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pour le Brésil. Celui-ci à peine parti, une de celles de Blacas, que de Maistre n’attendait plus, arriva à l’improviste. Dès le 20, il en accusait réception à son correspondant.


« Saint-Pétersbourg, 30 août (1er septembre) 1811. — Presque au moment du départ du chevalier Navara, mon très cher comte, M. le comte de Brion m’a remis votre lettre du 15 mars dernier. Je suis ravi de pouvoir encore vous tranquilliser sur le sort de cette épître, remise primitivement en des mains si respectables. Quant à celles des 3 novembre et 1er décembre 1810, elles sont ce qu’on appelle flambées, et j’en suis grandement fâché puisque c’est précisément dans ces dépêches que vous m’avez parlé à cœur ouvert.

« J’ai peu de chose à ajouter à ma longue épître cachetée il y a deux jours. J’ai dit au comte Nicolas tout ce que ma position permettait de dire. D’ailleurs, de quoi s’agit-il ? de la guerre ? Mon Dieu ! nous l’aurons et probablement pour notre malheur. Elle nous a toujours fort mal réussi. Quelles raisons avons-nous de croire que les choses iront mieux ? Et quelle force peut aujourd’hui dicter des lois à la France ? Tant que vos Français continuent à se faire égorger pour lui, il n’y a point d’espérance légitime ; et les événemens qui peuvent changer la face des choses sont possibles pendant la paix comme pendant la guerre. Je vous ai raconté tous mes chagrins et toutes mes craintes ; je n’y reviens plus.

« Oui, sans doute, monsieur le comte, c’est un étrange spectacle que celui des restes d’une reine de France, allant chercher dans un vaisseau anglais un petit coin de terre catholique [1] ; mais le monde est ainsi fait. Tout souverain malheureux est repoussé par les autres. L’histoire est pleine de ces abandons dont la raison métaphysique n’est pas cachée bien profondément. Dès que les souverains ont méconnu le maître légitime, leur intérêt est de l’écraser absolument et de le faire disparaître, parce que son existence seule les accuse et les offense, et dès qu’ils ont reconnu l’usurpateur, leur intérêt est de l’exalter à mesure même qu’il les a humiliés, pour justifier leur nouvelle religion. Voilà le cœur humain, mon cher comte, il n’est pas aimable, mais nous ne le réformerons pas. Peu de sujets sont aussi tristes.

  1. Sur le désir exprimé par la Reine, femme de Louis XVIII, sa dépouille mortelle avait été envoyée en Sardaigne pour y être inhumée.