« Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 2/Chapitre IX/Section I/Paragraphe 4 » : différence entre les versions

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Version du 6 avril 2021 à 17:46

des édifices pompeux de Medynet-abou, avec lesquels il se lie parfaitement, pour être le séjour habituel d’un souverain. Un examen plus approfondi de ce monument confirme entièrement cette opinion, comme on va le voir.

Un mur qui se trouve dans le prolongement de la face extérieure du premier pylône des propylées, est situé en avant du pavillon. Il est tout-à-fait enfoui, et l’on n’aperçoit au-dessus des décombres que les espèces de créneaux dont il est couronné ; c’est la suite de l’enceinte en grès dont nous avons déjà parlé. Ce mur était sans doute percé d’une porte qui formait la première entrée du pavillon. Une seconde entrée se compose de deux tours rectangulaires, qui s’élèvent pyramidalement, et qui sont en saillie sur le pavillon proprement dit. Peut-être ces deux massifs étaient-ils réunis par une porte maintenant cachée sous les décombres, et formaient-ils un pylône. Le soubassement de ces tours est indiqué par un listel saillant sur le nu du mur. Au-dessus, on remarque, de part et d’autre, deux de ces tableaux qui se voient à toutes les entrées des édifices égyptiens. Le sujet représenté sur le massif de droite est la punition de quatre captifs, qu’à leur longue barbe on reconnaît pour des étrangers ; le personnage qui se dispose à les exterminer, les saisit de la main droite par les bras, et va les frapper avec une massue qu’il tient dans la main gauche. Le faucon qui plane au-dessus de sa tête, indique sans doute un héros égyptien. Cette scène se passe devant un personnage élevé sur une estrade, qui paraît encourager à consommer l’acte de vengeance. Le sujet sculpté sur l’autre massif est absolument le même, si ce n’est que les hommes menacés sont saisis par les cheveux, et que leurs costumes et leurs figures annoncent des Égyptiens. Ces deux tableaux, purement allégoriques, signifient sans doute que le souverain savait également se venger de ses ennemis et punir les sujets rebelles aux lois. Des hiéroglyphes qui sont placés au-dessus de ces tableaux et qui n’ont point été copiés, indiquaient certainement le sujet de ces bas-reliefs. On doit faire remarquer ici que les sculptures ont une très-forte saillie ; ce qui se rencontre rarement dans les monumens de l’ancienne Égypte.

Si l’on pénètre dans l’espace renfermé entre les deux tours pyramidales, on remarque des espèces de fenêtres dont les baies ne sont que figurées ; les dalles d’appui sont portées par des consoles composées de quatre figures d’hommes, dont on ne voit que la moitié du corps : ces figures sont étendues sur le ventre ; et avec leurs mains, péniblement appuyées sur une dalle inférieure, elles paraissent faire de violens efforts pour soulever le poids dont elles sont accablées. On n’aperçoit qu’un seul bras de chacune des deux figures extrêmes. Ces statues ont la poitrine revêtue de cottes d’armes ; ce qui doit faire présumer que ce sont des captifs qu’on a voulu représenter dans cette position humiliante. Les têtes, et ce qui paraît de la poitrine et des bras, sont peints, par bandes, de couleurs variées, parmi lesquelles on distingue le rouge, le bleu, le blanc et le vert. En examinant avec soin les appuis de ces sortes de croisées, on incline à croire qu’ils portaient quelques sujets en bronze. En effet, une cavité que l’on y voit, et des rainures verticales pratiquées dans les montans des fenêtres, ont certainement servi à fixer par des scellemens l’espèce d’ornement ou de trophée qui a été enlevé. Nous ne quitterons point ce sujet sans faire remarquer que les figures de captifs qui forment les consoles, peuvent bien avoir suggéré aux Grecs l’idée de leurs cariatides : ainsi nous sommes naturellement conduits à ranger au nombre des emprunts faits à l’Égypte, la pensée qu’ils ont rendue avec tant d’élégance, de faire porter des membres d’architecture par des figures d’ennemis vaincus.

En pénétrant plus avant dans l’espace qui s’ouvre entre les deux tours pyramidales, on remarque un enfoncement carré, dont la forme semble annoncer qu’il était destiné à recevoir des battans de porte. Dans la partie la plus élevée du parement sont deux fenêtres d’à peu près un mètre et demi[1] de hauteur, et d’un mètre[2] de largeur ; elles se répètent symétriquement à l’extérieur, et elles éclairent toutes quatre un espace très-étroit, qui est plutôt un conduit ménagé dans l’épaisseur du mur, qu’une pièce destinée à être habitée. C’est là qu’on retrouverait infailliblement, si l’on y faisait des fouilles, les escaliers qui conduisaient aux différens étages du pavillon carré dont nous allons bientôt nous occuper. Au-dessous de ces deux fenêtres, sur les murs extérieurs seulement, on en voit de chaque côté[3] une autre de deux mètres et demi de large, et de quatre mètres de hauteur ; elles éclairent, à un étage inférieur, le même conduit dont nous avons parlé.

Après l’enfoncement, deux murs latéraux s’élèvent verticalement de part et d’autre ; ils sont ornés de deux dalles d’appui portées par des captifs et en tout semblables à celles que nous avons décrites. Comme on voit tout à côté trois petites fenêtres carrées, qui donnent du jour dans l’intérieur des constructions, cela confirme encore plus dans l’opinion que ces fausses fenêtres à consoles n’ont jamais dû être ouvertes, mais qu’elles recevaient des ornemens et des trophées, dont la base reposait sur les dalles d’appui.

Les paremens des murs sont ornés de sculptures qui n’ont point été terminées ; on y remarque çà et là des lignes de grands hiéroglyphes et des commencemens de frise. Une figure de jeune homme avec des ailes, et dans l’attitude de l’adoration, attire surtout les regards ; elle est agenouillée devant deux légendes hiéroglyphiques. Au-devant d’elle est une grande étoile : on en voit une autre parmi les hiéroglyphes qui sont au-dessus de ses mains. Il n’y a rien de plus gracieux et de plus naïf que la pose de cette figure ; et sans la violation des règles de la perspective, on n’y trouverait rien à redire : c’est le motif de ces beaux archanges qui se voient dans les tableaux des grands peintres de l’école italienne.

Dans la partie inférieure du mur, est une rangée d’ubœus dont les têtes sont surmontées de disques ; elle est placée au-dessus d’une corniche peu saillante.

La distribution irrégulière des fenêtres mérite d’être remarquée ; elle ne peut être justifiée que par la nécessité où l’on s’est trouvé d’éclairer convenablement les couloirs très-étroits qui renfermaient les escaliers. Toutes ces ouvertures étaient probablement fermées autrefois par des claires-voies en pierre.

Les deux corps de bâtimens symétriques que nous venons de décrire, communiquent à un pavillon carré forme de plusieurs étages ; on entrait au rez-de-chaussée par une porte qui était pratiquée dans le mur de face, et qui est maintenant enfouie jusqu’au linteau. Au-dessus sont deux fenêtres plus larges que hautes, dans l’intervalle desquelles on a sculpté un globe ailé ; elles éclairent deux salles qui sont situées l’une au-dessus de l’autre, et qui ont cinq mètres de hauteur. Ces salles reçoivent encore de la lumière de baies pareilles, pratiquées dans la face opposée, et de fenêtres ouvertes dans les murs latéraux ; celles-ci sont moins considérables que les premières, et l’une d’elles[4] est remarquable par son encadrement d’hiéroglyphes et de globes ailés. Au-dessus de la corniche est une frise composée de deux éperviers et de deux légendes hiéroglyphiques, sur lesquels un globe lance des rayons de lumière.

La pièce du premier étage a été très-endommagée : elle n’a plus de plafond ; mais on retrouve encore, dans les murs, les rainures où étaient encastrées les pièces de bois dont il était formé. On est assuré que le plafond ne pouvait point être composé, comme partout ailleurs, de grandes dalles de pierre, qui, à en juger par le peu de hauteur des rainures, eussent été trop minces pour comporter quelque solidité. Cette pièce n’offre plus que des restes de son ancienne décoration, qui consistait en peintures et en sculptures ; mais, comme ils ont beaucoup d’analogie avec les ornemens de la salle supérieure, nous nous bornerons à parler de ces derniers.

Le plafond de la salle du second étage est orné de losanges et d’un encadrement très agréablement dessiné et colorié. Sur les chambranles intérieurs des croisées, ainsi que sur les plafonds des linteaux, on voit des commencemens de peintures et de sculptures. La frise qui s’étend tout autour de la salle, depuis le plafond jusqu’à la partie supérieure des croisées, a des ornemens agencés avec goût : ils consistent, dans la partie supérieure, en fleurs de lotus renversées et séparées par des vases sur lesquels on a voulu probablement figurer des fruits. Sur les murs latéraux, on n’a indiqué que les masses des fleurs de lotus, et les vases sont remplacés par des grenades ; au-dessous sont de grands hiéroglyphes distribués avec symétrie et sculptés avec beaucoup de recherche et de soin. Les oiseaux et les animaux sont surtout dessinés avec esprit. La troisième partie de la frise offre une suite d’ubœus dont les têtes sont surmontées de disques.

Cette salle supérieure renferme des sculptures dont les sujets diffèrent entièrement de ceux que l’on trouve dans les temples ; ce sont des scènes familières. Dans le premier tableau, un personnage est assis sur un fauteuil de forme élégante et d’un bon style : une femme est debout devant lui, et lui présente un fruit de forme ronde ; elle est coiffée de tiges et de fleurs de lotus, plante dont on voit en outre derrière elle un faisceau diversement arrangé. Le personnage la prend par le bras pour l’attirer à lui, et lui passe la main sous le menton. Le second tableau offre une scène analogue. Ces sculptures ne répondent point au genre gracieux du sujet ; les formes roides du dessin et le défaut de perspective leur ôtent toute espèce de charme.

On voit ailleurs un tableau composé de deux femmes coiffées de lotus, qui paraissent agiter, au-dessus d’un autel, des étendards en forme d’éventails.

Ce pavillon est curieux par sa forme, sa construction, et le détail de ses sculptures. Sa position surtout est heureusement choisie. Rien, en effet, n’est plus magnifique que la vue dont on jouit de la pièce la plus élevée de cet édifice. On voit à l’ouest les montagnes de l’Arabie qui bordent l’horizon ; au nord-ouest, la chaîne libyque où sont creusés, les tombeaux des rois et les hypogées ; à l’est, se développe une plaine immense couverte de verdure après l’inondation : on découvre aussi une partie des monumens pittoresques de Louqsor et de Karnak, et l’on domine sur toutes les ruines de Medynet-abou.

L’édifice était couronné de ces espèces de créneaux[5] que nous n’avons remarqués qu’au-dessus des forteresses représentées dans les bas-reliefs, principalement dans le palais de Karnak et sur les murs du tombeau d’Osymandyas[6].

Nous avons cherché à rassembler ici tout ce qui peut faire bien connaître le monument singulier que nous venons de décrire ; ces tours carrées qui le précèdent, la nature et l’objet de ses sculptures, les trophées dont il était orné, les captifs représentés dans une position humiliante, tout annonce l’habitation fortifiée d’un conquérant enflé de ses succès. On verra bientôt que les sculptures du grand palais de Medynet-abou sont toutes relatives aux actions guerrières de Sésostris. Ne pourrait-on pas présumer que ce pavillon, qui d’ailleurs a une liaison intime avec le palais, a été l’habitation particulière de ce grand conquérant ? Sésostris, qui, au rapport des historiens[7], faisait atteler à son char les rois qu’il avait vaincus, peut bien avoir eu la pensée de faire représenter des captifs accablés sous le poids de l’architecture.

Nous terminerons ce paragraphe par une dernière remarque ; c’est que les habitations fortifiées du genre de celles que nous venons de décrire, semblent déceler l’origine des pylônes ; elles ont dû précéder en effet la construction des édifices sacrés : ainsi les Égyptiens auraient adopté et en quelque sorte consacré dans leurs monumens des formes d’édifices qui devaient leur rappeler la vie guerrière qu’ils avaient d’abord menée.

§. V. Du palais de Medynet-abou.

Article I.
De l’intérieur du palais, et des sculptures qu’on y remarque.

Dans la direction du pavillon, et à quatre-vingt-trois

  1. Quatre pieds sept pouces.
  2. Trois pieds.
  3. Voyez pl. 4, fig. 4, A., vol. II.
  4. Voyez pl. 4, fig. 4, A., vol. II.
  5. Voyez pl. 4, fig. 4, A., vol. II.
  6. Voyez la description du tombeau d’Osymandyas, section III de ce chapitre.
  7. Diod. Sic. Biblioth. hist. lib. I, pag. 68, ed. 1746.