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PAGANISME

L’agneau libre, paissant sur les roches salines,
Les lignes du rivage, et celles des collines
Ont la forme sacrée et nette de l’esprit ;
Du pays où Daphnis près de Chloé sourit.
J’ai pour sœur de mon sang et de mon rêve étrange
Une fille qui danse en tenant une orange,
Un genou replié, l’autre éployant dans l’air,
Les flots harmonieux d’un voile de lin clair !
— Douce Aphrodite d’or, force, ardeur infinie,
Musique, enchantement du ciel de l’Ionie,
Le jour où je viendrai sur le sol radieux
Qui vit naître, combattre et triompher mes dieux,
Quand je viendrai, portant le lierre et les verveines,
Me pardonnerez-vous d’avoir eu dans les veines,
D’avoir eu dans mes yeux, — ô Déesse au front pur
Qui m’aviez fait un don de miel, d’air et d’azur,
Ce goût voluptueux, pesant, courbé, mystique,
Du saule élégiaque et du buis romantique ?
Me pardonnerez-vous d’avoir quelquefois dit :
« Je choisis le barbare et brumeux paradis, »
D’avoir aimé l’éclat des bûches dans la cendre,
Le carillon tintant d’une ville de Flandre,
Les canaux d’Amsterdam, Rembrandt, ses Échevins,
Enfin ce qui n’est pas vos bras blancs et divins ?
D’avoir joui d’un frais coteau des bords de l’Oise,
Moi dont le sang reflète une rose crétoise,
D’avoir béni l’odeur d’un fruitier automnal,
D’avoir, dans quelque soir penchant de Port-Royal,
Respiré, le cœur plein d’un vin puissant et triste,