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Version du 22 juillet 2009 à 08:00

Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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SCÈNE IV.


TIRCIS, CLORIS.



TIRCIS.


Ma sœur, un mot d’avis sur un méchant sonnet
Que je viens de brouiller dedans mon cabinet.


CLORIS.


C’est à quelque beauté que ta muse l’adresse ?


TIRCIS.


En faveur d’un ami je flatte sa maîtresse.
Vois si tu le connois, et si, parlant pour lui,
J’ai su m’accommoder aux passions d’autrui.


SONNET.


Après l’œil de Mélite il n’est rien d’admirable…


CLORIS.


Ah ! frère, il n’en faut plus.


TIRCIS.


Ah ! frère, il n’en faut plus._Tu n’es pas supportable
De me rompre sitôt.


CLORIS.


De me rompre sitôt._C’étoit sans y penser ;
Achève.


TIRCIS.


Achève_Tais-toi donc, je vais recommencer.


SONNET118.


Après l’œil de Mélite il n’est rien d’admirable ;
Il n’est rien de solide après ma loyauté.
Mon feu, comme son teint, se rend incomparable,
Et je suis en amour ce qu’elle est en beauté.


Quoi que puisse à mes sens offrir la nouveauté,
Mon cœur à tous ses traits demeure invulnérable,
Et bien qu’elle ait au sien la même cruauté.
Ma foi pour ses rigueurs n’en est pas moins durable.


C’est donc avec raison que mon extrême ardeur
Trouve chez cette belle une extrême froideur,
Et que sans être aimé je brûle pour Mélite ;


Car de ce que les Dieux, nous envoyant au jour,
Donnèrent pour nous deux d’amour et de mérite,
Elle a tout le mérite, et moi j’ai tout l’amour.


CLORIS.


Tu l’as fait pour Éraste ?


TIRCIS.


Tu l’as fait pour Éraste ?_Oui, j’ai dépeint sa flamme,


CLORIS.


Comme tu la ressens peut-être dans ton âme ?


TIRCIS.


Tu sais mieux qui je suis, et que ma libre humeur
N’a de part en mes vers que celle de rimeur.


CLORIS.


Pauvre frère, vois-tu, ton silence t’abuse ;
De la langue ou des yeux, n’importe qui t’accuse 119 :
Les tiens m’avoient bien dit malgré toi que ton cœur
Soupiroit sous les lois de quelque objet vainqueur ;
Mais j’ignorois encor qui tenoit ta franchise 120,
Et le nom de Mélite a causé ma surprise,
Sitôt qu’au premier vers ton sonnet m’a fait voir
Ce que depuis huit jours je brûlois de savoir.


TIRCIS.


Tu crois donc que j’en tiens ?


CLORIS.


Tu crois donc que j’en tiens ?_Fort avant.


TIRCIS.


Tu crois donc que j’en tiens ? Fort avant._Pour Mélite ?


CLORIS.


Pour Mélite, et de plus que ta flamme n’excite
Au cœur de cette belle aucun embrasement 121.


TIRCIS.


Qui t’en a tant appris ? mon sonnet ?


CLORIS.


Qui t’en a tant appris ? mon sonnet ?_Justement.


TIRCIS.


Et c’est ce qui te trompe avec tes conjectures,
Et par où ta finesse a mal pris ses mesures.
Un visage jamais ne m’auroit arrêté,
S’il falloit que l’amour fût tout de mon côté.
Ma rime seulement est un portrait fidèle
De ce qu’Éraste souffre en servant cette belle ;
Mais quand je l’entretiens de mon affection,
J’en ai toujours assez de satisfaction.


CLORIS.


Montre, si tu dis vrai, quelque peu plus de joie,
Et rends-toi moins rêveur, afin que je te croie.


TIRCIS.


Je rêve, et mon esprit ne s’en peut exempter ;
Car sitôt que je viens à me représenter
Qu’une vieille amitié de mon amour s’irrite,
Qu’Éraste s’en offense et s’oppose à Mélite 122,
Tantôt je suis ami, tantôt je suis rival,
Et toujours balancé d’un contre-poids égal,
J’ai honte de me voir insensible ou perfide :
Si l’amour m’enhardit, l’amitié m’intimide.
Entre ces mouvements mon esprit partagé
Ne sait duquel des deux il doit prendre congé.


CLORIS.


Voilà bien des détours pour dire, au bout du conte,
Que c’est contre ton gré que l’amour te surmonte.
Tu présumes par là me le persuader ;
Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en donne à garder 123.
À la mode du temps, quand nous servons quelque autre,
C’est seulement alors qu’il n’y va rien du nôtre 124.
Chacun en son affaire est son meilleur ami 125,
Et tout autre intérêt ne touche qu’à demi.


TIRCIS.


Que du foudre à tes yeux j’éprouve la furie,
Si rien que ce rival cause ma rêverie !


CLORIS.


C’est donc assurément son bien qui t’est suspect :
Son bien te fait rêver, et non pas son respect,
Et toute amitié bas, tu crains que sa richesse
En dépit de tes feux n’obtienne ta maîtresse 126.


TIRCIS.


Tu devines, ma sœur : cela me fait mourir.


CLORIS.


Ce sont vaines frayeurs dont je veux te guérir 127.
Depuis quand ton Éraste en tient-il pour Mélite ?


TIRCIS.


Il rend depuis deux ans hommage à son mérite.


CLORIS.


Mais dit-il les grands mots ? parle-t-il d’épouser ?


TIRCIS.


Presque à chaque moment.


CLORIS.


Presque à chaque moment._Laisse-le donc jaser.
Ce malheureux amant ne vaut pas qu’on le craigne ;
Quelque riche qu’il soit, Mélite le dédaigne :
Puisqu’on voit sans effet deux ans d’affection,
Tu ne dois plus douter de son aversion ;
Le temps ne la rendra que plus grande et plus forte.
On prend soudain au mot les hommes de sa sorte 128,
Et sans rien hasarder à la moindre longueur,
On leur donne la main dès qu’ils offrent le cœur.


TIRCIS.


Sa mère peut agir de puissance absolue.


CLORIS.


Crois que déjà l’affaire en seroit résolue,
Et qu’il auroit déjà de quoi se contenter,
Si sa mère étoit femme à la violenter.


TIRCIS.


Ma crainte diminue et ma douleur s’apaise 129 ;
Mais si je t’abandonne, excuse mon trop d’aise.
Avec cette lumière et ma dextérité,
J’en veux aller savoir toute la vérité.
Adieu.


CLORIS.


Adieu._Moi, je m’en vais paisiblement attendre 130
Le retour désiré du paresseux Philandre.
Un moment de froideur lui fera souvenir 131
Qu’il faut une autre fois tarder moins à venir.


Scène III

Acte II, scène IV

Scène V


118. Ce sonnet, composé, d’après Thomas Corneille, avant la comédie elle-même (voyez ci-dessus, p. 126), a été imprimé pour la première fois en 1682, à la page 167 des Meslanges poétiques qui suivent Clitandre. Ce texte primitif ne présente qu’une variante sans importance ; le vers 487 commence ainsi :
Et quoiqu’elle ait, etc.

119. Var. De la langue, des yeux, n’importe qui t’accuse. (1657 et 60)

120. C’est-à-dire qui t’avait captivé. Franchise, dans le sens de liberté. Voyez le Lexique.

121. Var. Dedans cette maîtresse aucun embrasement. (1633-60)

122. Var. Qu’Éraste m’en retire et s’oppose à Mélite. (1633)

123. Var. Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en baille à garder. (1633-57)

124. Var. C’est seulement alors qu’il n’y a rien du nôtre o (1657-63)

125. Var. Un chacun à soi-même est son meilleur ami. (1633-57)

126. Var. En dépit de tes feux n’emporte ta maîtresse. (1633)

127. Var. Vaine frayeur pourtant dont je veux te guérir.
tirs. M’en guérir ! clor. Laisse faire : Éraste sert Mélite,
Non pas ? mais depuis quand p ? tirs. Depuis qu’il la visite
Deux ans se sont passés. clor. Mais dedans ses discours
Parle-t-il d’épouser ? tirs. Oui, presque tous les jours.
clor. Donc, sans l’appréhender, poursuis ton q entreprise :
Avecque tout son bien Mélite le méprise.
[Puisqu’on voit sans effet deux ans d’affection]. (1633-57)
Var. Ce sont vaines frayeurs dont je te veux guérir. (1660)

128. Var. On prend au premier bond les hommes de sa sorte r,
De crainte qu’à la longue ils n’éteignent leur feu s.
tirs. Mais il faut redouter une mère. clor. Aussi peu.
tirs. Sa puissance pourtant sur elle est absolue.
clor. Oui, mais déjà l’affaire en seroit résolue,
Et ton rival auroit de quoi se contenter. (1633-57)

129. Var. Pour de si bons avis il faut que je te baise. (1633)

130. Var. Adieu._Moi, je m’en vais dans le logis attendre. (1633-57)

131. Var. Un baiser refusé lui fera souvenir. (1633-48)
Var. Un moment de froideur le fera souvenir. (1633 et 64)


o. Au sujet de cette leçon, qui figure, comme on le voit, dans plusieurs éditions, on lit dans les Fautes notables survenues pendant l’impression (édit de 1663, tome I, p. ix) : « Qu’il n’y a rien, » lisez : « qu’il n’y va rien. »

p. Mais sais-tu depuis quand ? (1654)

q. Son pour ton, dans l’édition de 1657, est évidemment une faute.

r. On prend au premier bond les hommes de la sorte. (1652-57)
On prend soudain au mot les hommes de la sorte. (1660)

s. De peur qu’avec le temps ils n’éteignent leur feu. (1644-57)