A M. de Chateaubriand
On ne tourmente pas les arbres stériles et desséchés ; ceux-là seulement sont battus de pierres dont le front est couronné de fruits d'or.
ABENHAMED.
- I
- I
- Il est, Chateaubriand, de glorieux navires
- Qui veulent l'ouragan plutôt que les zéphires.
- Il est des astres, rois des cieux étincelants,
- Mondes volcans jetés parmi les autres mondes,
- Qui volent dans les nuits profondes,
- Le front paré des feux qui dévorent leurs flancs.
- Le génie a partout des symboles sublimes.
- Ses plus chers favoris sont toujours des victimes,
- Et doivent aux revers l'éclat que nous aimons ;
- Une vie éminente est sujette aux orages ;
- La foudre a des éclats, le ciel a des nuages
- Qui ne s'arrêtent qu'aux grands monts !
- Oui, tout grand cœur a droit aux grandes infortunes ;
- Aux âmes que le sort sauve des lois communes
- C'est un tribut d'honneur par la terre payé.
- Le grand homme en souffrant s'élève au rang des justes.
- La gloire en ses trésors augustes
- N'a rien qui soit plus beau qu'un laurier foudroyé !
- II
- II
- Aussi, dans une cour, dis-moi, qu'allais-tu faire ?
- N'es-tu pas, noble enfant d'une orageuse sphère,
- Que nul malheur n'étonne et ne trouve en défaut,
- De ces amis des rois, rares dans les tempêtes,
- Qui, ne sachant flatter qu'au péril de leurs têtes,
- Les courtisent sur l'échafaud ?
- Ce n'est pas lorsqu'un trône a retrouvé le faîte ?
- Ce n'est pas dans les temps de puissance et de fête,
- Que la faveur des cours sur de tels fronts descend.
- Il faut l'onde en courroux, l'écueil et la nuit sombre
- Pour que le pilote qui sombre
- Jette au phare sauveur un œil reconnaissant.
- Va, c'est en vain déjà qu'aux cours de la conquête
- Une main de géant a pesé sur ta tête ;
- Et, chaque fois qu'au gouffre entraînée à grands pas,
- La tremblante patrie errait au gré du crime,
- Elle eut pour s'appuyer au penchant de l'abîme
- Ton front qui ne se courbe pas.
- III
- III
- A ton tout soutenu par la France unanime,
- Laisse donc s'accomplir ton destin magnanime !
- Chacun de tes revers pour ta gloire est compté.
- Quand le sort t'a frappé, tu lui dois rendre grâce,
- Toi qu'on voit à chaque disgrâce
- Tomber plus haut encor' que tu n'étais monté !
- 7 juin 1824