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RÉSUBRECTION 77
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Nekhludov se rendit dans la salle à manger. Ses
tantes, en grande toilette, le médecin, et une voisine
étaient déjà à table. Tout se passait comme à l’ordi—
naire, mais dans l’àme de Nekhludov la tempête gron-
dait. Il ne comprenait rien de ce qu’on lui disait,
répondait de travers, et ne pensait toujours qu’à Katu-
cha, se rappelant la sensation de ce baiser qu’il lui avait
pris. Soudain il entendit son pas dans le corridor; et
dès ce moment il n`entendit plus rien d’autre. Quand
elle entra dans la salle, il ne leva pas les yeux su1· elle,
mais de tout son être il sentait, aspirait sa présence.
Après le dîner, il rentra aussitôt dans sa chambre.
Secoué d’émotion, longtemps il marcha de long en
large, prêtant l’oreille à tous les bruits de la maison,
dans I’attente du pas de Katucha. L’animal, qui vivait en
lui, à présent non seulement avait relevé la tête, mais
avaitcomplètement foulé aux pieds l’ètre aimant et loyal
qu’avait été Nekhludov durant son premier séjour, qu'il
avait été encore le matin de ce même jour, à l’église.
Seul, désormais, l’animal régnait dans son âme.
Mais, bien qu’il ne cessàt point d’épier la jeune tille,
pas une fois, de toute la journée, il ne put se trouver
seul avec elle. Evidemment, elle l’évitait. Vers le soir,
cependant, elle fut obligée d’éntrer dans une chambre
voisine de celle qu’il occupait. Le médecin avait con-
senti à rester jusqu’au lendemain, et Katucha avait reçu
l`ordre de lui préparer une chambre pour la nuit. Quand
il entendit ses pas, Nekhludov, marchant sans bruit et
retenant son souffle, comme s’il se préparait à commettre
un crime, se glissa dans la chambre où elle était entrée.
Katucha avait`passé seb deux mains dans une taie
d’0reiller et s’apprêtait à y introduire l`oreiller, lors-
qu’el1e entendit la porte s’ouvrir. Elle se retourna vers
Nekhludov et lui sourit; mais ce n’était plus son sourire
confiant et joyeux d’auparavant: c’était un sourire plain-
tif, épouvanté. Il semblait dire à Nekhludov que ce qu’il
faisait là était mal, qu’il ne devrait pas le faire. Et en
vérité, pendant une minute, Nekhludov s`arrèta; la lutte
des deux hommes en lui faillit s’engager de nouveau.

Version du 3 décembre 2008 à 00:28

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RÉSUBRECTION 77 Nekhludov se rendit dans la salle à manger. Ses tantes, en grande toilette, le médecin, et une voisine étaient déjà à table. Tout se passait comme à l’ordi— naire, mais dans l’àme de Nekhludov la tempête gron- dait. Il ne comprenait rien de ce qu’on lui disait, répondait de travers, et ne pensait toujours qu’à Katu- cha, se rappelant la sensation de ce baiser qu’il lui avait pris. Soudain il entendit son pas dans le corridor; et dès ce moment il n`entendit plus rien d’autre. Quand elle entra dans la salle, il ne leva pas les yeux su1· elle, mais de tout son être il sentait, aspirait sa présence. Après le dîner, il rentra aussitôt dans sa chambre. Secoué d’émotion, longtemps il marcha de long en large, prêtant l’oreille à tous les bruits de la maison, dans I’attente du pas de Katucha. L’animal, qui vivait en lui, à présent non seulement avait relevé la tête, mais avaitcomplètement foulé aux pieds l’ètre aimant et loyal qu’avait été Nekhludov durant son premier séjour, qu'il avait été encore le matin de ce même jour, à l’église. Seul, désormais, l’animal régnait dans son âme. Mais, bien qu’il ne cessàt point d’épier la jeune tille, pas une fois, de toute la journée, il ne put se trouver seul avec elle. Evidemment, elle l’évitait. Vers le soir, cependant, elle fut obligée d’éntrer dans une chambre voisine de celle qu’il occupait. Le médecin avait con- senti à rester jusqu’au lendemain, et Katucha avait reçu l`ordre de lui préparer une chambre pour la nuit. Quand il entendit ses pas, Nekhludov, marchant sans bruit et retenant son souffle, comme s’il se préparait à commettre un crime, se glissa dans la chambre où elle était entrée. Katucha avait`passé seb deux mains dans une taie d’0reiller et s’apprêtait à y introduire l`oreiller, lors- qu’el1e entendit la porte s’ouvrir. Elle se retourna vers Nekhludov et lui sourit; mais ce n’était plus son sourire confiant et joyeux d’auparavant: c’était un sourire plain- tif, épouvanté. Il semblait dire à Nekhludov que ce qu’il faisait là était mal, qu’il ne devrait pas le faire. Et en vérité, pendant une minute, Nekhludov s`arrèta; la lutte des deux hommes en lui faillit s’engager de nouveau.