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public, nullement familiarisé avec nos idées, ne pouvant distinguer du premier coup les grandes différences qui se |
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public, nullement familiarisé avec nos idées, ne pouvant distinguer du premier coup les grandes différences qui se |
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cachent sous le même mot, demeure indifférent vis-à-vis de notre propagande et nous témoigne aussi de la |
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cachent sous le même mot, demeure indifférent vis-à-vis de notre propagande et nous témoigne aussi de la |
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défiance. |
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défiance.<br /> |
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Nous ne pouvons naturellement empêcher les autres de se donner le nom qu'ils choisissent, quant à renoncer nous- |
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Nous ne pouvons naturellement empêcher les autres de se donner le nom qu'ils choisissent, quant à renoncer nous- |
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mêmes à nous appeler anarchistes, cela ne servirait à rien, car le public croirait tout simplement que nous avons |
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mêmes à nous appeler anarchistes, cela ne servirait à rien, car le public croirait tout simplement que nous avons |
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tourné casaque. |
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tourné casaque.<br /> |
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Tout ce que nous pouvons et devons faire, c'est de nous distinguer nettement de ceux qui ont une conception de |
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Tout ce que nous pouvons et devons faire, c'est de nous distinguer nettement de ceux qui ont une conception de |
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l'anarchie différente de la nôtre, et qui tirent de cette même conception théorique des conséquences pratiques |
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l'anarchie différente de la nôtre, et qui tirent de cette même conception théorique des conséquences pratiques |
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et notre morale, sans égards pour une personne ou un parti quelconque. Car cette prétendue solidarité de parti |
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et notre morale, sans égards pour une personne ou un parti quelconque. Car cette prétendue solidarité de parti |
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entre des gens qui n'appartenaient ou n'auraient pu appartenir au même parti, a été précisément l'une des causes |
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entre des gens qui n'appartenaient ou n'auraient pu appartenir au même parti, a été précisément l'une des causes |
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principales de la confusion. |
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principales de la confusion.<br /> |
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Or, nous sommes arrivés à un tel point, que beaucoup exaltent chez les camarades les mêmes actions qu'ils |
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Or, nous sommes arrivés à un tel point, que beaucoup exaltent chez les camarades les mêmes actions qu'ils |
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reprochent aux bourgeois, et il semble que leur unique critère du bien ou du mal consiste à savoir si l'auteur de tel |
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reprochent aux bourgeois, et il semble que leur unique critère du bien ou du mal consiste à savoir si l'auteur de tel |
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ouvertement dans la pratique avec les principes qu'ils professent théoriquement, et les autres à supporter de telles |
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ouvertement dans la pratique avec les principes qu'ils professent théoriquement, et les autres à supporter de telles |
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contradictions ; de même qu'un grand nombre de causes ont amené au milieu de nous des gens qui au fond se |
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contradictions ; de même qu'un grand nombre de causes ont amené au milieu de nous des gens qui au fond se |
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moquent du socialisme, de l'anarchie et de tout ce qui dépasse les intérêts de leurs personnes. |
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moquent du socialisme, de l'anarchie et de tout ce qui dépasse les intérêts de leurs personnes.<br /> |
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Je ne puis entreprendre ici un examen méthodique et complet de toutes ces erreurs, aussi me bornerai-je à traiter |
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Je ne puis entreprendre ici un examen méthodique et complet de toutes ces erreurs, aussi me bornerai-je à traiter |
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de celles qui m'ont le plus frappé. |
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de celles qui m'ont le plus frappé.<br /> |
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Parlons avant tout de la morale. |
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Parlons avant tout de la morale.<br /> |
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Il n'est pas rare de trouver des anarchistes qui nient la morale. Tout d'abord, ce n'est qu'une simple façon de parler |
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Il n'est pas rare de trouver des anarchistes qui nient la morale. Tout d'abord, ce n'est qu'une simple façon de parler |
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pour établir qu'au point de vue théorique ils n'admettent pas une morale absolue, éternelle et immuable, et que, |
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pour établir qu'au point de vue théorique ils n'admettent pas une morale absolue, éternelle et immuable, et que, |
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mot, c'est-à-dire des hommes sans règle de conduite, sans critère pour se guider dans leurs actions, qui cèdent |
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mot, c'est-à-dire des hommes sans règle de conduite, sans critère pour se guider dans leurs actions, qui cèdent |
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passivement à l'impulsion du moment. Aujourd'hui, ils se privent de pain pour secourir un camarade ; demain, ils |
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passivement à l'impulsion du moment. Aujourd'hui, ils se privent de pain pour secourir un camarade ; demain, ils |
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tueront un homme pour aller au lupanar ! |
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tueront un homme pour aller au lupanar !<br /> |
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La morale est la règle de conduite que chaque homme considère comme bonne. On peut trouver mauvaise la |
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La morale est la règle de conduite que chaque homme considère comme bonne. On peut trouver mauvaise la |
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morale dominante de telle époque, tel pays ou telle société, et nous trouvons en effet la morale bourgeoise plus |
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morale dominante de telle époque, tel pays ou telle société, et nous trouvons en effet la morale bourgeoise plus |
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lutte et de la solidarité, et nous cherchons à établir des institutions qui correspondent à notre conception des |
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lutte et de la solidarité, et nous cherchons à établir des institutions qui correspondent à notre conception des |
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rapports entre les hommes. S’il en était autrement, pourquoi ne trouverions-nous pas juste que les bourgeois |
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rapports entre les hommes. S’il en était autrement, pourquoi ne trouverions-nous pas juste que les bourgeois |
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exploitent le peuple ? |
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exploitent le peuple ?<br /> |
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Une autre affirmation nuisible, sincère chez les uns, mais qui, pour d'autres, n'est qu'une excuse, c'est que le milieu |
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Une autre affirmation nuisible, sincère chez les uns, mais qui, pour d'autres, n'est qu'une excuse, c'est que le milieu |
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social actuel ne permet pas d’être moraux, et que, par conséquent, il est inutile de tenter des efforts destinés à |
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social actuel ne permet pas d’être moraux, et que, par conséquent, il est inutile de tenter des efforts destinés à |
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l'homme ; et il voit, en bon observateur, l'impuissance de la révolte personnelle contre la force prépondérante du |
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l'homme ; et il voit, en bon observateur, l'impuissance de la révolte personnelle contre la force prépondérante du |
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milieu social. Mais il est également vrai que, sans la révolte de l'individu, s'associant à d'autres individus révoltés |
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milieu social. Mais il est également vrai que, sans la révolte de l'individu, s'associant à d'autres individus révoltés |
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pour résister au milieu et chercher à le transformer, ce milieu ne changerait jamais. |
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pour résister au milieu et chercher à le transformer, ce milieu ne changerait jamais.<br /> |
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Nous sommes, tous sans exception, obligés de vivre, plus ou moins, en contradiction avec nos idées ; mais nous |
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Nous sommes, tous sans exception, obligés de vivre, plus ou moins, en contradiction avec nos idées ; mais nous |
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sommes socialistes et anarchistes précisément dans la mesure que nous souffrons de cette contradiction et que |
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sommes socialistes et anarchistes précisément dans la mesure que nous souffrons de cette contradiction et que |
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n'aurions plus naturellement l'envie de le transformer et nous deviendrions de simples bourgeois ; bourgeois sans |
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n'aurions plus naturellement l'envie de le transformer et nous deviendrions de simples bourgeois ; bourgeois sans |
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argent peut-être ; mais non moins bourgeois pour cela dans les actes et dans les intentions. |
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argent peut-être ; mais non moins bourgeois pour cela dans les actes et dans les intentions. |
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Errico Malatesta |
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Errico Malatesta |
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(« Le Réveil », Genève, 5 novembre 1904) |
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(''« Le Réveil »'', Genève, 5 novembre 1904) |
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(Traduction « Les Temps Nouveaux », Paris 8-12-1906). |
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<br />(Traduction ''« Les Temps Nouveaux »'', Paris 8-12-1906). |
Le nombre de ceux qui se disent anarchistes est tellement grand aujourd'hui et sous le nom d'anarchie on expose
des doctrines tellement divergentes et contradictoires, que nous aurions vraiment tort de nous étonner lorsque le
public, nullement familiarisé avec nos idées, ne pouvant distinguer du premier coup les grandes différences qui se
cachent sous le même mot, demeure indifférent vis-à-vis de notre propagande et nous témoigne aussi de la
défiance.
Nous ne pouvons naturellement empêcher les autres de se donner le nom qu'ils choisissent, quant à renoncer nous-
mêmes à nous appeler anarchistes, cela ne servirait à rien, car le public croirait tout simplement que nous avons
tourné casaque.
Tout ce que nous pouvons et devons faire, c'est de nous distinguer nettement de ceux qui ont une conception de
l'anarchie différente de la nôtre, et qui tirent de cette même conception théorique des conséquences pratiques
absolument opposées à celles que nous en tirons. Et la distinction doit résulter de l'exposition claire de nos idées,
et de la répétition franche et incessante de notre opinion sur tous les faits qui sont en contradiction avec nos idées
et notre morale, sans égards pour une personne ou un parti quelconque. Car cette prétendue solidarité de parti
entre des gens qui n'appartenaient ou n'auraient pu appartenir au même parti, a été précisément l'une des causes
principales de la confusion.
Or, nous sommes arrivés à un tel point, que beaucoup exaltent chez les camarades les mêmes actions qu'ils
reprochent aux bourgeois, et il semble que leur unique critère du bien ou du mal consiste à savoir si l'auteur de tel
ou tel acte se dit ou ne se dit pas anarchiste. Un grand nombre d'erreurs ont amené les uns à se contredire
ouvertement dans la pratique avec les principes qu'ils professent théoriquement, et les autres à supporter de telles
contradictions ; de même qu'un grand nombre de causes ont amené au milieu de nous des gens qui au fond se
moquent du socialisme, de l'anarchie et de tout ce qui dépasse les intérêts de leurs personnes.
Je ne puis entreprendre ici un examen méthodique et complet de toutes ces erreurs, aussi me bornerai-je à traiter
de celles qui m'ont le plus frappé.
Parlons avant tout de la morale.
Il n'est pas rare de trouver des anarchistes qui nient la morale. Tout d'abord, ce n'est qu'une simple façon de parler
pour établir qu'au point de vue théorique ils n'admettent pas une morale absolue, éternelle et immuable, et que,
dans la pratique, ils se révoltent contre la morale bourgeoise, sanctionnant l'exploitation des masses et frappant
tous les actes qui lèsent ou menacent les intérêts des privilégiés. Puis, peu à peu, comme il arrive dans bien des
cas, ils prennent la figure rhétorique pour l'expression exacte de la vérité. Ils oublient que, dans la morale
courante, à côté des règles inculquées par les prêtres et les patrons pour assurer leur domination, il s'en trouve
d'autres qui en forment même la majeure partie et la plus substantielle, sans lesquelles toute coexistence sociale
serait impossible ; - ils oublient que se révolter contre toute règle imposée par la force ne veut nullement dire
renoncer à toute retenue morale et à tout sentiment d'obligation envers les autres ; - ils oublient que pour
combattre raisonnablement une morale, il faut lui opposer, en théorie et en pratique, une morale supérieure : et ils
finissent quelquefois, leur tempérament et les circonstances aidant, par devenir immoraux dans le sens absolu du
mot, c'est-à-dire des hommes sans règle de conduite, sans critère pour se guider dans leurs actions, qui cèdent
passivement à l'impulsion du moment. Aujourd'hui, ils se privent de pain pour secourir un camarade ; demain, ils
tueront un homme pour aller au lupanar !
La morale est la règle de conduite que chaque homme considère comme bonne. On peut trouver mauvaise la
morale dominante de telle époque, tel pays ou telle société, et nous trouvons en effet la morale bourgeoise plus
que mauvaise ; mais on ne saurait concevoir une société sans une morale quelconque, ni un homme conscient qui
n'ait aucun critère pour juger de ce qui est bien et de ce qui est mal pour soi-même et les autres.
Lorsque nous combattons la société actuelle nous opposons, à la morale bourgeoise individualiste, la morale de la
lutte et de la solidarité, et nous cherchons à établir des institutions qui correspondent à notre conception des
rapports entre les hommes. S’il en était autrement, pourquoi ne trouverions-nous pas juste que les bourgeois
exploitent le peuple ?
Une autre affirmation nuisible, sincère chez les uns, mais qui, pour d'autres, n'est qu'une excuse, c'est que le milieu
social actuel ne permet pas d’être moraux, et que, par conséquent, il est inutile de tenter des efforts destinés à
rester sans succès ; le mieux, c'est de tirer des circonstances actuelles le plus possible pour soi-même sans se
soucier du prochain, sauf à changer de vie lorsque l'organisation sociale aura changé aussi. Certainement, tout
anarchiste, tout socialiste, comprend les fatalités économiques qui obligent aujourd'hui l'homme à lutter contre
l'homme ; et il voit, en bon observateur, l'impuissance de la révolte personnelle contre la force prépondérante du
milieu social. Mais il est également vrai que, sans la révolte de l'individu, s'associant à d'autres individus révoltés
pour résister au milieu et chercher à le transformer, ce milieu ne changerait jamais.
Nous sommes, tous sans exception, obligés de vivre, plus ou moins, en contradiction avec nos idées ; mais nous
sommes socialistes et anarchistes précisément dans la mesure que nous souffrons de cette contradiction et que
nous tâchons, autant que possible, de la rendre moins grande. Le jour où nous nous adapterions au milieu, nous
n'aurions plus naturellement l'envie de le transformer et nous deviendrions de simples bourgeois ; bourgeois sans
argent peut-être ; mais non moins bourgeois pour cela dans les actes et dans les intentions.
Errico Malatesta
(« Le Réveil », Genève, 5 novembre 1904)
(Traduction « Les Temps Nouveaux », Paris 8-12-1906).