’on veut à tout prix conquérir ce que l’on décore du nom emprunté de bonheur, il faut se réfugier dans le plus parfait égoïsme, par conséquent s’avilir en détruisant en soi les germes de beauté morale. Le bonheur n’est pas dans les contingences terrestres ; il consiste dans une attente sereine des béatitudes promises, ce qui ne va pas sans déchirements et brisements de cœur. C’est pourquoi le Juste par excellence a le sien déchiré à tous les instants de sa vie. Cloué sur une croix, Jésus nous a donné les dernières gouttes de sang de ce cœur qui a tant aimé les ingrats que nous sommes !

Je cueille cette phrase dans un chapitre du « Sacrifice » de l’abbé Buatier… « La grandeur du péché se mesure exactement à la quantité d’amour qu’il ravit, comme le froid se mesure à la quantité de chaleur qu’il soustrait, et la nuit à la quantité de lumière qu’elle dérobe ».


L’attente est un supplice ; on doit éprouver ça en purgatoire. 13 octobre 1931.

Combien de parents se flattent, parfois avec aigreur, de s’être « sacrifiés » pour leurs enfants. Il n’y a pas là de quoi se prévaloir. Le don de soi, lorsqu’on veut fonder une famille, est naturel et obligatoire. Les enfants n’ont pas demandé à naître ; nous leur appartenons bien plus qu’ils ne nous appartiennent. Ils nous doivent affection bien plus que reconnaissance même lorsque nous avons fait envers eux tout notre devoir. À leur tour, entraînés par le bon exemple, pénétrés des bons principes que nous leur aurons donnés, ils se donneront généreusement à la tâche glorieuse d’élever des enfants, laquelle comporte le sacrifice de soi dans une large mesure.

« Pour donner une moisson d’épis, il faut que le grain consente à mourir »… magnifique image évangélique que nous devrions toujours avoir sous les yeux. « Si le grain ne meurt pas, il se dessèche et n’est bon qu’à être jeté au vent ».

La vraie vie consiste à se sacrifier journellement pour anéantir l’égoïsme commun à tous. Si tous obéissaient à cette loi, l’obligation imposée à chacun serait dans une proportion très supportable. Mais comme la plupart d’entre nous se dérobent, outre le désordre, il en résulte un surcroît de peines pour les gens de bonne volonté. La tâche négligée par l’un s’imposera nécessairement à un autre en vertu de la loi d’équilibre qui régit toute chose.


Mon Dieu, secondez nos efforts. Nous ne pouvons rien sans votre aide ; vous ne la refusez jamais quand elle est demandée d’un cœur pur et que le but de nos efforts est approuvé de vous. Quand notre volonté nous fait avancer d’un pas, une extraordinaire poussée en avant nous entraîne presque malgré nous et à notre grand étonnement. Car c’est à peine si nous osons croire à l’infinie bonté de Dieu, même quand elle se manifeste d’un manière concrète, tangible.


Qu’il se fasse en moi un grand silence ! un silence qu’aucune voix de la terre ne puisse troubler, afin que rien que de Divin ne se fasse entendre ! Ce silence, c’est au centre de l’âme qu’il peut s’établir, dans le refuge impénétrable où l’on se trouve « seul à Seul ».


Dieu est amour, il a créé par amour, il a donné à chacun de nous le besoin d’aimer. Ce n’est qu’en s’abreuvant à la source de l’amour où notre pauvre cœur puisera des forces vives qu’il pourra se retourner vers les âmes pour les aider dans la mesure de ses propres ressources. S’il ne s’alimente pas d’abord à cette source inépuisable, il ne pourra que s’attacher à ce qu’il y a de décevant et de périssable en toute créature. Il ne connaîtra pas le grand amour pur, ardent, désintéressé, avide d’infini, tendre, effacé, prudent et fort. L’amour est la respiration de l’âme ; il lui est indispensable comme l’air et la vie de notre corps. Mais pour entretenir ce feu de la Charité, que Jésus est venu apporter sur la terre, il faut l’alimenter sans cesse, par les saintes effusions de la prière, par le renoncement à soi-même, à base d’humilité, par le don, sans cesse renouvelé de soi à chaque fois qu’il nous est demandé pour accomplir quelque bien dans les âmes et soulager les misères. Que j’aime cette prière :

Mon Dieu, créez en moi un cœur pur,

Et renouvelez dans mon âme l’esprit de droiture.

Ah ! si à chacune de nos pensées, au début de chacun de nos actes, nous nous demandions si notre mobile est vraiment pur, s’il est vraiment libéré de la recherche de notre satisfaction propre ! Rarement nous le trouverions dépouillé de tout égoïsme. Un beau jour — ce fut en effet un beau jour — j’ai constaté que tous les rêves caressés dans le courant de mon existence étaient entachés d’égoïsme. Je ne m’en doutais pas. Je croyais légitimes bien des convoitises, innocentes en apparence et qui n’étaient que de perfides suggestions. Quelle confusion ! le jour où l’on s’aperçoit qu’on tournait le dos à la Vérité tout en s’attendrissant sur soi-même. Alors on comprend que celle-ci se venge par des épreuves destinées à vous remettre dans la voie malgré vous-même, sans profit spirituel jusqu’au jour où jaillit la lumière ! Alors commence la vraie vie non sans grand combat car il faut tout renouveler en soi, se transformer du tout au tout ! Que de fois il faut faire appel à un secours surnaturel pour se relever de nombreuses chutes ! Bientôt, à l’aide de cette mystérieuse Lumière, on verra plus clair en soi, on commencera à se connaître, à se juger, à détester les mouvements instinctifs qui vous tournent du côté du mal et qu’on a tant de peine à maîtriser. C’est une lutte de tous les instants dont on ne sort pas victorieux à moins d’une volonté toujours plus ferme. La langueur de l’âme ! c’est une vraie maladie qui déprime l’être physique, le plonge dans cette indolence, cette veulerie qui est à la base de toutes les catastrophes. Les anciens savaient ce qu’ils faisaient en armant Minerve de pied en cap. Connais-toi toi-même ! Que de sagesse et de profondeur dans ces simples mots ! Les plus grands saints, appliqués sans cesse à cette connaissance d’eux-mêmes sont les plus humbles des hommes quoique les meilleurs. Leur sincérité ne fait aucun doute quand ils s’accusent de fautes qui sembleraient légères au commun des mortels. Même ne se sentant pas coupables, ils se savent imparfaits. De là ce mot terrible de Saint Paul : « Nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine » ; et encore : « Quoique ma conscience ne me reproche rien, je ne me sens pas justifié ». Donc, comme règle de conduite, s’appliquer à découvrir le défaut dominant, s’efforcer d’acquérir la qualité sui sera de nature à combattre ce défaut. Arriver à la maîtrise de soi ; ne juger personne, — ce qui n’implique pas une aveugle condescendance aux sentiments d’autrui — ; « irritez-vous, et ne péchez pas » c’est-à-dire : ayez l’horreur des actes mauvais, mais soyez indulgent aux pécheurs. On ne doit pas s’irriter contre soi lorsqu’on a commis une faute, parce que c’est notre orgueil qui souffre d’une constatation humiliante. Nous devons nous repentir et faire mieux ; c’est tout. S’irriter c’est ne pas vouloir admettre qu’on est un être faible comme d’autres et plus que d’autres. Que d’orgueil dans cette déclaration ridicule : « Humble si je me compare, fier si je me considère ».


Mon Dieu, ce n’est pas un moment d’ivresse sacrée qui consacrera l’union d’une âme avec Vous. Ce n’est pas dans l’enthousiasme que l’on Vous trouve si c’est ainsi souvent que l’on vous cherche. Il faut aller au delà, monter plus haut. Vous n’êtes pas dans les poèmes que brode notre imagination pour s’enivrer de merveilleux, c’est plus haut que luit votre présence. Mais le dégoût des choses de la terre, les déceptions, le morne ennui nous conduiront-ils jusqu’à Vous ? Non, certes.

Ce n’est même pas l’ardent besoin d’amour qui nous fixera dans le Vôtre, il faut plus encore. Il faut la sérénité conquise dans le renoncement à tout ce qui contient encore de l’humain ; que le cycle de l’état de passion soit franchi, qu’on soit une chose inerte entre vos mains, une chose établie dans la paix et la douceur d’un total abandon avec un cœur épuré d’aucune recherche de soi. Alors on sent éclore le véritable amour pour Dieu et pour toutes les âmes (je n’en suis pas là). Toutes les âmes !… Aimer ses proches, aimer les sympathiques, quoi de plus délicieux et de plus facile ? Aimer les autres, pardonner leurs offenses, plaindre les égarés, prier pour eux de tout son cœur… Avoir le cœur de Jésus pour ses propres bourreaux quand on sent bouillonner en soi l’indignation et la rancune… Ce n’est possible que si, en faisant un retour sur soi-même, on se rend compte que la plus grande des offenses reçues est sans proportion avec la moindre de celles qu’on fait à Celui à qui l’on doit tout et sur le pardon duquel on peut toujours compter moyennant un acte de pur amour !


… « Ils » trouvent excessif de consacrer à Dieu, dans la maison de prières, une heure de leur temps précieux, le dimanche ! Une heure prise sur la veulerie coutumière ou le plaisir ! À ce Dieu, de qui ils tiennent tout, ils ne veulent pas offrir un instant de leur vie oisive. Et quand elle serait occupée !… On trouve bien le temps de perdre ce temps à des riens accaparants, et on se refuse à une heure de recueillement et de méditation sur le seul sujet qui importe. On bavardera inlassablement ; on ne trouvera rien à dire à Celui qui est la source de toute bonté, de toute douceur. On ne saura pas Le remercier d’abord, Lui offrir des effusions, des actions de grâces pour tous ses bienfaits ; l’implorer, lui demander sa protection, son aide, lui faire sa soumission parfaite. Mais d’abord tâcher de se rendre compte, dans la mesure du possible, de ce qui se passe sur l’autel : le Sacrifice de la messe ! Jésus éternelle victime de propitiation pour nos péchés.

Et toutes les belles paroles de la liturgie ! source inépuisable de méditation :

« Pourquoi êtes-vous triste, ô mon âme, et pourquoi me troublez-vous ?… Espérez… »

« Mon Dieu j’ai aimé la beauté de votre maison et le lieu où réside votre gloire… ».

« Le Seigneur vous couvrira de son ombre et sa vérité vous environnera comme un bouclier »… (Quelle profondeur dans ces belles paroles !).

« Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté… »

« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur… »

« Que ma prière s’élève vers vous comme la fumée de l’encens… »

« Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde… »


Mille choses aussi profondes que poétiques sollicitent l’âme pieuse et l’enchantement, la courbant sous un charme puissant d’une douceur si poignante qu’elle arrache des larmes. Chercher Dieu, c’est trouver la vérité en toutes choses dans la mesure où l’on s’approche de cette « Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde. La Vérité vous environnant comme un bouclier »… Quelle image ! Tout s’éclaire parce que Dieu proche est le flambeau. On se sent en possession de certitudes d’autant plus réelles qu’elles sont suggérées par Lui, je devrais dire imposées. (1924).


Sans Vous, mon Dieu, l’âme est prisonnière de l’erreur. Faite à votre image, elle doit s’unir à son créateur, alors votre Vérité « l’environnera comme un bouclier ». Mais si elle refuse votre appui, les vérités qu’elle aura pu conquérir seront vacillantes comme le vaisseau dans la tempête. Les meilleurs parmi vos négateurs peuvent se laisser guider vers un Bien fugitif. Une boussole est entre leurs mains, mais parce qu’ils ne voient pas l’étoile vers laquelle l’aiguille aimantée se tourne irrésistiblement, ils ne comprennent pas le sens ni le but du voyage et peuvent sombrer dans le désespoir. Les mauvais verseront dans la jouissance à tout prix ; ils sont les fauteurs du désordre générateur de tous les maux. « Cherchez et vous trouverez » (Quelle parole !). « Demandez et vous recevrez » ; « frappez et l’on vous ouvrira ».


Jésus doux et humble de cœur…

L’humilité de Jésus ! Comment la définir ? Je ne m’en sens pas capable, sinon de façon négative.

Jésus connaissait sa supériorité, mais il n’avait ni fierté, ni morgue, ni mépris. Il n’était pas de ceux qui sont « fiers s’ils se comparent ». Il n’avait pas de fausse modestie : « Qui de vous me convaincra de péché ». D’ailleurs il suffit de dire que Jésus était la perfection même, on comprendra (?…) la nature de son humilité. Quand il faisait le bien — et il le faisait toujours — ce n’était pas dans le dessein d’exciter l’admiration, seule la bonté de son cœur était en jeu. Aucune faiblesse humaine n’altérait la beauté de ses actes ; il ne s’admirait pas ! Sa mission étant de faire le bien et d’éclairer les hommes, il était le soleil qui réchauffe et éclaire. Rien que de spontané dans sa façon d’agir…

Je m’arrête… Ces sujets sont beaucoup trop grands pour moi. J’écris parce que je ne sais pas bien méditer autrement. Que Dieu me pardonne les faiblesses de mes essais de démonstration ! D’ailleurs, je ne cherche pas à démontrer ; j’écris pour fixer mes pensées et pour mon seul usage personnel.


Mon Dieu, votre amour, votre bonté, votre miséricorde, votre justice sont une même chose. Votre justice n’est que l’accomplissement de la loi toujours bonne dans son principe. Le péché retourne contre l’homme une loi faite en sa faveur, pour sa sécurité. La loi de la pesanteur, par exemple, n’est-elle pas faite pour notre sécurité ? Qui songerait à se scandaliser si un homme tombant de haut se tue ? Plus une loi est tutélaire, plus elle devient meurtrière à celui qui la transgresse. Pesez les ravages dus aux vices, corruptions de ce qui est établi pour le bien. Dieu n’a-t-il pas attaché un agrément à la satisfaction de nos besoins naturels ? À quels fléaux cependant les abus ne nous exposent-ils pas !

Mon Dieu, soyez béni de tout ! Du mal nécessaire engendré par nos erreurs, vous savez tirer du bien. Et vous avez fait de toute souffrance un mérite, un rachat, une rédemption. Vous avez établi entre les âmes une union qui les relie entre elles comme les anneaux d’une même chaîne. Quel bienfait il en résulte parmi les élus où s’affirme l’admirable dogme de la communion des saints. Que tous ceux que vous m’avez donnés et que j’aime soient un jour avec moi — si vous nous en jugez dignes — dans cette bienheureuse assemblée !

« Bienheureux les pauvres en esprit »
… c’est pratiquer le détachement de toutes les richesses de la terre, qu’on les ait ou non entre ses mains. — C’est les considérer comme des biens qui ne vous appartiennent pas et dont il ne faut pas être l’accapareur ou l’esclave —. La beauté, la santé, l’intelligence, la fortune, le talent, sont des dons. Il faut savoir tout sacrifier aux exigences du devoir, comme un soldat prêt à donner sa vie, ce qui implique le sacrifice total. Les faveurs, dont nous gratifie la Providence, elles peuvent nous être enlevées d’un moment à l’autre ; il faut agir pour le bien en usant d’elles dans la mesure où elles ne paralysent pas notre élan. En aucun cas on ne se glorifiera, ni on ne fera parade, d’une supériorité, d’un avantage. Notons en passant que c’est le moyen de se les faire pardonner ; n’est-il pas humain d’être en butte aux fureurs de l’envie de la part des moins favorisés peu enclins à la pratique de la pauvreté en esprit, difficile d’ailleurs comme celle de toutes les vertus. Savoir ce qu’on doit faire n’est pas toujours d’accord avec ce qu’on fait.


Pour les athées, l’homme est dieu… excepté Jésus Christ.

Pour les protestants, l’homme est infaillible… excepté le pape.


Je n’ai pas la prétention de commenter les paroles divines ; je cherche quel écho elles éveillent en moi.


Heureux les doux…

Les doux possèdent la terre… Non pas les doux qui ne sont que des apathiques ou des indifférents. Ceux-ci sont les tièdes tant méprisés par Virgile dans l’enfer ; ils ne valent pas un regard. Heureux sont ceux dont la douceur est faite de bonté, de mansuétude, de compassion, d’indulgence et aussi de maîtrise de soi. Doux aux faibles, aux ignorants, aux obstinés, et même aux méchants puisqu’on peut parfois les ramener à de meilleurs sentiments. L’indignation bouillonne en nous, c’est quelque chose d’analogue à l’ardeur d’un cheval emporté. Il ne connaît plus rien et renverse tout sur son passage. L’homme en proie à la fureur roule de sinistres pensées. S’il a le malheur de s’y abandonner, qui sait à quel excès il est capable de se livrer, à sa grande confusion lorsque la crise est passée. Pour celui-ci, la douceur n’est pas chose facile ; il s’agit de retenir en soi le mauvais instinct déchaîné. Mais quelle victoire si on y parvient ! Chacun des triomphes remportés sur soi-même prépare la victoire future jusqu’au moment où la bête est enfin domptée.

Ce que j’aime dans les doux, c’est qu’ils ne brutalisent ni les gens, ni les choses. Pour les gens, cela va de soi, mais on fera difficilement comprendre à beaucoup d’entre nous, ou plutôt on aura grand peine à leur apprendre la douceur envers les objets inanimés. Entre les mains de ceux-ci tout n’est que heurts, brisements, tapage ; ils ne procèdent que par coups de poing.


Heureux ceux qui pleurent…

Pourvu que ce soient de belles larmes honnêtes, des larmes de repentir et d’amour (il n’est jamais ici question que du grand amour sans épithète) complètement étrangères à tout égoïsme, donc un repentir dépouillé d’orgueil, un amour absolument désintéressé. Nullement réparatrices, les larmes de colère, d’ambition déçue, de jalousie, d’envie, d’orgueil blessé, d’attendrissement sur soi-même. Pleurer ses fautes, pleurer celles d’autrui, voilà les larmes que recueillent les anges pour les offrir à la miséricorde divine. On se trompe souvent sur la nature des larmes versées, prenant ce qui n’est que vil pour l’ardente effusion d’un cœur pur. Souvent même, on pleure pour pleurer, dans un sentiment voluptueux. On pleure parce qu’on a les nerfs tendus, malades ; il n’y a pas de mal à cela pourvu qu’on ne s’abandonne pas trop à cette manifestation purement physique. Les larmes sont douces, amères, poignantes, hypocrites, impulsives… n’ayons pas d’illusion sur leur valeur ou leur mérite. Souvent, dans les larmes versées, on trouverait de l’attendrissement sur soi-même. Ne pas s’y laisser prendre en se trouvant digne d’intérêt.


Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice…

Ils seront rassasiés… pourvu qu’ils commencent à l’exercer eux-mêmes. Il ne s’agit donc pas de l’exiger des autres… Quel est celui qui n’a pas cette faim et cette soif de la justice qui lui est due ? Quel mérite avons-nous si nous ne la pratiquons nous-mêmes envers le prochain ?… Ce n’est pas chose si facile qu’on croit. Il est très naturel d’attirer à soi le plus possible, sans souci du préjudice causé, même sans se douter le moins du monde du rapt commis. La paille et la poutre… quelle matière à méditation ! et à contrition. Nos défauts nous sont légers ; ceux des autres nous paraissent insupportables ; nous trouvons légitime de nous dispenser de bien des devoirs dont nous nous déchargeons sur ceux qui nous entourent. Les vertus dont nous ne donnons pas l’exemple, nous nous scandalisons de ne pas les trouver dans les personnes à notre service, par exemple, comme en beaucoup d’autres. Donc la faim de la justice demande une connaissance approfondie de soi-même, de l’intelligence, de la bonté ; ce n’est pas à la portée de tous, mais il ne nous est demandé qu’en proportion de ce que nous avons reçu. Efforçons-nous d’abord ; paix aux hommes de bonne volonté !


Heureux les miséricordieux…

Il leur sera fait miséricorde. Quelle parole ! Être miséricordieux ! Ne connaître ni l’indignation, ni la colère, ni le mépris. Plaindre les méchants, les ignorants, les inintelligents, les lâches, etc… D’abord nous possédons tous en nous quelques traces de ces tares, et puis nous n’avons ni la capacité, ni le droit de juger qui que ce soit. Cependant nous avons le droit de défense, et même le devoir. Notre Seigneur n’a-t-il pas déclaré lui-même qu’il apportait, tout en étant le Dieu de paix, le glaive. La miséricorde n’implique pas le lâche pacifisme ; pardonner ne signifie pas que l’on doive tolérer ce qui est mal, encore moins lui donner son adhésion. Mais il faut réprimer en nous cet instinct qui nous porte à renverser l’obstacle, à le repousser du pied. Foncer sur l’adversaire, l’ennemi, c’est le mouvement naturel, même avant d’être sûr qu’on a le bon droit pour soi. Mais alors c’est le plus fort qui triomphe ; est-ce là de la justice ? Jésus nous parle de douceur et de justice avant de nous parler de miséricorde. La pratique d’une vertu suppose la coopération de toutes les autres, c’est pourquoi l’on dit communément : pratiquer la vertu — ce qui n’est jamais facile. Rien n’est facile dans cette ascension vers le Bien et le Vrai auxquels on peut ajouter le Beau.

Mon Dieu, vous nous pardonnerez dans la mesure où nous aurons fait miséricorde. Pour pardonner, il faut un état d’âme que je ne connais pas, hélas ! On pardonne à ceux qu’on aime dans la mesure où on les aime ; tout est là, il faut aimer. Aimer ceux contre qui tout notre être se soulève de répulsion !… Voir en eux une âme créée à l’image de Dieu. Cette âme peut être souillée, perdue de vices… Ce n’est pas à cause de cela que l’on éprouve des sentiments d’aversion ; on déteste comme on aime, et c’est très mystérieux. (Je parle de moi). Il me semble, ô mon Dieu, que vous nous demandez d’être bon et compatissant envers ceux-là qui nous déplaisent et de ne pas nous complaire dans nos mauvais sentiments à leur égard, rien de plus. Est-ce que je me trompe ? Oui, il faut prier pour eux, s’intéresser au salut de leur âme, reconnaître qu’ils sont nos frères en Dieu…

Je veux bien essayer…


Heureux les cœurs purs… Heureux les pacifiques…

Celui qui est pauvre en esprit, doux, humble, juste, miséricordieux, celui-ci possède un cœur pur que Dieu habite tout entier. Alors il rayonnera la paix qui s’étendrait sur toute la terre si tous les hommes avaient franchi ces degrés. Il n’en est rien, il n’en sera jamais rien. C’est pourquoi le Seigneur ajoute : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la Justice… Le juste est toujours persécuté. Le Juste des justes, le Pur, le Saint, le Fils de Dieu a dû expier sur le gibet d’infamie — après avoir été bafoué, maltraité, tourné en dérision, fouetté !… — le crime d’avoir apporté à l’humanité les moyens de vivre fraternellement, amoureusement dans la paix avant de gagner le ciel. Oh ! purifier son cœur ; ne s’attacher à rien de bas, de malsain, de dégradant, et par cela même aimer de plus en plus le Père céleste de qui nous tenons tout, et nos frères de la terre à qui nous devons toute aide, tout secours. (« Là où est ton cœur, là aussi est ton trésor ».) Aimer sans mesure… et se détacher de tout, même des affections les plus légitimes, s’il est nécessaire. N’être pour personne une entrave, un obstacle ; n’être lié à rien qui paralyse notre élan vers la plénitude de vie promise outre tombe. Et pourtant, donner de soi à tous autant qu’il est possible et opportun. — Je ne me crois pas arrivée au but, hélas !

(Celui ou) celle qui cherche son plaisir, sa propre satisfaction en piétinant tout autour de soi… qui prend son parti des déchirements, des larmes que font couler ses turpitudes, ses erreurs, qui sacrifie à une passion ce qu’elle pourrait donner de bonheur, de paix, de sérénité aux plus proches, qui aime mieux être esclave rivée à une chaîne que créature libre, orientée vers son bien et celui des autres… Ou elle dessèchera son cœur et ce ne sera plus que de l’ivraie vouée à la destruction finale, ou elle sera à son tour déchirée par le sentiment des souffrances engendrées par sa faute, et l’étreinte du remords la brisera enfin… et c’est ce qui pourrait lui arriver de plus salutaire… car on n’expie qu’en souffrant à son tour.


Novembre 1928.

C’est dur, dur d’être broyée par l’inquiétude, le chagrin, l’indignation… d’être obsédée par une idée fixe qui vous prend votre repos, vous brise le cœur, affaiblit en vous toute résistance… en un mot absorbe votre vie goutte à goutte. Tout travail intellectuel devient impossible.

On ne sait plus que pleurer… et prier. Il faudrait prier d’abord.

Mon Dieu, que tous ces balbutiements sont donc loin de vous ! Et pourtant vous voulez bien, quand même, habiter dans nos cœurs. « Si quelqu’un garde ma parole, nous ferons en lui notre demeure ».

« Je suis la vigne

« Je suis le bon Pasteur

« Je suis la voie, la vérité, la vie

« Je suis la résurrection ».

La sagesse consiste à vous chercher sans cesse, tout en accomplissant sans défaillance son devoir de chaque jour. Ne pas se laisser entraîner par les passionnettes du moment. J’ai telle chose à faire, mais cela m’ennuie ; j’aime mieux me distraire à autre chose ; ce sera pour tout à l’heure ou pour demain… Et le temps passe.

Je voudrais comprendre… mais c’est comme une ascension sur une montagne. Plus on monte, plus l’horizon s’élargit ; on sait qu’il pourrait s’élargir indéfiniment s’il était possible de monter toujours ! Et alors on sent que l’on est un pauvre être bien limité. Pourtant, en suivant la « voie », nous arrivons à la Vérité qui nous donne la Vie ; et cela suffit. Qu’importe que nous ne sachions pas tout, si le peu que nous savons est vrai ; n’aurons-nous pas l’éternité, la lumière éternelle !  ! Une vie toujours croissante, une lumière toujours plus vive dans la paix et le repos. Et nous compromettons cela pour quelques instants de joie (?) éphémère d’où nous sortons las et déçus, car aucune joie terrestre n’est capable de combler nos vœux.

Quand on cherche où est le bonheur, on ne le trouve nulle part, car il ne peut exister que dans la stabilité. Et pourtant, ce bonheur, nous y accrochons passionnément notre espoir malgré les démentis de la destinée. Donc elle existe, cette stabilité dont l’humanité n’a jamais pu déraciner en elle l’ardent besoin. Mais comment la posséder dans le devenir, la succession ? Ce qui devient a pour principe de toujours cesser d’être ! Nous ne sommes maîtres que du moment présent… et c’est un éclair qui passe !… C’est donc vers « Celui qui est » que tendent tous nos vœux : Celui qui est, qui demeure, qui n’a pas commencé, qui est stable, immuable, infini, Dieu ! Les meilleurs de ceux qui Le suppriment rêvent de progrès indéfini, d’une humanité idéale à l’avènement de laquelle s’immole la série des générations sacrifiées ! Mais cet enfantement laborieux, s’il aboutissait jamais, ne donnerait qu’une vie éphémère, puisque la planète elle-même est vouée à la destruction. Et cette humanité idéale (?) qui aura cru se passer de Dieu sera-t-elle heureuse enfin ? Mais non, puisque ses « lumières » ne lui serviront qu’à mieux mesurer et sentir son néant.


Après une lecture de J. Maritain.

La sophistique n’est pas une doctrine, c’est une attitude vicieuse de l’esprit. Les sophistes sont des amateurs d’intelligence pour le plaisir de se donner des airs de supériorité et par cela arriver à une sorte de domination. Ils excellent dans la façon de discuter le pour et le contre ; l’exercice de leur intelligence est pour eux une volupté supérieure. Ils admettent, ils préconisent les avantages de la science, mais ils ne veulent pas la vérité qui, pour eux, n’existe pas. Et pourtant ces amateurs de scepticisme et de relativisme sont sectaires dès qu’il s’agit de nier. Leurs idées sont tellement troubles et nébuleuses que tout en se croyant souples et tolérants, ils gardent d’une farouche manière une attitude hostile envers tout ce qui a l’apparence d’une certitude. C’est dire qu’ils sont incroyants sauf la foi en eux-mêmes, car leurs tendances les conduit à diviniser leur moi sous le magnifique prétexte de préparer la divination de l’humanité, d’une humanité future dont ils posent les fondements. Et cela doit fatalement aboutir à l’athéisme. Ils ont tout renversé : la création n’est pas, mais elle crée Dieu (!) L’homme ne sait rien mais il disserte sur tout en manière de passe temps. D’ailleurs il se peut que Dieu existe ou ait un commencement d’existence, mais c’est une divinité figée qui ne s’intéresse pas aux humains. Les écrits des sophistes se reconnaissent facilement en ce qu’ils fourmillent de contradictions, ce qui est le critérium de l’erreur.


Prodigalité — Avarice.

Les biens que nous possédons sont un dépôt confié par la Providence ; grave erreur de croire qu’il nous appartiennent ; nous en avons l’administration. Donc, limiter ses désirs, ne pas s’offrir toutes ses fantaisies ; on n’en a pas le droit. Le difficile, en tout, est de rester dans la mesure. Quelle mesure ? Celle dictée par le bon sens, le jugement, et surtout la pureté du cœur. Quelle règle ? — Celle, avant tout, de l’économie. Pas de gaspillage, jamais de gaspillage. Ce principe, généralement appliqué, diminuerait la misère dans des proportions incalculables. Il faut donner beaucoup. Il faut donner avec discernement ; là est la pierre d’achoppement de la charité. Encore vaut-il mieux se tromper quelquefois que de ne jamais ouvrir la main. Généralement, on ne se décide à donner largement que si l’on a foi en la Providence, à moins qu’on ne soit un prodigue qui, lui, ne connaît pas le discernement. Si l’on y a foi, on commence par admettre la proposition émise plus haut et on assume ses responsabilités. Donc, on ne se laissera pas arrêter par la crainte du lendemain ; on vivra au jour le jour, comme le lys des champs si magnifiquement vêtu par les soins du Père céleste. La crainte du lendemain paralyse tous nos élans. Certes il peut survenir des catastrophes qui nous ruineront. N’importe, soumettons-nous aux décrets d’en haut ; confiance et abandon. Nous notons les catastrophes, nous ne notons pas les aubaines. Que de lâchetés engendre la peur ! la peur de quoi ? la peur de tout ! Il ne faut avoir peur de rien et marcher toujours. Si l’on est dans la bonne voie, l’aide providentielle ne nous manquera pas. Savons-nous seulement ce qui nous est bon ou mauvais ? Comment pouvons-nous nous fier à nos seules inspirations. L’avare de l’évangile, soucieux d’amasser dans ses greniers… Malheureux ! Demain on te demandera ton âme… C’est les mains vides que tu paraîtras devant ton juge. Ce qui n’aura été que l’objet de notre satisfaction ou gloriole ne plaidera pas en notre faveur. Tout ce qui est issu de notre vanité est faux et ridicule. Quand on s’en aperçoit sur le tard, jetant un coup d’œil rétrospectif sur ses erreurs passées, quel haussement d’épaules !

Je me suis écartée de mon sujet. Trois vices fondamentaux : orgueil, sensualité, avarice. Tous les autres découlent de ceux-ci qui sont engendrés par notre égoïsme originel. Il est naturel d’être égoïste ; c’est par la grâce que nous pouvons nous guérir de cette infirmité foncière. L’homme, parcimonieux de nature, peut devenir généreux, ce qui ne manque pas d’intervenir. Il est curieux de constater combien nous apparaît simple et facile la chose redoutée, une fois faite. C’est le premier pas qui coûte, dit le vieil adage. Que de négligences parce qu’on n’aura pas eu le courage d’allonger la main !


La Théologie nous dit que c’est par un seul acte que Dieu est bon, juste, aimant, miséricordieux, etc… En un mot, il est la Toute Puissance, la Vie. C’est aussi par un seul acte que le soleil rayonne lumière, chaleur, fécondité. Mais celui qui reste volontairement dans la cave ne recevra pas ses rayons. Par Sa toute puissance, Dieu dispense sa grâce à tous, mais celui qui reste volontairement dans les ténèbres ne la recevra pas. Une analyse frappante se trouve dans la T.S.F. Les ondes rayonnent en tous sens, mais pour entendre les communications qu’elles envoient, il faut un appareil récepteur. Pour recevoir, il faut demander. Demander, c’est l’équivalent de prier : « Demandez et vous recevrez ; frappez et l’on vous ouvrira ». Dieu est le réservoir toujours plein, la porte toujours ouverte. Tout nous est dispensé d’avance ; il faut aller le chercher. Chercher Dieu en tout sincérité, c’est se rapprocher de Lui, c’est-à-dire de la Vérité même « qui vous environnera comme un bouclier », non seulement de la vérité particulière que vous désirez, mais de toutes les vérités, dans la mesure de votre réceptivité. Nous sommes trop limités, imparfaits, pour connaître la vérité totale dont nous serons tellement éblouis… plus tard. Pénétrons-nous bien de ce sentiment d’imperfection afin d’être persuadés que nous sommes incapables de tout comprendre. Le peu que nous pouvons saisir est une petite lueur en comparaison du soleil ; mais cette lueur est un don divin inestimable, uniquement dévolu à l’espèce « homme ». Que de reconnaissance nous devons au Créateur qui nous a donné un tel appétit de connaître, sans lequel on ne saurait ni vouloir, ni aimer ! On ne sait pas vouloir sans connaître ni aimer. On ne sait pas aimer sans connaître ni vouloir. « Je suis venu apporter le feu et j’attends qu’il s’allume » dit la Sagesse. Hélas ! il ne s’allume pas. Les âmes sont froides, indolentes, engourdies, inanimées, mortes quoique non anéanties. Mon Dieu qui êtes Amour, Toute Puissance, Ordre ; en un mot, vous qui êtes la Vie, faites que le feu divin s’allume enfin ; qu’il nous échauffe et nous éclaire… Amen.


Qui ne connaît ces lieux communs qui traînent partout et que ramassent les gens superficiels : morale chrétienne, morale d’esclaves.

Faire le bien en vue d’une récompense ; lâcheté.

Bonnes gens, vous ne savez ce que vous dites : Il est esclave celui qui commande à ses passions ? Esclave, celui qui cherche à éviter le mal afin de n’être pas la cause d’une souffrance ? Les règles imposées, lorsqu’elles partent de très haut, honorent ceux qui s’y soumettent. Est-il esclave, l’enfant qui obéit à un père aussi sage et prudent que tendre ?

« Faire le bien en vue d’une récompense »… De quelle récompense s’agit-il ? Est-ce que vous assimilez les aspirations du chrétien à la béatitude à l’obtention d’un bon point ou de la Légion d’honneur ? La vie doit être une ascension ? Quand vous faites l’ascension d’une montagne, votre récompense consiste à voir s’élargir l’horizon. Le savant, l’artiste, l’homme de bien, que font-ils ?… Ils aiment d’abord. Est-ce une lâcheté de servir la cause du vrai, du beau, du bien ?… au prix de grands sacrifices ? Ceux là ne sont pas des mercenaires, qui peinent en vue d’exercer les facultés que Dieu leur a données. Les plus grands d’entre eux sont désintéressés au point de vivre souvent dans l’indigence. Le but à atteindre est leur récompense. Pour le chrétien, la béatitude est l’union avec Dieu, source de l’amour. Voir s’accroître en soi de plus en plus la faculté d’aimer, voilà la récompense.

Une comparaison : Est-ce lâcheté de la part de celui qui veut conquérir l’épouse de son choix, de s’efforcer de lui plaire et de la mériter ? Proportions gardées, il y a quelque analogie entre le désir de posséder l’être aimé et celui du chrétien pour la béatitude céleste.

En fait de lâcheté, c’est à l’égoïste qu’il faut décerner la palme.


Par la vertu divine, nos pensées, nos paroles, nos actions sont des êtres vivants qui engendrent…


La fréquentation des esprits supérieurs — dans quelque branche que ce soit — a cela de bon que dès que ceux-ci nous inspirent confiance, nous avons vis-à-vis d’eux le sentiment de notre indigence, et nous nous sentons bien humbles derrière eux. Sachant qu’ils marchent à la conquête de la Vérité, nous n’avons qu’à les suivre sans nous acharner à la recherche de ce qui est hors de nos prises, soit que notre intelligence soit insuffisante ou que nous manquions du temps nécessaire. Il ne tient qu’à nous de nous fixer dans une paix sereine à la pensée que tous les grands esprits sont d’accord sur l’essentiel, même séparés dans l’espace et le temps.


Charité « bien ordonnée » commence par soi-même

« Bien ordonnée », c’est-à-dire appliquée en vue d’une fin qui est le salut de notre âme. Il s’agit donc de développer nos puissances pour atteindre le Souverain Bien. Si chacun de nous s’efforçait d’y tendre, tous en tireraient profit. Guéris de l’égoïsme, nous serions, les uns pour les autres, incalculablement secourables. Qui ne sait qu’un geste, facile, accompli en moment opportun peut rendre un immense service ? Disposant de moyens très divers, les humains se doivent une aide réciproque à laquelle le moindre d’entre nous peut se prêter. Du haut en bas de l’échelle sociale, le « coup de main » opportun peut sauver de la misère, du désespoir, de la mort.

Délivrés — autant que possible — de ce monstrueux égoïsme, cause de tous les maux, nous sommes… j’ose dire, automatiquement attirés vers l’Amour. La faculté d’aimer se développe par l’exercice. L’ardeur au bien réchauffe, chasse les ténèbres de l’esprit, active la circulation du sang. On vit lorsqu’on aime, et surtout on rêve de vie éternelle. Éternellement abreuvés à la Source de l’amour nous saurons enfin en quoi consiste cette « charité bien ordonnée » prêchée par le Christianisme et où elle aboutit.

Quand je parle d’amour ce n’est jamais de celui qui engendre tant de crimes.


1931

Toutes les manifestations de l’art nous enchantent mais ce ravissement où nous plonge le peu de beauté entrevue ici bas est à la fois exquis et douloureux ; il nous met au seuil d’un eden dont les portes ne s’ouvriront que plus tard. Quel espoir ! et quelle misère de se sentir en exil jusqu’à l’heure voulue par la Providence ! Nous avons les prémices des splendeurs promises dans les quelques joies à notre portée. Ce sont de pâles reflets dont il ne faut pas médire ; des amorces, parfois délicieuses, pour entretenir en nous le besoin d’infini. Ce que nous possédons de beauté, de vérité, d’amour est infiniment doux et précieux ; il nous aide à ne pas perdre de vue l’espérance dont nous vivons. Croyons, cherchons, aspirons avec toutes nos puissances. Dieu ne nous a pas donné en vain un cœur et une intelligence.


Paradis : état de santé parfaite.

Purgatoire : état de maladie curable.

Enfer : état de maladie incurable.


Qui donc es-tu, ô toi qui erres, furtive, dans les sentiers glissants de nos décevants paradis ou parmi nos joies les plus pures ? Ton beau visage est voilé de mélancolie, mais ton regard est profond comme s’il reflétait le ciel ou plongeait dans un abîme. Tu te dissimules, tel un serpent sous des fleurs. Et pourtant, nul ne résiste à ton sinistre appel. Dis-moi, qui donc es-tu ?


Je suis l’inévitable, la grande amie que l’on méconnaît et redoute, l’ombre de toute humaine félicité, la cendre embrasée de toute flamme. Je suis sur la croix tachée de sang, dans l’âcre volupté du sacrifice. On me trouve partout où se leurre l’illusion issue du mensonge, comme aussi dans les nuages enveloppant les cimes glorieuses que la débilité de l’homme ne saurait atteindre. Je me penche sur les berceaux, je fleuris les tombes ; j’effeuille les vaines ivresses, mais je sème dans les ruines. Je suis la Douleur, fille inséparable du puissant, magnifique, implacable amour.


Il serait assez curieux de connaître l’idée que chacun de nous se fait de Dieu. Naturellement on ne peut se le représenter que par images. Pour moi, au lieu de faire du mot « vie » une abstraction, j’évoque quelque chose de vivant et je l’appelle Dieu… qui est partout. De là découle tout ce qui m’enchante et m’appelle : Beauté, Vérité, Bonté et ce qui résume tout, l’Amour, le bel amour chaud, ardent, consumant, qui implique l’oubli de soi, l’abnégation, le sacrifice et qui, bien entendu, ne connaît pas la jalousie (quel défaut ! ! !). La jalousie ! apanage de l’amour qui se galvaude dans les bas-fonds de l’âme ; celui qui n’est que féroce égoïsme ; l’amour qui hait et qui tue, l’amour qui n’aime que soi, qui n’est que la contrefaçon, la grimace de l’autre, le divin.

Silences !

Qui dira les choses sublimes que contient ce simple mot ? L’homme faible, violent, le vulgaire et le vaniteux ne le connaissent pas. Les sages, les vertueux, consentent à se taire, même sous la ruée de l’affront. Comment ne pas penser tout d’abord à l’héroïque silence de Jésus devant ses juges. Pilate n’est qu’un lâche ; Hérode se borne à ricaner comme font ceux qui ne comprennent pas. Ils n’ont pas vu ce qu’il y a de grandeur dans l’abaissement volontaire et le mutisme du Maître des maîtres, de Celui dont la Parole devait résonner plus tard jusqu’aux confins du temps et de l’espace.

Vous qui souffrez, qui vous sacrifiez, suivez l’exemple du Sauveur. Que le silence soit la réponse de ceux qui se voient méprisés, méconnus, calomniés. On ne peut rien contre l’incompréhension, l’injustice des ignorants et des méchants. Et vous qui persistez à vouloir éclairer, convaincre les êtres ténébreux, rappelez à votre esprit ces paroles de la Sagesse : « Ne jetez pas de perles aux animaux ».

Et pourtant, la parole a ses devoirs et ses droits. Mais il faut savoir éviter l’ironie, le sarcasme, les allusions perfides, formes cauteleuses du mépris. L’homme vraiment fort saura se garder aussi de l’invective issue de la colère et qui n’est qu’une faiblesse de plus. Bienheureux les doux ! Heureux ceux qui résistent à l’infernal entraînement d’un verbe plein de fiel ! Ils savent le prix du silence venant à point limiter de sages paroles.


Et maintenant, ô silence voulu de Dieu, Silence auguste des nuits, que dire de votre enchantement ! Quel poète trouvera les mots pour vous décrire ? L’ombre descend, enveloppant de mystère les choses terrestres, alors qu’apparaît à nos yeux ce que la lumière nous cachait d’infini. Les créatures obéissantes se taisent, selon l’ordre du Créateur. Libéré enfin de la sujétion des opprimantes besognes, voici pour l’homme le moment d’écouter les voix intérieures. Saura-t-il répondre à cet appel du plus intime de son être ?… Hélas ! des notes discordantes, prolongement des agitations de la journée oseront troubler l’harmonieuse paix des soirs. Des voix impies s’élèveront dans la sérénité des heures consacrées au recueillement, se souciant peu de violer le divin précepte du repos. Que de clameurs sinistres passent encore à travers le calme des nuits, pesant comme un fardeau sur les pensées avides de prendre leur élan dans l’ombre suggestive de réalités cachées à la lumière du jour.

Et vous, silences du cœur, pudeur des âmes délicates et tendres, fermées comme un calice sur un parfum… fier silence des humbles, des déshérités, des oubliés, vous êtes le refuge des meilleurs d’entre nous. Ce qui s’agite en eux, nul ne le sait, excepté Celui pour qui les âmes n’ont pas de secrets et qui apaise leurs mécomptes par le don d’une résignation pleine de douceur.

Planant sur tous, voici le grand silence de la mort. Il tombe subitement, parmi l’angoisse et la souffrance, et se pose à jamais sur des lèvres scellées pour toujours. Qu’il est majestueux et terrible le mutisme de ceux qui entrent dans l’éternité ! L’inviolable silence, nul ne saurait le trouver désormais. La mort, pleine de promesses, ne livre pas son secret aux vaines curiosités.

Ô mort, ô pacificatrice ! muette gardienne des rivages où tendent tous nos vœux, irrésistible amie, apprends-nous dès aujourd’hui à aimer ton redoutable appel, puisque à notre anxieuse attente il ouvrira les éternelles splendeurs… Oserai-je maintenant parler d’un silence plus solennel encore et plus profond ? De celui qui se fait au centre de l’âme docile aux paroles que Dieu daigne lui adresser. Dominée, soumise, passive, l’âme ne sait plus qu’écouter… Aucun bruit de la terre ne parvient jusque là où le Maître prend possession de sa créature jugée digne d’un pareil entretien, avant-goût des béatitudes célestes. Silence béni entre tous, votre mystère est le divin secret perçu par quelques-uns seulement, et qui ne sera révélé aux autres que plus tard dans la lumière promise aux élus.


Dieu choisit, parmi les meilleurs d’entre nous, des victimes expiatoires ; il en peuple son paradis.


Les larmes répandues peuvent être d’une qualité qui ne plaît pas à Dieu. Autant il aime celles qui partent d’un « cœur contrit et humilié », autant les attendrissements sur soi-même lui déplaisent. Pleurer par lâcheté, ou parce que l’orgueil est blessé… quelle petitesse !… Hélas ! qui d’entre nous n’en est parfois coupable ?… C’est que les gens, par amour excessif de soi, se croient des êtres supérieurs, doués d’une sensibilité raffinée, aristocratique. Ils ne sont que « susceptibles », accusant autre de leur manquer d’égards. Quelle erreur !


… Donc nous sommes environnés, pénétrés, traversés par les ondes sonores — et autres — qui arrivent en tout sens, s’entrecroisent et que rien n’arrête… Si on nous avait dit, il y a seulement 40 ans, que nous entendrions ce qui se dit à des milliers de kilomètres de quel haussement d’épaules nous aurions accueilli cette nouvelle ! Et c’est un fait dont nous profitons maintenant. Le mystère est révélé. De combien d’autres mystères sommes-nous enveloppés…

La T.S.F. ne nous dit-elle pas que nos paroles sont comme des êtres vivants qui engendrent… et nos pensées de même. Soignons notre ambiance ; nous pouvons la créer en nous. Il faut écarter les miasmes délétères, les larves ; éviter les obsessions malpropres, les idées fixes, toutes choses qui sont communicables comme une maladie.


Le jeu de patience — puzzle — me paraît symbolique. Composé de petites pièces — très distinctes de forme — qui s’emboîtent, on obtient un dessin harmonieux, image d’une société idéale, combien éloignée de ce qu’est la nôtre où rien ne s’emboîte. Chacun va de son côté et c’est hélas ! le désordre et l’anarchie.


Le Purgatoire… ? N’est-ce pas l’infirmerie du Paradis ?


La mort nous offre, en un terrifiant raccourci, une image, l’inéluctable tragédie de la vie où rien ne demeure.

Le véritable amour, l’amour sans épithète, est notre seule raison d’être. Il nous donne le sens de l’énigme proposée à nos existences. Très peu d’entre nous sont aptes à en ressentir la divine profondeur. Les mots sont impuissants à en traduire l’ineffable douceur.


Impossible de doser le degré de responsabilité de chacun de nous. Pour le déterminisme, la responsabilité n’existe pas. Donc, pas de libre arbitre, pas de volonté. Nous sommes le jouet de la passion. Alors, ni bien, ni mal ; défendons-nous les uns contre les autres. (J’aime mieux : « Portons le fardeau les uns des autres »). Les plus malins, les plus canailles doivent triompher, c’est la loi du plus fort. Mais les plus fort se mangeront entre eux. Fini l’humanité. Ouf !


18 Avril 1935

Quelques lieux communs — toujours les mêmes — sont ramassés journellement pour servir d’objections à notre religion. On fait à Dieu des critiques amères. Laissez donc Dieu tranquille ; vous croyez donc ? « Il » aurait dû, disent ces superbes docteurs, créer l’homme parfait… Mais Il l’a créé parfait, c’est l’homme qui a introduit le péché dans le monde.

D. — Dieu le savait bien, pourquoi a-t-il passé outre ?

R. — Alors vous n’admettez pas le libre arbitre ?

D. — Bien sûr. Sans le libre arbitre on n’aurait qu’à se laisser vivre.

R. — Comme des pantins dont le Créateur tiendrait les ficelles.

Dieu nous a créés par amour et pour l’amour. L’amour ne peut émaner que d’un être libre.

Ne cherchons pas à nous faire valoir ; nous ne réussirons qu’à nous diminuer aux yeux de qui nous comprend et à être taxés de présomption par qui ne nous comprend pas.


Celui qui demande à la Providence des grâces pour autrui assume une part de la dette de ceux pour qui il implore.


Amour, perfide amour ! ton masque divers recouvre un pâle visage d’histrion. Tu fais beaucoup de dupes jusqu’à ce qu’elles découvrent ta vraie personnalité. Alors elles s’aperçoivent que ce qu’elles cherchaient en toi, c’était elles-mêmes. Ne se trouvant pas, elle te haïssent, mais elle reprennent leurs vaines recherches.

Amour, amour divin, le chemin qui conduit à toi est semé de ronces et d’épines. Mais tu transformes en fleurs odorantes les gouttes de sang répandu. Et leur parfum embaumera pendant l’éternité.

Toujours je me suis représenté l’humanité comme un seul être sous la figure de l’arbre avec ses feuilles distinctes. Depuis le péché cet arbre était incapable de fleurir et de donner des fruits, jusqu’à ce que le divin Sauveur lui ait infusé la sève revivifiante. Combien Il insiste pour que nous soyons « un », se donnant Lui-même pour être le lien de l’unité ! Grâce à Lui, nous avons retrouvé la possibilité de l’union divine impossible sans un Homme-Dieu. Les non chrétiens peuvent être sauvés s’ils pratiquent les règles de vie établies par Jésus, mais le catholicisme nous en offre les moyens les plus sûrs, l’aide la plus efficace.

Dieu est le beau, le bien, le vrai, c’est-à-dire la Vie, une vie vivante, agissante, l’acte pur. Dès lors, on conçoit que ce seul acte suffit à tout.

La vie peut-être admettre ce qui s’oppose absolument à elle, c’est-à-dire le mal, car le mal a pour terme la mort ? La Vie dresse contre le péché Sa force irrésistible ; et cela s’appelle la Justice. Elle remet dans la voie l’homme de bonne volonté ; et cela s’appelle la miséricorde. Elle convie toutes les créatures à la plénitude de leur être ; et cela s’appelle l’amour !

Le mal n’est pas un être, c’est la privation de l’être, comme la maladie est la privation de la santé.

L’impatience, la colère, ajoutent leur propre mal au mal qui les provoque.


L’Être, la Vie, l’Amour, sont même chose.

Considérez un arbre : le chêne par exemple. La racine qui anime tout, elle est dans l’ombre et le mystère ; puis viennent la tige, les branches, les feuilles, enfin la fleur et le fruit à l’épanouissement desquels tout aura concouru. Le fruit donnera la graine destinée à la reproduction de tous les chênes de l’avenir. Les feuilles sont distinctes, toutes différentes les unes des autres ; mais la même sève a circulé dans la plante et l’unité règne dans l’ensemble parce que chacun a rempli sa mission en acceptant la subordination qui s’impose. La grande Maïa, la terre féconde, dispense partout la Vie. Toutes les cendres seront recueillies par elle et transformées en vie nouvelle… Communistes, apprenez les leçons merveilleuses inscrites dans le livre de la nature. Il offre des réponses à toutes les questions.



Preuves de la déchéance de l’homme.

Antagonisme des instincts et des sentiments. Tout ce qui fait la dignité de l’homme en l’élevant au-dessus de la bestialité engendre de la souffrance.

L’exercice de ses facultés les plus hautes gêne le développement de son être physique : travaux intellectuels, sentiments affectifs, abnégation, sacrifice, oubli de soi, compassion. On pourrait presque avancer que l’état de perfection morale est incompatible avec le parfait épanouissement de l’être physique.

Faut-il donc, pour la vaine recherche d’un bonheur basé sur des satisfactions matérielles, annihiler ce qui constitue l’être humain, tuer son âme et faire un monstre dont l’intelligence s’éteindrait peu à peu jusqu’à la bestialité irrémédiable ?


L’enveloppe de chair nuit à l’influence que pourraient exercer certains esprits. Ce n’est qu’après leur mort que ceux-ci prennent leur véritable ascendant sur autrui.

Pourquoi « poser » toujours à Dieu cette question du mal ? Examinez donc d’abord tout ce qui nous est donné d’adorablement beau et bon. Reconnaissez ensuite que tout le mal vient de la malice des hommes, et faisons notre mea culpa.


Reprocher à Dieu les épreuves dont on est accablé, quelle aberration ! Se pose-t-on d’abord la question de ses propres responsabilités ? Pense-t-on à la loi de l’hérédité, de la solidarité, principes que l’on admet facilement lorsqu’ils s’exercent à notre avantage. Donc ils sont bons et ne seraient qu’excellents si les humains étaient sages. Ils ne le sont pas, et propagent le mal que Dieu ne « veut » pas, où il n’est pour rien, qu’il permet cependant parce qu’ils nous veut libres.

Alors intervient sa miséricorde ; et son inlassable bonté aide les ingrats que nous sommes.


Dans Jésus sur la croix et Marie à ses pieds, je vois le point culminant de l’histoire de tous les temps.


« Je suis la voie, la vérité, la vie »

La vie ?… — une image de Dieu. Distraitement on emploie ce mot. Les gens disent : « les forces naturelles », ce qui ne veut rien dire si l’on n’ajoute que ce sont des forces intelligentes, vivantes et que la Vie, c’est Dieu Lui-même, tel que nous pouvons nous le représenter. On croit avoir tout dit lorsqu’on a parlé des lois qui régissent la nature, des lois qui seraient issues d’elles-mêmes ! « Force immanente » ! la matière inerte gouvernant le monde !…

Donc, la vie est partout, entière partout, partout agissante. Elle agit pour un seul acte, comme les théologiens nous disent de Dieu. Les principes établis sont toujours excellents, l’homme, par sa faute les rends malfaisants. Ex. : la loi de la pesanteur n’est-elle pas bonne en soi ? Est-ce une raison pour se jeter du haut de la tour Eiffel ? L’hérédité, la solidarité sont infiniment précieuses ? Il s’agit de ne pas léguer le mal et de ne pas en semer la contagion. Qui se plaindra d’hériter de ses ascendants la santé, la beauté, l’intelligence, etc ?… et de profiter des bienfaits répandus, par quelque moyen que ce soit ?



D’une banalité vraie.

La science est un flambeau qui n’éclaire jamais qu’une petite partie — à la fois — d’un tout qui se dérobe toujours à une investigation totale. Et c’est pour cette raison qu’elle ne peut pas atteindre la vérité totale.


Bénie sois-tu ô misérable science humaine, borgne et tâtonnante. Chacune de tes acquisitions rend plus visible le voile qui nous cache le mystère, et nous sentons le mystère d’autant plus présent.


Il est très difficile de rester dans la mesure où l’on doit s’économiser soi-même. Il est certain que celui qui ne pense qu’à ménager sa propre personne sans jamais se dépenser pour autrui n’est qu’une non valeur, un parasite d’autant plus néfaste qu’il durera plus longtemps.


« Si le grain ne consent pas à mourir il se dessèchera et ne produira pas de fruits ».


La sainteté est l’ascension dans l’amour