« Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 2/Chapitre IX/Section I/Paragraphe 2 » : différence entre les versions

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§. II. Des propylées[1]du temple de Medynet-abou.

Pour procéder avec ordre dans la description des monumens que nous avons à examiner, nous commencerons par ceux qui se présentent les premiers aux voyageurs lorsqu’ils arrivent à Medynet-abou en traversant la plaine de Thèbes. On pénètre d’abord dans un espace rectangulaire, fermé, sur trois de ses côtés, par des murs dont les paremens extérieurs sont construits en talus. Ils sont couronnés d’une corniche au-dessous de laquelle on remarque un cordon qui court dans toute l’étendue du mur d’enceinte et le longe de ses angles. Le premier mur fait face au Nil ; il est percé d’une porte dont l’ouverture a cinq mètres[2] de largeur, et dont les montans, plus élevés que l’enceinte, sont en saillie de part et d’autre. L’espace rectangulaire est fermé dans le fond par une construction qui n’a point été achevée : elle consiste en une rangée de huit colonnes placées en avant d’un pylône dont la longueur est égale à la largeur de l’enceinte. Ces colonnes sont engagées, jusqu’à près de moitié de leur hauteur, dans des murs dont l’épaisseur est égale au diamètre même des colonnes, et qui laissent entre eux un petit intervalle où se montre une partie du fût. Tous les entre-colonnemens sont égaux, à l’exception de celui du milieu qui est double des autres. Deux de ces colonnes seulement sont entières et couronnées de leurs chapiteaux : ce sont celles qui forment l’entre-colonnement du milieu. Leur fût est aussi engagé, partie dans les murs d’entre-colonnement, et partie dans les deux montans d’une porte : il est tout-à-fait lisse. Mais il n’en est pas ainsi des chapiteaux, qui, outre les différentes plantes indigènes dont ils sont ornés, offrent encore les couleurs vives et brillantes dont la sculpture a été peinte. Les autres colonnes ne sont point terminées ; il en est de même des murs d’entre-colonnement où elles sont engagées, et au-dessus desquels elles ne s’élèvent même pas. Leur état d’imperfection nous a offert l’occasion de confirmer les remarques que l’on a déjà faites ailleurs sur la manière dont les artistes égyptiens préparaient leurs sculptures. En effet, la masse de ces murs a été seulement dégrossie : on y a exécuté les corniches et fouillé la partie dans laquelle devaient être sculptés les serpens dont elles sont ordinairement surmontées. Les cordons mêmes qui encadrent les sculptures, ont été seulement équarris par les ouvriers les moins habiles, en attendant que des mains plus exercées vinssent les arrondir et les orner. Deux portes pratiquées dans les faces latérales du mur d’enceinte ont leurs montans appuyés contre les colonnes extrêmes : elles ont intérieurement et extérieurement leurs cordons et leurs corniches.

Tout contre les angles extérieurs du pylône, s’élèvent deux colonnes de même diamètre que celles dont nous venons de parler. Elles sont engagées dans les montans des deux portes latérales de la galerie formée par les colonnes.

Toutes ces constructions, qui ne sont point terminées, paraissent être d’une époque postérieure à celle des autres monumens de Medynet-abou. Leur situation hors de l’enceinte générale conduit naturellement à le penser : mais, d’ailleurs, leur disposition et leur ajustement s’écartent un peu du style des monumens de la haute antiquité ; elles nous offrent le seul exemple de colonnes si bizarrement et si déraisonnablement ajustées aux angles d’un pylône.

La galerie formée en avant du pylône était-elle destinée à être couverte, ou bien les colonnes devaient-elles rester isolées ? C’est ce qu’il est difficile de déterminer. Dans le premier cas, des dés assez élevés auraient été posés sur les colonnes, pour que l’architrave qu’elles auraient portée pût recevoir l’une des extrémités des pierres du plafond, l’autre extrémité reposant sur la corniche du pylône. Dans le second cas, les colonnes auraient été surmontées de dés peu élevés qui auraient porté quelque objet du culte égyptien. Il serait possible encore, et c’est ce qui nous paraît le plus probable et le plus conforme au style des monumens de l’ancienne Égypte, que ces colonnes n’eussent point dû recevoir de plafond, mais qu’elles fussent simplement destinées à porter sur leurs dés une architrave et une corniche, comme il arrive à l’enceinte découverte du temple d’Hermonthis[3] et à l’édifice de l’est de Philæ.

La porte de l’entre-colonnement du milieu est maintenant obstruée par de grosses pierres : les montans eux-mêmes, en partie renversés, ferment le passage. Tous ces matériaux étaient destinés à être mis en œuvre, ou peut-être même, ayant déjà été employés, ils ont été renversés de leur place primitive. En effet, au milieu de ces pierres, on en découvre qui ont reçu des formes et qui sont chargées de sculptures[4]. Quelques-unes paraissent avoir servi d’entablement[5] : on y reconnaît l’architrave, le cordon et une partie de la corniche. Peut-être était-ce le couronnement de l’entre-colonnement du milieu de la galerie. La corniche et le cordon sont parfaitement dans le style égyptien ; mais il n’en est pas ainsi des sculptures qui décorent l’architrave ; on y remarque des médaillons renfermant une figure qui sort tout-à-fait de ce style, bien qu’elle conserve quelques attributs des divinités égyptiennes. C’est ainsi qu’on lui voit une barbe qui a beaucoup d’analogie avec celle de Typhon ; et l’espèce de bonnet dont elle est coiffée, nous paraît aussi tout-à-fait calquée sur les coiffures des dieux de l’ancienne Égypte. C’est sans doute une figure de Bacchus. Dans les intervalles qui séparent les médaillons, sont des branches de vigne chargées de feuilles et de fruits. D’autres pierres[6], qui nous ont paru être des restes d’architraves, offrent des sculptures représentant des plantes indigènes : elles sont séparées par des médaillons où sont figurées deux divinités du même style que celles dont nous venons de parler. Au croissant qui surmonte la tête de l’une d’elles, on est porté à reconnaître une Diane. Sa coiffure a quelque analogie avec celle des divinités égyptiennes. L’autre figure ne diffère de la première que par les plumes qui surmontent son bonnet. Dans l’intervalle qui sépare les médaillons, on a sculpté, à droite, des fleurs et des boutons de lotus, et à gauche, de grandes fleurs de lotus d’où sortent des boutons et des fruits de cette plante. Il est difficile de ne point reconnaître, dans ces sculptures, l’ouvrage des peuples qui se sont rendus maîtres de l’Égypte, lorsque ce pays, déchu de son ancienne splendeur, et son gouvernement, sans force et sans énergie, passèrent dans des mains étrangères. Il nous paraît très-vraisemblable qu’elles ont été destinées à décorer et à terminer la galerie dont nous avons parlé, et qui pourrait bien n’avoir point été entreprise elle-même dans le beau temps de l’architecture égyptienne.

Le pylône qui forme le mur de fond de la galerie, a trente-sept mètres[7] de longueur ; la porte qui y est pratiquée, s’élève presque à la même hauteur que le reste de l’édifice. Son entablement est d’une proposition massive ; la corniche est décorée de cannelures et d’un globe ailé, accompagné d’ubœus, et brille encore des plus vives couleurs. Le linteau et les montans de la porte sont décorés de sculptures peintes, consistant en tableaux composés de deux figures. Ils représentent des offrandes faites par des prêtres à des divinites égyptiennes, et encadrées par des légendes hiéroglyphiques. Le plan de la porte du pylône ressemble à celui de toutes les portes égyptiennes ; il est divisé en trois parties. Les paremens sont lisses et dépourvus d’hiéroglyphes ; c’est dans la partie intermédiaire que jouaient les battans de la porte qui fermait l’entrée. Le pylône à l’extérieur et sur les côtés est entièrement achevé ; mais il n’en est pas ainsi du parement opposé, qui n’existe que sur la largeur des montans de la porte et sur une portion peu considérable de l’épaisseur des murs en retour du pylône. Cette circonstance nous a mis à portée de constater que cet édifice a été bâti avec des débris d’autres monumens égyptiens. On y voit en effet quelques pierres chargées d’hiéroglyphes, qu’on a eu l’attention de poser un peu en saillie, et dont tous les contours sont fouillés dans l’intention d’indiquer à l’ouvrier ce qu’il devait enlever pour former un parement nouveau, destiné probablement à recevoir d’autres emblèmes hiéroglyphiques. L’enfoncement formé par les murs en retour et par la porte du pylône, loin d’offrir des surfaces bien exécutées, ne présente, au contraire, que des pierres alternativement en retraite et en saillie les unes sur les autres, et taillées sans art ; ce qui doit faire présumer que le pylône ne devait pas rester en cet état. L’analogie porte à croire que, si l’édifice eût été achevé, l’enfoncement dont nous venons de parler, aurait été rempli par des chambres et des escaliers, tels qu’on en voit dans les autres pylônes. Un fait digne de remarque, et que nous n’avons observé nulle part ailleurs, c’est qu’on a employé en même temps, dans la construction, des matériaux de pierre calcaire et de grès[8].

Toutes les constructions que nous venons de décrire nous paraissent avoir été faites après coup, pour servir, en quelque sorte, de propylées au petit temple qui suit immédiatement. Leur état d’imperfection, et la couleur plus blanche et plus vive de la pierre qui y est employée, sont des motifs de les croire plus récentes.

En sortant de dessous le pylône, on aperçoit en face, à la distance de quinze mètres[9], un autre édifice semblable, beaucoup moins long et beaucoup moins élevé ; sa porte est ornée d’hiéroglyphes et de figures symboliques. Près de l’architrave, sur les deux montans, on a sculpté en relief, dans le creux, deux sphinx à corps de lion et à tête de femme : ils tiennent, entre leurs pattes de devant, un vase dont le couvercle est une tête de belier surmontée d’un ubœus ; ils sont coiffés d’une mitre, au-dessous de laquelle est suspendu un autre ubœus. La frise qui décore l’architrave est composée de deux tableaux séparés par des lignes d’hiéroglyphes contiguës, de chaque côté desquels on voit, à droite et à gauche, des figures d’Harpocrate ; elles ont les jambes collées l’une contre l’autre, et sont tout enveloppées dans une robe, d’où sortent seulement les mains, qui tiennent une espèce de crosse, un fléau et une croix à anse : elle ont sur la tête un disque supporté par un croissant. Ensuite viennent des figures de femmes, vêtues d’un habit long, qui tiennent dans une main un sceptre terminé par une fleur de lotus, et dans l’autre une croix à anse ; elles ont des bonnets surmontés de mitres. Aux deux extrémités de la frise, on voit, de chaque côté, une figure assise, coiffée d’un bonnet formé de sortes de lames arrondies ; elle présente la croix à anse au-devant de la bouche d’un autre personnage, dont la tête est nue, et dont les bras sont pendans.

L’intervalle qui sépare les deux pylônes est rempli, vers le nord-est, de débris de maisons en briques crues. À la grande quantité de croix et d’emblèmes de la religion chrétienne que l’on a substitués dans beaucoup d’endroits aux hiéroglyphes, on doit croire que les derniers habitans de ces lieux ont été des chrétiens, et qu’ils ne sont point étrangers aux dévastations que l’on y a commises.

En passant sous la porte du second pylône, on pénètre dans une cour, dont les murs de clôture subsistent en entier. Ils ont été élevés postérieurement au pylône, vers lequel ils aboutissent à angle droit, puisqu’ils cachent des bas-reliefs qui y sont sculptés. Le sujet de ces sculptures, que l’on retrouve presque toujours sur les édifices de ce genre, est un sacrificateur tenant par les cheveux un groupe de figure agenouillées, qu’il est prêt à frapper d’une massue dont sa main droite est armée. D’ailleurs, les paremens extérieurs de l’enceinte ne sont pas décorés. Vers le milieu du mur de clôture, au nord-est, on voit de grosses masses de granit rouge, dont il paraît qu’on voulait faire des chambranles de porte : elles faisaient partie d’autres monumens ; ce dont on ne peut douter, en reconnaissant qu’on a effacé d’anciens hiéroglyphes, pour leur en substituer de nouveaux. L’un et l’autre murs d’enceinte latérale sont percés d’une porte : celle du sud-ouest correspond à une autre plus colossale, qui paraît avoir été construite pour servir de communication entre les édifices dont il est ici question, et le pavillon à deux étages, que nous décrirons bientôt. Une grosse pierre qui couronne cette construction, en grande partie enfouie, est décorée d’un disque ailé, avec des serpens de chaque côté, ornement toujours employé au-dessus des portes.

  1. Nous avons adopté la dénomination de propylées pour désigner l’ensemble des cours et des pylônes qui précèdent les édifices égyptiens. Elle a été employée par les Grecs et les Romains, soit dans les descriptions des monumens égyptiens qu’ils nous ont transmises, soit dans les inscriptions qu’ils ont gravées sur les édifices eux-mêmes. On peut consulter, pour de plus amples détails, la Description de Karnak, section viii de ce chapitre.
  2. Quinze pieds quatre pouces.
  3. Voyez pl. 26 et 94, A., vol. i.
  4. Voyez pl. 9, fig. 3 et 4, A., vol. ii.
  5. Voyez pl. 9, fig 4, A., vol. ii.
  6. Voyez pl. 9, fig. 3, A., vol. ii.
  7. Cent treize pieds dix pouces
  8. Nous devons cette observation à notre collègue M. Coutelle, qui a examiné avec un soin particulier la construction des anciens édifices de Thèbes. Nous croyons devoir prévenir ici les lecteurs que, toutes les fois que, dans la suite du discours, nous n’indiquerons point la nature des matériaux employés dans la construction des monumens que nous décrirons, il devra être entendu que ces matériaux sont de grès. Nous aurons toujours soin d’indiquer spécialement la pierre calcaire et le granit, qui sont d’un emploi moins fréquent.
  9. Quarante-six pieds environ.