« L’Avare (Goldoni) » : différence entre les versions
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===<center><span style="color:#006699;text-decoration:underline;">SCÈNE III.</span></center>=== |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DON FERNAND}} (''seul'').</div> |
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Voilà donc où l’avarice conduit les hommes ! |
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Avec de la noblesse et de la fortune, don Ambroise |
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se regarde comme le dernier, comme le plus malheureux |
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des hommes. On est forcé d’être de son avis : |
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ce sont les actions, en effet, qui donnent de l’éclat |
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à la noblesse ; et c’est au bon usage que l’on en |
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fait, que les richesses sont redevables de leur valeur. |
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Je devais quitter cette maison dès l’instant que |
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don Fabrice, mon ami, a cessé de vivre, et c’est |
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précisément sa mort qui m’y arrête. Oui, le respect |
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que j’eus pour donna Eugenie tant que son époux |
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a vécu, s’est changé en amour depuis qu’elle est |
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veuve, et mon espérance toujours alimentée… |
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Mais quelle espérance de voir mes vœux jamais |
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contens, si, de quelque côté que se tournent mes |
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regards, ils ne voient que des obstacles à mon amour ! |
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Elle ignore mes sentimens pour elle, et elle peut les |
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dédaigner en les apprenant. J’ai, auprès d’elle, |
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deux terribles rivaux ! mon père ne consentira jamais |
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à mon mariage pour le moment : je n’ai point de |
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meilleur parti à prendre que de m’en aller. Oui, |
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je partirai : mais je veux m’épargner le reproche de |
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m’être trahi moi-même par un excès de délicatesse |
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mal entendue. Qu’elle sache que je l’aime ; et si mon |
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amour est rebuté… La voici fort à propos. Je |
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voudrais lui dire… Et je n’ai pas le courage de |
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le faire. Je prendrai mon temps, je préparerai mes |
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paroles… Quelle lâcheté ! je rougis de moi-même. |
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<div style="text-align:right;padding-right:10%">(''Il sort.'')</div> |
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===<center><span style="color:#006699;text-decoration:underline;">SCÈNE IV.</span></center>=== |
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<center>DONNA EUGÉNIE, ensuite JASMIN.</center> |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Trainerai-je encore long-temps une pareille |
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existence ? La conduite de don Ambroise est elle |
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supportable ? Ses procédés ont déjà fait périr de chagrin |
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mon pauvre époux, et aujourd’hui ce maudit vieillard |
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voudrait me voir mourir à petit feu, par la fureur |
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qu’il excite en moi, par le désespoir où il me réduit. |
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Oui, je veux me remarier. Mais le seul désir ne suffit |
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pas, il faut que l’occasion se présente ; et si je n’ai |
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pas la certitude d’améliorer ma position, je ne veux |
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pas courir le danger d’aggraver mes maux. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|JASMIN}}.</div> |
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Madame, monsieur le comte de l’Isle désirerait |
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avoir l’honneur de vous voir. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Il en est bien le maître. (''Jasmin sort'') Ce ne |
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serait point un parti à dédaigner ; c’est un homme de |
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mérite ; mais son sérieux finit souvent par m’ennuyer. |
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Il forme un contraste parfait avec le Chevalier, qui |
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a dans l’esprit un peu trop de vivacité. Je voudrais |
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cependant fixer mon choix sur l’un des deux : ils |
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m’aiment l’un et l’autre, je le sais ; et je sais de |
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plus qu’une rivalité déclarée… Mais j’aperçois le |
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Comte. |
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===<center><span style="color:#006699;text-decoration:underline;">SCÈNE V.</span></center>=== |
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<center>{{personnage|La même, le Comte DE L’ISLE}}.</center> |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Très-humble salut à madame Eugénie. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Votre servante, Monsieur. Donnez-vous la peine |
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de vous asseoir. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Pour vous obéir. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Vous venez bien à propos ; j’avais besoin de |
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compagnie. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Je m’estimerais trop heureux de vous pouvoir procurer |
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un moment de satisfaction. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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C’est l’excès de votre complaisance qui vous dicte |
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ce langage obligeant. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Il sera toujours bien inférieur à votre mérite. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Toujours aimable, le comte de l’Isle ! |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Je voudrais l’être en effet, pour avoir le bonheur |
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devons plaire. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Votre société m’est toujours infiniment précieuse. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Je le crois, puisque vous le dites, Madame ; mais |
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qu’est-ce que ma société pour un esprit comme le |
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vôtre ? |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Vous ne vous rendez pas justice. Heureusement |
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pour vous, que vous parlez à quelqu’un qui sait à quoi |
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s’en tenir. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Non, Madame, je parle franchement, et tout mon |
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mérite se borne à me connaître moi-même. Je sais |
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tout ce que je perds au parallèle avec le Chevalier : |
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mais qu’importe ? Votre cœur me rassure autant |
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que votre esprit, et je me flatte qu’au milieu de |
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tous mes défauts, vous distinguerez pourtant un |
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fond de franchise inaltérable. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Ce n’est pas un petit mérite que la sincérité. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
|||
Il est souvent stérile auprès des autres. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Avez-vous à vous plaindre de moi ? |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Je n’aurais pas l’audace de le dire. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Malgré votre silence, on voit bien que vous n’êtes |
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pas content. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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C’est un effet, sans doute, de la franchise dont |
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vous venez de faire l’éloge. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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En conséquence, cette même franchise ne me doit |
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pas faire un mystère des motifs de ce mécontentement. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Le plus grand plaisir que vous me puissiez faire, |
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c’est de m’engager à parler. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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C’est mon cœur qui vous y invite. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Eh bien !je réponds à votre cœur, que, sans |
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le tourment que me cause un rival, je serais le plus |
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heureux des hommes. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Voilà la première fois que vous avez parlé aussi |
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clairement. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Ai-je parlé à temps, Madame ? |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Cela serait possible. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Mais le possible est un abyme, Madame, où |
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s’égarent, confondues, mes espérances et mes craintes. |
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Ce que je vous demande à présent, c’est quelque |
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chose de positif. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Réfléchissez-y bien, et convenez que ce que vous |
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me demandez n’est pas peu de chose. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Mais il me semble, si je ne me trompe, que ma |
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demaade est très-modeste. Il y aurait de la témérité |
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à réclamer votre faveur toute entière ; je me borne |
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à vous demander si vous êtes maîtresse encore d’en |
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disposer. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Mais si c’est un secret que je sois jalouse de garder, |
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votre demande n’excède-t-elle pas les bornes de la |
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discrétion ? |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Vous avez le don, Madame, de vous faire entendre |
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sans parler. Je comprends très-bien que votre cœur |
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est occupé. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Et, dans le cas où cela serait, devineriez-vous |
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avec la même facilité l’objet qui l’occupe. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Non, Madame ; voilà le secret. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Vous n’en pouvez donc pas conclure que vous soyez |
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exclus. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Ni m’assurer non plus d’être le mortel favorisé. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Les cœurs discrets se contentent d’un motif quelconque |
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d’espérance. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Oui, quand un motif plus puissant ne les fait pas |
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trembler. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Et cette crainte, quel est donc son fondement ? |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Mon peu de mérite, Madame. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Non, Comte : vous vous jugez mal. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Ajoutez à cela le caractère entreprenant de mon |
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rival. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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C’est une raison de plus qui m’offense. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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Je vous en supplie, Madame, excusez-moi. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Je vous excuse. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}}.</div> |
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C’est mon cœur enflammé qui égare ma langue… |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Comte c’en est assez. |
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<div style="text-align:center">{{personnage|LE COMTE}} (''à part''.)</div> |
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Qu’il m’en coûte de modérer mes transports ! |
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<div style="text-align:center">{{personnage|DONNA EUGÉNIE}}.</div> |
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Ne précipitons point ma résolution. |
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Version du 4 novembre 2009 à 21:14
COMÉDIE
N. B. Moliere a tracé de main de maître les travers et le ridicule de l’Avarice : Goldoni en a esquissé l’odieux dans la petite pièce que l’on va lire. Nous ne nous permettrons qu’une réflexion sur ce dernier ouvrage : placer à la suite du Moliere, l’Avare de Goldoni, c’est rendre peut-être à ces deux grands hommes l’hommage le plus flatteur, et en même temps le plus digne d’eux.
PERSONNAGES
Donna EUGÉNIE, veuve et belle fille d’Ambroise. Le Comte de l’ISLE. Le Chevalier des ARBRES. Don FERNAND, jeune homme de Mantoue. JASMIN, valet. Un Procureur, personnage muet. |
SCÈNE PREMIÈRE.
Ce que c’est pourtant qu’un peu de règle et de conduite ! Il n’y a qu’un an que mon fils est mort, et je me trouve déjà en avance de deux mille écus ! Le Ciel sait combien j’ai été sensible à la mort de l’unique fils que j’eusse au monde : mais s’il eût vécu encore un pareil nombre d’années, c’en était fait ; mes revenus n’y suffisaient pas, et il eût fallu attaquer les capitaux. L’amour paternel a ses droits, sans doute ; mais l’argent ! l’argent est une si belle chose ! Je dépense plus encore que je ne devrais, parce que j’ai ma belle-fille chez moi. – Je voudrais bien m’en débarrasser : mais la seule pensée de la dot qu’il lui faudrait restituer, suffit pour me mettre en fureur. Je me trouve entre l’enclume et le marteau. Qu’elle demeure avec moi, elle me ronge jusqu’aux os : qu’elle s’en aille, elle arrache et emporte mon cœur. Si je pouvais imaginer… Bon, voici un autre fléau qui me poursuit malgré moi jusqu’ici ; un autre présent de mon cher fils. Il me semble pourtant qu’il serait bien temps qu’il s’en allât.
SCÈNE II.
Bonjour, seigneur don Ambroise.
Il n’y a plus ni bonjour ni bonne nuit pour moi.
Je partage la douleur d’un père. Vous perdez, dans le pauvre don Fabrice, le plus aimable cavalier du monde.
Don Fabrice était un cavalier qui aurait trouvé le fond des mines de l’Inde. Depuis son mariage, il a dissipé, en deux ans, plus que je n’eusse dépensé en dix. Je suis ruiné, mon cher Monsieur ; et pour rétablir un peu mes affaires, il me faudra vivre dorénavant avec la plus sévère économie, et peser jusqu’à mon pain.
Pardon : mais vous me persuaderez difficilement que vous en soyez réduit à cette extrémité.
Vous ne connaissez pas mes affaires.
Votre fils m’avait dit cependant…
Mon fils était un fou, gonflé de morgue et de vanité, l’esclave de sa femme, et la dupe des amis qui le grugeaient.
Je ne sais si vous parlez pour moi, Monsieur ; mais il me semble que, depuis un an que j’habite chez vous pour prendre dans cette université le grade de docteur, mon père a suffisamment pourvu à ma dépense.
Je ne parle point pour vous. Mon fils vous aimait, et je vous ai gardé chez moi pour l’amour de lui : mais maintenant que vous voilà Docteur, pourquoi perdre ici votre temps ?
J’attends aujourd’hui des lettres de mon père, et je compte vous débarrasser au premier jour.
Je suis surpris de ne pas vous voir plus d’empressement à retourner dans votre patrie, pour vous y entendre appeler Monsieur le Docteur ! Votre mère brûle sans doute de l’impatience d’embrasser monsieur le Docteur son fils.
Ma maison, Monsieur, peut, à la rigueur, se passer de ce nouveau titre. Je crois que ma famille vous est connue.
Je sais que votre noblesse ne le cède à qui que ce soit : mais la noblesse sans biens, ce n’est pas l’habit sans la doublure, c’est la doublure sans l’habit.
Je ne suis cependant pas des plus maltraités de la fortune.
Raison de plus pour aller jouir bien vîte de votre noblesse et de votre fortune. Vous n’êtes point à votre place dans la maison d’un homme aussi pauvre que moi.
Seigneur don Ambroise, vous me feriez vraiment rire !
Dites donc pleurer, si vous connaissiez tout mon malheur. J’ai à peine de quoi vivre et ma très-chère belle-fille, cette tête sans cervelle, veut avoir de la société, un équipage, de la toilette, chocolat café… Malheureux que je suis ! vous me voyez au désespoir.
Mais je ne vois pas la nécessité de la garder chez vous.
Elle n’a ni père ni mère, ni proches parens. Voulez-vous que je la laisse seule ? Une veuve, à son âge ! Eh ! ne me faites point parler.
Engagez-la à se marier.
Oui, s’il se présentait une bonne occasion.
Rien de plus facile. Donna Eugénie a du mérite, ajoutez à cela une dot considérable…
Quelle dot ? que parlez-vous, s’il vous plaît, d’une dot considérable ? Elle n’a presque rien apporté ici, et nous a coûté des sommes énormes. Voilà la note des dépenses faites pour l’illustrissime épouse : la voilà ! le jour elle ne quitte pas ma poche, et la nuit mon oreiller. La longue suite de mes disgraces n’est rien à mes yeux, en comparaison de toutes ses gentillesses. Oh ! mode ! maudite mode ! puisses-tu être une bonne fois à tous les diables ! Je veux être un coquin, si, en supposant qu’elle se remariât, toutes ses extravagances n’entrent pas pour la moitié, au moins, dans la restitution que j’ai à lui faire.
Dites pour un tiers.
Bien obligé, monsieur le Docteur. (Il va pour sortir, et revient sur ses pas. ) À propos ; j’oubliais de vous dire une chose.
Parlez.
Afin de savoir à quoi m’en tenir, dites-moi un peu quand vous comptez partir.
J’attends, je vous le répète, aujourd’hui des lettres de mon père.
Et si elles n’arrivent pas ?
Si elles n’arrivent pas… il faudra bien que je reste.
Mon ami, suivez mon conseil. Procurez à votre père une surprise agréable ; allez à Mantoue, et paraissez à l’improviste. Dieu ! avec quel plaisir ils vont embrasser monsieur le Docteur !
Il y a quelques lieues d’ici à Mantoue.
Vous êtes sans argent ?
À dire vrai, je n’en ai pas beaucoup.
Je vais vous donner un expédient. On va au Tézin, on s’embarque, et l’on arrive, à peu de frais, à l’embouchure du Mincio.
Et de là à Mantoue ?
À pied, mon ami.
Les jeunes gentilshommes de mon rang ne voyagent point ainsi.
Et les gens de ma classe déclarent à ceux de la vôtre, que la maison d’un pauvre homme, comme moi, n’est point un séjour digne d’un Docteur comme vous. (Il sort.)
SCÈNE III.
Voilà donc où l’avarice conduit les hommes ! Avec de la noblesse et de la fortune, don Ambroise se regarde comme le dernier, comme le plus malheureux des hommes. On est forcé d’être de son avis : ce sont les actions, en effet, qui donnent de l’éclat à la noblesse ; et c’est au bon usage que l’on en fait, que les richesses sont redevables de leur valeur. Je devais quitter cette maison dès l’instant que don Fabrice, mon ami, a cessé de vivre, et c’est précisément sa mort qui m’y arrête. Oui, le respect que j’eus pour donna Eugenie tant que son époux a vécu, s’est changé en amour depuis qu’elle est veuve, et mon espérance toujours alimentée… Mais quelle espérance de voir mes vœux jamais contens, si, de quelque côté que se tournent mes regards, ils ne voient que des obstacles à mon amour ! Elle ignore mes sentimens pour elle, et elle peut les dédaigner en les apprenant. J’ai, auprès d’elle, deux terribles rivaux ! mon père ne consentira jamais à mon mariage pour le moment : je n’ai point de meilleur parti à prendre que de m’en aller. Oui, je partirai : mais je veux m’épargner le reproche de m’être trahi moi-même par un excès de délicatesse mal entendue. Qu’elle sache que je l’aime ; et si mon amour est rebuté… La voici fort à propos. Je voudrais lui dire… Et je n’ai pas le courage de le faire. Je prendrai mon temps, je préparerai mes paroles… Quelle lâcheté ! je rougis de moi-même.
SCÈNE IV.
Trainerai-je encore long-temps une pareille existence ? La conduite de don Ambroise est elle supportable ? Ses procédés ont déjà fait périr de chagrin mon pauvre époux, et aujourd’hui ce maudit vieillard voudrait me voir mourir à petit feu, par la fureur qu’il excite en moi, par le désespoir où il me réduit. Oui, je veux me remarier. Mais le seul désir ne suffit pas, il faut que l’occasion se présente ; et si je n’ai pas la certitude d’améliorer ma position, je ne veux pas courir le danger d’aggraver mes maux.
Madame, monsieur le comte de l’Isle désirerait avoir l’honneur de vous voir.
Il en est bien le maître. (Jasmin sort) Ce ne serait point un parti à dédaigner ; c’est un homme de mérite ; mais son sérieux finit souvent par m’ennuyer. Il forme un contraste parfait avec le Chevalier, qui a dans l’esprit un peu trop de vivacité. Je voudrais cependant fixer mon choix sur l’un des deux : ils m’aiment l’un et l’autre, je le sais ; et je sais de plus qu’une rivalité déclarée… Mais j’aperçois le Comte.
SCÈNE V.
Très-humble salut à madame Eugénie.
Votre servante, Monsieur. Donnez-vous la peine de vous asseoir.
Pour vous obéir.
Vous venez bien à propos ; j’avais besoin de compagnie.
Je m’estimerais trop heureux de vous pouvoir procurer un moment de satisfaction.
C’est l’excès de votre complaisance qui vous dicte ce langage obligeant.
Il sera toujours bien inférieur à votre mérite.
Toujours aimable, le comte de l’Isle !
Je voudrais l’être en effet, pour avoir le bonheur devons plaire.
Votre société m’est toujours infiniment précieuse.
Je le crois, puisque vous le dites, Madame ; mais qu’est-ce que ma société pour un esprit comme le vôtre ?
Vous ne vous rendez pas justice. Heureusement pour vous, que vous parlez à quelqu’un qui sait à quoi s’en tenir.
Non, Madame, je parle franchement, et tout mon mérite se borne à me connaître moi-même. Je sais tout ce que je perds au parallèle avec le Chevalier : mais qu’importe ? Votre cœur me rassure autant que votre esprit, et je me flatte qu’au milieu de tous mes défauts, vous distinguerez pourtant un fond de franchise inaltérable.
Ce n’est pas un petit mérite que la sincérité.
Il est souvent stérile auprès des autres.
Avez-vous à vous plaindre de moi ?
Je n’aurais pas l’audace de le dire.
Malgré votre silence, on voit bien que vous n’êtes pas content.
C’est un effet, sans doute, de la franchise dont vous venez de faire l’éloge.
En conséquence, cette même franchise ne me doit pas faire un mystère des motifs de ce mécontentement.
Le plus grand plaisir que vous me puissiez faire, c’est de m’engager à parler.
C’est mon cœur qui vous y invite.
Eh bien !je réponds à votre cœur, que, sans le tourment que me cause un rival, je serais le plus heureux des hommes.
Voilà la première fois que vous avez parlé aussi clairement.
Ai-je parlé à temps, Madame ?
Cela serait possible.
Mais le possible est un abyme, Madame, où s’égarent, confondues, mes espérances et mes craintes. Ce que je vous demande à présent, c’est quelque chose de positif.
Réfléchissez-y bien, et convenez que ce que vous me demandez n’est pas peu de chose.
Mais il me semble, si je ne me trompe, que ma demaade est très-modeste. Il y aurait de la témérité à réclamer votre faveur toute entière ; je me borne à vous demander si vous êtes maîtresse encore d’en disposer.
Mais si c’est un secret que je sois jalouse de garder, votre demande n’excède-t-elle pas les bornes de la discrétion ?
Vous avez le don, Madame, de vous faire entendre sans parler. Je comprends très-bien que votre cœur est occupé.
Et, dans le cas où cela serait, devineriez-vous avec la même facilité l’objet qui l’occupe.
Non, Madame ; voilà le secret.
Vous n’en pouvez donc pas conclure que vous soyez exclus.
Ni m’assurer non plus d’être le mortel favorisé.
Les cœurs discrets se contentent d’un motif quelconque d’espérance.
Oui, quand un motif plus puissant ne les fait pas trembler.
Et cette crainte, quel est donc son fondement ?
Mon peu de mérite, Madame.
Non, Comte : vous vous jugez mal.
Ajoutez à cela le caractère entreprenant de mon rival.
C’est une raison de plus qui m’offense.
Je vous en supplie, Madame, excusez-moi.
Je vous excuse.
C’est mon cœur enflammé qui égare ma langue…
Comte c’en est assez.
Qu’il m’en coûte de modérer mes transports !
Ne précipitons point ma résolution.