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Souvenirs littéraires/14

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Souvenirs littéraires
Revue des Deux Mondes3e période, tome 53 (p. 287-319).
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QUATORZIÈME PARTIE.


XXVII. — LOUIS DE CORMENIN.

En mes jours de superbe, au temps de ma jeunesse, je m’étais permis de tracer mon portrait ;


Je suis né voyageur, je suis actif et maigre,
J’ai, comme un Bédouin, le pied sec et cambré :
Mes cheveux sont crépus ainsi que ceux d’un nègre,
Et par aucun soleil mon œil n’est altéré.


Le pied n’est plus si rapide et traîne parfois ; la bise d’hiver a soufflé, elle a apporté la neige et emporté les cheveux ; le soleil s’est vengé de mon impertinence et il m’a condamné a des lunettes dont le numéro n’est pas mince. J’étais fier de ma vue, elle n’avait pas faibli au milieu des sables de la Phénicie, ni devant la neige des glaciers, ni sous le vent de la mer ; nul mieux que moi n’apercevait la remise d’une compagnie de perdreaux et je pouvais lire infatigablement. Vers 1865, j’eus mal aux yeux, je n’épargnai pas les collyres et je n’en souffris pas moins. On me conseilla de consulter un opticien, et, un jour du mois de mai, je m’en allai chez Secretan. L’employé me mit un livre sous les yeux, à la distance normale, je rejetai la tête en arrière ; il me dit : « Ah ! vous jouez du trombone, il faut prendre des lunettes. » L’âge me touchait ; je ne lui fis pas un accueil aimable, mais je me soumis et je demandai un binocle et des besicles. Il fallait ajuster les verres, cela exigeait une demi-heure ; j’allai, en attendant, m’asseoir sur un des bancs du Pont-Neuf. La journée était belle, avec un soleil intermittent. Un train de bois descendait la Seine ; on rassemblait les pontons d’une école de natation ; la cheminée de l’hôtel des Monnaies lançait de la fumée vers les nuages ; une rangée de fiacres stationnait le long du quai où passaient des omnibus ; des sergens de ville, sortis de la préfecture de police, marchaient en groupe dans diverses directions ; une voiture cellulaire pénétrait sur la place Dauphine à travers les piétons et les voitures ; un marchand des quatre saisons poussait sa charrette. Pourquoi ce spectacle qui, si souvent, avait frappé mes regards, me remua-t-il, ce jour-là, d’une façon particulière ? pourquoi, à travers ce tumulte, vis-je surgir la manifestation d’une prévoyance supérieure ? Je ne sais, mais Paris m’apparut tout à coup comme un corps immense dont chaque fonction était mise en œuvre par des organes spéciaux, surveillés, et de singulière précision. Je tombai dans une rêverie que le mouvement et le bruit rendaient plus intense ; je restai là, inerte, absorbé par la pensée qui m’avait envahi, et lorsque le crépuscule vint me rappeler à moi-même, j’avais oublié que l’opticien m’attendait depuis deux heures, mais j’étais décidé à étudier un à un les rouages qui donnent le mouvement à l’existence de Paris.

C’était me jeter hors de la voie où j’avais marché jusqu’alors et en tracer une autre ; je n’hésitai pas. Comme un homme qui liquide ses affaires avant de partir pour un long voyage, je me débarrassai de quelques rêveries littéraires qui m’encombraient encore et j’entrai résolument dans des études dont j’aurais juré n’avoir jamais à m’occuper. Que de fois j’ai béni l’affaiblissement de ma vue, qui, me conduisant chez Secretan, m’arrêta sur le Pont-Neuf et fut la cause d’un travail où j’ai trouvé des jouissances infinies ! J’ai été stupéfait du bien-être que je ressentis, lorsque, au lieu des conceptions nuageuses des vers et du roman, je saisis quelque chose de résistant sur quoi je pouvais m’appuyer, dont je dégageais l’inconnue, dont chaque point touché était une révélation qui me forçait à une gymnastique intellectuelle à laquelle je n’étais point accoutumé, et qui me maintenait dans une réalité dont les ressources me remplissaient d’admiration. J’ai été discipliné par la vérité, à mon insu, et j’y ai été ramené sans même m’en apercevoir. — Cela prouve, me dira-t-on, que je n’étais ni poète, ni romancier ; — je le sais bien, et il me semble aujourd’hui que tout ce que j’ai écrit jadis n’était qu’une sorte d’apprentissage destiné à me rendre plus facile la tâche que j’allais entreprendre. Je ne parlai de mon projet à personne, mais je ne le cachai ni à Louis de Cormenin, ni à Gustave Flaubert, dont la discrétion ne se laissait pas surprendre. Le sujet que j’avais à traiter était si simple, si bien à la portée de tout le monde qu’il me semblait que chacun allait s’en emparer. Louis de Cormenin m’approuva et, quoiqu’il lui un peu effrayé de la longueur du travail, m’engagea à y mettre toute la persistance dont j’étais capable. Flaubert m’écouta et, lorsqu’il eut compris ce que je voulais faire, il me dit : « Descends au plus profond de Paris, étudie-le dans ses parties les plus secrètes et puis écris un roman dans lequel tu condenseras les observations que tu auras recueillies. « Il m’exposa alors une théorie que je connaissais déjà pour l’avoir entendu émettre à Ernest Feydeau. — Le roman est le document historique par excellence ; nul plus tard ne pourra écrire l’histoire du règne de Louis-Philippe sans consulter Balzac ; le roman, œuvre d’imagination inspirée par la réalité, doit contenir des détails vrais, techniques, indiscutables qui lui donnent la valeur d’un livre d’annales ; démonter Paris pour en décrire le fonctionnement, c’est faire œuvre de mécanicien ; démonter Paris pour en transporter le mouvement mathématique dans un roman, c’est faire œuvre d’écrivain ; hésiter est une faute, mal choisir est un crime. — Je lui avouai que j’étais décidé à être criminel et mécanicien. Il ne m’épargna pas les apostrophes ; répétant un de ses mots favoris, il me dit : « Prends garde ! tu es sur une pente ! Tu as déjà abandonné l’usage des plumes d’oie pour adopter celui des plumes de fer, ce qui est le fait d’une âme faible. Dans la préface des Chants modernes, tu as débité un tas de sornettes passablement déshonorantes, tu as célébré l’industrie et chanté la vapeur, ce qui est idiot et par trop saint-simonien. Tant de turpitudes ne t’ont point encore apaisé et voilà que maintenant tu vas faire de la littérature administrative ; si tu continues, avant six mois, tu entreras dans l’enregistrement. » J’étais accoutumé à ses boutades et ne m’en troublais guère. Sa plus vive plaisanterie consistait à me dire ou à m’écrire : « Vieil économiste, j’apprends avec plaisir que l’on t’a enfin rendu justice et que tu viens d’être nommé sous-chef de bureau à l’entrepôt des vins. » Je riais et lui fournissais motif à des railleries qui l’amusaient. Lorsque j’eus publié mon étude sur Paris souterrain[1], il m’appela l’égoutier et me conserva ce surnom jusqu’à la fin de sa vie.

Je m’étais passionné pour mon travail et j’y employais mon ardeur. Rien ne serait plus curieux à écrire que l’histoire de ce livre[2] qui m’entraîna à faire tous les métiers ; j’ai vécu à la poste aux lettres, j’ai été presque employé à la Banque de France, j’ai abattu des bœufs, j’ai suivi dans leurs expéditions les agens de la sûreté, les agens des mœurs, les agens des garnis ; je me suis assis dans la cellule des détenus, j’ai accompagné les condamnés à mort jusque sur la table des autopsies ; j’ai visité les indigens, dormi sur le lit des hôpitaux, surveillé les fraudeurs avec les préposés à l’octroi, je suis monté sur la locomotive des trains de grande vitesse et je me suis interné dans un asile d’aliénés pour mieux étudier les fous. Je crois n’avoir reculé devant aucune fatigue, devant aucune enquête, devant aucun dégoût ; mais ce ne sont pas là des souvenirs millaires, j’y dois revenir et ne point m’égarer dans le récit de faits qui me sont trop strictement personnels pour intéresser le lecteur.

Dans la longue exploration que j’ai accomplie à travers Paris, un seul incident se rattache aux lettres. Après avoir parlé de l’enseignement normal, je voulus raconter par quels miracles de patience on arrivait à distribuer l’enseignement exceptionnel à des êtres naturellement privés de l’ouïe, de la parole, ou de la vue. Je m’occupai d’abord des sourds-muets, parce que l’abbé de l’Épée est antérieur à Valentin Haüy. Lorsque j’allai visiter l’institution des Jeunes Aveugles, je fus reçu par le directeur, qui s’appelait Romand. C’était un vieillard, faible d’apparence, dont l’intérêt avait quelque peine à être éveillé, fort poli, perclus de goutte et gémissant quand il lui fallait remuer ses pieds ou ses mains emmaillottés de flanelle. Pendant qu’il me donnait quelques explications sommaires, mon esprit voyageait ; son nom avait réveillé mes souvenirs et je me rappelais avoir vu autrefois à l’Odéon d’abord, ensuite à la Comédie-Française, un drame intitulé le Bourgeois de Gand, dont le succès, comme l’on dit, avait fait courir tout Paris[3]. J’en parlai au directeur, je lui citai différentes scènes qui étaient restées présentes à ma mémoire, j’insistai sur la donnée principale, qui était d’une originalité saisissante, et je lui dis : « L’auteur se nommait Hippolyte Romand, était-il de votre famille ? » Un nuage rose passa sur ses joues et il répondit : « Hippolyte Romand, c’est moi. » Je le regardai avec surprise, il ajouta : « Oui, c’est moi, c’était le bon temps : je devais écrire une Catherine II pour Rachel. mais ça ne s’est pas arrangé : aujourd’hui, j’ai la goutte et je fais enseigner la musique aux enfans aveugles. « Il y eut un peu d’embarras entre nous deux et je me hâtai de lui indiquer les points spéciaux sur lesquels je désirais des éclaircissemens. Prendre un auteur dramatique de talent, lui donner une situation administrative qui occupe toutes ses heures et ne lui laisse plus le loisir de travailler, c’est ce qu’en France on appelle protéger les lettres, Hippolyte Romand est mort obscur, ayant rendu peu de services à l’établissement qu’il était condamné à diriger. Peut-être avait-il en lui encore quelque œuvre de théâtre importante qui eût été applaudie, mais il est bien difficile de combiner un drame lorsque chaque jour il faut veiller à la nourriture, au coucher, aux vêtemens, à l’outillage scolaire de quatre cents marmots infirmes.

Louis de Cormenin me pressait de me mettre à mes études sur Paris ; il avait hâte de voir comment j’aborderais des sujets si nouveaux pour moi, mais je ne voulais procéder qu’avec sagesse et avant d’entrer de plain-pied dans mon travail, j’avais à lire, la plume en main, Sauval, Félibien, Delamare, et ce n’était pas une petite besogne ; aussi mon premier article, les Postes, ne put paraître dans la Revue des Deux Mondes que le 1er janvier 1867. À cette époque, Louis de Cormenin était mort, emportant avec lui le meilleur de moi-même. Lorsque nous étions enfans, lorsque nous lisions, tout en larmes, l’histoire du Petit Savinien et que nous rêvions de découvrir des îles désertes, il était aussi fort, aussi solide que j’étais chétif et malingre ; longue vie lui était promise pendant que l’on tremblait pour mon existence et que ma santé, toujours affaiblie, toujours rebondissante, désespérait ma famille. Rien ne m’avait été épargné pendant ma jeunesse, ni les chutes de cheval, ni les coups de fusil, ni les coups d’épée, ni les coups de tonnerre, ni un empoisonnement accidentel, ni les maladies prétendues mortelles ; j’avais résisté, je résiste encore, tandis que Louis, si vigoureusement charpenté, indemne de tout mal et de tout accident, dont les jours coulaient avec tranquillité, m’a précédé et s’en est allé à l’heure où ses (quarante-quatre ans venaient à peine de sonner. La blessure fut profonde, si profonde qu’elle ne s’est pas fermée, et qu’elle saigne toujours. Quand la rêverie m’envahit, quand mes souvenirs remontent en moi, le reflux du Styx me rapporte mes morts ; celui que j’attire et que je retiens, c’est ce cher compagnon de ma vie entière, et souvent, seuls tous deux, nous passons de longues heures à nous entretenir des choses d’autrefois. Je lui parle de son fils, qui est un homme aujourd’hui et qui lui ressemble d’une façon poignante ; je ne lui cache rien de ce qui s’est passé depuis son départ, et souvent quand je lui ai raconté nos tristesses et nos désastres, la guerre, la défaite, l’amputation du pays, la commune, la folie furieuse, je lui dis : « Tu as bien fait de mourir. » Lui, comme s’il voulait m’arracher à des pensées funèbres, il me ramène au début de la route où nous marchions en oscillant appuyés l’un sur l’autre, il me rappelle les meules de foin de Chailleuse d’où nous dégringolions sans danger ; il me dit : « Ce n’est point-n’a-toi ! » et je souris en me souvenant de la règle de la pénultième ; il me conduit là où nous avons joué ensemble, où nous avons vécu si intimement mêlés que pour trouver l’un on cherchait l’autre ; je refais avec lui le voyage de mon enfance, je m’y complais, je m’y attarde et ceux qui respectent mon silence, qu’ils prennent pour un indice de travail intérieur, ne se doutent guère que, rajeuni de plus de cinquante ans, je cours avec Louis sous les marronniers des Tuileries, ou qu’assis à ses côtés, j’écoute ma grand-mère chanter la chanson des dragons de Malplaquet. Mon enfance m’apparaît aujourd’hui comme une terre lointaine, une terre enchantée où je ne puis plus retourner, car ceux qui y venaient avec moi sont partis pour toujours. Il est un monde où j’ai vécu et dont je suis le dernier habitant ; je n’en puis parler à personne, car nul ne le connaît. À cette heure, lorsque je dis : Vous souvenez-vous ? — on me répond : Non, je ne me souviens pas.

En 1860, j’avais eu la curiosité de consulter Desbarolles, il étudia mes mains, et m’annonça que j’allais être atteint d’une maladie très douloureuse et très longue. Je n’attachai pas d’importance à la prédiction et j’eus tort. La maladie ne fut pas bénigne et dura trois ans. C’était une arthrite aiguë qui se divisa en trois accès de sept mois chacun. La fin du dernier accès fut atroce ; je ne pouvais plus écrire, je ne pouvais plus tourner les pages d’un livre ; je ne pouvais dormir ; on me sortait en brouette ; j’étais misérable ; c’était pendant l’été de 1863, j’habitais sous la Forêt-Noire, à Baden-Baden, dont les eaux minérales m’ont sauvé. Les insomnies et la souffrance m’avaient réduit à un tel état d’étisie qu’un médecin s’inquiéta et diagnostiqua la probabilité d’une phtisie galopante qui m’emporterait rapidement de l’autre côté de l’éternité. Je suis comme les nerveux, je meurs souvent, mais on ne m’a pas encore enterré. À mon insu, Louis fut averti ; il accourut. Il arriva un dimanche soir ; il me regarda avec des yeux effarés ; pour me cacher son émotion, il passa derrière mon lit, et ne s’apercevait pas que la pluie de ses larmes tombait sur mon visage. Le lundi, je pus dormir ; le mercredi, je pus marcher. Je disais à Louis : « C’est toi qui m’as guéri ; » il souriait et moi aussi ; mais la coïncidence fut douce ; il était survenu à l’heure propice, au moment où la crise s’affaiblissait. Il resta trois semaines près de moi et, comme au temps de notre enfance, nous pûmes nous étendre à l’ombre des arbres et vivre de cette vie commune qui nous fut si précieuse. Dès qu’il fut de retour à Paris, le 15 août 1863, il m’écrivit : « J’ai été bien heureux de passer vingt jours avec toi et je voudrais bien dans ma vie voir se renouveler souvent un semblable bonheur ; mais on ne peut faire toujours ce que l’on veut et j’ai aussi d’autres devoirs, une femme et des enfans. J’ai tiré un bon numéro à la loterie de la destinée, je n’ai donc pas à me plaindre. Il est très probable que sans mon père, je ne me serais jamais marié et que je serais demeuré près de toi, ma vie confondue dans la tienne. Mais néanmoins tu es resté au premier rang dans mon affection, sur la même ligne que les êtres chers qui m’entourent. Tu as été bon et charmant pour moi, je le savais d’avance, et d’une affection paternelle. » Louis disait vrai ; s’il n’avait été dompté par l’opiniâtreté de son père, qui voulait que son nom fût perpétué, s’il ne s’était marié, nous aurions vécu l’un près de l’autre et malgré la différence de nos natures, nous aurions été en communion parfaite. Je lui aurais donné de mon impétuosité, il m’eût donné de son calme et nous serions arrivés à être semblables, ce qui eût été tout bénéfice pour moi.

Lorsque je le quittai au printemps de 1866 pour me rendre à Bade, sa santé n’offrait aucun symptôme inquiétant ; cependant il était amaigri et somnolent. Ln mois après, j’appris qu’il était très souffrant, et que certaines douleurs le reprenaient souvent. Par malheur, il avait accepté en guise de médecin un homœopathe étranger qui se laisse traiter de docteur, quoiqu’il ne soit qu’officier de santé, et qui a la spécialité de donner des globules astringens aux chanteuses dont la voix est fatiguée. Entre les mains de cet habile homme la maladie ne pouvait que s’aggraver. Un séjour à Plombières n’amena aucun changement favorable ; je commençais à m’inquiéter. Sur mes instances, sur mes supplications, Louis consentit à appeler deux médecins sérieux, les docteurs Bouillaud et Maximin Legrand. Ils constatèrent des glandes cancéreuses aux intestins. Le malheureux était perdu. Prudemment et sous forme plaisante, pour ne le point troubler, je lui avais proposé d’être sa garde-malade. Il avait refusé ; ma présence lui eût semblé l’indice d’un danger dont il aimait à repousser l’éventualité. Tous les deux ou trois jours, il m’écrivait et se rassurait lui-même en me parlant de sa santé. Je n’ai pas besoin de dire que j’étais renseigné d’une façon précise et en correspondance secrète avec les médecins qui le soignaient. Il put aller à Joigny, où il se plaisait et à sa terre de Chailleuse. qu’il aimait beaucoup. Son médecin, un homme intelligent et dévoué, m’écrivait : « Je le trompe sur son état et, du reste, il ne demande qu’à être trompé ; le dénoûment n’est plus douteux, tout fait présumer qu’il se produira vers le mois de février ou le mois de mars prochain. » Au milieu de novembre, Louis me prévint qu’il serait à Paris le 25 ; je fis mes préparatifs afin d’arriver en même temps que lui, et de passer à ses côtés les derniers mois qui lui restaient à vivre. Le 22, un jeudi, — je devais partir le lendemain, — j’allai une dernière fois chasser à la montagne ; en rentrant le soir, je pris les lettres déposées sur ma table ; une d’elles bordée de noir était d’une écriture que je ne reconnus pas ; je l’ouvris sans empressement et je la lus trois fois avant de la comprendre. La voici : « Joigny, mardi, 20 novembre 1866. — C’est par moi seule que vous pouvez apprendre l’affreuse douleur qui vient de nous frapper : notre cher Louis n’est plus. Avant-hier au soir encore, il était plein de vie et je viens de recevoir son dernier soupir. — HÉLENE. » Mon effarement était tel que je ne me rappelais même plus que Mme de Cormenin se nommait Hélène et je continuais à ne pas comprendre. Le jour même où cette lettre me parvenait, on l’avait enterré, et pendant que les prières de l’église résonnaient au-dessus du drap noir qui le couvrait, je chassais des chevreuils et je cherchais des gelinottes. Le lundi 19 novembre, il avait subi une crise terrible ; son pauvre être affaibli en fut épuisé ; il ne put se reprendre, comme l’on dit, et le lendemain il sentit venir la mort. Il n’était pas de ceux qui ne croient qu’à la matière, il ne s’imaginait pas que notre âme immortelle est le produit du jeu de nos organes ; il fit appeler un prêtre et l’écouta. S’il a raconté ses péchés, sa confession ne dut pas être longue ; sept mots suffisaient : Je n’ai jamais fait que le bien. Tout à coup il cessa de voir ; ses mains s’agitèrent comme les ailes d’un oiseau blessé et il dit : « Je ne croyais pas qu’il fût si facile de mourir. »

Le 14 décembre, j’avais à écrire à Théophile Gautier et je lui disais en terminant ma lettre : « Voilà quinze jours que je suis revenu, et si je n’étais malade, j’aurais été te voir ; j’ai besoin de causer avec toi de notre pauvre Louis. Seuls, toi et moi, nous avons vu clair dans cette âme et seuls nous pouvons savoir ce que les circonstances ont fait taire en lui. Sa mort m’a terrassé ; je ne puis me ressaisir ; je suis comme un des deux jumeaux Siamois qui aurait perdu son frère. Je me cherche et ne me trouve plus[4]. » bien dans cette lettre n’est exagéré ; elle exprime l’état où m’avait mis cette mort, qui me décomplétait, et elle dit vrai sur les facultés de Louis, qui ne furent connues que de Gautier et de moi, car jamais il ne s’est ouvert que pour nous deux ; aux autres, même dans l’intimité la plus apparente, il resta fermé. Nul ne poussa plus loin la pudeur de l’âme et de l’intelligence ; sa timidité n’était qu’un excès de réserve. Semblable à ces plantes qui ne fleurissent que dans certaines conditions d’atmosphère, il ne laissait jaillir son esprit que dans la chaleur de l’amitié la plus sûre. Je l’ai vu passer des soirées entières au milieu de camarades bavards et joyeux, ne pas dire un mot, témoigner à peine son impression par un geste et, lorsque, l’heure de dormir étant venue, il s’en allait avec moi, reprendre les conversations qu’il avait entendues, les commenter, les éclairer avec une verve extraordinaire. Il était ainsi fait que le monde extérieur pesait sur lui et l’enveloppait d’un mutisme dont il lui était pénible de sortir, car il s’y complaisait. C’était un rêveur et, par suite d’une étrange anomalie, c’était un rêveur ironique, il excellait à découvrir le côté faible des hommes, le côté défectueux des choses ; ce n’était pas pour rien qu’il était le fils d’un pamphlétaire ; il eût été acerbe et redoutable dans le sarcasme si sa douceur extrême et la crainte de blesser n’eussent émoussé les pointes de son esprit. J’ai bien des lettres de lui où il me raconte des séances du corps législatif, auquel il aimait à assister ; ce sont des chefs-d’œuvre de finesse, d’appréciation mordante et de malice ; Paul-Louis Courier n’a rien fait de mieux. Il avait le trait spontané, rapide et d’autant plus acéré qu’il paraissait lancé avec bonhomie.

Sa facilité de travail était extrême et dépassait celle dont Méry était si vain ; c’était en quelque sorte une improvisation dont la source était toujours prête à jaillir ; il lui fallait deux heures à peine pour faire ces feuilletons dramatiques de la Presse que Théophile Gautier signait ou qu’il signait lui-même. La première phrase seule lui coûtait et souvent il fallait la lui indiquer ; il disait : « Je suis comme un siphon, j’ai besoin d’être amorcé. » Lorsqu’il entreprenait un travail, il demandait à Gautier ou à moi : « Comment faut-il commencer ? » La réponse n’était pas terminée qu’il était à la besogne ; d’une haleine il allait jusqu’au bout et ne se relisait jamais. Cette facilité, il l’avait étant enfant ; son père l’exerçait beaucoup à écrire, lui donnait des sujets de narration et s’indignait, — lui qui avait le travail si pénible, — de voir que les feuilles de papier couvertes d’écriture se succédaient avec tant de rapidité. De sa voix lente, il disait à Louis : « Tu ne prends même pas le temps de réfléchir, il faut méditer ; je veux que tu médites. » Au bout d’un quart d’heure, il venait voir si son fils méditait et il le trouvait endormi. De ses vers, qui furent nombreux et d’une originalité naïve, nous n’avons rien sauvé ; les seuls qui subsistent sont ceux qu’il m’envoyait lorsqu’il était encore au collège. Il en faisait souvent. Ils serrait dans un tiroir et vidait le tiroir dans la cheminée lorsqu’il était plein. Il appelait cela « liquider la muse. » Il l’a trop liquidée ; parmi les poésies qu’il a détruites, il y en avait d’exquises et qui auraient mérité de subsister. Souvent je me suis querellé avec lui à ce sujet, et plus d’une fois Gautier l’a sermonné ; il haussait doucement les épaules et répondait : « C’est affaire de passe-temps qui ne regarde pas le public. » Sa modestie était si profonde qu’elle ressemblait à de l’humilité. Il cherchait l’ombre aussi naturellement que d’autres cherchent la lumière ; la grande publicité l’effarouchait, mais, comme il avait parfois besoin de produire ou le désir de dire son mot sur des questions qui l’intéressaient, il s’adressait à des journaux d’Orléans et d’Auxerre et y enfouissait mystérieusement des articles que plus d’un journal de Paris aurait mis en vedette. Lorsqu’il fut mort, on fouilla les collections de ces feuilles provinciales, on compulsa la Revue de Paris et on put réunir la valeur de deux volumes in-8o qui prouvent ce qu’il a été, mais non pas ce qu’il aurait pu être[5]. Si des causes que je ne cacherai pas et une sorte d’indolence native n’avaient empêché Louis de Cormenin de se jeter dans la bataille littéraire, il eût ajouté de l’éclat au nom qu’il portait et laissé trace de son passage. De tous les jeunes hommes se destinant aux lettres que j’ai connus vers la vingtième année, c’est lui, avec Flaubert, dont l’avenir semblait le moins douteux, il eût été moins tendu que Flaubert, plus ému que Bouilhet, moins descriptif que Gautier, plus humain que Baudelaire. Il avait beaucoup d’imprévu et, sous plus d’un rapport, se serait rapproché d’Henri Heine. Sur nous tous il possédait un avantage inappréciable, il avait un nom connu. C’est précisément cet avantage, c’est précisément ce nom qui l’arrêtèrent et le condamnèrent à une réserve dont il prit l’habitude et dont il ne voulut plus sortir. Je touche ici à un point très délicat, mais on ne doit aux morts que la vérité, et je parlerai sans restriction.

Timon, le père de Louis, était très fier de ce nom de Cormenin, qu’il avait rendu non-seulement célèbre, mais populaire, et il lui semblait que c’était une propriété sacrée à laquelle nul ne devait toucher. La phrase que Louis, — enfant, écolier, adolescent, — a entendue le plus souvent est : « Tu dois au nom que tu portes ! » Sa mère la lui répétait sans cesse et son père ne la lui ménageait pas. Il avait fini par avoir peur de son nom et ne le prononçait que le plus rarement possible. Nous le savions, et pour respecter ses scrupules, nous ne l’appelions que par son nom de baptême ou par le surnom de Buridan, qu’il porta jusqu’à l’époque de son mariage. Quand il fut sorti du collège et qu’on le crut « livré à lui-même, » sous la surveillance d’une famille anxieuse qui ne le quittait pas des yeux, le même refrain bourdonnait à son oreille : « Prends garde, tu vas compromettre ton nom ! » Dans je ne sais plus quel petit journal il avait publié une chanson :


Malgré ta forte férule,
Ton gourdin armé de clous,
Cupidon te caligule,
Toi le roi des tourlourous :
File, file, bon Hercule,
File, file, file doux !


Et l’avait signée de ses initiales L. C. Le pauvre Timon en faillit perdre la tête et répétait : « Qu’allons-nous devenir ? tu as compromis ton nom ! C’est ton ami Maxime qui te pousse à ces inconvenances. » C’était toujours sur moi que ricochaient ces mauvaises humeurs, mais je n’étais point timide et ne me troublais pas pour si peu. Louis se sentait pris dans son nom comme dans une maison de verre ; il n’osait remuer dans la crainte de l’étoiler. Je bondissais d’impatience et je me révoltais de cet esclavage moral dans lequel il ne pouvait se mouvoir, et je lui avais dit : « C’est ton père qui est Cormenin ; ce nom est attaché à un titre que tu ne portes pas encore ; ton vrai nom, ton nom patronymique, est de La Haye ; reprends-le, signe-le et moque-toi du reste. » Louis n’osa jamais ; la vénération qu’il avait pour son père ne lui permettait pas un acte de résistance. Je citerai deux exemples de ce respect exagéré du nom paternel. Louis m’avait servi de témoin dans une « affaire » qui devait se dénouer à Saint-Germain ; au moment de monter en wagon, il me dit : « Je ne puis pas aller jusqu’au bout : j’ai peur de compromettre mon père. » J’en fus quitte pour le remplacer par un sous-officier de dragons que je rencontrai et que je ne connaissais pas. Une autre fois, beaucoup plus tard, lorsqu’il était déjà marié, il arriva dans une soirée où l’on avait gardé la mauvaise habitude, — l’habitude officielle, — d’annoncer. L’aboyeur lui demanda son nom ; il répondit : « M. et Mme Louis. » Etait-ce simplement la crainte de voir son nom compromis, que Louis était incapable de compromettre, qui animait Timon ? Je voudrais le croire ; mais à travers ces objurgations et ces insistances, il me semble voir poindre un autre sentiment. Il voulait qu’il n’y eût qu’un Cormenin : entendre dire Cormenin jeune et Cormenin aîné ne lui convenait guère. Son rayonnement lui paraissait assez lumineux pour éclairer même son fils. Il consentait à donner la clarté et se refusait à la recevoir. En 1849, lorsque Louis se présenta devant le scrutin électoral d’Orléans, il lui eût suffit, pour réussir, d’être appuyé par son père, qui était alors un personnage avec lequel on comptait dans tous les partis. Le père s’abstint et le fils échoua de quelques voix. Devant la représentation nationale comme dans les lettres, il ne devait aussi y avoir qu’un Cormenin ; qu’aurait-on pensé si l’on avait pu dire : « Cormenin de l’Yonne et Cormenin du Loiret, Cormenin du conseil d’état, Cormenin de l’assemblée ? » cette confusion de Cormenins eût été intolérable et ne fut point tolérée. Toute la carrière de Louis, carrière politique, carrière littéraire, en fut brisée ; il a vécu et il est mort sans gloire parce qu’il était le fils d’un père célèbre.

J’ajouterai que Louis n’a jamais reçu un petit écu de son père. Timon était riche et Louis, lorsque certaines extinctions se seraient produites, devait avoir une fortune assez considérable. Depuis sa sortie du collège, — 1840, — jusqu’à la mort de sa mère, — 1853, — il a vécu d’une pension de 1,200 francs que lui servait son grand-père. Dans ces conditions, le bénéfice qu’il aurait pu retirer de sa situation sociale et de son nom fut annihilé. Il mena l’existence d’un étudiant pauvre, allant s’asseoir deux fois chaque jour à la table paternelle, reculant devant toute dépense, irrité de sa position médiocre, se lamentant avec moi et ne se plaignant jamais à ceux qui auraient dû lui faire faire l’apprentissage de sa fortune future. Toute question d’argent à traiter avec son père lui causait un insurmontable malaise. Lorsque, en 1850, pendant que j’étais en Orient avec Flaubert, il accompagna Théophile Gautier en Italie, un fait se produisit qui est véritablement inconcevable. Tout était disposé pour le départ, les places étaient retenues à la diligence ; le matin même du jour où l’on se mettait en route, Louis dit à Gautier : « Tu devrais venir faire une visite à mon père. » Gautier y consentit et l’on se rendit rue Chauveau-Lagarde, où M. de Cormenin habitait. Pendant le chemin, Louis avait été silencieux. On gravit l’escalier ; Gautier tire le cordon de sonnette et, à ce moment, Louis lui dit : « Demande à mon père de me laisser partir avec toi et de me donner de l’argent ; je n’ai pas osé lui en parler. « Gautier, qui n’était rien moins que hardi, fut sur le point de s’esquiver. L’entrevue fut courtoise, mais l’élément comique n’y manqua pas. Timon regimba et disait : « Eh ! qui se serait jamais imaginé cela ? » Il redoutait peu de mécontenter son fils, mais il ne se souciait guère de se mettre mal avec Théophile Gautier, qui tenait une plume et savait s’en servir. L’autorisation et quelque argent furent accordés ; Louis put faire ce voyage et ne compromit pas son nom.

Bien souvent je me suis irrité contre cette sorte d’interdit que le vieux Timon avait jeté sur son fils et je n’ai pas choisi mes mots pour le lui reprocher. De sa voix la plus calme, il me disait : « Vous êtes très violent, vous êtes très violent, » et ne bronchait non plus qu’une roche. Louis avait horreur de la lutte ; quand je l’adjurais d’user de son nom, comme c’était son droit, quand je le grondais sans douceur et que je lui reprochais de ne point tirer parti de ses facultés, il levait paisiblement les épaules et me répondait : « Que veux-tu que j’y fasse ? » Pris entre l’impassibilité de son père et mes ardeurs, il fuyait ; il se sauvait chez Gautier, qui lui disait : « Mon petit chat, tu serais bien gentil de faire mon feuilleton. » Et alors le pauvre Louis faisait pour un autre ce qu’il n’osait faire pour lui-même. Il ne fut pas heureux. Un jour de colère, je dis à Timon : « Mais que voulez-vous donc faire de votre fils ? « Il me répondit : « Je crois qu’une sous-préfecture lui conviendrait. » Je pris mon chapeau et m’en allai. J’en voulais beaucoup à M. de Cormenin de son attitude à l’égard de Louis, et cela avait mis de la froideur entre nous ; nous savions ne pas avoir l’air de nous éviter, mais nous n’avions nul besoin de nous rechercher. Lorsque Louis s’en alla, il n’en fut plus ainsi. Un matin, j’entendis des sanglots qui montaient mon escalier ; je me précipitai ; ce vieillard de soixante-dix-huit ans, inondé de larmes, suffoqué, tomba dans mes bras en s’écriant : « Je viens voir, je viens embrasser celui qui a tant aimé mon fils ! » De ce jour, je fus humble et soumis avec lui. Quelquefois il venait chez moi comme en bonne fortune ; je faisais fermer ma porte et nous restions à parler de Louis. Un jour il me dit : « Quel malheur qu’il n’ait pas voulu travailler ! » Je faillis éclater ; je sus me contenir. À quoi bon les reproches ? à quoi bon les récriminations ? tout n’était-il pas fini ?

Lorsque, le 6 mai 1868, M. de Cormenin mourut, à l’âge de quatre-vingts ans, tué par un cancer au foie, j’étais au chevet de son lit. Couché sur le dos, la tête encore belle, les mains étendues devant lui, jaunes et déjà froides, il n’avait plus sa connaissance. À chaque aspiration, le souffle semblait diminuer de profondeur et tout à coup s’arrêta. Je lui donnai le baiser d’adieu pour son fils, dont je sentais l’âme en moi. On le transporta à Joigny pour qu’il y fût réuni à ceux qui avaient porté son nom. Lorsqu’au bruit des chants religieux, le cortège traversa le pont qui franchit l’Yonne, je regardai vers la gauche et j’aperçus la maison où j’avais joué avec Louis quand nous étions enfans, où j’étais venu, dans l’été de 1851, célébrer les noces d’or de son aïeule maternelle ; je ne pus retenir un sanglot. Je sentis une main qui pressait la mienne, et Gasset, le vieux régisseur des terres de Chailleuse, qui nous avait vus tout petits, me dit en pleurant : « Ah ! vous ne l’avez pas oublié, vous ! » Ce n’était pas Timon dont nous pleurions la perte, c’était Louis, c’était cet être excellent, intelligent, méconnu, qui s’en était allé si vite et que je cherche au seuil de la vieillesse comme je le cherchais dans mon berceau. Jamais depuis sa mort je n’ai rencontré Théophile Gautier sans qu’il m’ait dit : « Je suis content de te voir ; nous allons parler du pauvre Louis. »

Serait-on seul à suivre le convoi d’un ami, on n’est jamais seul ; les morts que l’on a aimés vous font cortège et marchent à vos côtés ; ils chantent la litanie du souvenir et vous rappellent tout ce que l’on a perdu ; il semble alors que ceux qui ne sont plus meurent une seconde fois ; une tombe ouverte rouvre toutes celles que l’on a déjà fermées et l’on s’en va derrière un cercueil accompagné d’êtres invisibles dont on sent la présence et dont on entend la voix. C’est pourquoi, dans les lugubres cérémonies de l’église, lorsque le catafalque noir se dresse au milieu des cierges, ce catafalque renfermât-il un indifférent ou même un inconnu, le cœur se serre, les yeux se mouillent, car on pense à ses morts et c’est sur eux que l’on pleure. Lorsque, au mois d’avril 1853, nous accompagnâmes le corps de la mère de Louis de Cormenin jusqu’au lieu où les prières devaient être dites, Théophile Gautier, appuyé sur mon bras, sanglotait. Sottement je lui dis : « Pourquoi tant de douleur ? tu ne l’avais jamais vue, » Il me répondit : « Je me souviens de ma mère. » À mesure que l’on avance en âge, ce sentiment, qui a l’acuité d’une sensation, devient de plus en plus poignant ; lorsque l’on est jeune, deux ou trois fantômes apparaissent ; lorsque l’on est vieux, c’est une foule qui vous environne ; comme Ulysse devant la fosse pleine de sang, on est assailli par les mânes.

Parmi ceux qui ont regretté Louis de Cormenin, Théophile Gautier fut un des plus affliges ; ce n’est pas seulement le compagnon de voyage, le collaborateur anonyme, l’ami ingénieux dont il déplorait la perte ; non ; il se lamentait en pensant aux facultés inutilisées, aux forces perdues dont les lettres auraient pu profiler. Louis aurait fait ce que j’appelle de la littérature isolée. Malgré une certaine soumission apparente, il était d’une indépendance indomptable, pouvait ne pas exprimer son opinion, mais la gardait intacte. Il eût tracé son sentier en dehors des romantiques, des classiques, des réalistes ; il n’admettait pas d’école en matière d’art. Il admirait le beau partout où il le reconnaissait, sans lui demander son diplôme et ses papiers d’identité. Pour qui est désintéressé, pour qui ne recherche pas les applaudissemens de la camaraderie et les réclames d’une coterie, c’est là qu’est la sagesse. L’art ne peut être une école, puisque c’est une expansion ; il ne faut pas le confondre avec le métier qui s’apprend ; il est inné, il est la résultante de facultés spéciales et non d’une adresse de la main ou d’une habileté d’arrangement. Tous les chefs, tous les disciples d’écoles littéraires, il les trouvait étroits. Il disait : « Ce sont des papes et des grands lamas ; ils se croient infaillibles ; chaque petite chapelle dit : Hors de l’église, point de salut, c’est puéril ; faut-il donc dédaigner les Voyages de Scarmentado parce que l’on admire le Discours sur l’histoire universelle, et faut-il dédaigner le Discours sur l’histoire universelle parce que l’on admire les Voyages de Scarmentado ? » Lorsqu’il exprimait ces idées devant Théophile Gautier, celui-ci lui disait : « Je te répondrai, comme Marie de Neubourg à Ruy Blas, que tu as superbement raison. » En effet, Louis avait raison : son bon sens que rien ne dérouta lui faisait entrevoir une doctrine plus large, plus féconde que celle qui est prêchée dans les cénacles littéraires. Restreindre l’art, l’émonder, l’empêcher de s’étendre, le clore dans une formule, — classique, romantique, réaliste, sensualiste, idéaliste, naturaliste, peu importe, — c’est le diminuer, ne pas le comprendre et en faire une chose hiératique qui peut être intéressante, mais qui devient promptement insupportable. L’art ne vit que de diffusion. L’enfermer dans une règle, c’est l’étouffer : il ressemble alors à ces plantes élevées dans les appartemens ; elles ne sont qu’une apparence et n’ont plus ni parfum ni couleur. Les grands mots n’y font rien ; on peut invoquer le respect des traditions ou l’étude de la nature, rien n’équivaut à l’initiative individuelle. En art, en religion, en tout, il n’y a de fécond que la liberté. Théophile Gautier, qui sous ce rapport comme sous tant d’autres avait des idées d’une largeur olympienne, disait : « Pour avoir du talent, il faut exagérer ses défauts jusqu’à en faire des qualités. » Il était le premier à sourire des théories dans lesquelles les jeunes auteurs se contraignent à se mouvoir jusqu’à ne pouvoir agir qu’avec maladresse, et à ce sujet il nous racontait une anecdote qui prouve à quel degré d’intolérance l’esprit d’école peut conduire. Lorsque l’on apprit que Victor Hugo allait faire jouer Lucrèce Borgia, — un drame en prose, — tout le clan romantique entra en rumeur. Quoi ! parler en prose comme de vulgaires bourgeois ! par les cornes du diable, nous ne le souffrirons pas ! On se réunit dans l’atelier d’Eugène Devéria, on pérora, on discuta et on résolut d’envoyer une députation au maître, à celui que l’on appelait pontifex maximus, afin de lui signifier, sans métaphores, qu’il eût à ne paraître sur un théâtre qu’armé en vers ou à abdiquer sa couronne qui serait placée sur un front plus auguste et que nulle prose dramatique n’aurait déshonoré. Victor Hugo reçut les ambassadeurs porteurs de l’ultimatum et sut conserver son sang-froid. Il fut habile et « enjôla » les récalcitrans, auxquels il démontra que le devoir du romantisme était de renouveler la facture de la prose comme il avait déjà brisé le vieux moule alexandrin. L’émeute fut apaisée et la tribu du romantisme, rentrée dans l’ordre, continua d’obéir à son chef. Je disais Gautier : « Mais si Hugo vous avait envoyé promener, comme il aurait dû le faire, quel parti auriez-vous pris ? » Il me répondit : « Nous étions si fols que nous aurions proclamé Petrus Borel. » Et il éclatait de rire. Il ajoutait : « On peut avoir pour soi sa règle et son principe, mais il est insensé de vouloir l’imposer aux autres. »

Montaigne a dit : « Après tout, c’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif. » On ne fait plus cuire personne, Dieu merci ! mais l’intolérance littéraire, qui condamne, sans circonstances atténuantes, tout ce qui ne se traîne pas dans son sentier, pour ne pas dire dans son ornière, fait œuvre d’inquisition autant qu’il est possible à notre époque. Lorsque le prince de Wurtemberg, debout sur les banquettes de Hernani, criait : « À la lanterne ! » en voyant entrer dans la salle un membre de l’Académie française, était-il bien moins sage que les académiciens qui se jetaient aux genoux de Charles X et le suppliaient d’interdire toute représentation d’œuvre romantique ? Le roi seul eut de l’esprit : « Messieurs, en pareil cas, je n’ai que ma place au parterre. » Ceux qui jadis ont lutté avec une violence que l’on eût dit empruntée aux factions politiques se sont réconciliés dans le même oubli qui les enveloppe et n’a pas laissé leurs noms venir jusqu’à nous. J’ai bien peur qu’un sort analogue n’atteigne les ergoteurs d’aujourd’hui, — aussi bien ceux qui crient au scandale que ceux qui crient à la persécution ; — un peu de modestie et beaucoup de tolérance ne messiéraient pas aux combattans. Un livre peut révolutionner le monde, cela est certain ; mais il n’en faut pas conclure que l’on a révolutionné le monde parce que l’on a fait un livre. Aux jours de mon enfance, Mme Cottin remuait les cœurs et agitait les cervelles. Lorsque la bonne femme allait, par hasard, dans un bal, on montait sur les banquettes pour la mieux voir, on se la montrait, on disait : « C’est elle ! » et l’on était ému ; elle fuyait et ne savait où se cacher pour éviter les ovations. Chez ma grand’mère, dans une soirée, un jeune homme, — qui est mort général de division, — se jeta à ses pieds et s’évanouit. Toutes les pendules de son temps représentaient Mathilde et Malek-Adel.

La mode y est pour beaucoup ; il y a le livre du jour chez les libraires, comme le plat du jour chez les restaurateurs : sauce de gourmet la veille, « arlequin » du lendemain. On s’est arraché les romans de Paul de Kock et l’on a passé des nuits à pleurer sur les infortunes des héroïnes du vicomte d’Arlincourt. Plantes annuelles qui croissent et fleurissent avec d’autant plus de rapidité qu’elles doivent bientôt mourir ; la première gelée les détruira et leur fumier fortifiera le petit chêne ou le bouleau qu’elles semblaient devoir étouffer. Un genre acclamé, porté aux nues, disparaît et meurt si bien que nul n’en peut parler ; puis il renaît, on ne sait sous quelle influence, comme si l’âme des auteurs morts, revêtant une forme nouvelle, recommençait l’œuvre d’autrefois. Sommes-nous bien certains, malgré les Paysans de Balzac, de ne pas voir, quelque jour, revenir Estelle et Némorin ? Qui sait si un nouveau coupe-têtes, enivré du parfum des prairies, ne nous chantera pas en soupirant :


Il pleut, il pleut, bergère !


Par cela même qu’un genre d’art ou de littérature a existé, il peut se produire encore ; les livres de Restif de La Bretonne ne sont-ils pas ressuscités ? Tant mieux pour ceux qui les aiment ! Encore un peu et le chevalier de La Morlière va tailler sa plume ; de son temps on disait : « C’est une plume arrachée aux ailes de l’amour ; » il n’en faut rien croire : c’était une plume d’oie.


XXTIII. — LOUIS BOUILHET.

La mort de Louis de Cormenin causa une peine très vive à Gustave Flaubert, qui, sans l’avoir approfondi, l’avait apprécié et soupçonnait la hauteur de ses qualités intellectuelles. Il quitta Croisset et vint passer quelques jours avec moi pour m’aider à supporter l’affaiblissement causé par le premier choc. À cette époque, il était fort occupé et avait entrepris de mener deux œuvres à la fois, ce qui m’a toujours étonné, car, plus que tout autre, il avait besoin de se concentrer, de s’absorber dans un travail pour pouvoir le conduire à bonne fin. Il écrivait un roman où il cherchait à résumer la science politique et la science sociale de notre temps ; il avait repris le titre d’un de ses livres de jeunesse et l’avait appelé l’Education sentimentale, avec un sous-titre : Histoire d’un jeune homme.

Indépendamment de cet ouvrage, qui le forçait à lire bien des volumes contemporains et bien des journaux, il avait imaginé d’écrire une féerie : le Château des cœurs, qui est une étrange conception où il essaya de d. ployer un comique inconnu jusqu’ici. Cette idée s’était emparée de lui tout entier. Il ne me parlait que de la Féerie, m’en racontait les scènes, m’en expliquait le mécanisme et n’arrivait pas à me convaincre qu’il ne perdît pas son temps. Au lieu des vieux trucs des théâtres populaires, au lieu des tables qui deviennent des fauteuils et des lits qui se changent en nacelles, il avait inventé tout un système nouveau qui seul condamnait sa pièce à n’être jamais représentée, car la mise en scène eût ruiné la direction. C’était l’image même exprimée par le dialogue qui devenait visible et se formulait matériellement aux yeux des spectateurs. Ainsi, un père cherche son fils, le trouve dans un café, buvant et fumant ; il s’irrite et lui dit : « Tu n’es qu’un pilier d’estaminet ; » à l’instant le jeune homme devient un pilier et forme un des linteaux de la porte. L’idée en elle-même était ingénieuse, mais elle bouleversait tellement les habitudes théâtrales qui, en pareille matière, tiennent médiocre compte du travail littéraire et le subordonnent aux effets de mise en scène, qu’elle devait être considérée comme une innovation trop coûteuse et par conséquent inadmissible. Seul, Flaubert n’était pas capable d’agencer une pièce, d’en supprimer les développemens auxquels il excellait et que repousse l’objectif dramatique. Il savait qu’il existe un art nouveau, l’art des combinaisons : il avait entendu un de nos camarades, qui eut quelque succès au Vaudeville et aux Variétés, dire : « Je prouverai, quand on voudra, que Shakspeare n’a jamais su faire un drame ; » il savait que, pour mouvoir les personnages dans des conditions acceptables, il faut ce que l’on nomme justement des ficelles ; mais cet art, il l’ignorait, ces ficelles, il ne les connaissait pas. Il s’adressa à l’un de ses amis, au comte X… dont quelques œuvres avaient réussi au théâtre. En outre, dans une féerie, les couplets, pour me servir du vieux mot, sont de rigueur, et j’ai déjà dit que Flaubert n’avait jamais pu mettre un alexandrin sur ses pieds ; toutes les fois qu’il avait voulu s’essayer à la poésie, il avait fait de la prose cadencée, mais de vers point ; il avait donc besoin d’un poète ; naturellement il choisit Louis Bouilhet. Tous les trois se mirent à l’œuvre. Flaubert seul y avait de l’ardeur ; Bouilhet rêvassait ; le comte X… cherchait à fuir. Quand il s’agissait de littérature, Flaubert n’entendait pas raillerie et il traitait ses collaborateurs avec quelque sans-façon. Il leur envoyait des ordres de service comme pour une répétition théâtrale et n’était point satisfait lorsque l’on arrivait en retard. Bouilhet, assez soumis, ne se faisait pas trop attendre. Il n’en était pas de même du comte X… que ce genre de travail passionnait peu et qui imaginait toute sorte de subterfuges pour s’y soustraire. Un jour, il se présenta, la tête embobelinée d’une marmotte, un gros paquet de coton sur la joue, gémissant et abattu par une rage de dents. Flaubert, irrité à la fois et attendri, leva la consigne et lui permit de s’en aller. Le comte X… ne se le fit pas répéter ; il partit, mais dès qu’il eut dépassé la porte, il mit sa marmotte dans sa poche et alla se promener. C’était un effet de scène, comme on eût dit dans la féerie. Flaubert avait le travail tyrannique ; ce travail, il l’imposait aux autres avec une insistance qui n’était, en somme, que l’effet de la domination qu’il subissait lui-même. Il était homme à enfermer un collaborateur et à le maintenir sous clé jusqu’à ce que la tâche fût achevée. Pas plus qu’il ne se ménageait, il ne ménageait les autres.

Louis Bouilhet, très absorbé dans sa propre pensée, échappait à cette maîtrise ; son corps était là, mais son esprit n’y était pas ; il avait l’air d’écouter Flaubert et voyageait dans le monde des rêves, à la recherche des strophes sonores. Lui aussi, en dehors de cette féerie à laquelle il ne participait qu’à contre-cœur, il poursuivait deux œuvres à la fois, un drame en vers, comme toujours, et un conte chinois dont la pensée l’obsédait depuis longtemps, depuis l’heure où Melœnis avait été terminée. Quoiqu’il fût déjà parvenu à un âge où la mémoire, moins spongieuse, relient plus difficilement les mots qu’aux jours de la jeunesse, il s’était mis à l’étude de la langue chinoise. Voulait-il pénétrer dans l’histoire, dans les mœurs du Céleste-Empire ? Non pas : il cherchait à découvrir des rythmes nouveaux et surtout des comparaisons nouvelles. Un de nos amis lui disait en souriant : « Aller jusqu’aux rives du Fleuve-Jaune pour attraper des papillons, c’est peut-être excessif ! » Bouilhet trouva la plaisanterie amère et la releva vertement. Il étudiait surtout les poètes, car c’est d’eux qu’il voulait s’inspirer ; il leur emprunta des croisemens de rimes, des divisions de strophes que nous ne connaissions pas et qui ne sont point sans originalité.


La révolte, de sang et de larmes suivie,
A brisé du talon le pouvoir qu’on envie,
Et Yatng-Té, fils du ciel, en cette nuit d’horreur
Gît au pied de son trône, un couteau dans le cœur.
Son héritier, qu’attend une même agonie,
Prend un flacon fatal dont nul ne se méfie,
Le vide et dit, tourné vers le dieu Fô : « Seigneur,
Fais que, dans les hasards d’une seconde vie,
Je ne renaisse pas au corps d’un empereur ! »


Louis Bouilhet avait eu à l’Odéon de grands succès, que justifiait son talent : Hélène Peyron avait été très applaudie, et la Conjuration d’Amoise avait dépassé cent représentations successives. Il fut moins heureux à la Comédie-Française, qui semble ne lui avoir ouvert ses portes qu’avec réserve et où Dolorès fut accueillie sans chaleur. Depuis qu’il avait quitté Rouen, sa vie était assez désorientée ; il avait renoncé à habiter Paris, trop tumultueux pour ses goûts.

Il s’était réfugié à Mantes, qu’il habita pendant quelques années. S’il a été heureux, c’est là. Il avait « un intérieur » qui lui était cher ; certains ennuis agressifs et impérieux auxquels il essayait de se soustraire, l’atteignaient moins facilement qu’autrefois ; il vivait selon ses aptitudes, travaillant à ses heures, sans contrainte et dans le calme qu’il aimait. Il n’était point ambitieux et eût voulu pouvoir ne jamais quitter la retraite qu’il s’était choisie. La ville de Rouen vint l’y chercher et en fit son bibliothécaire. C’était un poste tranquille, fait pour lui. Tout en surveillant la besogne des employés et le prêt des livres, on peut rêver aux combinaisons du drame et chercher des rimes rares ; mais la nouveauté de la fonction l’intéressa, du moins il le crut : il pensa à des classemens, à des catalogues, à des installations logiques, et donna à la bibliothèque un temps que la poésie réclamait. Flaubert ne lui épargnait pas les reproches : « On t’a mis là pour faire des vers et non pour ranger des bouquins. » Une modification profonde s’était opérée en Bouilhet, qui ne la remarquait pas et dont Flaubert ne s’apercevait pas davantage ; il était envahi par une tristesse vague, sans motifs sérieux, car toute inquiétude matérielle avait disparu de sa vie ; il dormait mal, sa soif était continue, il travaillait peu et difficultueusement ; parfois il restait de longues heures la tête appuyée sur son fauteuil, immobile, les yeux ouverts, comme emporté dans un songe interne dont lui seul avait conscience. Au commencement de l’été de 1869, il était affaibli et se plaignait de douleurs confuses dont il ne pouvait préciser le siège. Des médecins diagnostiquèrent une albuminurie consécutive d’une néphrite et l’expédièrent à Vichy, où il ne resta pas longtemps, car le docteur Villemin, l’ayant examiné, le renvoya à Rouen sans délai. Il y revint, très triste, très abattu ; l’œdème des jambes était considérable et le gênait pour marcher. Il fit appeler le docteur Achille Flaubert, qui constata que le mal était grave, si grave que l’espoir restait incertain. Le pauvre poète était parvenu à son dernier vers et se rappela peut-être une phrase de Marc Aurèle qu’il m’avait envoyée lorsque Louis de Cormenin nous quitta : « La mort met fin à l’agitation que les sens communiquent à l’âme, aux violentes secousses des passions et à cette condition de marionnette où nous réduisent les écarts de la pensée et les tyrannies de la chair. » Il mourut le 19 juillet 1869 ; il venait d’avoir quarante-sept ans. J’étais hors de France à ce moment ; quatre jours après, Gustave Flaubert m’écrivit :

« Mon bon vieux Max, j’éprouve le besoin de t’écrire une longue lettre ; je ne sais pas si j’en aurai la force ; je vais essayer. Depuis qu’il était revenu à Rouen après sa nomination de bibliothécaire, (août 1867) notre pauvre Bouilhet était convaincu qu’il y laisserait ses os. Tout le monde, — et moi comme les autres, — le plaisantait sur sa tristesse. Ce n’était plus l’homme d’autrefois ; il était complètement changé, sauf l’intelligence littéraire, qui était restée la même. Bref, quand je suis revenu de Paris, au commencement de juin, je lui ai trouvé une figure lamentable. Un voyage qu’il a fait à Paris pour Mademoiselle Aissé et où le directeur de l’Odéon lui a demandé des changemens dans le second acte lui a été tellement pénible qu’il n’a pu se traîner que du chemin de fer au théâtre ; en arrivant chez lui, le dernier dimanche de juin, j’ai trouvé le docteur P.., de Paris, X.., de Rouen, Morel, l’aliéniste, et un brave pharmacien de ses amis nommé Dupré. Bouilhet n’osait pas demander une consultation à mon frère, se sentant très malade et ayant peur qu’on ne lui dît la vérité. P… l’a expédié à Vichy, d’où Villemin s’est empressé de le renvoyer vers Rouen. En débarquant à Rouen, il a enfin appelé mon frère. Le mal était irréparable, comme du reste Villemin me l’avait écrit.

« Pendant ces quinze derniers jours, ma mère était à Verneuil, chez les dames V.., et les lettres ont eu trois semaines de retard ; tu vois par quelles angoisses j’ai passé. J’allais voir Bouilhet tous les deux jours et je trouvais de l’amélioration. L’appétit était excellent, ainsi que le moral, et l’œdème des jambes diminuait. Ses sœurs sont venues de Cany lui faire des scènes religieuses et ont été tellement violentes qu’elles ont scandalisé un brave chanoine de la cathédrale. Notre pauvre Bouilhet a été superbe, il les a envoyées promener. Quand je l’ai quitté pour la dernière fois, samedi, il avait un volume de Lamettrie sur sa table de nuit, ce qui m’a rappelé mon pauvre Alfred (Le Poitevin) lisant Spinoza. Aucun prêtre n’a mis le pied chez lui. La colère qu’il avait eue contre ses sœurs le soutenait encore samedi et je suis parti pour Paris avec l’espoir qu’il vivrait longtemps. Le dimanche, à cinq heures, il a été pris de délire et s’est mis à faire tout haut le scénario d’un drame moyen âge sur l’inquisition ; il m’appelait pour me le montrer et il en était enthousiasmé. Puis un tremblement l’a saisi, il a balbutié : Adieu ! adieu ! en se fourrant la tête sous le menton de Léonie, et il est mort très doucement.

« Le lundi matin, mon portier m’a réveillé avec une dépêche m’annonçant cela en style de télégraphe. J’étais seul, j’ai fait mon paquet, je t’ai expédié la nouvelle, j’ai été le dire à Duplan, qui était au milieu de ses affaires ; puis j’ai battu le pavé jusqu’à une heure, et il faisait chaud, dans les rues, autour du chemin de fer. De Paris à Rouen, dans un wagon rempli de monde. J’avais en face de moi une donzelle qui fumait des cigarettes, étendait ses pieds sur la banquette et chantait. En revoyant les clochers de Mantes, j’ai cru devenir fou, et je suis sûr que je n’en ai pas été loin. Me voyant très pâle, la donzelle m’a offert de l’eau de Cologne. Ça m’a ranimé, mais quelle soif ! celle du désert de Qoseir n’était rien auprès. Enfin je suis arrivé rue Le Bihorel ; ici je t’épargne les détails. Je n’ai pas connu un meilleur cœur que celui du petit Philippe ; lui et cette bonne Léonie ont soigné Bouilhet admirablement. Ils ont fait des choses que je trouve propres. Pour le rassurer, pour lui persuader qu’il n’était pas dangereusement malade, Léonie a refusé de se marier avec lui et son fils l’encourageait dans cette résistance. C’était si bien l’intention de Bouilhet qu’il avait fait venir tous ses papiers. De la part du jeune homme surtout, je trouve le procédé assez gentleman.

« Moi et d’Osmoy, nous avons conduit le deuil ; il a eu un enterrement très nombreux. Deux mille personnes au moins ! Préfet, procureur-général, etc., toutes les herbes de la Saint-Jean. Eh bien ! croirais-tu qu’en suivant son cercueil, je savourais très nettement le grotesque de la cérémonie ? j’entendais les remarques qu’il me faisait là-dessus ; il me parlait en moi, il me semblait qu’il était là, à mes côtés, et que nous suivions ensemble le convoi d’un autre. Il faisait une chaleur atroce, un temps d’orage. J’étais trempé de sueur et la montée du cimetière monumental m’a achevé. Son ami Caudron avait choisi son terrain tout près de celui du père Flaubert. Je me suis appuyé sur une balustrade pour respirer. Le cercueil était sur les bâtons, au-dessus de la fosse. Les discours allaient commencer (il y en a eu trois) ; alors j’ai renâclé ; mon frère et un inconnu m’ont emmené. Le lendemain, j’ai été chercher ma mère à Serquigny. Hier, j’ai été à Rouen prendre tous ses papiers ; aujourd’hui, j’ai lu les lettres qu’on m’a écrites, et voilà ! Ah ! cher Max, c’est dur !

« Il laisse par son testament… à Léonie tous ses livres, et tous ses papiers appartiennent à Philippe ; il l’a chargé de prendre quatre amis pour savoir ce qu’on doit faire des œuvres inédites : moi, d’Osmoy, toi et Caudron. Il laisse un excellent volume de poésies, quatre pièces en prose et Mademoiselle Aissé. Le directeur de l’Odéon n’aime pas le second acte ; je ne sais pas ce qu’il fera. Il faudra cet hiver que tu viennes ici avec d’Osmoy et que nous réglions ce qui doit être publié. Ma tête me fait trop souffrir pour continuer, et d’ailleurs, que te dirais-je ? Adieu, je t’embrasse avec ardeur. Il n’y a plus que toi, que toi seul. Te souviens-tu quand nous nous écrivions : Solus ad solum ? P. S. Dans toutes les lettres que j’ai reçues il y a cette phrase : « Serrons nos rangs ! » Un monsieur que je ne connais pas m’a envoyé sa carte avec ces deux mots : Sunt lacrymæ ! »

Léonie, dont il est question dans la lettre de Flaubert, est une femme excellente qui depuis vingt et un ans n’avait pas quitté Bouilhet, dévouée à toute heure, respectueuse de son travail et adoucissant pour lui ce que la solitude aurait eu de trop pénible. Elle avait un fils nommé Philippe, que Bouilhet éleva, qu’il mit dans la bonne voie comme s’il eût été son père. Léonie et Philippe ont été admirables, d’une affection, d’une abnégation que rien n’a démentie et dont le relus, in articulo mortis, d’un mariage longtemps rêvé est la preuve éclatante.

Le groupe consultatif qui devait se concerter pour déterminer la publication des œuvres posthumes de Bouilhet n’eut pas à se réunir, Flaubert fit son choix et n’écouta pas nos observations lorsque nous eûmes à lui dire que le titre adopté par lui : Dernières Chansons, était ambigu, donnerait lieu à une fausse interprétation et compromettrait le succès du livre. Comme disent les bonnes en parlant des enfans, Flaubert était « entier, » ses projets le saisissaient tyranniquement et il n’en reconnaissait pas les inconvéniens. Toute objection s’émoussait sur lui ; nous le savions, et nous épargnions, à lui un accès d’impatience, à nous une peine inutile. Il n’avait pas la proportion des choses et sa tendance vers l’exagération était tellement augmentée par l’amitié qu’il a cru que Bouilhet était le plus grand poète du XIXe siècle ; il me l’a dit, ce qui était sans conséquence, mais il l’a dit à d’autres, et c’est Bouilhet qui en a souffert. À une répétition générale d’Hélène Peyron, je l’ai entendu s’écrier : « C’est plus beau qu’Eschyle ! » Un vieil ami, nommé Clogenson, venu exprès de Rouen, lui dit : « Ne répétez pas cela le jour de la première représentation, vous feriez tort à Bouillet. » Il était de bonne foi et s’enivrait de sa propre opinion. À peine Bouilhet fut-il mort qu’il voulut lui faire élever une statue sur une des places publiques de Rouen. Une statue à Rouen, en parallèle à celle de Corneille ! il n’y avait même pas réfléchi. Une souscription fut ouverte ; la somme recueillie permit de faire un buste et un piédestal. Ce ne fut pas sans difficultés que Flaubert obtint l’autorisation de placer l’image de Bouilhet non loin de la Bibliothèque publique[6]. Le conseil municipal montra peu d’empressement et Flaubert, qui ne sut se maintenir, lui adressa une brochure dont l’aménité n’est point le caractère dominant. Dans le fond, il avait raison ; il eut tort dans la forme. Certes il était irritant de voir le mérite littéraire de Bouilhet mis en doute par des conseillers municipaux au milieu desquels siégeait un rimailleur qui avait commis des vers que tout mirliton eût répudiés ; mais un peu de modération n’aurait pas été superflu. De cette lettre, où Flaubert discute à coups de lanière, une parole est à retenir : « La noblesse française, dit-il, s’est perdue pour avoir eu pendant deux siècles les sentimens d’une valetaille. La fin de la bourgeoisie commence parce qu’elle a ceux de la populace. Je ne vois pas qu’elle lise d’autres journaux, qu’elle se régale d’une musique différente, qu’elle ait des plaisirs plus relevés. Chez l’une comme chez l’autre, c’est le même amour de l’argent, le même respect du fait accompli, le même besoin d’idoles pour les détruire, la même haine de toute supériorité, le même esprit de dénigrement, la même crasse ignorance[7] »

Bouilhet était un homme très intelligent, d’une instruction profonde, d’un caractère irréprochable, très doux, sceptique, spirituel et bon. J’ai eu pour lui une sérieuse affection et j’admire beaucoup son talent, mais il m’est impossible de reconnaître en lui les qualités qui font les poètes de premier ordre ; parmi les poetœ minores il arrive en tête ; certaines de ses pièces devers subsisteront, il aura place dans tous les Selectœ, Melœnis est une œuvre très remarquable, de longue haleine, savante, bien conduite et de forte poésie ; mais, dans le défilé des poètes du temps, il me semble qu’il ne marche qu’après Alfred de Musset, Victor Hugo, Lamartine, Victor de Laprade, Auguste Barbier, Théophile Gautier. Est-ce à dire pour cela qu’il n’ait point sa place réservée ? Non pas, et sa place est enviable. S’il ne s’est élevé aux régions les plus hautes, c’est, je crois, à cause d’une sorte de contradiction qui était en lui et qu’il ne soupçonnait pas. Son éducation, son instruction, ses tendances, ses goûts, ses conceptions étaient classiques ; il a longtemps rêvé de faire un poème en vers latins ; l’exécution qu’il s’était imposée était romantique ; toute sa vie il a marché dans ce contresens et il faut qu’il ait été bien richement doué pour avoir pu se diriger sans péril au milieu de ce double courant. Ses plus beaux vers sont absolument classiques et rappellent la forme du XVIIe siècle, cet ordre dorique littéraire où la France intellectuelle a trouvé tant de gloire. Toutes les fois qu’il a voulu faire des vers exclusivement romantiques, — ballades, sujets fantastiques, danses macabres, — il a échoué, l’a compris, et les a gardés en portefeuille. Son poème les Fossiles, malgré des qualités originales et fortes, n’aurait point détonné au siècle dernier.

L’influence que Bouilhet a exercée sur Flaubert a été féconde, je l’ai dit ; mais la réciproque n’a pas eu lieu. Flaubert était trop passionné ; il admirait sans critique, et avec un tel emportement qu’il entraînait Bouilhet. Chaque organisme porte en soi le germe du mal par lequel il doit périr ; il en est de même des fonctions intellectuelles et morales ; elles ont en elles le ferment qui les désagrégera. Flaubert et Bouilhet ont commis tous deux la même erreur. Ils ont vécu trop longtemps en face l’un de l’autre, se reflétant, se reproduisant, formant à eux deux un univers d’où le reste du monde était exclu, lis se sont complu dans une sorte d’isolement qui les ramenait toujours à la contemplation de leurs œuvres. À une lecture d’un fragment de Flaubert Bouilhet répondait en récitant les dernières strophes qu’il avait faites. Ils se renvoyaient la glorification ; tour à tour ils étaient le prêtre et la divinité.

Ils ne se sont pas assez mêlés aux hommes ; ils se sont trop confinés dans des cénacles, pour ne pas dire dans des coteries ; ils n’ont rien regardé des choses humaines qu’à travers l’art, bien plus, à travers des formes littéraires. À toute question où l’on voulait les intéresser, ils répondaient : « Qu’est-ce que cela fait à la littérature ? » À force de se concréter, il me semble qu’ils se sont durcis. Les grands intérêts humains leur ont paru indifférens. Dans l’antiquité, dans le moyen âge, dans la renaissance, dans les temps modernes, ils n’ont admiré que les formes, c’est-à-dire les apparences. Le fond était à dédaigner et bon pour des bourgeois. Je crois qu’il est mauvais pour l’artiste, quel qu’il soit, quel que soit son talent, quel que soit son outil, de ne vivre qu’avec ses congénères ; on fonde ainsi, sans en avoir conscience, de petites écoles d’admiration mutuelle où s’énervent les facultés, parce qu’on les sature de louanges et qu’elles croient n’avoir pas à se renouveler. C’est mettre l’oiseau en cage et le condamner à chanter la même chanson. De même qu’il est bon de courir l’univers et de comparer les peuples entre eux, de même il est utile de changer de milieu intellectuel, quitte à traverser des milieux inférieurs ; c’est une excursion à travers les cervelles ; la plus obscure a son point lumineux, et dans cette revue des idées d’autrui, on se complète, on s’amende, et l’on s’agrandit. Causer avec un matelot, avec un soldat, avec un bourgeois, comme eût dit Flaubert, c’est souvent trouver l’occasion d’apprendre ce que l’on ignore. Chaque brin d’herbe a son parfum, mais pour le découvrir, il faut marcher au milieu de la prairie et ne pas rester sur la colline à contempler le soleil en tournant le dos à la terre. À tous deux, à Bouilhet comme à Flaubert, il a manqué aux heures de la jeunesse, entre vingt et trente ans, d’être ballotté dans la houle humaine. Flaubert, retenu par sa santé, Bouilhet enchaîné par la nécessité, n’ont pu acquérir la souplesse que donne l’escrime de la vie ; je l’ai regretté, car leur talent, si grand qu’il soit, en a contracté quelque chose de monacal qui sent la cellule et fait croire à la volonté de rester cloîtré. Est-ce pour cela seulement que la tendresse, cette fleur même de la poésie, manque aux œuvres de Bouilhet ? De Melœnis, de ses vers détachés, l’amour est absent. Le désir, la volupté, ça n’est pas l’amour. Lorsque la femme n’est qu’un instrument de plaisir, elle devient une cause d’ennui et d’amoindrissement. Dans la vie, il faut aimer, j’entends jusqu’à la souffrance, avec l’ivresse du sacrifice. Croire, avec Chamfort, que l’amour est le contact de deux épidermes et l’échange de deux fantaisies, c’est se tromper. Les grands cris des poètes, ceux qui vibrent à travers l’humanité et l’arrachent à son indifférence, ce sont des cris d’amour. J’ai toujours été surpris de voir que Flaubert et Bouilhet, dans l’œuvre entière d’Alfred de Musset, admiraient surtout le fragment de la cavale dans Rolla, fragment admirable, mais dont l’art seul a fait les frais. L’horreur du lieu-commun les a entraînés trop loin ; l’amour est un lieu-commun, et ils s’en raillaient. À force de se vouloir réserver uniquement pour l’art, ils n’ont pas demandé à la vie ce qu’elle contient de meilleur, ce qu’elle contient de pire, et il leur a manqué une des forces par lesquelles l’artiste fructifie. Lorsque tout s’est écroulé dans l’existence, que l’on a reconnu la vanité des glorioles, l’illusion de soi-même, l’instabilité des choses et la permanence des déceptions, si l’on se retourne, si l’on compte les cadavres qui encombrent la route parcourue, il en est un qui s’agite et sourit encore :


C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir !


Hugo l’a dit dans cette Tristesse d’Olympio, qui seule suffirait à le rendre impérissable. Ce souvenir, Bouilhet ne l’a pas eu ; aux heures douloureuses, il n’a pu l’évoquer et lui demander la vigueur du passé lorsque celle du présent lui faisait défaut. Ceux-là seuls parmi les poètes sont grands qui ont aimé. Qui ont-ils aimé, Ninette ou Sémiramis ? On ne s’en occupe guère. La créature qui inspire le sentiment importe peu ; seul, le sentiment importe, qui féconde l’homme et le rend « semblable aux dieux ! » Bien tard, trop tard, Bouilhet s’en est aperçu. Au soir de la journée, qui est aussi le soir de la vie, il mit la main sur ses blessures, il s’entretint avec ses rêves évanouis et leur demanda pourquoi, malgré ses ailes, il ne s’était pas élevé jusqu’aux sommets qu’il avait entrevus au temps de sa jeunesse. La voix intérieure a répondu, et, sous sa dictée, Bouilhet a écrit la Dernière Nuit, une admirable pièce de vers qu’il faut citer, car elle est à la fois un aveu et une explication :


Toute ma lampe a brûlé goutte à goutte,
Mon feu s’éteint avec un dernier bruit ;
Sans un ami, sans un chien qui m’écoute,
Je pleure seul dans la profonde nuit.


Derrière moi, — si je tournais la tête
Je le verrais, — un fantôme est placé :
Témoin fatal apparu dans ma tête.
Spectre en lambeaux de mon bonheur passé.

Mon rêve est mort sans espoir qu’il renaisse ;
Le temps m’échappe, et l’orgueil imposteur
Pousse au néant les jours de ma jeunesse,
Comme un troupeau dont il fut le pasteur.

Pareil au flux d’une mer inféconde,
Sur mon cadavre au sépulcre endormi,
Je sens déjà monter l’oubli du monde
Qui, tout vivant, m’a couvert à demi.

Ô la nuit froide ! ô la nuit douloureuse !
Ma main bondit sur mon sein palpitant ;
Qui frappe ainsi dans ma poitrine creuse.
Quels sont ces coups sinistres qu’on entend ?

Qu’es-tu ? qu’es-tu ? Parle, ô monstre indomptable
Qui te débats en mes flancs enfermé !
Une voix dit, une voix lamentable :
« Je suis ton cœur, et je n’ai pas aimé ! »


La confession est complète. Cette pièce de vers, Flaubert aussi aurait pu la signer ; la nymphomanie d’Emma Bovary, les rêveries érotiques de Salammbô ne sont pas plus de l’amour que les ardeurs de Melænis. Sans défaillance dans l’amitié, ces deux purs esprits concevaient l’amour et ne l’éprouvaient pas. Bien plus, ils le fuyaient, le combattaient chez autrui et s’en gaussaient comme d’un mal ridicule. Un de nos amis, extasié de bonheur et d’amour, demanda une devise à Bouilhet qui répondit par le vers du Curculio :


… Bonum ’st pauxillum amare sane, insane non bonum ’st.


Une femme a aimé Flaubert silencieusement et douloureusement. Le hasard rendit Théophile Gautier témoin d’une scène pénible ; il dit à Flaubert : « Pourquoi es-tu si dur envers cette malheureuse ? » Flaubert répondit : « Elle pourrait entrer dans mon cabinet ! » Personne n’entra dans son cabinet. Du reste, malgré sa douceur habituelle envers les femmes, qu’il traitait un peu comme des enfans, il les trouvait charmantes toutes les fuis qu’elles le laissaient tranquille.

Depuis qu’il est mort, bien des personnes m’ont dit et m’ont écrit : « A-t-il aimé ? vous seul pouvez le savoir. » J’ai refusé de répondre, car il a répondu lui-même. Un souvenir, l’illusion d’un sentiment qu’il a cru éprouver a traversé sa vie et semble l’avoir mis en règle, une fois pour toutes, avec ce que l’on doit à l’amour. Il trouvait que la destinée était quitte avec lui et il ne lui demanda rien de plus. En 1838, alors qu’il avait seize ans et demi, il avait été passer ses vacances à Trouville avec sa famille, qui y possédait une terre assez considérable. Trouville n’était pas ce qu’on le voit aujourd’hui ; il n’y avait ni chemin de bois, ni grands hôtels, ni villas biscornues, ni falbalas, ni musique, ni gommeux, ni cocottes ; c’était une belle petite ville allongée sur les bords de la Toucques avec des maisons de pêcheurs, deux ou trois auberges où campaient les artistes et son admirable grève. Les plus belles toilettes étaient des vareuses, des jupons rayés et des chapeaux de paille. La diligence n’y amenait pas grand monde et les Parisiens n’en connaissaient pas encore le chemin. C’était charmant ; je m’en souviens comme d’une oasis maritime où il y avait tout repos et toute liberté. J’y suis retourné, il y a quelques années, et je m’en suis sauvé avec horreur. Flaubert, allant à la pêche au chalut avec les matelots, nageant comme un triton, galopant pieds nus sur les sables humides, dépensait là son exubérance et criait des vers d’Hugo à la mer montante. Il rencontra ou, pour mieux dire, il aperçut une femme qui avait alors vingt-huit ans, car elle est née en 1810. Il la regarda, il l’admira et, comme il le disait, eut vers elle une grande aspiration. Elle était jolie et surtout étrange ; ses larges bandeaux lissés, bouffant sur la joue, d’un noir bleu, faisaient ressortir sa peau mate et de couleur d’ambre ; la bouche était rieuse et le regard triste ; les yeux très grands, très sombres, contrastaient avec la blancheur éblouissante des dents ; un petit signe placé près des lèvres avait presque une apparence de moustache ; un énorme chapeau de paille enveloppait sa tête et retombait jusque sur ses fermes épaules, que l’on apercevait à travers le tissu de la mousseline. Elle était toujours suivie d’un grand chien de Terre-Neuve que l’on nommait Néro. Sans oser lui parler, Flaubert passait devant elle et devenait rouge lorsqu’elle le regardait. Quand il pouvait s’emparer du chien, il l’embrassait et lui racontait l’amour qu’il éprouvait pour sa maîtresse en termes tels que le toutou eût aboyé s’il avait pu comprendre. Contrairement à ce qui se passe dans les cœurs printaniers, l’attrait que Flaubert éprouvait pour l’inconnue n’avait rien de platonique. Inconnue, elle ne le fut pas longtemps, car elle avait un mari avec lequel il n’était pas difficile d’entrer en relations. C’était un brasseur d’affaires qui avait les mains dans vingt opérations à la fois, dirigeant à Paris une importante maison de commerce, flairant les truffes de loin, et abandonnant sa femme pour courir après le premier cotillon qui tournait au coin des rues, passé maître en fait de réclames, jetant les pièces d’or par la fenêtre et se baissant pour ramasser un sou. Flaubert se prit à l’admirer et restait bouche bée à écouter le récit de ses conquêtes. Il fut admis dans l’intimité du ménage, continua à contempler la femme et n’ouvrit pas la bouche. En 1839, en 1840, il les chercha à Trouville, où il revint ; ils n’y étaient pas. Il les retrouva plus tard à Paris, persista à admirer le mari, persista à regarder la femme et persista à se taire. c’est là le grand amour dont il disait : « J’en ai été ravagé. »

Cette histoire, il l’a racontée ; c’est l’Éducation sentimentale, non point celle qu’il nous avait lue en 1845, mais celle qu’il a publiée en 1870. De tous les ouvrages que Flaubert a faits, c’est sur ces deux volumes qu’il a le plus peiné. Dans ce roman, il a intentionnellement réuni une quantité de personnages qu’il éprouvait souvent quelque difficulté à faire mouvoir. Il a raconté là très sincèrement une période ou, comme il disait, une tranche de sa vie ; il n’est pas un des acteurs que je ne puisse nommer, je les ai tous connus ou côtoyés, depuis la Maréchale jusqu’à la Vatnaz, depuis Frédéric, qui n’est autre que Gustave Flaubert, jusqu’à Mme Arnoux, qui est l’inconnue de Trouville, transportée dans un autre milieu. Ce livre est le dernier dont Flaubert m’ait communiqué le manuscrit. Les observations que je lui avais soumises sur Madame Bovary et sur Salammbô étaient des observations de détail sans importance, car Bouilhet avait passé par là. Cette fois, il n’en était plus ainsi, et, à la fin de 1869, lorsque le roman fut terminé et recopié, j’eus avec Flaubert une discussion qui dura trois semaines. Je déjeunais chez lui, il dînait chez moi, et nous avons parfois bataillé quatorze ou quinze heures de suite. Il y eut des jours où j’étais exténué. Je ris en me souvenant de ces luttes, où, comme Vadius et Trissotin, nous nous jetions quelques bonnes vérités à la tête sans jamais nous blesser. Que de temps perdu et comme il est inutile de disputer sur les choses de l’esprit, car on arrive promptement à ne plus se comprendre ! J’étais guéri depuis longtemps des discussions littéraires lorsque Flaubert m’apporta l’Éducation sentimentale, mais, pour lui, que n’aurais-je pas fait ! Il avait beau regimber, s’irriter, m’appeler Lhomond, Boiste, Noël et Chapsal, me traiter de pion et de grammairien détraqué, il s’attendrissait, avait les larmes aux yeux et éclatait de rire quand je lui disais : « Au nom de la gloire, respecte la règle des possessifs ! » Il prétendait, il a toujours prétendu que l’écrivain est libre, selon les exigences de son style, d’accepter ou de rejeter les prescriptions grammaticales qui régissent la langue française et que les seules lois auxquelles il faut se soumettre sont les lois de l’harmonie. Ainsi il n’eût pas hésité à dire : « Je voudrais que vous alliez — au lieu de : je voudrais que vous allassiez, — parce que l’imparfait du subjonctif est d’une tonalité déplaisante. — Du reste, George Sand était ainsi. — Là-dessus nous discutions sans désemparer. Un soir, nous avions travaillé, — c’est le mot de Flaubert, — jusqu’à une heure du matin Vers trois heures, je fus réveillé par un effroyable vacarme à la porte : coups de sonnette et coups de pied ; je me lève tout effaré, je cours ouvrir. Sur le palier, Flaubert me crie : « Oui, vieux pédagogue, l’accord des temps est une ineptie, j’ai le droit de dire : Je voudrais que la grammaire soit à tous les diables et, non pas : fût, entends-tu ? » Puis il dégringola les escaliers sans attendre ma réponse. Il disait que le style et la grammaire sont, choses différentes : il citait les plus grands écrivains qui, presque tous, ont été incorrects et prétendait que nul grammairien n’a jamais su écrire. Sur ces points, nous étions du même avis, car son opinion s’appuyait sur de tels exemples qu’elle est indiscutable.

Le manuscrit de l’Éducation sentimentale a été communiqué à plus de vingt personnes que je connais. Flaubert n’était pas toujours difficile dans le choix de ses lecteurs. Tous les avis qu’il recueillit eurent une certaine concordance, il n’en tint compte et il eut probablement raison. Etait-ce des observations qu’il demandait ? Je l’ai cru longtemps, je me suis trompé. C’était pour lui un besoin impérieux de faire lire ce qu’il écrivait. Il était tellement possédé par son œuvre qu’il lui semblait se débarrasser d’une part de son fardeau en appelant les autres, même les indifférens, à y regarder. Lorsqu’on allait le voir, après quelques minutes d’une conversation qu’il laissait intentionnellement languir, il prenait les dernières pages qu’il avait griffonnées, raturées, corrigées et les lisait, donnant à chaque mot une intonation particulière, comme s’il eût voulu en gonfler le sens et en accroître la sonorité. Chez un homme d’un aussi grand esprit, cette manie singulière m’a toujours étonné ; il n’allait pas, comme Mérimée, faire des lectures en ville, colporter son manuscrit chez des princesses étrangères et offrir successivement à deux cents personnes la primeur d’une œuvre inédite ; jamais il ne tomba dans ce ridicule de solder eu littérature les bons dîners et les bonnes grâces, mais il ne pouvait résister au désir de montrer à tout venant les fragmens de son travail commencé. C’est dans la solitude de Croisset, dans ses loties tête-à-tête avec Bouilhet, qu’il avait pris cette habitude. La seule explication admissible est celle que j’ai donnée ; il était plein et débordait.

L’Education sentimentale fut publiée et n’obtint pas un succès analogue à celui qu’avaient soulevé Madale Bovary et Salammbô. Flaubert en fut irrité et surtout stupéfait. Il accusa l’injustice, la mobilité du public et se demanda, sans pouvoir se répondre, en quoi il avait démérité et pourquoi on lui marchandait une approbation dont il se croyait plus digne que jamais. Il ignorait sans doute que les intelligences les mieux trempées ont des défaillances et que, l’Education sentimentale en était une. Son étonnement était d’autant plus vif qu’il se heurtait à une idée qui avait chez lui la valeur d’un article de foi. Il avait toujours cru que dans une œuvre d’imagination le public ne se préoccupe que de la forme et qu’en matière littéraire le style est cela seul que l’on recherche. Le succès de certains romans qu’il est superflu de désigner n’était même pas parvenu à le détromper. Or il croyait, et avec raison, que dans son dernier livre il avait développé des qualités d’art très remarquables.

En outre, il s’imaginait, je le répète, avoir résumé en ces deux volumes la science économique de notre temps, avoir expliqué les aspirations sociales, les tendances révolutionnaires dont la France est tourmentée et avoir ainsi produit une œuvre d’un intérêt exceptionnel. Si l’on ne savait de quelles illusions se repaissent les écrivains, même les plus réservés, on pourrait être surpris d’une telle opinion. Cette opinion était enracinée dans l’esprit de Flaubert, car, au mois de juin 1871, comme nous étions ensemble sur la terrasse du bord de l’eau, que nous regardions la carcasse noircie des Tuileries, de la Cour des comptes, du Palais de la Légion d’honneur et que je m’exclamais, il me dit : « Si on avait compris l’Éducation sentimentale, rien de tout cela ne serait arrivé. » Il estimait aussi que le livre était, comme il disait, un livre d’amour et que le récit des aventures de Frédéric et de Mme Arnoux était le dernier mot de la tendresse humaine. Il ne s’apercevait pas qu’il s’était peint avec ses hésitations, sa timidité qui était grande, ses résolutions définitives, qui s’évanouissaient d’elles-mêmes quand il fallait les mettre à exécution, ses désirs de cerveau, qu’il prenait pour des aspirations du cœur, et surtout avec sa peur d’être « embêté » par une femme. C’est un état d’âme vague, confus, intéressant à déterminer dans une étude psychologique, mais ce n’est point la passion, et la masse des lecteurs ne comprend que les situations nettes. Le public écoute quand on lui dit oui ou non ; mais, quand on ne lui dit ni oui ni non, il n’entend pas.

La critique fut dure pour ce livre ; on eût dit qu’elle saisissait avec empressement l’occasion de se revancher des éloges qu’elle n’avait pu refuser à Salammbô et à Madame Bovary. Flaubert en fut affecté, et lorsque je le plaisantais pour le consoler, il me répondait : « Tout le monde n’a pas une carapace comme toi. » Déjà lorsque Salammbô avait paru, il avait bondi sous la piqûre et n’avait pu se tenir coi, malgré mes conseils. Il avait, publiquement, répondu à Sainte-Beuve qui avait fait des réserves et à M Frœhner qui, en qualité de savant, avait reproché à Flaubert d’être moins savant lui. Ces ripostes étaient inutiles ; chacun fait son métier en ce bas monde, les romanciers font des romans, les historiens font de l’histoire, les critiques font de la critique et la terre n’en tourne pas moins. Le succès de Salammbô avait mécontenté bien des gens, ce qui est naturel, et on le fit payer assez cher à l’auteur. En ce temps vivait un certain Silvestre, connu pour avoir publié des lettres qu’on lui avait confiées, ce qui mécontenta Horace Vernet, auquel les tribunaux firent restituer un dépôt dont on abusait. Ce Silvestre n’était pas bête ; il avait persuadé à Napoléon III que la misère seule l’empêchait d’être un grand écrivain. Par curiosité peut-être, et à coup sûr par bonté d’âme, l’empereur lui accorda une pension de six mille francs sur sa cassette. Silvestre empocha, ne fit rien et resta un grand écrivain à l’état latent. Il fit insérer dans un journal très répandu un article venimeux sur Salammbô. Flaubert voulait aller lui couper les oreilles ; Bouilhet et moi, nous eûmes grand’peine à désarmer sa colère. Il nous fallut bien de la rhétorique pour lui faire comprendre que l’article de Silvestre serait oublié le lendemain et que Salammbô vivrait.

Les critiques parfois acerbes et souvent dédaigneuses dont l’Éducation sentimentale fut l’objet ou le prétexte déterminèrent chez lui un singulier phénomène. Fatigué de s’entendre appeler l’auteur de Madame Bovary, de voir opposer sans cesse son premier roman à ses autres ouvrages, il se prit à haïr le livre qui avait assis sa réputation et fait éclater sa renommée. Je l’ai entendu relire à haute voix les épisodes, les fragmens les plus vantés, les dépecer, les détruire, les critiquer avec une fureur qui allait jusqu’à la mauvaise foi. Il disait : « Voilà donc ce que l’on me jette toujours à la tête ! » Véritablement il souffrait. Lui, tout enfermé dans l’adoration de son art, il eût volontiers accusé d’hérésie ceux qui ne trouvaient pas que l’idole était divine. Il faut peut-être avoir cette foi si profonde et si douloureuse pour résister au labeur extravagant dont son existence était faite. Il n’eut pas une pensée, pas une pulsation du cœur qui ne fût pour les lettres. Jour et nuit, comme un cénobite qui regarde son dieu, il regardait vers cette forme exquise qu’il entrevoyait et que si souvent il a saisie. La pensée de commettre une inexactitude dans une description lui donnait des souleurs d’épouvante. Je l’ai vu faire trois ou quatre fois le voyage de Paris à Creil pour bien s’assurer qu’il avait convenablement rendu un effet de paysage. Dans cet esprit où l’amour de l’art avait pris les proportions d’une maladie chronique, tout revêtait des dimensions démesurées. Un hiatus dans une phrase, une répétition de mots, une assonance le désespérait ; il disait : « Quel métier ! quel métier ! J’aimerais mieux être ouvrier dans les mines de mercure que de manier cette terrible langue. » Un jour, il me dit : « Je voudrais faire un coup de bourse et gagner une grosse somme. — Pourquoi ? — Pour racheter n’importe à quel prix tous les exemplaires de la Bovary, les jeter au feu et ne plus jamais en entendre parler. » En revanche, il a toujours cru que l’Éducation sentimentale était un chef-d’œuvre méconnu.

Au mois de septembre dernier (1881), j’étais seul en chasse. Le soleil était ardent, j’avais battu une longue prairie où les mouches bourdonnaient au milieu de la tiédeur humide ; les perdreaux tenaient ferme ; les râles de genêts couraient parmi les herbes et se dissimulaient sous l’arrêt du chien. J’étais las ; je-traversai un remblai de chemin de fer et, laissant une petite ville sur ma droite, je gagnai un bois d’épicéas qui couronne une colline dépendante de l’asile des aliénés de… Je m’assis à l’ombre ; mon chien se coucha en rond auprès de moi, et je respirai la fraîcheur qui passait sous les arbres. La grande grille de l’asile fut ouverte, et je vis venir vers le bois, où je me reposais, une théorie de femmes marchant sur deux rangs. C’était un groupe de folles qui faisaient leur promenade quotidienne sous la conduite des surveillantes. La malheureuse qui marchait la première attira mes regards. Vieille, sombre, concentrée, les yeux fichés en terre, les deux bras inertes le long du corps, elle semblait glisser par un mouvement intérieur qui la poussait en avant sans agiter son corps. Ses cheveux blancs et désordonnés s’échappaient de dessous un vieux chapeau de paille bossue où pendait une fleur déchiquetée ; la peau était brune, avec des tons livides sous les paupières ; les lèvres aplaties, les joues creuses indiquaient l’absence des dents ; près de la lèvre, une broussaille de poils hérissés avait été peut-être un signe de beauté au temps de la jeunesse ; les mains, aux ongles à demi rongés, étaient couvertes de mitaines en dentelles rattachées par un ruban ; une montre en or battait à sa ceinture, les pieds étaient chaussés de pantoufles que, sans injure, on pouvait qualifier de savates. Tout son être était imprégné de désolation ; les soupirs qui soulevaient sa poitrine étaient plus profonds que ceux de lady Macbeth ; c’était une hystéro-mélancolique : amour de la mort, monomanie du suicide, désespoir abstrait, — le plus horrible mal qui existe. En passant près de moi, elle me salua, nos regards se rencontrèrent ; j’eus un serrement de cœur, car je la reconnus. C’était l’apparition de Trouville, c’était Mlle Arnoux, celle que mon pauvre Flaubert a aimée. Bouilhet a dit dans Melœnis :


Terre ! il est des vivans dont la vie est passée ;
Tombeaux ! vous n’avez pas tout le peuple des morts !


MAXIME DU CAMP.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1873.
  2. Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie, dans la seconde moitié du XIXe siècle, 6 vol. ; Hachette.
  3. Le Bourgeois de Gand, ou le Secrétaire du duc d’Albe, joué pour la première fois à l’Odéon, le 21 mai 1838, repris le 29 juin 1841 à la Comédie-Française.
  4. Je dois communication de cette lettre, dont je n’avais pas gardé le souvenir, » l’obligeance de M. le vicomte de Spœlberch de Lovenjoul.
  5. Reliquiæ, 2 vol. gr. in-8o, 1868, imprimerie Pillet ; avec cette épigraphe : Abstulit atra dies et funere inersit acerbo. L’ouvrage tiré à un petit nombre d’exemplaires n’a pas été mis dans le commerce.
  6. L’inauguration du buste de louis Bouilhet a eu lieu à Rouen, le 24 août 1882.
  7. Lettre de M. Gustave Flaubert à la municipalité de Rouen, au sujet d’un vote concernant Louis Bouilhet, brochure de 20 pages in-8o ; 1872.