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Spéculations/Plaisir permis

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SpéculationsFasquelle éd. (p. 272-275).

PLAISIR PERMIS

La plus grande escroquerie du siècle n’est point celle qu’on pense.

Elle s’affirme même antérieure à ce siècle, lequel est d’ailleurs en assez bas âge : trois ans à peine, cela paraît bien une longévité peu avancée pour un siècle, mais il y a un commencement à tout.

Le dix-neuvième siècle, à deux ans, était nubile et même père — de Victor Hugo.

La plus grande escroquerie donc, n’est point tant l’affaire Humbert que, si nous pouvons nous exprimer ainsi, l’affaire Hubert.

Disons : Saint-Hubert pour être plus clair. Des gens fort respectables s’obstinent bien encore, et malgré tout à prononcer : Sainte-Thérèse.

L’essentiel est qu’il soit entendu que « tout ça, ce sont des histoires de chasse ».

L’État, par une manœuvre qu’il est difficile de ne point qualifier de frauduleuse, vend à d’honnêtes contribuables le droit d’occire diverses bestioles connues sous le nom de gibier, alors que l’existence desdites bestioles est, le plus souvent, imaginaire.



Il est, en effet, sans exemple que le chasseur qui arpente la petite ou la grande banlieue fasse tomber sous ses coups aucun animal sauvage.

Quant aux animaux domestiques, vaches, veaux, canards et dindons, des prohibitions sévères lui interdisent de les attaquer.

Il arrive même que la présence de ceux-ci fasse totalement défaut. Aussi le chasseur avisé, désireux d’égayer par la présence d’un être animé sa morne solitude, se fait-il quelquefois accompagner d’un chien.

Il est bon de ne traiter ce fidèle animal comme gibier qu’à la dernière extrémité. Un tel coup n’est jugé honorable que si la bête est reconnue enragée.

Les Chinois mangent, comme on sait, le chien domestique ; le chien est l’un des rares animaux qui, atteints d’hydrophobie — exemple, la vache — ne soient pas comestibles.



Étant donné qu’il est absolument impossible d’endommager une créature quelconque à la chasse, l’État peut, sans se brouiller avec la Société protectrice des animaux, « permettre » ce sport.

Aussi l’usage s’établit-il de désigner le permis de chasse sous le nom de port d’armes.

Car le chasseur transporte une arme en divers lieux champêtres, et c’est tout.



Il la transporte à pied ou, plus volontiers, en chemin de fer.

Pour éviter des vexations de la part des employés des Compagnies, lesquels ont le droit de s’assurer que le fusil n’est point chargé, le chasseur préfère généralement dissimuler l’arme dans un étui, après l’avoir morcelée en divers fragments.



Une mesure que commencent à prendre les bons armuriers est de vendre des cartouches sans plomb.

Personne ne faisant plus ses cartouches soi-même, la substitution passe inaperçue.

Elle procure, du reste, deux avantages considérables : légèreté pour le porteur d’armes et sécurité pour les voisins.



Le plomb dans le gibier servi sur table est un condiment qui peut être ajouté après la cuisson.



La suppression du plomb, après celle de la fumée, est à l’étude dans les armes de guerre.



Il est dit de la chasse qu’on l’ouvre et qu’on la ferme ; mais les seuls endroits où il reste du gibier sont soigneusement fermés, toujours, au simple contribuable : nous entendons les chasses présidentielles et le jardin des Plantes.