Peut-être est-ce en souvenir de cette disposition provisoire que beaucoup
Peut-être est-ce en souvenir de cette disposition provisoire que beaucoup
de beffrois isolés furent construits à dessein sous forme de porte surmontée
de beffrois isolés furent construits à dessein sous forme de porte surmontée
d'une ou deux tours. Nous citerons parmi les beffrois servant de porte,
d'une ou deux tours. <span id="Saint-Antonin1">Nous citerons parmi les beffrois servant de porte,
bâtis à cheval sur une rue, les tours de beffroi de Saint-Antonin, de Troyes
bâtis à cheval sur une rue, les tours de beffroi de Saint-Antonin, de Troyes
(démolie aujourd'hui), d'Avallon, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bordeaux|Bordeaux]]. Ce dernier beffroi est fort
(démolie aujourd'hui), d'Avallon, de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bordeaux|Bordeaux]]. Ce dernier beffroi est fort
s. m. Baffraiz. On désigne par ce mot un ouvrage de charpente
destiné à contenir et à permettre de faire mouvoir des cloches;
prenant le contenant pour le contenu, on a donné le nom de beffroi aux
tours renfermant les cloches de la commune. Les tours roulantes en bois
destinées à l'attaque des places fortes pendant le moyen âge, et jusqu'à
l'emploi de l'artillerie à feu, sont aussi nommées beffrois ou bretèche (voy.
ce mot).
Beffrois de charpente.
Les clochers des églises sont toujours disposés
pour contenir des beffrois en charpente, au milieu desquels manœuvrent
les cloches. Ces beffrois sont posés sur une retraite ou sur des corbeaux
ménagés dans la construction des tours, et s'élèvent en se rétrécissant
vers leur sommet, afin de ne pas toucher les parois intérieures de la
maçonnerie lorsque le mouvement imprimé aux cloches les fait osciller, et
aussi pour présenter une plus grande résistance à l'action de
va-et-vient de
ces cloches mises en branle. Dès que l'usage des cloches d'un poids considérable
fut adopté, on dut les suspendre dans des beffrois de charpente
indépendants de la construction en maçonnerie. En France, en Belgique,
en Allemagne, on construisait déjà, au Xe siècle, des clochers d'un diamètre
tel, qu'il fait supposer l'emploi de fortes et nombreuses cloches, la construction
de beffrois intérieurs de charpente très-importants. Il ne nous reste
pas une seule de ces charpentes antérieures au XVIe siècle. Nous ne pourrions
donc donner un exemple appuyé sur un monument existant.
Avant 1836, le clocher vieux de la cathédrale de Chartres contenait un
beffroi considérable du XIVe siècle; malheureusement, cette curieuse charpente
fut brûlée à cette époque, et nous n'en possédons qu'un dessin
donnant l'enrayure basse (1) avec le premier étage. Deux gros poinçons
divisaient ce beffroi en deux travées dans toute la hauteur, et les cloches
étaient suspendues dans chacune de ces deux travées; les tourillons de
leurs moutons posaient sur les deux pans de bois latéraux et sur les
chapeaux assemblés dans ces poinçons portés par les liens courbes inférieurs et soulagés par des arbalétriers à chaque étage, ainsi que l'indique la fig. 2. Un escalier en bois posé dans un des angles desservait tous les étages du beffroi et tait destiné aux sonneurs.
Avant le XVe siècle, les charpentiers paraissent s'être préoccupés, dans la construction des beffrois, de maintenir le pan de bois central (car les anciennes charpentes de beffrois sont toujours
divisées en deux travées) par des arbalétriers ou pièces inclinées reportant la charge centrale sur les pans de bois latéraux. Mais on dut reconnaître que des fermes taillées conformément à la fig. 2, posées les unes sur les autres, étaient insuffisantes pour résister à la charge et surtout aux oscillations causées par le mouvement des cloches; que les assemblages devaient se fatiguer, étant successivement
refoulés ou arrachés par le balancement des cloches dont tout le poids se porte brusquement d'un coté à l'autre.
À la fin du XVe siècle, les pans de bois des beffrois furent composés d'une
succession de croix de Saint-André, dont l'assemblage à mi-bois les rendait
beaucoup plus rigides, et arrêtait les effets de l'oscillation sur les tenons et
mortaises. En effet, lorsque les étages des pans de bois des beffrois se
composaient seulement du poinçon central E, des deux poteaux corniers F et
des deux arbalétriers A B, la cloche étant en branle et dans la position
indiquée par la fig. 3, l'assemblage D était refoulé et l'assemblage C
arraché; il en résultait que le chapeau
K faisait bientôt un mouvement de
va-et-vient fort dangereux de L en M.
L'adjonction des deux pièces G H
arrêta ce mouvement en reportant
toujours le poids de la cloche, quelle
que fût sa position, sur la verticale E.
Partant de ce principe, les charpentiers
composèrent les pans de bois des
beffrois de grillages en lozange d'une
grande résistance (4), moisés en X par
des moises doubles avec clefs pour
éviter la poussée des pièces P P sur les poteaux corniers. L'oscillation des
beffrois fut
très-réduite par cette combinaison. Mais le mouvement des grosses cloches est tellement puissant que ces pans de bois rendus rigides,
entraînés tout d'une pièce, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, avaient pour
effet, à la longue, de faire pivoter l'ensemble de la charpente de façon à
placer l'enrayure basse et l'enrayure haute sur deux plans non parallèles,
ainsi que l'indique la fig. 5. Les quatre pans de bois latéraux et le pan de
bois central gauchissaient, et la dernière enrayure du sommet arrivait à
battre les parois de maçonnerie des tours en A; les cloches manœuvraient
mal entre ces surfaces gauches, et leurs battants, prenant un léger mouvement
de rotation, frappaient les bords du bronze à faux et brisaient les
cloches. Pour parer à cet inconvénient, on établit des goussets R aux angles
de chaque enrayure à tous les étages (6); dès lors les pans de bois furent
maintenus dans leurs plans. Ces perfectionnements apportés successivement
par les charpentiers habiles du XVe siècle furent oubliés un siècle plus tard,
et les beffrois, en grand nombre, qui datent du XVIIe siècle, sont, malgré
l'équarrissage démesuré du bois, de pauvres charpentes fort mal combinées,
mal exécutées, et qui s'affaissent sous leur propre poids.
Les incendies, le défaut d'entretien, de maladroites réparations ont
détruit ou altéré les beffrois que les XIIIe, XIVe et XVe siècles avaient élevés;
ce que nous donnons ici ne peut être que le résultat de quelques observations
faites sur des débris informes aujourd'hui. Toutefois ces observations
nous ont permis de reconstituer un énorme beffroi d'après ces données,
celui de la tour sud de la cathédrale de Paris; et, à défaut d'une ancienne,
charpente complète, nous croyons pouvoir représenter celle-ci, dans laquelle
nous avons cherché à profiter de l'expérience des charpentiers du moyen
âge, et qui résume les principales règles posées ci-dessus1.
La fig. 7 présente le plan de l'enrayure basse de ce beffroi, qui repose sur
une saillie de la maçonnerie ménagée à cet effet. Au lieu d'un seul pan de
bois intermédiaire, ici il y en a deux, se coupant à angle droit, à cause de
l'énorme hauteur de cette charpente
et pour donner plus de
fixité au poinçon central. L'un
de ces deux pans de bois ne
s'élève que jusqu'au second
étage; les deux derniers étages
restants ne conservent plus
qu'un seul pan de bois de refend
pour permettre le
jeu des grosses cloches. La fig. 8 donne le plan
de l'enrayure supérieure de ce
beffroi, au sommet duquel est
posé un chemin de service et
une galerie vitrée recouverte de
plomb. La fig. 9 donne l'un des
quatre pans
de bois latéraux, la fig. 10 le pan de bois de refend s'élevant jusqu'au faîte de la charpente.
Le second pan de bois de refend, à
angle droit, est en tout semblable à
celui-ci, si ce n'est qu'il n'existe que
jusqu'au point A. L'ensemble de l'ouvrage
est garni tout autour d'abat-sons
recouverts de plomb, et ces abat-sons
tenant seulement à la charpente, suivent
ses mouvements sans que les
oscillations puissent agir sur les piliers
en pierre de la tour. C'est donc là,
conformément à la méthode ancienne,
un ouvrage complètement indépendant
de la maçonnerie, garni de ses accessoires
et garanti des intempéries par
les ouïes qui sont destinées à rabattre le
son des cloches. La pluie qui s'introduit
par les longues baies de la tour, fouettée par le vent, rencontre une construction
isolée bien couverte, s'égoutte d'un abat-son sur l'autre jusqu'au
point B où un trottoir libre, isolé de la maçonnerie et recouvert également de
plomb, la renvoie sur les galeries en pierre extérieures. Lorsque le bourdon
suspendu en C est en branle, à grande volée, l'oscillation de ce beffroi à
son sommet est de cinq centimètres environ, à peine sensible au niveau B
des galeries, et inappréciable au-dessus de l'enrayure basse2.
Dans le nord, il était d'usage souvent d'établir des beffrois dans les charpentes
mêmes des flèches en bois recouvrant des tours d'une dimension
médiocre; ce système fatiguait beaucoup les murs en maçonnerie, et on
dut renoncer à l'employer lorsque les cloches étaient d'un poids considérable.
Les flèches des cathédrales de Reims, de Paris, de Beauvais, de Rouen,
de la Sainte-Chapelle
du Palais, etc., contenaient
un grand nombre
de cloches, mais
d'une petite dimension.
La cathédrale
d'Amiens, qui a conservé
sa flèche du commencement
du XVIe
siècle, contient un petit
beffroi indépendant
de la charpente dans
sa basse lanterne. Dans
ce cas, les beffrois n'étaient
pas munis d'abat-sons;
leurs bois
étaient simplement
garnis de plomb et
posaient sur un terrasson
recevant les
eaux de pluie chassées
par le vent au milieu
de ces charpentes à
l'air libre.
Beffroi de commune.
Lorsqu'au XIe
siècle s'établirent les
premières communes,
elles s'assemblaient
au son des cloches, et
presque toujours alors
c'était des tours des
églises que partait le
signal des réunions.
Le clergé régulier et
séculier était généralement
opposé à ces
conquêtes de la bourgeoisie,
à ces conjurations
qui tendaient à secouer le joug féodal3. Les laïques, les abbés
interdisaient les clochers des églises aux nouveaux citoyens, et ne permettaient
pas de sonner les cloches pour un autre motif que celui des offices.
Souvent cette opposition était la cause de scènes de violence que déploraient
les chefs des villes affranchies. Plutôt que de provoquer des luttes
continuelles, les bourgeois installèrent des cloches au-dessus des portes des
villes, sur des tours destinées à tout autre usage qu'à celui de clocher, et
ce ne fut qu'à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe que certaines
communes purent songer à élever les tours uniquement réservées aux
cloches de la ville. Ces tours prirent le nom de beffrois. Elles furent d'abord
isolées; elles étaient comme le signe visible de la franchise de la commune.
Plus tard, elles furent réunies à la maison de ville; c'était le donjon municipal.
Il ne nous reste plus en France qu'un bien petit nombre de ces
monuments, témoins des premiers et des plus légitimes efforts des populations
urbaines pour conquérir la liberté civile, et encore ces rares exemples
que nous possédons ne remontent pas au delà du XIVe siècle.
Les premiers beffrois isolés se composaient d'une grosse tour carrée, le
plus souvent surmontée d'un comble en charpente recouvert d'ardoises ou
de plomb, dans lequel étaient suspendues plusieurs cloches. Une galerie
ou étage percé de fenêtres sur les quatre faces servait de poste pour les
guetteurs qui, le jour et la nuit, avertissaient les citadins de l'approche des
ennemis, découvraient les incendies, réveillaient les habitants au son des
cloches ou des trompes. C'était du haut du beffroi que sonnaient les heures
du travail ou du repos pour les ouvriers, le lever du soleil, le couvre-feu,
que l'on annonçait au bruit des fanfares les principales fêtes de l'année.
La tour contenait ordinairement des prisons, une salle de réunion pour les
échevins et quelques dépendances telles que dépôt d'archives, magasin
des armes que l'on distribuait aux bourgeois dans les temps de trouble,
ou lorsqu'il fallait défendre la cité.
Pendant le XIVe siècle, lorsque les grandes horloges furent devenues
communes, les beffrois reçurent des cadrans marquant les heures. Le
beffroi est longtemps la seule maison de ville, le monument municipal par
excellence. Lorsque le pouvoir féodal est le plus fort, son premier acte
d'autorité est la démolition du beffroi. En 1322, l'évêque et le chapitre de
Laon obtiennent de Charles IV une ordonnance dans laquelle il est dit:
«Qu'à l'avenir, en la ville, cité et faubourg de Laon, il ne pourra y avoir,
commune, corps, université, échevinage, maire, jurés, coffre commun,
beffroi, cloche, sceau ni autre chose appartenant à l'état de la commune.4»
Et plus tard, en 1331, Philippe VI rend une seconde ordonnance confirmative
de la première, se terminant par cette clause: «Il n'y aura plus à
Laon de tour du beffroi; et les deux cloches qui y étaient en seront ôtées
et confisquées au roi. Les deux autres cloches qui sont en la tour de la
Porte-Martel y resteront, dont la grande servira à sonner le couvre-feu
au soir, le point du jour au matin, et le tocsin; et la petite pour faire
assembler le guet5.»
Noyon, Laon, Reims, Amiens possédaient des beffrois. Cette dernière
ville a conservé le sien jusqu'à
nos jours; mais reconstruit
à plusieurs reprises et dénaturé
pendant le dernier siècle,
la base seule de la tour carrée
présente encore quelques
traces de constructions élevées
pendant les XIIIe et XVe
siècles6. Les autres grandes
cités que nous venons de
nommer ont laissé détruire
complètement les leurs. Ce
n'est plus, en France, que
dans quelques villes de second
ordre qu'on trouve encore des
beffrois.
Nous donnons ici (11) celui
de la ville de Béthune (Pas-de-Calais)
qui est assez bien
conservé et peut donner une
idée de ces constructions municipales
au XIVe siècle. L'étage
inférieur, masqué derrière des
maisons particulières, contenait
les services mentionnés ci-dessus.
Une grande salle percée
de huit baies renfermait
les grosses cloches; au-dessus
était une salle percée de meurtrières
et de petites ouvertures.
Un escalier à vis posé
sur l'un des angles monte à
la galerie supérieure, flanquée
aux angles d'échauguettes
crénelées. Un comble recouvert
d'ardoise et de plomb
contient un carillon et une
lanterne supérieure avec galerie pour le guetteur. Suivant l'usage, une
girouette couronne la flèche. Les villes d'Auxerre, de Beaune ont encore
leurs beffrois. Voici (12) celui d'Évreux, construit au XVe siècle et qui est
complet. Nous en donnons les plans, avec la vue perspective, aux trois
étages ABC. Les municipalités déployaient un certain luxe dans ces
constructions urbaines; elles tenaient à ce que leurs couronnements élevés,
souvent ornés de clochetons, d'aiguilles, de grandes lucarnes, fussent
aperçus de loin, et témoignassent de la richesse de la cité.
Nous avons dit, en commençant, que les cloches de la commune étaient
suspendues, dans certains cas, au-dessus d'anciennes portes de villes.
Peut-être est-ce en souvenir de cette disposition provisoire que beaucoup
de beffrois isolés furent construits à dessein sous forme de porte surmontée
d'une ou deux tours. Nous citerons parmi les beffrois servant de porte,
bâtis à cheval sur une rue, les tours de beffroi de Saint-Antonin, de Troyes
(démolie aujourd'hui), d'Avallon, de Bordeaux. Ce dernier beffroi est fort
remarquable; il se compose de deux grosses tours entre lesquelles s'ouvre
un arc laissant un passage public. Au-dessus, un second arc couronné par
un crénelage et un comble couvre la sonnerie (voy. Porte ).
Dans quelques villes, l'une des tours de l'église principale servit et
sert encore de beffroi. À Metz, à Soissons, à Saint-Quentin, une des
tours de la cathédrale est restée destinée à cet usage. Quant aux beffrois
tenant aux hôtels de ville, nous renvoyons nos lecteurs au mot Hôtel-de-Ville.
Beffroi, machine de guerre. Pendant les sièges du moyen âge, on se
servait de tours de bois mobiles pour jeter, sur les murailles attaquées, des
troupes de soldats qui livraient ainsi l'assaut de plain pied (voy. Architecture Militaire). Ces tours prenaient le nom de beffrois. Cet engin de guerre
était en usage dans l'antiquité. César, dans ses Mémoires, indique souvent
leur emploi. Après avoir élevé des terrassements qui permettaient d'approcher
de grosses machines des murailles attaquées, comblé les fossés et
établi des mantelets qui couvraient les travailleurs, l'armée de César, au
siège d'une place forte défendue par les Nerviens, construit une tour de
bois hors de la portée des traits des assiégés.
«Lorsqu'ils nous virent dresser la tour, dit César7, après avoir posé
des mantelets et élevé la terrasse, les Nerviens se mirent à rire du haut
de leurs murailles, et demandèrent à grands cris ce que nous voulions
faire, à une si grande distance, d'une si énorme machine; avec quelles
mains et quels efforts des hommes d'une si petite taille pourraient la
remuer (car les Gaulois, à cause de leur haute stature, méprisent notre
petite taille); prétendions-nous approcher cette masse de leurs murs?
Mais lorsqu'ils la virent s'ébranler et s'avancer vers leurs défenses,
étonnés d'un spectacle si nouveau, ils envoyèrent à César des députés
pour traiter de la paix...»
Les Gaulois imitateurs, d'après le dire de César lui-même, ne tardèrent
pas à adopter, eux aussi, les tours de bois mobiles. Lorsque le camp des
Romains est assiégé par les Nerviens révoltés8, «le septième jour du
siège, un grand vent s'étant élevé, les ennemis lancèrent dans le camp
des dards enflammés, et avec la fronde des balles d'argile rougies au
feu. Les baraques de nos soldats, couvertes en paille à la manière
gauloise, eurent bientôt pris feu, et en un instant le vent porta la flamme
sur tout le camp. Alors, poussant de grands cris comme si déjà la
victoire eût été pour eux, ils firent avancer leurs tours et leurs tortues,
et commencèrent à escalader les retranchements. Mais tels furent le
courage et la solidité de nos troupes, que, de toutes parts environnées
de flammes, accablées d'une grêle de traits, sachant que l'incendie
dévorait leur bagage et leur fortune, aucun soldat ne quitta son poste
et ne songea même à regarder en arrière, tous combattirent avec acharnement.
Cette journée fut rude pour nous; cependant beaucoup
d'ennemis y furent tués ou blessés; entassés au pied du rempart, les
derniers venus empêchaient les autres de se retirer. Quand l'incendie fut
un peu apaisé, les assaillants ayant roulé une de leurs tours près du
retranchement, les centurions de la troisième cohorte postés sur ce
point s'éloignèrent, emmenèrent tout leur monde, et, appelant les
ennemis du geste et de la voix, les invitèrent à entrer s'ils voulaient;
aucun n'osa se porter en avant. On les dispersa par une grêle de pierres,
et on brûla leur tour....»
Depuis lors, et jusqu'à l'emploi de l'artillerie à feu, on ne cessa, dans
les Gaules, d'employer ce moyen d'attaque pendant les sièges. Il n'est pas
besoin de dire qu'il ne nous reste aucun renseignement pratique sur ces
énormes machines. Nous devons nous en tenir aux descriptions assez
vagues qui nous sont restées, à quelques vignettes de manuscrits exécutées
de façon qu'il est impossible de constater les moyens employés pour les
faire mouvoir. Pendant le moyen âge, ces tours mobiles étaient assez vastes
pour contenir une troupe nombreuse; elles étaient divisées par des planchers
formant plusieurs étages percés de meurtrières, et leur sommet
crénelé, dont la hauteur était calculée de manière à dominer la crête des
tours ou murailles attaquées, recevait un pont s'abattant sur les parapets
des assiégés, lorsque le beffroi était amené le long des murs. On garnissait
extérieurement ces grandes charpentes de peaux fraîches, de grosses étoffes
de laine mouillées pour les préserver des projectiles incendiaires (voy. Architecture Militaire, fig. 15 et 16).
C'est au siège du château de Breteuil par le roi Jean (1356), qu'il est fait
mention une des dernières fois d'un beffroi mobile, et la description que
Froissart donne de ce siège mérite d'être transcrite, car l'artillerie à feu
commence à jouer un rôle important en détruisant les anciens engins
d'assaut, si formidables jusqu'alors.
«Et sachez que les François qui étoient devant Breteuil ne séjournoient
mie de imaginer et subtiller plusieurs assauts pour plus gréver ceux de
la garnison. Aussi les chevaliers et écuyers qui dedans étoient, subtilloient
nuit et jour pour eux porter dommage; et avoient ceux de l'ost
fait lever et dresser grands engins qui jetoient nuit et jour sur les
combles des tours, et ce moult les travailloit. Et fit le roi de France faire
par grand'foison de charpentiers un grand beffroy à trois étages que on
menoit à roues quelle part que on vouloit. En chacun étage pouvoit bien
entrer deux cents hommes et tous eux aider; et étoit breteskié et cuiré
pour le trait trop malement fort; et l'appeloient les plusieurs un cas, et
les autres un atournement d'assaut. Si ne fut mie si tôt fait, charpenté
ni ouvré. Entrementes que on le charpenta et appareilla, on fit par les
vilains du pays, amener, apporter et acharger grand'foison de bois et
tout renverser en ses fossés, et estrain et trefs (paille et pièces de bois)
sus pour amener ledit engin sur les quatre roues jusques aux murs pour
combattre à ceux de dedans. Si mit-on bien un mois à remplir les fossés
à l'endroit où on vouloit assaillir et à faire le char (le charroi). Quand
tout fut prêt, en ce beffroy entrèrent grand'foison de bons chevaliers et
écuyers qui se désiroient à avancer. Si fut ce beffroy sur ces quatre
roues abouté et amené jusques aux murs. Ceux de la garnison avoient
bien vu faire ledit beffroy, et savaient bien l'ordonnance en partie comment
on les devoit assaillir. Si étoient pourvus selon ce de canons jetant
feu et grands gros carreaux pour tout dérompre. Si se mirent tantôt en
ordonnance pour assaillir ce beffroy et eux défendre de grand'volonté.
Et de commencement, ainçois que ils fesissent traire leurs canons, ils
s'en vinrent combattre à ceux du beffroy franchement, main à main. Là
eut fait plusieurs grands appertises d'armes. Quand ils se furent plenté
ébattus, ils commencèrent à traire de leurs canons et à jeter feu sur ce
beffroy et dedans, et avec ce feu traire épaissement grands carreaux et
gros qui en blessèrent et occirent grand'foison, et tellement les enfoncèrent
que ils ne savoient auquel entendre. Le feu, qui étoit grégeois, se
prit au toit de ce beffroy, et convint ceux qui dedans étoient issir de
force, autrement ils eussent été tout ars et perdus. Quand les compagnons
de Breteuil virent ce, si eut entre eux grand'huerie, et s'écrièrent haut:
"Saint-George! Loyauté et Navarre! Loyauté!" Et puis dirent: "Seigneurs
françois, par Dieu, vous ne nous aurez point ainsi que vous
cuidez." Si demeura la greigneure partie de ce beffroy en ces fossés, ni
onques depuis nul n'y entra...9»
Lorsqu'à la fin du XVe siècle, les auteurs de l'antiquité furent en honneur,
on fit de nombreuses traductions de Végèce, de Vitruve, et leurs traducteurs
ou commentateurs s'ingénièrent à trouver dans ces auteurs des
applications à l'art militaire de leur temps. Ces travaux, utiles peut-être
quant à la tactique, ne pouvaient s'appliquer à l'art des sièges en face de
l'artillerie à feu, et les combinaisons plus ou moins ingénieuses de machines
de guerre que quelques savants s'amusaient à mettre sur le papier,
restèrent dans les livres; ils ne pouvaient avoir et n'eurent aucun résultat
pratique; nous n'en parlerons donc pas10.
1 : Notre Dictionnaire tendant avant tout vers un but pratique, on ne nous saura
pas mauvais gré, nous l'espérons, de donner un exemple d'une construction neuve,
élevée d'après les règles et des principes que les anciens exemples ne sauraient
nous fournir dune manière complète. Le beffroi neuf de Notre-Dame de Paris
fonctionne bien depuis cinq ans, et sans qu'il soit possible de remarquer la plus
légère altération dans tout le système.
2 : Cette charpente, qui a remplacé un beffroi du XVIIe siècle, a été exécutée en beau bois de chêne par M. Bellu, entrepreneur.
4 : A. Thierry. Lettres sur l'histoire de France, lett. XVIII.
5 : Ibid. - Les cloches étaient placées «inter insignia de natura consulatus
existentia.» (Les Olim, ordonnance XI, 68, art. IX.) Retirer à une ville ses cloches,
c'était retirer au corps municipal de cette ville, non-seulement le moyen, mais le
droit de s'assembler. Pendant toute la durée de l'interdiction, les affaires restaient
suspendues, ou étaient dévolues à la décision des officiers royaux. Un tel état de
choses ne durait pas longtemps, et la ville pouvait d'ordinaire abréger sa durée en
rachetant le droit des cloches. (Les Olim, I, p. 836 du texte, note 126.)
6 : Voy. la Description du beffroi de la ville d'Amiens, par M.H. Dusevel. Amiens, 1847.
9 : Chron. de Froissart, liv. I, part. II, chap. XXI. Édit. Buchon.
10 : Voy. entre autres Roberti Valturii de re militari, lib. XII; 1493. Édit. de 1534;
Paris, pet. in-f° latin, avec de nombreuses planches en bois, donnant les plus étranges
inventions de machines pour attaquer et prendre les places fortes.