« Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/925 » : différence entre les versions

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piqua la curiosité de Mérimée, qu’elle l’intéressa et le retint. Il lui reproche sa coquetterie, son effroyable coquetterie, sa coquetterie diabolique, ce plaisir qu’elle prend à faire désirer ce qu’elle est décidée à refuser, cette loi qu’elle s’est imposée, chaque fois qu’elle s’est laissée aller à être bonne et gracieuse, de se revancher par quelque méchanceté, cet art enfin de tourmenter. Parfois il s’irrite, il a des mouvemens de colère et des mots de dépit. Or cette coquetterie est voulue, cette énigme est concertée, ces grands airs indifférens sont des airs étudiés. Dès le début de leurs relations, l’Inconnue s’est composé une attitude de froideur, d’ironie, de fierté insurmontable, et de dédain. Elle travaille à s’y conformer, et n’y parvient qu’avec effort, elle se donne de la peine, elle est capricieuse avec méthode, savamment bizarre et laborieusement méchante. Cet artifice de la conduite et du langage est ici tout à fait caractéristique. Il n’est pas seulement significatif d’une certaine tournure d’esprit, mais il dénote un idéal fabriqué peu à peu à force de lectures. La correspondante de Mérimée a beaucoup lu ; elle lit même du grec ; il y a dans son cas un peu de bas-bleuisme, — autant qu’il en faut pour compléter le charme d’un esprit féminin et accuser la distinction de la nature. Il y a aussi des traces de préciosité. Mérimée cite une phrase de ses lettres : « Ma maladie est une impression de bonheur qui est presque une souffrance… » Il raille maintes fois sa pruderie. Sentimens et style sont chez elle pareillement quintes senties. Qu’y avait-il d’ailleurs sous ces dehors apprêtés et derrière ces apparences si exactement surveillées ? Ne s’y cache-t-il pas quelque drame intime d’espérance et de regret ? C’est là l’énigme, seule intéressante, et que nous ne déchiffrerons jamais. Mérimée était vieux, comme il le dit lui-même, au moment où s’ouvre la correspondance : n’approchait-il pas de la quarantaine ? Il venait d’éprouver une désillusion cruelle. Sans doute, il n’était plus capable d’une grande et complète affection. Le mieux pour l’un et l’autre était que les relations commencées par la coquetterie et la curiosité aboutissent à une amitié confiante et calme. Pour notre part, ce dont nous savons gré à l’Inconnue, c’est que, grâce à elle, un chapitre ait été ajouté à l’histoire jamais trop longue des contradictions du cœur. M. Prosper Mérimée, de l’Académie française, romancier immoral, homme à bonnes fortunes et vain de sa mauvaise réputation, s’en va faire par les champs et par les bois des promenades sentimentales et innocentes. Cet observateur précis qui ne croit qu’aux réalités et n’admet que les faits s’avise sur le tard de découvrir la petite fleur bleue. Et il écrit de sa plume la plus élégante et la plus souple des pages étudiées en dépit