Souvenirs poétiques

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SOUVENIRS POÉTIQUES,
PAR M. A. DE BEAUCHESNE[1].

Ces Souvenirs poétiques, dont nous avons déjà eu occasion de parler, sont dus à la plume facile d’un de ces jeunes hommes chaleureux qui ont été inspirés par l’amour, la liberté et la gloire nationale, toutes choses qui font battre le cœur et donnent de nobles pensées.

Le mouvement passionné de notre époque demande des impressions vives et pénétrantes. M. de Beauchesne l’a parfaitement compris, comme le prouvera le fragment suivant, ajouté à la nouvelle édition. L’auteur s’adresse à un malheureux enfant jeté sur de lointains rivages par un inconcevable aveuglement et le poids d’un nom qui résume, à lui seul, un état de choses désormais impossible :

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Te voilà donc aussi détourné de la route,
Enfant, dit du miracle, et pour jamais sans doute !
Que de fois j’ai pleuré, citoyen dans ta cour,
Sur ton vaste avenir que l’on rendait si court !

Quand ta mère enchantée et rieuse en ses fêtes,
Voyait bondir la foule et tournoyer les têtes,
Et se presser confus les mannequins titrés,
Les habits cousus d’or, et de croix chamarrés,
Automates parlans, garde-robe vivante
Qui bruit dans les cours comme une mer mouvante,
Dans mon âme souvent je me suis dit : Mon Dieu !
La ruine du trône est ici, dans ce lieu !
Voyez-les, voyez-les, ces salles inondées
D’orgueilleuse ignorance et de vieilles idées !
Par le temps, le malheur, nul ne fut corrigé :
Le monde a couru vite… Aucun d’eux n’a bougé.
Tels ils étaient hier, tels ils seront encore
Et demain et toujours… Un besoin les dévore
De jeter de la boue au siècle qu’ils n’ont pas
La force d’arrêter, ni de suivre à grands pas.
Voyez l’avidité… Chacun pousse et se rue ;
La foule s’entrechoque aux portes qu’elle obstrue :
Il faut serrer les rangs, voiler le jour qui luit ;
Il faut qu’autour des rois le rempart soit construit,
De sorte que jamais le peuple ne parvienne
À lancer par-dessus sa clameur citoyenne.
Malheureux insensés ! un enfant près d’ici
Sommeille, et vous jouez son diadème ainsi !…
Et quand viendra le jour de payer votre dette,
Dites-moi, pourrez-vous, héros de l’étiquette,
Lui rendre sa couronne et son royal trousseau,
Lorsque vous les aurez perdus dans le ruisseau !
Et je disais cela dans mon cœur, avec larmes,
Ne sachant pas qu’un jour Paris crîrait : aux armes !
Que l’erreur périrait, que les peuples lassés
Se diraient fièrement un matin : C’est assez !…
Et qu’il plairait à Dieu dans ce temps des merveilles,
De jeter un secret immense à leurs oreilles !….
Les flatteurs devaient tous mourir pour leurs vieux rois ;
Des hauteurs de Saint-Cloud, regarde, enfant, et vois
Paris étincelant du fleuret des batailles ;
Pendant que le tocsin sonne les funérailles,

Que le grand peuple meurt avec des cris joyeux,
Le fat, blotti, tremblant sous l’édredon soyeux,
Se tait, et refermant le rideau qui le couvre,
N’entend pas le canon dont s’ébranle le Louvre. —
Assez ! — C’était hier que j’ai vu tout cela :
Et ce que dans trois jours le ciel nous dévoila,
Ce que fit en trois jours Paris dans son délire,
Ne pourrait s’exhaler des cordes d’une lyre.
Enfant, il est donc vrai que je n’ai point rêvé !
Ce qui fut fait est fait. — Sur le sanglant pavé
Je ne descendrai point avec des chants de fête ;
Je craindrais, en marchant, de heurter une tête,
Et ne saurais poser un pied mal affermi
Entre le sang d’un frère et le sang d’un ami.

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Cette nouvelle édition des Souvenirs de M. de Beauchesne est enrichie de plusieurs pièces inédites et précédée d’un spirituel jugement, comme Charles Nodier seul sait en porter. Nous partageons entièrement les opinions de l’ingénieux écrivain. Cependant des critiques plus sévères reprocheront à M. de Beauchesne d’avoir un peu trop prodigué une certaine coupe de vers à laquelle notre oreille n’est pas encore habituée ; mais ces légers défauts disparaissent au milieu d’une foule d’inspirations gracieuses. Il nous suffira de nommer le Bal, la Vallée de Royat, Cannes, etc.

E…
  1. Seconde édition. Paris, chez Delangle, place de la Bourse.