« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Balustrade » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
mAucun résumé des modifications
en cours ...
Ligne 120 : Ligne 120 :


[Illustration: Fig. 4 et 5.]
[Illustration: Fig. 4 et 5.]

les eaux s'écouler naturellement sans chenal. Ce n'est guère que vers
1230 que l'on établit des chéneaux conduisant les eaux dans des gargouilles;
jusqu'alors les eaux s'égouttaient sur le larmier des corniches,
comme à la cathédrale de Chartres à la chute des grands combles; mais
ces balustrades, composées de petits piliers ou colonnettes isolées et
scellées sur le larmier, conservaient difficilement leur aplomb. Les
constructeurs avaient tenté quelquefois de les réunir à leur base au moyen
d'une assise continue évidée par dessous pour l'écoulement des eaux, ainsi
qu'on peut le voir à la base du haut chœur nord de la cathédrale de
Chartres (6); mais ce moyen ne faisait que rendre le quillage plus dangereux
en multipliant les lits, et ne donnait pas à ces claires-voies la rigidité
nécessaire pour éviter le bouclement; on dut renoncer bientôt aux
colonnettes ou petits piliers isolés réunis seulement par l'assise supérieure
continue, et on se décida à prendre les balustrades dans un seul morceau
de pierre; dès lors les colonnettes avec chapiteaux n'avaient pas de raison
d'être, car au lieu d'une arcature construite, il s'agissait simplement de dresser des dalles percées d'ajours affectant des formes qui ne convenaient
pas à des assises superposées. C'est ainsi que le sens droit, l'esprit logique
qui dirigeaient les architectes de ces époques, leur commandaient de
changer les formes des détails, comme de l'ensemble de leur architecture,
à mesure qu'ils modifiaient les moyens de construction. Dans les balustrades
construites, c'est-à-dire composées de points d'appui isolés et d'une
assise de couronnement, on remarquera que la partie supérieure des
balustrades est, comparativement aux points d'appuis, très volumineuse.
Il était nécessaire en effet de charger beaucoup ces points d'appui isolés
pour les maintenir dans leur aplomb. Quand les balustrades furent prises

[Illustration: Fig. 6.]

dans un seul morceau de pierre, au contraire, on donna de la force, du
pied à leur partie inférieure, et de la légèreté à leur partie supérieure,
car on n'avait plus à craindre alors les déversements causés par la multiplicité
des lits horizontaux. Les balustrades des grandes galeries de la
façade et du sommet des deux tours de la cathédrale de Paris sont taillées
conformément à ce principe (7); leur pied s'empatte vigoureusement et
prolonge le glacis du larmier de la corniche; un ajour en quatre-feuilles
donne une décoration continue qui n'indique plus des points d'appuis

[Illustration: Fig. 7.]

séparés, mais qui laisse bien voir que cette décoration est découpée dans
un seul morceau de pierre; un appui saillant, ménagé dans l'épaisseur de
la pierre, sert de larmier et préserve la claire-voie. Aux angles, la balustrade
de la grande galerie est renforcée par des parties pleines ornées de
gros crochets saillants et de figures d'animaux, qui viennent rompre la
monotonie de la ligne horizontale de l'appui (voy. ANIMAUX). La balustrade
extérieure du triforium de la même église, plus légère parce qu'elle couronne
un ouvrage de moindre importance, est encore munie de l'empattement
inférieur nécessaire à la solidité. Cet empattement, pour éviter les dérangements,
est posé en feuillure dans l'assise du larmier (8). Il ne faudrait pas
cependant considérer les principes que nous posons ici comme absolus; si
les architectes du XIII<sup>e</sup> siècle étaient soumis aux règles de la logique, ils
n'étaient pas ce que nous appelons aujourd'hui des <i>rationalistes</i>; le sentiment
de la forme, l'à-propos avaient sur leur esprit une grande prise, et ils
savaient au besoin faire plier un principe à ces lois du goût qui, ne pouvant
être formulées, sont d'autant plus impérieuses qu'elles s'adressent à l'instinct
et non au raisonnement. C'est surtout dans les accessoires de l'architecture
commandés par un besoin et nécessaires en même temps à la décoration,
que le goût doit intervenir et qu'il intervenait alors. Ainsi, en cherchant à
donner à leurs balustrades prises dans des dalles découpées l'aspect d'un
objet taillé dans une seule pièce, il fallait que ces parties importantes de la
décoration ne vinssent pas, par leur forme, contrarier les lignes principales

[Illustration: Fig. 8.]

de l'architecture. Si les ajours obtenus au moyen de trèfles ou de quatre-feuilles
juxtaposés convenaient à des balustrades continues non interrompues
par des divisions verticales rapprochées, ces ajours produisaient un
mauvais effet lorsqu'ils se développaient par petites travées coupées par des
pinacles ou des points d'appui verticaux; alors il fallait en revenir aux
divisions multipliées et dans lesquelles la ligne verticale était rappelée,
surtout si les balustrades servaient de couronnement supérieur à l'architecture.
D'ailleurs les divisions des ajours de balustrades par trèfles ou
quatre-feuilles étaient impérieuses, ne pouvaient se rétrécir ou s'élargir à
volonté; si une travée permettait de tracer cinq quatre-feuilles par exemple,
une travée plus étroite ou plus large de quelques centimètres dérangeait
cette combinaison, ou obligeait le traceur à laisser seulement aux extrémités
de sa travée de balustrade une portion de trèfle ou de quatre-feuilles; ce
qui n'était pas d'un heureux effet. Les divisions de balustrades par arcatures
verticales permettaient au contraire d'avoir un nombre d'ajours
complets, et il était facile alors de dissimuler les différences de largeur de
travées.

Nous ferons comprendre facilement par une figure ce que nous disons
ici. Soit A B (9) une travée de balustrade comprenant trois quatre-feuilles;
si la travée suivante A C est un peu moins longue, il faudra que
l'un des trois ajours soit en partie engagé. Mais si la travée A B (9 bis) est
divisée en cinq arcatures, la travée A C pourra n'en contenir que quatre, et
l'œil, retrouvant des formes complètes dans l'une comme dans l'autre, ne
sera pas choqué. Les divisions verticales permettent même des différences

[Illustration: Fig. 9 et 9 bis.]






notables dans l'écartement des axes, sans que ces différences soient appréciables
en exécution; leur dessin est plus facile à comprendre dans des espaces
resserrés qui ne permettraient pas à des combinaisons de cercle de se développer
en nombre suffisant, car il en est de l'ornementation architectonique
comme des mélodies, qui, pour être comprises et produire tout leur effet,
doivent être répétées. La balustrade supérieure de la nef et du chœur de Notre-Dame
de Paris, exécutés vers 1230, est divisée par travées inégales de largeur,
et c'est conformément à ce principe qu'elle a été tracée (10). De distance en
distance, au droit des arcs-boutants et des gargouilles, un pilastre surmonté
d'un gros fleuron sépare ces travées, sert en même temps de renfort à la
balustrade, et maintient le déversement qui, sans cet appui, ne manquerait
pas d'avoir lieu sur une aussi grande longueur<span id="note2"></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]]. Mais que l'on veuille bien
le remarquer, si cette balustrade a quelque rapport avec celles qui, peu
d'années auparavant, étaient construites par assises, on voit cependant que
c'est un évidement, un ajour percé dans une dalle et non un objet construit
au moyen de morceaux de pierre superposés; cela est si vrai, que l'on a
cherché à éviter dans les ajours les évidements à angle droit qui peuvent
provoquer les ruptures. Le pied des montants retombe sur le profil du
bas, non point brusquement, mais s'y réunit par un bizeau formant un
empattement destiné à donner de la force à ce pied et à faciliter la
taille (11). On voit ici en A la pénétration des montants sur le profil formant
traverse inférieure, et en B la naissance des trilobes sur ces montants. Si
les formes sont nettement accusées, si les lignes courbes sont franchement
séparées des lignes verticales, cependant, soit par instinct, soit par raison,
on a cherché à éviter ici toute forme pouvant faire supposer la présence
d'un lit, d'une soudure. Mais, nous le répétons, les artistes de ce temps
savaient, sans renoncer aux principes basés sur la raison, faire à l'art une
large part, se soumettre aux lois délicates du goût. Si nous croyons devoir
nous étendre ainsi sur un détail de l'architecture ogivale qui semble très-secondaire,
c'est que, par le fait, ce détail acquiert en exécution une grande
importance, en tant que couronnement. L'architecture du XIII<sup>e</sup> siècle veut
que la balustrade fasse partie de la corniche; on ne saurait la plupart du
temps l'en séparer; sa hauteur, les rapports entre ses pleins et ses vides,
ses divisions, sa décoration, doivent être combinés avec la largeur des
travées, avec la hauteur des assises et la richesse ou la sobriété des ornements
des corniches. Telle balustrade qui convient à tel édifice et qui fait
bon effet là où elle fut placée, semblerait ridicule ailleurs. Ce n'est donc
pas <i>une</i> balustrade qu'il faut voir dans un monument, c'est <i>la</i> balustrade
de ce monument; aussi ne prétendons-nous pas donner un exemple de
chacune des variétés de balustrades exécutées de 1200 à 1300, encore moins
faire supposer que telle balustrade de telle époque, appliquée à tel édifice
d'une province, peut être appliquée à tous les édifices de cette même
époque et de cette province. Nous voyons ici (fig. 10) une balustrade
exécutée de 1230 à 1240. Cette balustrade est posée sur une corniche d'un
grand édifice, où tout est conçu largement et sur une grande échelle. Aussi
ses espacements de pieds-droits sont larges, ses trilobes ouverts, pas de

[Illustration: Fig. 10.]

détails; de simples bizeaux, des formes accentuées pour obtenir des ombres
et des lumières vives et franches,
pour produire un effet net et facile
à saisir à une grande distance. Or,
voici qu'à la même époque, à cinq
ans de distance peut-être, on élève
la Sainte-Chapelle du Palais, édifice
petit, dont les détails par conséquent
sont fins, dont les travées, au lieu
d'être larges comme à la cathédrale
de Paris, sont étroites et coupées
par des gâbles pleins surmontant les
archivoltes des fenêtres. L'architecte
fera-t-il la faute de placer sur la
corniche supérieure une balustrade
lâche, qui par les grands espacements
de ses pieds-droits rétrécirait
encore à l'œil la largeur des travées,
dont on saisirait difficilement le dessin,
visible seulement entre des pinacles
et pignons rapprochés? Non
pas; il cherchera, au contraire, à
serrer l'arcature à jour de sa balustrade,
à la rendre svelte et ferme cependant
pour soutenir son couronnement;
il obtiendra des ombres fines
et multipliées par la combinaison de
ses trilobes, par des ajours délicats
percés entre eux; il fera cette balustrade haute pour relier les gâbles aux
pinacles (12), et pour empêcher que le grand comble ne paraisse écraser
la légèreté de la maçonnerie, pour établir une transition entre ce comble,
ses accessoires importants et la richesse des corniches et fenêtres; mais il
aura le soin de laisser à cette balustrade son aspect de dalle découpée, afin
qu'elle ne puisse rivaliser avec les fortes saillies, les ombres larges de ces
gâbles et pinacles. Dans le même édifice, l'architecte doit couronner un
porche couvert en terrasse par une balustrade. Prendra-t-il pour modèle
la balustrade du grand comble? Point; conservant encore le souvenir de
ces belles claires-voies du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, composées de
colonnettes portant une arcature ferme et simple comme celle que nous
avons donnée (fig. 4); comprenant que sur un édifice couvert d'une
terrasse il faut un couronnement qui ait un aspect solide, qui prenne de
la valeur autant par la combinaison des lignes et des saillies que par sa
richesse, et qu'une dalle plate percée d'ajours avec de simples bizeaux
sur les arêtes ne peut satisfaire à ce besoin de l'œil, il élèvera une balustrade
ornée de chapiteaux supportant une arcature découpée en trilobes,

[Illustration: Fig. 11.]
refouillée, dont les ombres vives viendront ajouter à l'effet de la corniche
en la complétant, à celui des pinacles en les reliant (13). Mais nous sommes
au milieu du XIII<sup>e</sup> siècle; et si la balustrade du porche de la Sainte-Chapelle
est un dernier souvenir des primitives claires-voies construites au
moyen de points d'appui isolés supportant une arcature, elle restera,
comme construction, une balustrade de son époque, c'est-à-dire que les
colonnettes reliées à leur base par une traverse, et les arcatures trilobées,
seront prises dans un même morceau de pierre évidé. La tablette d'appui
A sera seule rapportée. C'est ainsi qu'à chaque pas nous sommes arrêtés
par une transition, un progrès qu'il faut constater, et que nous devons
presque toujours rendre justice au goût sûr de ces praticiens du XIII<sup>e</sup> siècle
qui savaient si bien tempérer les lois sèches et froides du raisonnement
par l'instinct de l'artiste, par une imagination qui ne leur faillait jamais.

[Illustration: Fig. 12.]



<br><br>
<br><br>
Ligne 127 : Ligne 337 :
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Cette balustrade est rétablie aujourd'hui sur toute la longueur de la façade, et
<span id="footnote1">[[#note1|1]] : Cette balustrade est rétablie aujourd'hui sur toute la longueur de la façade, et
remplace celle qui avait été refaite au XIV<sup>e</sup> siècle et qui tombait en ruine.
remplace celle qui avait été refaite au XIV<sup>e</sup> siècle et qui tombait en ruine.

<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Cette balustrade n'appartient pas à la construction première de la nef, qui remonte à 1210 au plus tard; elle a été refaite vers 1230, lorsque après un incendie la partie supérieure de la nef fut complétement remaniée et rhabillée (voy. CATHÉDRALE).

Version du 10 septembre 2005 à 04:50

< Bain de Mortier
Index alphabétique - B
Banc >
Index par tome


BALUSTRADE

s. f. Chancel, Gariol. Le nom de balustrade est seul employé aujourd'hui pour désigner les garde-corps à hauteur d'appui, le plus souvent à jour, qui couronnent les chéneaux à la chute des combles, qui sont disposés le long de galeries ou de terrasses élevées, pour garantir des chutes. On ne trouve pas de balustrades extérieures surmontant les corniches des édifices avant la période ogivale, par la raison que jusqu'à cette époque les combles ne versaient pas leurs eaux dans des chéneaux, mais les laissaient égoutter directement sur le sol. Sans affirmer qu'il n'y ait eu des balustrades sur les monuments romans, ne connaissant aucun exemple à citer, nous nous abstiendrons. Mais il convient de diviser les balustrades en balustrades intérieures, qui sont destinées à garnir le devant des galeries, des tribunes, et en balustrades extérieures, disposées, sur les chéneaux des combles ou à l'extrémité des terrasses dallées des édifices.

Ce n'est guère que de 1220 à 1230 que l'on établit à l'extérieur des grands édifices une circulation facile, à tous les étages, au moyen de chéneaux ou de galeries, et que l'on sentit, par conséquent, la nécessité de parer au danger que présentaient ces coursières, étroites souvent, en les garnissant de balustrades; mais avant cette époque, dans les intérieurs des églises ou de grandes salles, on établissait des galeries, des tribunes, dont l'accès était public, et qu'il fallait par conséquent munir de garde-corps. Il est certain que ces garde-corps furent souvent, pendant l'époque romane, faits en bois; lorsqu'ils étaient de pierre, c'était plutôt des murs d'appui que des balustrades. La tribune du porche de l'église abbatiale de Vézelay (porche dont la construction peut être comprise entre 1150 et 1160), est munie d'un mur d'appui que nous pouvons à la rigueur classer parmi les balustrades, ce mur d'appui étant décoré de grandes dents de scie qui lui donnent l'aspect d'un couronnement plus léger que le reste de la construction (1). Les galeries intérieures des deux pignons du transept de la même église, construit pendant les dernières années du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe, possèdent de belles balustrades pleines ou bahuts décorés d'arcatures, sur lesquels sont posées les colonnettes de ce triforium. Nous donnons ici (2) la balustrade de la galerie sud, dont le dessin produit un grand effet.

[Illustration: Fig. 1.]

Mais on ne tarda pas, lorsque l'architecture prit des formes plus légères, à évider les balustrades; un reste des traditions romanes fit que l'on conserva pendant un certain temps les colonnettes avec chapiteaux dans leur composition. Les balustrades n'étaient que des arcatures à jour, construites au moyen de colonnettes ou petits piliers espacés, sur lesquels venait poser une assise évidée par des arcs en tiers-point. Les restes du triforium primitif de la nef de la cathédrale de Rouen (1220 à 1230) présentent à l'intérieur une balustrade ainsi combinée, se reliant aux colonnes portant la grande arcature formant galerie, afin d'offrir une plus grande résistance (3). On concevra facilement, en effet, qu'une claire-voie reposant sur des points d'appui aussi grêles, ne pouvait se maintenir sur une grande longueur, sans quelques renforts qui pussent lui donner de la rigidité. Mais c'est surtout à l'extérieur des monuments que les balustrades jouent un rôle important à partir du XIIIe siècle, car, ainsi que nous l'avons dit plus haut, c'est à dater du commencement de ce siècle que l'on établit des chéneaux et des galeries de circulation à tous les étages. Les balustrades exécutées pendant cette période présentent une extrême variété de formes et de constructions. La nature de la pierre influe beaucoup sur leur compsition. Là où les matériaux étaient durs et résistants, mais d'un grain fin et faciles à tailler, les balustrades sont légères et très-ajourées; là où la pierre est tendre, au contraire, les vides sont moins larges, les pleins plus

[Illustration: Fig. 2 et 3.]

épais. Leur dimension est également soumise aux dimensions des matériaux, car on renonça bientôt aux balustrades composées de plusieurs morceaux de pierre placés les uns sur les autres, comme n'offrant pas assez d'assiette, et on les évida dans une dalle posée en délit. En Normandie, en Champagne, où la pierre ne s'extrait généralement qu'en morceaux d'une petite dimension, les balustrades sont basses et n'atteignent pas la hauteur d'appui (1m,00 au moins). Dans les parties de la Bourgogne où la pierre est très-dure, difficile à tailler, et ne s'extrait pas facilement en bancs minces, les balustrades sont rares et n'apparaissent que fort tard, lorsque l'architecture imposa les formes qu'elle avait adoptées dans le domaine royal, à toutes les provinces environnantes, c'est-à-dire vers la fin du XIIIe siècle. Les bassins de la Seine et de l'Oise offraient aux constructeurs des qualités de matériaux très-propres à faire des balustrades; aussi est-ce dans ces contrées qu'on trouve des exemples variés de cette partie importante de la décoration des édifices. Comme l'usage de scier les bancs en lames minces n'était pas pratiqué au XIIIe siècle, il fallait trouver dans les carrières des bancs naturellement assez peu épais, pour permettre d'exécuter ces claires-voies légères. Le cliquart de Paris, le liais de l'Oise, certaines pierres de Tonnerre et de Vernon, qui pouvaient s'extraire en bancs de 0,15 à 0,2O centimètres d'épaisseur, se prêtaient merveilleusement à l'exécution des balustrades construites en grands morceaux de pierre posés de champ et évidés. Partout ailleurs les architectes s'ingénièrent à trouver un appareil combiné de manière à suppléer à l'insuffisance des matériaux qu'ils possédaient, et ces appareils ont eu, comme on doit le penser, une grande influence sur les formes adoptées. Il en est des balustrades comme des meneaux de fenêtres, comme de toutes les parties délicates de l'architecture ogivale des XIIIe et XIVe siècles: la nature de la pierre commande la forme jusqu'à un certain point, ou du moins la modifie. Ce n'est donc qu'avec circonspection que l'on doit étudier ces variétés, qui ne peuvent indifféremment s'appliquer aux diverses provinces dans lesquelles l'architecture ogivale s'est développée.

Dans l'Île de France, une des plus anciennes balustrades que nous connaissions est celle qui couronne la galerie des Rois de la façade occidentale de la cathédrale de Paris; elle appartient aux premières années du XIIIe siècle (1215 à 1225) comme toute la partie inférieure de cette façade (4). Avant la restauration du portail, cette balustrade n'existait plus qu'au droit des deux contreforts extrêmes, ainsi qu'on peut s'en assurer1; elle est construite en plusieurs morceaux, au moins dans la partie à jour, et se compose d'une assise portant les bases, de colonnettes posées en délit avec renfort par derrière, et d'une assise de couronnement évidée en arcatures, décorées de fleurettes en pointes de diamant. Il existe encore sur les galeries intermédiaires des tours du portail de la Calende à la cathédrale de Rouen une balustrade du commencement du XIIIe siècle, de même construite par morceaux superposés (5). Ici les colonnettes reposent directement sur le larmier de la corniche formant passage, et laissent entre elles

[Illustration: Fig. 4 et 5.]

les eaux s'écouler naturellement sans chenal. Ce n'est guère que vers 1230 que l'on établit des chéneaux conduisant les eaux dans des gargouilles; jusqu'alors les eaux s'égouttaient sur le larmier des corniches, comme à la cathédrale de Chartres à la chute des grands combles; mais ces balustrades, composées de petits piliers ou colonnettes isolées et scellées sur le larmier, conservaient difficilement leur aplomb. Les constructeurs avaient tenté quelquefois de les réunir à leur base au moyen d'une assise continue évidée par dessous pour l'écoulement des eaux, ainsi qu'on peut le voir à la base du haut chœur nord de la cathédrale de Chartres (6); mais ce moyen ne faisait que rendre le quillage plus dangereux en multipliant les lits, et ne donnait pas à ces claires-voies la rigidité nécessaire pour éviter le bouclement; on dut renoncer bientôt aux colonnettes ou petits piliers isolés réunis seulement par l'assise supérieure continue, et on se décida à prendre les balustrades dans un seul morceau de pierre; dès lors les colonnettes avec chapiteaux n'avaient pas de raison d'être, car au lieu d'une arcature construite, il s'agissait simplement de dresser des dalles percées d'ajours affectant des formes qui ne convenaient pas à des assises superposées. C'est ainsi que le sens droit, l'esprit logique qui dirigeaient les architectes de ces époques, leur commandaient de changer les formes des détails, comme de l'ensemble de leur architecture, à mesure qu'ils modifiaient les moyens de construction. Dans les balustrades construites, c'est-à-dire composées de points d'appui isolés et d'une assise de couronnement, on remarquera que la partie supérieure des balustrades est, comparativement aux points d'appuis, très volumineuse. Il était nécessaire en effet de charger beaucoup ces points d'appui isolés pour les maintenir dans leur aplomb. Quand les balustrades furent prises

[Illustration: Fig. 6.]

dans un seul morceau de pierre, au contraire, on donna de la force, du pied à leur partie inférieure, et de la légèreté à leur partie supérieure, car on n'avait plus à craindre alors les déversements causés par la multiplicité des lits horizontaux. Les balustrades des grandes galeries de la façade et du sommet des deux tours de la cathédrale de Paris sont taillées conformément à ce principe (7); leur pied s'empatte vigoureusement et prolonge le glacis du larmier de la corniche; un ajour en quatre-feuilles donne une décoration continue qui n'indique plus des points d'appuis

[Illustration: Fig. 7.]

séparés, mais qui laisse bien voir que cette décoration est découpée dans un seul morceau de pierre; un appui saillant, ménagé dans l'épaisseur de la pierre, sert de larmier et préserve la claire-voie. Aux angles, la balustrade de la grande galerie est renforcée par des parties pleines ornées de gros crochets saillants et de figures d'animaux, qui viennent rompre la monotonie de la ligne horizontale de l'appui (voy. ANIMAUX). La balustrade extérieure du triforium de la même église, plus légère parce qu'elle couronne un ouvrage de moindre importance, est encore munie de l'empattement inférieur nécessaire à la solidité. Cet empattement, pour éviter les dérangements, est posé en feuillure dans l'assise du larmier (8). Il ne faudrait pas cependant considérer les principes que nous posons ici comme absolus; si les architectes du XIIIe siècle étaient soumis aux règles de la logique, ils n'étaient pas ce que nous appelons aujourd'hui des rationalistes; le sentiment de la forme, l'à-propos avaient sur leur esprit une grande prise, et ils savaient au besoin faire plier un principe à ces lois du goût qui, ne pouvant être formulées, sont d'autant plus impérieuses qu'elles s'adressent à l'instinct et non au raisonnement. C'est surtout dans les accessoires de l'architecture commandés par un besoin et nécessaires en même temps à la décoration, que le goût doit intervenir et qu'il intervenait alors. Ainsi, en cherchant à donner à leurs balustrades prises dans des dalles découpées l'aspect d'un objet taillé dans une seule pièce, il fallait que ces parties importantes de la décoration ne vinssent pas, par leur forme, contrarier les lignes principales

[Illustration: Fig. 8.]

de l'architecture. Si les ajours obtenus au moyen de trèfles ou de quatre-feuilles juxtaposés convenaient à des balustrades continues non interrompues par des divisions verticales rapprochées, ces ajours produisaient un mauvais effet lorsqu'ils se développaient par petites travées coupées par des pinacles ou des points d'appui verticaux; alors il fallait en revenir aux divisions multipliées et dans lesquelles la ligne verticale était rappelée, surtout si les balustrades servaient de couronnement supérieur à l'architecture. D'ailleurs les divisions des ajours de balustrades par trèfles ou quatre-feuilles étaient impérieuses, ne pouvaient se rétrécir ou s'élargir à volonté; si une travée permettait de tracer cinq quatre-feuilles par exemple, une travée plus étroite ou plus large de quelques centimètres dérangeait cette combinaison, ou obligeait le traceur à laisser seulement aux extrémités de sa travée de balustrade une portion de trèfle ou de quatre-feuilles; ce qui n'était pas d'un heureux effet. Les divisions de balustrades par arcatures verticales permettaient au contraire d'avoir un nombre d'ajours complets, et il était facile alors de dissimuler les différences de largeur de travées.

Nous ferons comprendre facilement par une figure ce que nous disons ici. Soit A B (9) une travée de balustrade comprenant trois quatre-feuilles; si la travée suivante A C est un peu moins longue, il faudra que l'un des trois ajours soit en partie engagé. Mais si la travée A B (9 bis) est divisée en cinq arcatures, la travée A C pourra n'en contenir que quatre, et l'œil, retrouvant des formes complètes dans l'une comme dans l'autre, ne sera pas choqué. Les divisions verticales permettent même des différences

[Illustration: Fig. 9 et 9 bis.]




notables dans l'écartement des axes, sans que ces différences soient appréciables en exécution; leur dessin est plus facile à comprendre dans des espaces resserrés qui ne permettraient pas à des combinaisons de cercle de se développer en nombre suffisant, car il en est de l'ornementation architectonique comme des mélodies, qui, pour être comprises et produire tout leur effet, doivent être répétées. La balustrade supérieure de la nef et du chœur de Notre-Dame de Paris, exécutés vers 1230, est divisée par travées inégales de largeur, et c'est conformément à ce principe qu'elle a été tracée (10). De distance en distance, au droit des arcs-boutants et des gargouilles, un pilastre surmonté d'un gros fleuron sépare ces travées, sert en même temps de renfort à la balustrade, et maintient le déversement qui, sans cet appui, ne manquerait pas d'avoir lieu sur une aussi grande longueur2. Mais que l'on veuille bien le remarquer, si cette balustrade a quelque rapport avec celles qui, peu d'années auparavant, étaient construites par assises, on voit cependant que c'est un évidement, un ajour percé dans une dalle et non un objet construit au moyen de morceaux de pierre superposés; cela est si vrai, que l'on a cherché à éviter dans les ajours les évidements à angle droit qui peuvent provoquer les ruptures. Le pied des montants retombe sur le profil du bas, non point brusquement, mais s'y réunit par un bizeau formant un empattement destiné à donner de la force à ce pied et à faciliter la taille (11). On voit ici en A la pénétration des montants sur le profil formant traverse inférieure, et en B la naissance des trilobes sur ces montants. Si les formes sont nettement accusées, si les lignes courbes sont franchement séparées des lignes verticales, cependant, soit par instinct, soit par raison, on a cherché à éviter ici toute forme pouvant faire supposer la présence d'un lit, d'une soudure. Mais, nous le répétons, les artistes de ce temps savaient, sans renoncer aux principes basés sur la raison, faire à l'art une large part, se soumettre aux lois délicates du goût. Si nous croyons devoir nous étendre ainsi sur un détail de l'architecture ogivale qui semble très-secondaire, c'est que, par le fait, ce détail acquiert en exécution une grande importance, en tant que couronnement. L'architecture du XIIIe siècle veut que la balustrade fasse partie de la corniche; on ne saurait la plupart du temps l'en séparer; sa hauteur, les rapports entre ses pleins et ses vides, ses divisions, sa décoration, doivent être combinés avec la largeur des travées, avec la hauteur des assises et la richesse ou la sobriété des ornements des corniches. Telle balustrade qui convient à tel édifice et qui fait bon effet là où elle fut placée, semblerait ridicule ailleurs. Ce n'est donc pas une balustrade qu'il faut voir dans un monument, c'est la balustrade de ce monument; aussi ne prétendons-nous pas donner un exemple de chacune des variétés de balustrades exécutées de 1200 à 1300, encore moins faire supposer que telle balustrade de telle époque, appliquée à tel édifice d'une province, peut être appliquée à tous les édifices de cette même époque et de cette province. Nous voyons ici (fig. 10) une balustrade exécutée de 1230 à 1240. Cette balustrade est posée sur une corniche d'un grand édifice, où tout est conçu largement et sur une grande échelle. Aussi ses espacements de pieds-droits sont larges, ses trilobes ouverts, pas de

[Illustration: Fig. 10.]

détails; de simples bizeaux, des formes accentuées pour obtenir des ombres et des lumières vives et franches, pour produire un effet net et facile à saisir à une grande distance. Or, voici qu'à la même époque, à cinq ans de distance peut-être, on élève la Sainte-Chapelle du Palais, édifice petit, dont les détails par conséquent sont fins, dont les travées, au lieu d'être larges comme à la cathédrale de Paris, sont étroites et coupées par des gâbles pleins surmontant les archivoltes des fenêtres. L'architecte fera-t-il la faute de placer sur la corniche supérieure une balustrade lâche, qui par les grands espacements de ses pieds-droits rétrécirait encore à l'œil la largeur des travées, dont on saisirait difficilement le dessin, visible seulement entre des pinacles et pignons rapprochés? Non pas; il cherchera, au contraire, à serrer l'arcature à jour de sa balustrade, à la rendre svelte et ferme cependant pour soutenir son couronnement; il obtiendra des ombres fines et multipliées par la combinaison de ses trilobes, par des ajours délicats percés entre eux; il fera cette balustrade haute pour relier les gâbles aux pinacles (12), et pour empêcher que le grand comble ne paraisse écraser la légèreté de la maçonnerie, pour établir une transition entre ce comble, ses accessoires importants et la richesse des corniches et fenêtres; mais il aura le soin de laisser à cette balustrade son aspect de dalle découpée, afin qu'elle ne puisse rivaliser avec les fortes saillies, les ombres larges de ces gâbles et pinacles. Dans le même édifice, l'architecte doit couronner un porche couvert en terrasse par une balustrade. Prendra-t-il pour modèle la balustrade du grand comble? Point; conservant encore le souvenir de ces belles claires-voies du commencement du XIIIe siècle, composées de colonnettes portant une arcature ferme et simple comme celle que nous avons donnée (fig. 4); comprenant que sur un édifice couvert d'une terrasse il faut un couronnement qui ait un aspect solide, qui prenne de la valeur autant par la combinaison des lignes et des saillies que par sa richesse, et qu'une dalle plate percée d'ajours avec de simples bizeaux sur les arêtes ne peut satisfaire à ce besoin de l'œil, il élèvera une balustrade ornée de chapiteaux supportant une arcature découpée en trilobes,

[Illustration: Fig. 11.]

refouillée, dont les ombres vives viendront ajouter à l'effet de la corniche en la complétant, à celui des pinacles en les reliant (13). Mais nous sommes au milieu du XIIIe siècle; et si la balustrade du porche de la Sainte-Chapelle est un dernier souvenir des primitives claires-voies construites au moyen de points d'appui isolés supportant une arcature, elle restera, comme construction, une balustrade de son époque, c'est-à-dire que les colonnettes reliées à leur base par une traverse, et les arcatures trilobées, seront prises dans un même morceau de pierre évidé. La tablette d'appui A sera seule rapportée. C'est ainsi qu'à chaque pas nous sommes arrêtés par une transition, un progrès qu'il faut constater, et que nous devons presque toujours rendre justice au goût sûr de ces praticiens du XIIIe siècle qui savaient si bien tempérer les lois sèches et froides du raisonnement par l'instinct de l'artiste, par une imagination qui ne leur faillait jamais.

[Illustration: Fig. 12.]





1 : Cette balustrade est rétablie aujourd'hui sur toute la longueur de la façade, et remplace celle qui avait été refaite au XIVe siècle et qui tombait en ruine.

2 : Cette balustrade n'appartient pas à la construction première de la nef, qui remonte à 1210 au plus tard; elle a été refaite vers 1230, lorsque après un incendie la partie supérieure de la nef fut complétement remaniée et rhabillée (voy. CATHÉDRALE).